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Intervention de Catherine Colonna

Réunion du mardi 10 octobre 2023 à 18h10
Commission des affaires étrangères

Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Je suis heureuse de vous présenter le projet de budget du Quai d'Orsay pour la deuxième fois depuis ma prise de fonction, d'autant que les nouvelles sont positives.

En effet, ce budget offensif nous permettra, plus encore que l'année dernière, de mettre en œuvre les priorités fixées par le président de la République en mars dernier, lors de la clôture des états-généraux de la diplomatie, lancés il y a un peu moins d'un an.

Si votre Assemblée l'adopte, ce projet de loi de finances nous donnera les moyens d'affirmer nos principes, nos intérêts et nos solidarités, pour reprendre le titre de la dernière conférence des ambassadrices et des ambassadeurs tenue à la fin du mois d'août.

Avant de vous présenter l'économie générale du projet de budget et ses principales priorités, je souhaiterais évoquer rapidement le contexte international dans lequel nous nous trouvons et qui nous impose de nous affirmer toujours davantage. Sans revenir sur le Proche-Orient, notre environnement est marqué par une brutalité accrue, dont la guerre en Ukraine est le signe le plus net depuis un an et demi, mais dont témoigne aussi l'effondrement sécuritaire au Sahel, du Mali au Soudan, ou l'accroissement des tensions en Asie de l'Est ; en découle notamment l'accroissement des flux migratoires vers les zones stables et prospères comme l'Europe. C'est un monde également marqué par le « chacun pour soi », c'est-à-dire que les cadres habituels de la régulation internationale sont remis en cause : divisions au sein du G20, gouvernance financière internationale contestée, difficultés à trouver des compromis, même sur le climat, et recul des droits de l'Homme dans un nombre croissant de pays. Enfin, c'est un monde marqué par la propagande et les manipulations de l'information, à une échelle décuplée par les réseaux sociaux : cette situation ne manque pas d'être préoccupante pour la démocratie.

Dans ce contexte, nous devons combiner trois lignes d'action.

La première est de continuer à jouer notre rôle de partenaires de confiance. Nous le faisons en participant activement à la résolution des crises internationales de sécurité et en affichant, quand cela est nécessaire, notre fermeté au Sahel, en Ukraine ou dans le Caucase : j'ai eu l'occasion de le faire la semaine dernière lors de mes déplacements en Ukraine et en Arménie, comme je vous le disais lors de mon audition du 4 octobre.

Le même principe vaut évidemment pour les enjeux globaux. La France est vue comme un leader en la matière, du fait de sa mobilisation sur tous les fronts : climat, biodiversité, océans, finance internationale. La mise en œuvre des conclusions du sommet de Paris de juin dominera notre agenda des prochains mois, comme nous avons commencé de le faire à l'Assemblée générale des Nations Unies.

L'un des instruments de notre action dans ce domaine sera notre politique de partenariats solidaires, confortée et rénovée lors du conseil présidentiel du développement et du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). Dans cette optique, la fin des critères de concentration géographique au profit de la poursuite d'objectifs nous permettra de piloter l'aide publique au développement de manière plus politique.

Dans le même temps, dans cette atmosphère du « chacun pour soi », nous devons défendre avec lucidité et vigueur nos intérêts. C'est ce que nous faisons en matière de diplomatie économique, l'action du ministre délégué Olivier Becht visant à aider nos entreprises à conquérir des marchés et à attirer des investisseurs dans nos territoires. C'est aussi notre objectif en développant des partenariats aussi structurants que celui que nous avons conforté avec l'Inde le 14 juillet dernier. De la même manière, nous assumons pleinement la défense de notre modèle énergétique, notamment du nucléaire civil, à l'international ; nous l'avons encore fait aujourd'hui en Allemagne et je l'avais déjà réalisé fin septembre en Finlande, en participant à l'inauguration du premier réacteur pressurisé européen (EPR) en fonctionnement sur le continent européen, lequel a été construit par EDF sur place : cet EPR fournit déjà 30 % de la consommation électrique de ce pays et contribue donc à son autonomie stratégique.

Enfin, pour mieux réguler, comme pour mieux défendre nos intérêts, rien n'est possible sans l'Europe, qui est notre levier de puissance le plus évident. Nous poursuivrons donc l'application de l'agenda de souveraineté de Versailles : souveraineté économique, défense, énergie et migrations. Nous avons beaucoup progressé dans la définition de solutions européennes.

