La réunion

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Jeudi 11 mai 2023

La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

(Présidence de M. Johnny Hajjar, rapporteur de la commission)

La commission d'enquête auditionne M. Francis Amand, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer.

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Nous concluons cette session en entendant M. Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer. Après une carrière à l'Insee, à la DGCCRF, vous avez exercé différentes missions : médiateur des relations commerciales et agricoles, missionné pour la filière laitière ou la filière élevage, président du conseil d'administration de l'Institut national de la consommation de 2010 à 2022. En décembre 2018, vous avez été nommé délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer. Quatre ans et demi plus tard, nous sommes là pour faire le bilan de votre action à ce titre.

Monsieur le délégué, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous passe la parole pour une intervention liminaire d'environ dix minutes qui précédera notre échange sous forme de questions-réponses, à commencer par celle du rapporteur que je suis.

Je vous remercie également de me déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Francis Amand prête serment).

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

Je voudrais d'abord vous remercier de me permettre d'apporter ma contribution à la compréhension des problèmes économiques et à la recherche de solution pour les départements d'outre-mer (DOM).

Mon propos liminaire sera plutôt court puisque vous m'avez envoyé un questionnaire, que je trouve pertinent et complet. Autant aller directement aux réponses que je peux vous apporter, que je pourrai compléter par des réponses écrites au terme de cette audition.

Ma conviction est que les départements d'outre-mer sont un atout et une chance pour la France. C'est un atout culturel, diplomatique et scientifique. Ces départements pourraient aussi être un atout économique, pour autant que l'on valorise les nombreux potentiels ultramarins.

Ma deuxième conviction est que ces atouts ne bénéficieront à l'ensemble de la communauté française que si on assure aux concitoyens ultramarins des conditions équivalentes à celles des métropolitains. C'est fort de ces convictions que j'ai accepté ma mission, fin 2018-début 2019, consistant à essayer de développer la concurrence dans les marchés ultramarins. Je rappelle que cette mission visait à donner corps à une promesse que le Président de la République avait faite à ses interlocuteurs ultramarins qui stigmatisaient le déficit de concurrence et l'empire des grands groupes sur les départements. Dès lors que cela provenait d'une volonté du Président de la République, je pouvais dès lors considérer que les moyens nécessaires seraient disponibles pour la réussite de ma mission.

L'exécution de ma mission n'a pas été aussi idyllique que ce que j'avais imaginé, je vous le concède tout de suite. Mon action a été relativement modeste, mais pas absente, même si elle n'a pas été extrêmement visible. En tout état de cause, elle a été moins importante que celle que j'aurais voulu pouvoir mener, parce que la question des moyens est cruciale. Ce qui est certain, c'est que mon action n'a pas été spectaculaire, mais je ne prends pas cela comme un défaut parce que je pense qu'il ne faut pas faire du spectaculaire. Les problèmes de pouvoir d'achat ultramarins doivent être résolus dans le long terme et par le biais d'une action permanente, constante, de détails spécifiques aux problèmes et menée en collaboration avec les forces vives des départements d'outre-mer. Le spectaculaire qui consiste à dire que l'on va tout de suite tout résoudre n'est pas une réalité. Les problèmes sont anciens, bien analysés en théorie et même en pratique. Il n'y a pas de recette magique pour, tout d'un coup, ramener le pouvoir d'achat ultramarin au niveau du pouvoir d'achat métropolitain, lui-même très variable d'une région à l'autre, avec des difficultés spécifiques. Donc action modeste, mais importante malgré tout, derrière le rideau – si je puis dire. Une action non spectaculaire en somme.

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Nous allons prendre quelques questions du questionnaire déjà et peut-être que les collègues auront des questions à vous poser.

Donnez-nous le point sur votre bilan depuis 2019 jusqu'à juin 2022. Qu'avez-vous pu faire concrètement ? Dans votre mission de délégué interministériel, avez-vous eu les moyens de travailler ? Qu'est-ce qui vous a manqué ?

