Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Réunion du mardi 7 février 2023 à 16h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mardi 7 février 2023

La séance est ouverte à 16 heures.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

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Madame la Ministre, nous vous remercions d'avoir accepté d'être auditionnée par notre commission d'enquête, au titre de diverses fonctions que vous avez exercées, notamment la fonction ministérielle dédiée à l'énergie entre 2014 et 2017, qui intéresse plus particulièrement nos travaux.

L'un des présidents d'honneur d'EDF, entendu par notre commission, a observé pour la période antérieure à ces fonctions, que les candidats au deuxième tour des élections présidentielles de 2007 ne s'étaient guère affrontés sur le thème de l'énergie, lequel semblait alors faire consensus. Ces propos ont été contredits par une audition ultérieure.

Selon le décret relatif à vos attributions ministérielles de 2014 à 2017, vous étiez chargée d'élaborer et de mettre en œuvre la politique de l'énergie « afin notamment d'assurer la sécurité d'approvisionnement et la lutte contre le réchauffement climatique et de promouvoir la transition énergétique ».

Conjointement avec le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, que nous auditionnerons prochainement, vous étiez compétente pour « la politique des matières premières et des mines en ce qui concerne les matières énergétiques ».

La commission d'enquête a précédemment auditionné M. Antoine Peillon, qui fut votre conseiller technique Énergie, et M. Manuel Valls, qui dirigeait le gouvernement auquel vous apparteniez.

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 occupe une place très importante dans les travaux de notre commission, au cours desquels elle a été abondamment citée. Elle a institué les programmations pluriannuelles de l'énergie (PPE) et les stratégies nationales bas carbone. Elle comportait en outre de nombreuses dispositions en matière d'économies d'énergie, dans les bâtiments comme dans les transports. Elle prévoyait un déploiement des énergies renouvelables et prescrivait de fermer les centrales à charbon d'ici 2023, de plafonner la capacité des installations nucléaires à 63,2 GW, mais aussi de réduire à l'horizon 2025 la part de la production d'électricité d'origine nucléaire (50 % de cette production devant alors être issus d'énergies renouvelables).

EDF n'était pas alors confrontée au phénomène de corrosion sous contrainte que nous connaissons cet hiver, mais ses documents de référence annuels décrivent les risques auxquels le Groupe devait faire face (règles de concurrence, politiques publiques, exigences liées à la sûreté des systèmes électriques interconnectés). Le document de 2016 évoque au sujet du plafonnement à 63,2 GW, des « décisions d'arrêt prématuré d'une ou plusieurs tranches du parc ( …) ne résultant pas d'un choix industriel mais d'une application de la loi ».

Par ailleurs, nous n'oublions pas que votre nom est associé à la COP 21. La France a alors souhaité se montrer exemplaire dans ce domaine et devenir le fer de lance de cette nouvelle cause en faveur de l'humanité.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Royal prête serment.)

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Je propose de vous dire quelques mots sur la loi du 17 août 2015 avant de répondre à vos questions.

En tant que cheffe de délégation pour la Conférence de Paris sur le Climat (COP 21) de décembre 2015, j'étais en charge des avancées opérationnelles en matière de lutte contre le réchauffement climatique. J'ai souhaité que la France finalise sa stratégie bas carbone afin de se montrer exemplaire à l'ouverture de cette conférence. Nous avons d'ailleurs été l'un des premiers pays du monde à faire adopter au parlement une stratégie bas carbone de lutte contre le réchauffement climatique.

J'ai voulu une loi la plus consensuelle possible, mais je souhaitais également en prendre les décrets d'application pendant le débat parlementaire. J'ai moi-même été parlementaire durant quatre mandats, soit vingt ans, et j'ai vu beaucoup de ministres faire voter des lois sans se préoccuper de leurs textes d'application et des mesures opérationnelles nécessaires à leur mise en œuvre.

J'avais assigné trois objectifs à cette loi, qui contenait pour la première fois le terme de « croissance verte » : Lutter contre le réchauffement climatique ; Réduire la facture énergétique (qui représentait alors un déficit de 70 milliards d'euros dans la balance commerciale) ; Faire de la France une championne dans l'industrie et l'innovation, dans tous les secteurs clés de l'énergie et de l'efficacité énergétique.

Je souhaitais également donner aux territoires et aux citoyens les moyens de participer à la transition énergétique, notamment par la création des TEPCV (territoires à énergie positive pour la croissance verte).