Deuxièmement, notre projet de budget est offensif afin de nous adapter à un contexte de plus en plus difficile. Le projet de loi de finances consacre le « réarmement » – n'ayons pas peur des mots ! – de la diplomatie française, grâce à une hausse de ses moyens que l'on n'avait pas vue depuis des décennies : 165 ETP supplémentaires et une augmentation de 4,5 % de nos crédits par rapport à 2023, qui marquait déjà une première inflexion. D'ici à 2027, il y aura 700 ETP supplémentaires, sans compter les 100 ETP de 2023, et une hausse des crédits de 22 %. En 2024, le budget du ministère atteindrait ainsi, si le Parlement l'adopte, 6,7 milliards d'euros en crédits de paiement hors pensions, soit une hausse de 293 millions d'euros par rapport à l'année précédente. La mission Action extérieure de l'État se verrait attribuer 3,344 milliards d'euros en crédits de paiement hors pensions et le programme 209 Solidarité à l'égard des pays en développement, 3,42 milliards d'euros, hors pensions également.

Ce budget est novateur en ce qu'il renforce très substantiellement la mission Action extérieure de l'État pour nous donner les moyens de la transformation souhaitée par le président de la République, dans le prolongement des états-généraux de la diplomatie. La mission connaîtrait ainsi sa plus forte hausse depuis 2005, avec 11 % d'augmentation.

Je voudrais me concentrer d'abord sur le programme 105, qui regroupe les moyens de notre action diplomatique et les crédits de fonctionnement des ambassades et consulats. Le budget de ce programme croîtrait de 13 % l'année prochaine. Ces nouveaux crédits nous permettront de moderniser et de transformer le ministère : en poursuivant nos investissements dans le domaine numérique pour installer des outils collaboratifs et moderniser le travail diplomatique, ainsi que nos capacités d'analyse et d'anticipation ; en investissant davantage dans l'immobilier, y compris dans l'efficacité énergétique de nos bâtiments en France et à l'étranger ; en renforçant certains services en France ou certains postes à l'étranger de manière à mieux adapter les moyens humains aux besoins. Cela concernera la direction de la communication et de la presse et les services de presse de nos ambassades mais aussi le protocole, qui a son rôle dans la conduite de notre diplomatie publique, la future académie diplomatique ou encore nos plus petites ambassades, les 25 postes de présence diplomatique (PPD), que nous souhaitons tous renforcer de quelques ETP supplémentaires, tant l'expérience montre qu'on les a trop réduits.

Ces crédits supplémentaires permettront également de porter une attention plus grande au quotidien des agents et de leurs familles, ce qui se traduira notamment par un effort supplémentaire en matière de logement social ou encore par une meilleure couverture des frais de scolarité à l'étranger.

Troisièmement, je voudrais insister sur quelques priorités qui me tiennent particulièrement à cœur, sans prétendre à l'exhaustivité.

Première priorité : les fonctions politiques, y compris les enjeux globaux. En 2024, le programme 209 bénéficierait d'un budget s'établissant, hors dépenses de personnel, à 3,265 milliards d'euros en crédits de paiement, ce qui permettra de faire face à tous nos engagements et à la France d'être le quatrième bailleur au monde. L'aide humanitaire, dont le caractère prioritaire a été réaffirmé par le CICID de juillet 2023, serait maintenue à près de 900 millions d'euros en 2024. Ce montant comprend la provision pour crises majeures, inaugurée en loi de finances initiale pour 2022, augmentée en 2023 et maintenue à 270 millions d'euros, pour répondre efficacement et rapidement en 2024 à de nouveaux engagements non anticipés.

Permettez-moi quelques mots supplémentaires sur cette provision. Elle nous a permis d'activer très rapidement, sans passer par de longs processus d'arbitrages budgétaires, des moyens d'aide humanitaire dans des pays touchés par des crises : l'Ukraine, bien entendu, mais aussi la Turquie frappée par un tremblement de terre en février, le Soudan en proie à la guerre civile, ainsi que les pays limitrophes qui reçoivent des réfugiés soudanais, la Libye après les inondations de septembre et, plus récemment, les populations fuyant le Haut-Karabagh : nous avons augmenté notre aide humanitaire à l'Arménie pour plus de 12 millions d'euros. Je veille personnellement à ce que l'usage de cette provision reste conforme à son objet, avec des actions très ciblées et à fort impact. Le projet de loi de finances qui vous est proposé reconduit cette provision pour crises majeures, qui a donné à la France les moyens d'agir vite et bien partout où elle était attendue.