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

Je n'ai pas de moyens. Je suis un homme seul. J'ai réclamé dès le départ une personne supplémentaire pour m'assister dans mes travaux concernant l'outre-mer, qui n'étaient qu'une partie de mes missions, puisque j'avais des missions aussi de contrôle financier et de médiation dans les filières agricoles. J'étais très sollicité dans ces activités-là et donc je ne consacrais pas un plein temps à l'outre-mer. En 2019, j'ai fait quasiment un mi-temps sur l'outre-mer. En 2020, j'ai plutôt fait un tiers-temps. Cela s'est un peu diminué au fur et à mesure. Il faut aussi reconnaître que la crise sanitaire a beaucoup bousculé le travail. D'ailleurs, on m'a confié à l'époque des missions sur la surveillance des prix pendant la crise. J'ai un peu organisé et coordonné ce que les directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l'emploi (DIECCTE) faisaient en la matière pour éviter que la situation de crise conduise à des dérapages de prix excessifs. Ma mission de délégué interministériel à la concurrence s'est changée en délégué à la surveillance des prix, ce qui n'est pas la même chose. Avec notamment l'obtention de la part des opérateurs d'engagements vertueux ou de modération des prix.

J'ai réclamé des moyens à plusieurs reprises, mais je n'ai jamais pu les obtenir alors que j'avais des candidats. Je peux même raconter une anecdote. J'avais trouvé une personne que la délégation à l'encadrement supérieur de Bercy me mettait à disposition. Cette personne, tout à fait compétente, connaissait l'outre-mer parce qu'elle avait été sous-préfète à Saint-Pierre-et-Miquelon, et se disait très motivée. Nous n'avons jamais réussi à trouver le régime indemnitaire qui lui aurait permis d'être payée pour cette mission. C'est dommage, parce qu'avec ce renfort, nous avions vraiment commencé à travailler de manière plus active.

On m'avait dit qu'il fallait attendre l'avis de l'Autorité de la concurrence pour mettre en œuvre ma mission. J'ai piloté le suivi des recommandations de l'Autorité sur plusieurs aspects réglementaires, législatifs, organisationnels. J'avais mon tableau de suivi et je faisais un peu le serre-file pour avancer. Je dois dire que j'ai eu du mal à avancer. Quand vous voulez faire changer le régime de dédouanement à la direction générale des douanes, vous vous heurter assez vite à des réticences administratives, mais je l'ai fait et des choses ont été faites. D'ailleurs, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a lancé des démarches en matière de facilitation du commerce électronique.

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

Le fait qu'il y ait pu avoir des discriminations dans la loi, dont je ne me rappelle plus exactement. Il y avait dans les textes sur la communication électronique des difficultés qui ont été levées à l'occasion de la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, dite « loi DDADUE », je crois.

J'ai fait beaucoup de propositions qui me semblaient de nature à permettre un accroissement de la concurrence, mais je n'ai pas réussi à les faire passer. Peut-être ai-je manqué de qualité de conviction. Je pensais par exemple que relâcher la prohibition de la rente à perte en outre-mer aurait été une bonne solution. On aurait pu tester si les distributeurs se faisaient effectivement concurrence et s'ils utilisaient cette possibilité nouvelle pour aller baisser les prix, en concurrence avec les autres opérateurs. J'ai pu observer qu'en outre-mer, le mode de tarification des achats des distributeurs leur permet d'encaisser des remises de fin d'année qu'ils ne remettent pas dans les prix. Il y avait probablement des choses à faire en libérant tout cela. On ne m'a pas suivi là-dessus et j'en étais tout à fait marri.

J'ai beaucoup œuvré, et sans succès à nouveau, pour que le ministre demande un examen approfondi des concentrations SAFO et NG Kon Tia en Guyane ou GBH et Vindémia, et puisse même se réserver la possibilité d'évoquer l'affaire de manière à imposer aux opérateurs des engagements de cession plus importants ou des engagements comportementaux.

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

Je pensais qu'un certain nombre d'éléments économiques qui avaient été mis en avant dans l'étude de l'état des lieux du marché de la distribution généraliste à La Réunion réalisée par le cabinet Bolonyocte méritaient que l'on regarde cela de plus près. Des choses me paraissaient un peu excessives, mais il me semblait qu'il y avait des choses intéressantes, notamment en termes de positions dominantes de GBH sur un parc de commerces sur différents marchés et sur ce qui concernait la chaîne amont, c'est-à-dire l'approvisionnement. Nous aurions pu être plus exigeants en termes de cessions et en termes d'engagements comportementaux.