Enfin, au moment où je voyais s'accroître la compétition mondiale sur les énergies renouvelables, les transports propres et l'efficacité énergétique des bâtiments, je désirais profiter de la COP 21 pour encourager nos industriels à prendre de l'avance dans tous ces domaines.

En matière d'énergies renouvelables, la France et ses départements d'outre-mer disposent de tout, qu'il s'agisse d'énergie solaire, d'énergies marines, d'éolien, d'hydrolien, de géothermie, ou de bois. Les énergies marines ont toujours représenté pour moi une opportunité très forte.

La loi de 2015 poursuivait également trois objectifs politiques forts, qui figurent d'ailleurs dans l'exposé de ses motifs : ne pas opposer les énergies les unes aux autres ; faire en sorte que la France ne connaisse ni pénurie ni dépendance ; disposer d'un champ d'énergies propres, sûres et les moins chères possible.

La France a toujours fait preuve d'un grand volontarisme dans ses politiques énergétiques. Elle l'a montré au sortir de la guerre avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier, qui a posé les fondements de l'Europe ; mais aussi dès les premiers travaux du Conseil national de la Résistance, qui présentait l'énergie comme un levier majeur de développement. Cette approche a conduit au service public de l'énergie, à la création d'entreprises publiques puissantes et à l'édification de barrages.

Des investissements massifs ont donc eu lieu dans l'énergie après la guerre. En 2015, j'ai demandé au parlement de consentir le même effort d'imagination, d'anticipation et d'investissement afin de prendre le tournant de l'autonomie énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique.

Lors du choc pétrolier de 1973, le prix du pétrole brut a quadruplé et le programme nucléaire lancé par la France, unique au monde, s'est accéléré. Plus d'une quarantaine de réacteurs ont été construits en dix ans, reflétant un très fort volontarisme politique.

Comment continuer à être les meilleurs dans le domaine énergétique ?

Il convient avant tout d'économiser l'énergie, et tel était l'objet du grand chantier relatif aux bâtiments afin de créer des emplois et réduire les factures. En effet, le bâtiment est le premier secteur consommateur d'énergie, avant même les transports et l'industrie. Les travaux de rénovation et d'isolation, les bâtiments à énergie positive, les réseaux intelligents et les territoires à énergie positive revêtent donc une grande importance de ce point de vue.

Les énergies renouvelables constituent un deuxième pilier. La France a le premier potentiel agricole européen, avec des débouchés en méthanisation et en biocarburants, mais aussi le troisième potentiel forestier. Elle est également la première puissance maritime européenne avec ses outremers et le premier producteur européen d'énergies renouvelables en incluant l'hydroélectricité (qui a réglé ses problèmes de stockage de l'énergie). La loi de 2015 posait un objectif ambitieux de 32 % d'énergies renouvelables à l'horizon 2030 contre 14 % en 2012. Le titre premier souligne clairement que cet objectif vise à renforcer l'indépendance énergétique de la France et lutter contre les catastrophes climatiques. Il se décline comme suit : Porter la part du nucléaire à 50 % à l'horizon 2025 ; Réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030, par rapport à 1990 (le facteur 4) ; Diminuer de moitié la consommation d'énergie à l'horizon 2050 par rapport à 2012, avec un rythme annuel de baisse de l'intensité énergétique de 2,5 % par an d'ici 2030 et un pilotage resserré reposant sur un suivi régulier; Porter la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique à 32 % d'ici 2030, en portant la part de la chaleur renouvelable (biomasse, valorisation des déchets, géothermie) à 38 % et la part des biocarburants à 15 %.

Monsieur le Président, vous n'étiez pas élu à cette époque, mais j'ai inauguré en Alsace deux champions dans le domaine de la géothermie, l'un en géothermie profonde, une première mondiale, et l'autre en valorisation de biomasse bois. Parallèlement, je me rendais à Fessenheim. Nous composions donc avec une diversité dans les territoires.

Tels étaient les grands traits de cette loi de transition énergétique et ses objectifs opérationnels, qui avaient vocation à être ajustés au fil du temps grâce à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La loi créait en effet un outil qui évitait de tâtonner année après année, en programmant et en réactualisant des stratégies énergétiques.

J'ai également eu le souci de mettre en place des outils pour accompagner cette loi, en particulier la finance verte. J'avais été marquée par l'échec de la conférence de Copenhague, à laquelle j'avais assisté en tant que présidente de région. J'avais réalisé que nous ne parviendrions à un accord sur le climat à Paris que si le secteur financier basculait du côté des stratégies bas carbone.