Nous consacrerions aussi 76 millions d'euros de plus qu'en 2023 aux mesures d'assistance à l'Ukraine, en partenariat avec les États membres de l'Union européenne. Nous devons prévoir d'être à ses côtés dans la durée. La Facilité européenne pour la paix deviendrait ainsi le bénéficiaire de notre plus importante contribution internationale en 2024.

La coopération bilatérale financée par le programme 209 serait quant à elle rehaussée de 109 millions d'euros, soit une augmentation de 5 %, s'établissant à 2,184 milliards d'euros en crédits de paiement. Ce renforcement de l'aide bilatérale abonderait significativement les outils à la disposition directe de nos ambassades. Ainsi, les moyens alloués aux Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), dont l'efficacité est saluée par tous, augmenteraient de 20 millions d'euros, atteignant 100 millions d'euros. Le Fonds équipe France (FEF) et le Fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel (FAEC), dispositifs d'aide bilatérale plus réactifs, visibles et lisibles créés en 2023, bénéficieraient quant à eux de 77 millions d'euros. Enfin, le don-ONG alloué à l'Agence française de développement (AFD) augmenterait de 7 millions d'euros en crédits de paiement, conformément à notre volonté de soutenir les organisations de la société civile.

Le montant des crédits consacrés à la coopération multilatérale baisserait légèrement pour s'établir à 796 millions d'euros en crédits de paiement. Cette contraction tient au fait que d'importantes dépenses réalisées en 2023 présentaient un caractère exceptionnel et ne seront pas renouvelées en 2024. Je pense par exemple à l'arriéré de contribution au Fonds mondial de lutte contre le syndrome d'immunodéficience active (SIDA), la tuberculose et le paludisme, pour 70 millions d'euros, et à la Facilité pour les réfugiés en Turquie, pour 20 millions d'euros. En réalité, ce niveau de 796 millions d'euros permettrait de consacrer des moyens pour de nouveaux engagements et de renforcer les contributions volontaires françaises dans les thématiques prioritaires du climat, de la santé, de l'égalité femme-homme ou de l'éducation. J'ajoute que l'extinction progressive du Fonds européen de développement (FED) jusqu'en 2027 libèrera des marges pour financer de nouveaux projets à budget constant au titre du programme 209.

Deuxième priorité : l'influence. En 2024, la dotation du programme 185 hors dépenses de personnel croîtrait de 50 millions d'euros par rapport à 2023, s'établissant à 721,2 millions d'euros, soit une hausse de 8 %. Cette politique d'influence se structurerait autour de deux grands axes : d'une part, le développement d'un nouveau partenariat culturel et solidaire avec le continent africain ; d'autre part, la consolidation de l'attractivité française dans les autres pays prioritaires, notamment dans la zone indopacifique.

Un renforcement du réseau culturel est engagé. Les dotations aux établissements à autonomie financière, principalement les Instituts français et les Instituts français de recherche à l'étranger, augmenteraient de 8,2 millions d'euros par rapport à 2023.

De même, les crédits alloués au réseau des Alliances françaises augmenteraient de 1,5 million d'euros, soit une hausse de 20,8 %, pour financer leur sécurisation, leur transformation numérique et le renforcement de leur attractivité. Enfin, une hausse des crédits d'intervention de 24,3 millions d'euros, soit une progression de 60 % ciblant en priorité les postes, permettrait d'offrir de nouvelles marges d'action au réseau culturel et de coopération sur les géographies prioritaires, de renforcer le soutien aux industries culturelles et créatives – certains d'entre vous sont peut-être allés au forum Création Africa ce week-end – et de financer de nouveaux campus ou des résidences d'artistes.

Dans un contexte de compétition internationale accrue, la politique d'attractivité étudiante fera par ailleurs l'objet d'un investissement important, afin de maintenir le rang de la France. Les crédits alloués aux bourses pour les étudiants étrangers en France seraient portés à 70 millions d'euros, soit une augmentation de 6 millions par rapport à 2023 et une hausse de 9 %, notamment pour faire venir des profils qualifiés dans des secteurs en tension. De même, une augmentation de 2 millions d'euros, soit une hausse de 15 %, est prévue pour les échanges d'expertise et scientifiques, qui contribuent à la politique d'attractivité de la France.