S'agissant de la concentration Safo et NG Kon Tia, j'ai essayé d'aider la personne, dont je ne peux dire le nom ici, qui voulait reprendre une partie de ce qui avait été revendu à la suite de l'avis de l'Autorité, mais qui n'arrivait pas à le faire.

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

Je parle de M. Clavel. Je crois que son entreprise était SCGR et il voulait absolument pénétrer le marché. Il me semblait avoir les compétences. Il avait déjà un pré-engagement d'un enseigne de franchisés non présente en Guyane et qui aurait pu dynamiser la concurrence et augmenter la diversité de l'offre à Cayenne et autour. On aurait aimé demander au cabinet du ministre d'intervenir.

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

J'ai une lettre de mission, mais pas de position institutionnelle. C'est bien la difficulté. Je n'ai pas autorité pour faire ceci ou cela. Je ne peux faire que de la suggestion aux gens qui décident. J'ai essayé de convaincre à la fois la DGCCRF et…

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

Je ne suis sous l'autorité de personne.

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

Le ministre me confie une mission.

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

La lettre initiale a été signée par M. Le Maire, ministre de l'économie, et la ministre de l'époque, Mme Girardin. Je n'avais pas de moyens, je n'avais pas autorité sur les services de la DGCCRF, je n'avais autorité sur personne. Donc c'est difficile dans ces cas-là de faire des choses.

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

Oui, de conseil, de boîte à idées, mais je n'avais pas de pouvoir d'investigation, de pouvoir de commandement sur les gens qui ont des pouvoirs d'investigation. J'avais des contacts réguliers avec les collègues des directions de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DEETS) ultramarines, mais je ne pouvais rien leur imposer. J'avais des contacts réguliers avec les cabinets des ministres pour rappeler l'ambition gouvernementale de développer la concurrence en outre-mer, de faire des choses pour SAFO et NG Kon Tia ou pour GBH et Vindémia. Ils ne m'ont pas suivi, ce que je peux comprendre. Ils ont reconnu qu'il y avait un intérêt, mais ont estimé qu'il ne fallait pas mettre le pied dans un chemin qui va les amener à être sollicités à tout moment.

L'étude Bolonyocte, à laquelle je n'ai pas participé, me laissait penser que tous les points n'avaient pas forcément été regardés et qu'elle méritait un examen approfondi, dès lors que certaines de ses objections me paraissaient fondées.

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Nous avons bien compris que vous jouez un rôle de suggestion. Vous avez dit avoir essayé, à travers un certain nombre de textes, d'accroître la concurrence, sauf que vous n'avez pas été suivi. Pour être concret, parce qu'il faut toujours tirer les enseignements de ce qui ne marche pas, quels sont les arguments qui vous ont été opposés ou les freins que vous avez rencontrés du fait que vous n'ayez pas été suivi dans cette démarche ?

En 1993, l'amendement dit Thien Ah Koon complétait la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat dite « loi Royer », qui fixait à 25 % la limite en surface de vente et le chiffre d'affaires qu'un distributeur alimentaire ne pouvait dépasser dans les Dom. L'abrogation de cette loi remet bien sûr en question la réelle volonté de lutte contre les pratiques anti-concurrentielles dans les territoires ultramarins. Qu'est-ce que cela implique aujourd'hui ? Pensez-vous que si l'on n'avait pas abrogé la loi, on aurait été dans une situation différente par rapport aux monopoles et oligopoles ? Aujourd'hui, que pourrait-on faire de ce point de vue-là ?

Enfin, dernier point, ce n'est pas une critique parce que j'ai compris que vous êtes seul et que la mission n'a pas été toujours simple pour vous, mais dans une déclaration qui date de 2018, vous disiez que vous vouliez réduire les prix pour un certain nombre de produits de grande consommation et surtout savoir pourquoi on ne les obtient pas et pourquoi les prix restent très hauts. C'est ce que l'on doit aux consommateurs ultramarins. Pensez-vous être arrivé à faire baisser prix et surtout à avoir les réponses que vous souhaitiez ?