En juillet 2015, la coalition de la finance verte s'est réunie pour la première fois à Paris, et les banques et assurances ont entamé ce mouvement. Les assurances ne parvenaient plus à assurer les dégâts climatiques et ont compris qu'il était dans leur intérêt de financer la lutte contre le réchauffement climatique.

Je présidais cette coalition et je me suis rendue à Washington pour la réunion du FMI et de la Banque mondiale, en présence du Secrétaire général des Nations Unies. J'ai alors souhaité que la France se trouve à l'avant-garde en finance verte, et nous avons été l'un des premiers pays du monde à adopter un prix du carbone.

L'article 173 de la loi de transition énergétique intègre en outre le risque climatique dans le reporting sur la responsabilité sociale des entreprises et investisseurs. Des investisseurs ont pu se développer grâce à cet article, qui a ensuite servi de référence à la finance verte mondiale et a été adopté par d'autres pays.

Nous avons également créé un label Transition énergétique pour le climat, pour des fonds représentant un encours de 1,5 milliard d'euros, et un label Financement participatif pour la croissance verte. En janvier 2017, nous avons aussi lancé sur le marché la première obligation verte souveraine pour 7 milliards d'euros (alors même que le secteur bancaire et financier demandait un encours de 11 milliards d'euros). Cette obligation verte a recueilli 200 investisseurs et a permis de financer des politiques en faveur de l'environnement et la lutte contre le réchauffement climatique.

Parallèlement, nous avons mis en place un fonds de financement de la transition énergétique (250 millions d'euros), des prêts pour la croissance verte (3 milliards d'euros, gérés par la Caisse des Dépôts et consignations), de nouvelles règles créant des marchés et réduisant les coûts, des soutiens aux particuliers (doublement du crédit d'impôt de transition énergétique et réforme des prêts à taux zéro, avec possibilité de cumuler les deux) et des sociétés de tiers-financement en mesure d'avancer des fonds aux particuliers. Nous avons aussi facilité l'émergence de projets urbains innovants et exemplaires, avec des démonstrateurs industriels pour la ville durable et de multiples appels à projets pour accélérer la montée en puissance des énergies renouvelables (éolien en mer, éolien flottant, méthanisation, biomasse, réseaux de chaleur, notamment). L'État a joué un rôle de locomotive et a mobilisé les investisseurs en les sécurisant.

Selon moi, la transition énergétique a besoin de stabilité et de sécurité, et je regrette que les changements ministériels aient provoqué des reculs, au détriment des entreprises et industriels. Ils ont besoin de durabilité et de visibilité pour arrêter leur stratégie et investir. Quand un travail est engagé de manière consensuelle, dans l'intérêt énergétique de la France, l'idéologie pro- ou antinucléaire, n'a aucun sens. De mon point de vue, on ne peut pas être pour ou contre le nucléaire, mais uniquement pour un modèle énergétique équilibré, nous fournissant une énergie la moins chère possible, nous garantissant une indépendance et une stabilité des règles.

L'énergie, c'est la vie. Il s'agit du sujet le plus important dans un pays et dans sa stratégie. Nous voyons d'ailleurs que les pays qui en sont privés ne parviennent pas à se développer. Je pense en particulier à tout le continent africain. Ce problème avait d'ailleurs été évoqué à l'occasion de la COP 21.

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Je vous remercie. Tout d'abord, je tiens à vous rassurer : lorsque vous vous êtes déplacée dans le Haut-Rhin en 2015 ou 2016 pour visiter l'installation de géothermie de Rittershoffen, j'étais déjà élu local et déjà attentif aux sujets énergétiques.

Nous avons reçu deux informations contradictoires au cours de nos auditions sur l'ambiance autour de la question énergétique lors de la campagne présidentielle de 2007. Dans vos souvenirs, l'énergie constituait-elle ou non un sujet de campagne ou de clivage ? Ou restait-elle un non-sujet dans le paysage politique de l'époque ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

De mémoire, ce n'était pas un sujet archiprioritaire.

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Votre réponse donne plutôt raison au dirigeant d'EDF.

Lors des auditions, certains nous ont beaucoup parlé du changement de paradigme qu'a marqué la COP 21 dans la stratégie énergétique. Nous serions alors passés du « facteur 4 » au « zéro émission nette ». Vous avez expliqué la nécessité d'anticiper en la matière, aussi je peine à comprendre en quoi la COP a représenté un tournant brusque dans la stratégie énergétique, même si elle a durci les objectifs au niveau international et français.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Elle a marqué un tournant brusque car, pour la première fois, l'ensemble des pays du monde ont reconnu que les activités humaines et le recours aux énergies fossiles étaient à l'origine du dérèglement climatique, et ils l'ont inscrit dans un traité.