Enfin, avec ces crédits, mon ministère continuera d'œuvrer pour renforcer la place de la France dans le système multilatéral, grâce à notre contribution aux opérations de maintien de la paix, de prévention et de médiation des conflits. En 2024, 6,5 millions d'euros de contributions supplémentaires à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) sont prévus dans le sillage du sommet de Madrid, tandis que les versements aux différents organes des Nations Unies augmenteraient de 17 millions d'euros.

Troisième priorité : la communication et la diplomatie publique. En matière de communication et de presse, les moyens progresseraient de 2,2 millions d'euros. Ces crédits visent à accroître le rôle du ministère dans le pilotage de la communication de la France à l'étranger, ainsi que les capacités de nos ambassades dans les géographies prioritaires comme l'Afrique ou l'Indopacifique. La direction de la communication et de la presse continuera d'être renforcée en moyens humains et en outils de promotion et de riposte.

Nous souhaitons doter le ministère d'une nouvelle culture de la communication stratégique, selon deux axes principaux : la dynamisation et le renforcement de notre présence dans les médias et sur les réseaux sociaux, pour toucher de nouveaux publics, grâce à l'accroissement de nos capacités de production audiovisuelle, au décryptage de l'action diplomatique par le biais de nouveaux produits dédiés, aux vidéos diffusées sur les réseaux sociaux et à un travail avec les influenceurs ; le renforcement de nos capacités à lutter contre les manipulations, le développement de notre veille sur les réseaux sociaux, la mise en place d'un fonds d'innovation destiné à sélectionner et aider financièrement les projets des postes les plus pertinents, ainsi que le développement de mécanismes de coordination avec nos partenaires internationaux.

Enfin, une enveloppe de 600 000 euros est prévue au titre des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 pour activer un programme spécifique d'invitation de journalistes et accompagner notre communication sur les Jeux.

Quatrième priorité : les Français de l'étranger. Le programme 151 regroupe les moyens de l'action consulaire et d'assistance aux Français à l'étranger. En 2024, il verrait ses crédits hors dépenses de personnel croître de 24 millions d'euros par rapport à 2023, soit une hausse de 17 %, pour atteindre un montant de 165,2 millions d'euros. En 2024, se tiendront les élections européennes, dont le coût de l'organisation à l'étranger est estimé à 6 millions d'euros. À ce titre, le programme 151 bénéficiera d'une augmentation de 1,1 million d'euros de son enveloppe, laquelle sera complétée par un transfert de 4,4 millions d'euros en provenance du ministère de l'intérieur et des outre-mer.

Les crédits consacrés à l'accès des élèves français au réseau scolaire de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et à la langue française s'élèveraient à 120,5 millions d'euros en 2024, soit une hausse de 14,8 millions d'euros par rapport à cette année. Cette enveloppe financera principalement les bourses scolaires des enfants français dans le réseau de l'enseignement français à l'étranger, pour permettre aux familles de faire face à l'accroissement des frais de scolarité en raison de l'inflation élevée. De plus, 1,5 million d'euros seraient alloués aux élèves en situation de handicap. Enfin, 1 million d'euros financeraient l'instauration du pass éducation en langue française, annoncé par le président de la République, pour permettre aux enfants de nos compatriotes scolarisés localement qui en ont besoin, de se remettre à niveau en langue française.

Les crédits alloués au service public consulaire ainsi qu'à la modernisation de l'administration consulaire augmenteraient de 2,8 millions d'euros, afin d'améliorer la qualité des services rendus aux Français de l'étranger, notamment grâce à la poursuite du déploiement du service France consulaire, du vote électronique et de la finalisation du registre d'état civil électronique (RECE).

Telles sont les principales informations que je souhaitais porter à votre attention dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Comme vous pouvez le constater, ce deuxième budget du quinquennat reflète plus encore que l'année dernière l'importance accordée à notre diplomatie. Il ne s'agit, ni plus ni moins, que d'engager son réarmement complet jusqu'à 2027. Je tiens à vous remercier pour les efforts que vous avez déployés, afin d'offrir à notre diplomatie les moyens nécessaires.

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