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

S'agissant des obstacles rencontrés, je peux donner trois exemples. Sur la vente à perte, on m'a dit non, c'est tabou, on ne va pas commencer à détricoter le code de commerce avec des choses particulières. On me disait aussi que l'opposition à la vente à perte visait à éviter que le petit commerce souffre par rapport aux grands. Je leur disais qu'il souffrait déjà et que cela ne changeait pas grand-chose. Si vous voulez défendre le petit commerce, pourquoi n'utilisez-vous pas la disposition de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer dite « loi Lurel » qui permet d'obliger, dans plusieurs départements d'outre-mer, les grands commerçants à faire des tarifs de gros aux petits ? Cette disposition me semblait assez intelligente, mais elle n'a pas été mise en œuvre. Il y avait donc des solutions.

J'ai également demandé que l'on profite de la proposition de l'Autorité de la concurrence de revenir sur l'injonction structurelle pour la rendre plus efficace, d'aller jusqu'au cas néo-calédonien. Pourquoi en Nouvelle-Calédonie, pouvez-vous défaire les conglomérats et les positions dominantes beaucoup plus facilement qu'ailleurs ? Pourquoi ne le faites-vous pas ? On m'a dit que c'était anticonstitutionnel. C'est à voir. Je ne vois pas ce qui est anticonstitutionnel à faire à La Réunion ou aux Antilles, ce que l'on fait en Nouvelle-Calédonie. Les entreprises ont-elle besoin de plus de liberté aux Antilles qu'en Nouvelle-Calédonie ? Les consommateurs martiniquais ou guadeloupéens doivent-ils être moins protégés que les consommateurs calédoniens ? Il y avait toujours de bonnes oppositions.

J'ai fait des propositions pour traiter les concentrations spécifiques à l'outre-mer en donnant au ministre, donc à l'action publique, plus de pouvoir. On m'a dit non, parce que le droit à la concurrence doit être exempt de tout soupçon d'intervention publique. C'est un tabou en droit de la concurrence. Donc là aussi, on ne voulait pas.

J'ai aussi fait des propositions pour donner plus de puissance au bopuclier qualité-prix (BQP), sur son champ et son objectif. Un article de la loi Lurel qui traite du BQP spécifie que lorsque le préfet n'est pas satisfait de la négociation ou du résultat de la négociation, il peut imposer des choses. Pourquoi ne le faites-vous pas ? Essayez d'utiliser tous les outils de la loi Lurel. Cela n'a pas été utilisé. De même, le tarif de gros n'a pas été utilisé. L'injonction structurelle n'a pas été utilisée. La réécriture de différents articles de la loi Lurel pourrait les rendre plus efficaces.

J'avais toujours des oppositions de droit ou de conception de l'intervention des pouvoirs publics dans l'économie. Si vous avez des conceptions extrêmement libérales, vous considérez que le ministre doit intervenir le moins possible. Ce n'est pas l'avis du ministre actuel, Jean-François Carenco, et je pense qu'il a raison.

Pendant mes fonctions à la DGCCRF, j'ai connu l'amendement Thien Ah Koon. Je trouve que c'était une bonne disposition. Je ne peux pas dire ce qu'il se serait passé si on l'avait conservé, mais je pense que limiter la part de marché - ce n'est pas forcément la même dans tous les marchés - est une solution à regarder avec intérêt. D'ailleurs, dans une des questions du questionnaire, on me demande s'il faut encore baisser les seuils du contrôle des concentrations. Je ne pense pas qu'il faille les baisser. Par contre, je pense qu'il faut faire des seuils en parts de marché et non pas des seuils en niveaux. Sinon, vous allez les baisser, vous allez soumettre un nombre astronomique d'entreprises à un contrôle a priori. La plupart du temps, le contrôle conduit à accepter la concentration. Vous soumettez plein d'entreprises à des contrôles, donc à de nouvelles charges administratives, et ce n'est pas le moment, pour un effet nul. Par contre, si vous raisonnez en parts de marché, vous êtes plus proche de la réalité. Si, au-delà d'une part de marché, vous donnez des pouvoirs d'évocation et de renégociation au ministre dès lors qu'il y a une concentration qui dépasse une part de marché, la démarche devient plus efficace. Là aussi, c'était novateur. On m'a dit que le contrôle en parts de marché avait été abandonné lors de la réforme du contrôle des concentrations et qu'il n'était pas prévu d'y revenir. Mais pourquoi pas ? Quand on ne veut pas changer, on trouve toujours des raisons. J'ai proposé mes idées, mais la décision revient à Bercy.