J'étais déjà ministre de l'environnement en 1992 et j'ai vécu le premier Sommet de la Planète à Rio, avec François Mitterrand. À cette époque déjà, beaucoup avait été dit. Nous connaissions déjà le réchauffement climatique, mais les climatosceptiques, dont certains grands scientifiques, signaient alors des pétitions où ils jugeaient illusoire de penser que ce réchauffement climatique découlait de l'utilisation des énergies fossiles. Il a fallu attendre 25 ans, et un long processus marqué par 21 COP, pour que les États le reconnaissent enfin.

Par ailleurs, tous les États se sont engagés au terme de la COP 21 à élaborer une stratégie bas carbone, qu'ils soient riches ou pauvres. Il s'agissait là d'une grande nouveauté.

Le troisième pilier de la COP 21 concerne le financement.

J'étais en charge de l'Agenda de l'action, lui-même très innovant, qui comprenait 70 coalitions couvrant tous les secteurs de l'activité économique. Au cours des discussions et dans l'Accord de Paris sur le climat, j'y ai fait inscrire deux éléments nouveaux : l'océan et les femmes.

Il peut sembler étonnant que l'océan ait été absent de cette liste, dans la mesure où il représente 70 % de la surface de la planète, mais cette lacune tient simplement au fait qu'aucun chef d'État ne représentait l'océan au cours des négociations diplomatiques. En oubliant les océans, nous omettions pourtant des facteurs clés : leur rôle de puits de carbone, leur potentiel d'énergies renouvelables, les problématiques de biodiversité et de surpêche, etc.

Quant aux femmes, elles sont les premières victimes du dérèglement climatique et des catastrophes climatiques, car elles se chargent souvent des enfants et personnes âgées, sans nécessairement savoir se sauver elles-mêmes. Durant la COP 21, j'ai organisé une grande réunion avec 600 à 700 femmes de tous les pays du monde, et elles nous avant tout demandé deux choses : leur apprendre à nager et leur apprendre à grimper aux arbres.

La COP 21 a en outre reconnu que les femmes portaient des solutions au dérèglement climatique. Ce sont souvent les femmes qui alertent, par exemple sur la raréfaction de l'eau ou du bois qu'il faut aller chercher de plus en plus loin. Certaines alertent depuis très longtemps et les grands militants environnementaux sont souvent des femmes. À travers le monde, 90 % des agriculteurs sont des agricultrices, et elles subissent directement l'impact du dérèglement climatique.

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J'en reviens aux questions énergétiques. L'une des personnes que nous avons auditionnées, et qui était en responsabilité en même temps que vous, nous a expliqué que la COP et sa stratégie « zéro émission nette » ont marqué un changement de cap en France, voire un virage à 180° et des renoncements.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Non, nous avions arrêté notre stratégie avant la COP et la loi avait été adoptée en amont. Du reste, la COP n'a pas produit d'impact opérationnel direct dans les différents pays. Elle a fixé de grands objectifs et obligé chaque État à établir une stratégie bas carbone, mais il appartenait à chacun de mettre en œuvre des politiques nationales cohérentes, c'est-à-dire réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

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À cette époque, quelle vision prospective aviez-vous sur l'évolution du mix énergétique français ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

J'avais plus qu'une vision, puisque je l'ai fait voter dans la loi de transition énergétique. Il s'agissait d'abord de ne pas opposer les énergies les unes aux autres, car nous avons besoin de toutes de manière complémentaire. La loi fixait en outre des objectifs plus précis, que j'ai rappelés (baisse de la part du nucléaire à 50 % et montée en puissance des énergies renouvelables et des économies d'énergie).

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Comment conjuguez-vous cette vision avec les scénarios de RTE à l'époque, en particulier la définition du besoin futur en électricité ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Mon hypothèse consistait à se montrer extrêmement performants en économies d'énergie. Je pars en effet du principe que l'énergie non consommée reste la moins chère, et elle reste ma grande priorité. Le crédit d'impôt de transition énergétique servait ce but, et j'avais eu quelque peine à l'obtenir lors des arbitrages interministériels.