Dernier exemple : en 2019, je me suis occupé de la pêche à la légine à La Réunion, où il existe un aspect concurrentiel dans l'attribution des droits de pêche. J'ai attiré à plusieurs reprises l'attention des décideurs sur les problèmes relatifs à la constitution de l'appel d'offres. Il favorisait excessivement les opérateurs en position et ne permettait pas d'en faire entrer de nouveaux. Je n'ai poussé personne pour attaquer la décision. La décision a été cassée exactement sur les motifs que j'avais donné. Vous avez des approches assez dynamiques et novatrices et quand vous voulez les pousser, on vous dit non. Là aussi, je n'avais pas autorité, autre que morale, pour faire changer les choses.

Je pensais que j'aurais cette autorité. C'est vrai que lorsque je suis arrivé en début 2019, j'avais espoir d'avoir les moyens de regarder la chaîne de valeurs d'un certain nombre de produits qui auraient été par exemple désignés par les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), de remonter les choses et de voir effectivement comment les prix se formaient. J'ai commencé à le faire. Notamment, j'ai regardé la chaîne de valeurs des produits importés, qui permet de voir les remises de fin d'année qui ne bénéficient jamais aux consommateurs. C'est un travail de détail, mais il faut rentrer dans les comptes. Je ne peux pas saisir les comptes des entreprises et je dépends de ce qu'on me dit. Je pensais que j'arriverais à le faire, mais très vite, je me suis aperçu que je n'aurais pas les moyens. Ou alors, il aurait fallu que j'abandonne des missions que j'avais par ailleurs.

C'est vrai que quand je suis arrivé, j'ai dit qu'il fallait faire la chasse aux marges abusives. J'ai bien conscience que j'y allais fort parce qu'il est difficile de déterminer une marge abusive. C'est difficile de déterminer une marge abusive, on ne sait pas exactement ce que c'est, je voulais donner un signal, prévenir les entreprises, pour les inciter à être modérées.

Ces démarches ont-elles eu un effet ? C'est difficile à dire parce que la période a été tellement bouleversée avec la Covid-19 et les différentes crises qu'examiner le profil des prix reste un exercice difficile pour en tirer des conséquences. Nous voyons quand même que les prix augmentent moins vite en outre-mer qu'en métropole. Vous allez me dire qu'ils sont déjà tellement hauts qu'ils ne peuvent pas augmenter beaucoup plus et que les marges ont un tampon.

Je constate qu'il n'y a pas beaucoup de nouveaux opérateurs en outre-mer. Les barrières à l'entrée sur les marchés sont toujours aussi importantes. Il faut trouver des moyens de faire tomber les barrières. M. Thierry Dahan, qui a été rapporteur général de l'Autorité de la concurrence et conseiller spécial de M. Lurel pour la loi, avait déclaré que la concurrence supposait la présence de concurrents. On a du mal à les faire naître. Pour les faire naître, il faut de temps en temps redistribuer les cartes. L'injonction structurelle permet de casser des oligopoles. Il faut aussi faciliter l'entrée dans tous les sens. De nombreuses aides bénéficient aux entreprises ultramarines et il convient de les utiliser en faveur des nouveaux entrants, sans que ce ne soit toujours les mêmes acteurs. C'est un travail régulier de bureau.

Je ne peux pas désigner un opérateur abusif plutôt qu'un autre. Il y a une atonie concurrentielle. La prise de risque ultramarine est à mon avis plus grande quand vous entrez sur le marché et, donc, il y a moins d'entrées.

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Avez-vous saisi l'Autorité de la concurrence ou la DGCCRF ou un organisme dédié comme la DIECCTE ou la DEETS aujourd'hui sur des pratiques de concentrations verticales ou horizontales ? Pouvez-vous nous préciser, depuis 2019, les opérations sur lesquelles vous êtes intervenu, même sans résultat ? Vous avez parlé de la SCGR avec M. Clavel en Guyane. Nous aurions aimé avoir la liste de tous les sujets sous lesquels vous avez eu un regard en tant que délégué interministériel de la concurrence. Nous voulons enfin savoir si vous avez saisi officiellement la DGCCRF, l'Autorité de la concurrence ou la DEETS.

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

Ma réponse sera très rapide. Je n'ai pas le pouvoir de saisir l'Autorité. Ce pouvoir est limité à un certain nombre d'opérateurs. Je ne suis intervenu que pour les deux affaires que vous avez citées. La deuxième, relative à GBH-Vindémia, est la plus importante qu'on ait eue. J'ai essayé de convaincre l'ensemble des parties prenantes de passer en phase deux et de réserver la possibilité d'évocation par le ministre. C'est tout ce que j'ai pu faire. Enfin, j'ai fait des propositions pour modifier le droit de manière à donner plus de positions.

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Pourriez-vous nous faire parvenir votre feuille de mission et également vos propositions par rapport à l'expérience que vous avez vécue ? Avez-vous produit des documents depuis 2019 ?

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J'ai des notes au ministre et des documents de travail.

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Je souhaiterais que vous puissiez nous remettre vos feuilles de mission et nous fournir les rapports que vous avez écrit au ministre. J'ai bien compris que vous étiez simplement un conseil et que vous deviez saisir le ministre pour ensuite enclencher une action concrète auprès des autorités. Vous aviez un lien direct avec le ministre. Parlons-nous du ministre de l'économie directement ou de la ministre de l'outre-mer ?

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C'était essentiellement la ministre de l'outre-mer. Mme Annick Girardin, ou son directeur de cabinet, représentait la porte d'entrée. Ce dernier me conviait à ses réunions avec différents opérateurs. Après 2020, il y a eu un changement de ministre, d'équipe et aussi la crise liée à la Covid-19.

Le ministre Jean-François Carenco m'a fait venir dès la fin août et m'a demandé si je dépendais de Bercy. J'ai répondu que j'étais indépendant, à son service et que je ne prenais pas mes positions sur Bercy. Je lui ai fait part des difficultés de missions, notamment le manque de reconnaissance institutionnelle, le manque de moyens. Il m'a dit qu'il se faisait fort d'obtenir un gain de cause sur mes propositions. Nous avons lancé une nouvelle lettre de mission plus complète, qui indiquait je pouvais recourir aux services locaux et centraux sur un certain nombre de choses, avoir l'accès aux données publiques et fiscales. La démarche n'a pas été finalisée parce que les administrations rechignent. Elles se demandent ce qu'est cet objet administratif non identifié qui vient faire la mouche du coche, demander de travailler dans certains sens, bousculer les procédures.

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Il y a un projet, mais il n'est pas finalisé.

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J'ai le document parce que je l'ai proposé. Il est proposé au cabinet, le cabinet de l'outre-mer l'a également.

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Vous nous la donnerez. Depuis le mois d'août, avez-vous eu un retour sur votre mission ?

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La lettre de mission a été mise en chantier en septembre ou octobre et la situation n'a pas évolué depuis. J'ai participé aux travaux du BQP +.

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J'ai assisté aux réunions de coordination avec les DIECCTE, le suivi de ce qu'on pouvait demander aux différents opérateurs.

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Non, c'est une autre difficulté, puisque je suis à Paris. Les réunions s'effectuent en visioconférence. Il y avait quand même un cadre général. On voyait ce qu'on pouvait demander.

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Avec qui avez-vous eu des relations concrètes en termes de territoires de l'outre-mer ?

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Avec les gens des pôles C s'agissant de la Martinique et La Réunion. Le conseiller technique pouvait me solliciter quand il voulait des opinions.

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Êtes-vous allé, depuis 2019, sur place, en territoires dits d'outre-mer ?

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Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer

Je suis allé deux fois à La Réunion, dont une fois avec Mme Girardin. Je ne suis pas allé ailleurs puisque je n'avais pas de crédits de mission. Par contre, j'ai eu des contacts avec les représentants du patronat antillais lors de leur passage à Paris. J'essayais de nouer des contacts comme cela.

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Je vous remercie et vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez également utiles, en plus de ceux que je vous ai demandés pour la commission d'enquête.

La séance s'achève à dix-huit heures vingt.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Johnny Hajjar, M. Frédéric Maillot, M. Philippe Naillet, Mme Cécile Rilhac.

Assistait également à la réunion. – M. Jiovanny William.