Les territoires à énergie positive correspondaient aussi à cette démarche, car 70 % des travaux d'économie d'énergie ont lieu au niveau infranational. Pour exemple, tous les écoles, collèges et lycées devraient être isolés, et je suis certaine qu'ils le seraient tous à ce jour si cet effort n'avait pas été arrêté après moi. Les territoires ont en effet fait preuve d'un engagement magnifique dans la transition énergétique, y compris des maires jusque-là très éloignés de ces préoccupations. Ayant moi-même été présidente de région, je connaissais parfaitement les freins aux innovations locales : les complications des cofinancements, des contrôles techniques, etc. J'avais donc préféré mettre en place un fonds avec des financements à 100 % et un cadrage laissant les collectivités territoriales libres de définir les bâtiments concernés et les énergies à mobiliser en fonction de la situation locale. Je m'étais moi-même employé à faire de ma région un modèle d'excellence environnementale et j'avais de l'expérience dans la réalisation de ces projets. Ainsi, le lycée professionnel Kyoto de Poitiers, autonome en énergie, date de 2004. J'avais également lancé des projets dans tous les secteurs de la transition énergétique sur mon territoire régional avant de devenir ministre. Cette expérience m'a permis d'identifier les freins rencontrés par les collectivités, et les moyens qui leur permettraient de développer des projets.

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Lors de son audition, M. François Brottes a souligné que la COP avait changé la vision sur le besoin en électricité de la France et sur la stratégie de production d'électricité à terme.

Vous avez fait voter la loi mettant en place des crédits. J'étais à l'époque élu local, et nous en avons profité pour remplacer le Berlingo de la commune par un véhicule électrique. Il en a découlé un transfert d'usages énergétiques : nous n'avons pas consommé moins d'énergie, mais une énergie décarbonée. Pour autant, les scénarios énergétiques de l'époque continuaient de considérer que nous aurions besoin de moins d'électricité à l'avenir. Il semble aujourd'hui que ces scénarios aient été erronés.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

La loi ne prétendait pas que nous aurions besoin de moins d'énergie. Elle invitait à faire le plus d'efforts possible pour économiser l'énergie, en particulier dans le bâtiment et dans la production de chaleur, en recourant notamment à la biomasse et la méthanisation.

Par ailleurs, la loi ne fournissait pas de chiffres précis de consommation. J'avais prévu une programmation pluriannuelle de l'énergie afin que nous puissions définir les besoins énergétiques avec les opérateurs économiques du pays. Les deux hypothèses restaient donc ouvertes à cette époque.

L'une de ces hypothèses consistait à réaliser des économies d'énergie. Elle était conditionnée à un effort considérable dans le secteur du bâtiment, premier consommateur d'énergie. Une révolution énergétique serait possible en France si tous les bâtiments de France étaient isolés et si tous les nouveaux bâtiments étaient à énergie positive (donc produisaient davantage d'énergie qu'ils n'en consomment). Je l'avais souhaité, mais cette norme a ensuite été remise en cause. Si tel n'avait pas été le cas, nous serions parvenus à diminuer notre consommation énergétique, et même à constituer des champions industriels mondiaux dans ce domaine. Aujourd'hui, tout le monde s'oriente vers des bâtiments économes en énergie, mais nous avons accumulé du retard. Le crédit d'impôt permettait de créer des emplois et de spécialiser des entreprises dans les économies d'énergie, mais il a pris fin et le secteur du doublage des vitres et de l'isolation des combles a connu 10 000 licenciements.

J'avais en tout cas la conviction que des changements rapides pouvaient avoir lieu, tirant l'industrie française et le secteur du bâtiment vers le haut et suscitant des innovations technologiques importantes (ex. : gestion intelligente de la consommation énergétique).

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Comment envisagiez-vous de tirer l'industrie française vers le haut, à l'époque ? La France compte peu d'industries dans le secteur de la production d'énergie, que vous avez d'ailleurs peu évoqué au bénéfice des économies d'énergie. Il n'existe presque aucune filière industrielle dans l'éolien terrestre ou le photovoltaïque. Comment considériez-vous alors cette question de la souveraineté industrielle en matière de production énergétique ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Nous sommes tout de même leader en matière d'énergies renouvelables grâce à l'hydroélectricité. Nous aurions pu développer l'hydrolien, et j'avais moi-même inauguré une ferme d'hydroliennes à Dunkerque. Nous aurions aussi pu développer les énergies marines grâce à notre domaine maritime, au travers des appels à projets que j'avais lancés et qui ont ensuite été arrêtés. Des filières industrielles se seraient alors structurées dans ces secteurs. Tel était l'objectif de tous les appels à projets, mais aussi de l'augmentation du tarif de rachat de l'énergie et des investissements d'avenir. Un effort assez considérable a eu lieu à cette époque en France.

Parallèlement, l'Espagne investissait elle aussi beaucoup dans les énergies renouvelables ; elle est aujourd'hui devenue très forte dans ce domaine et remporte de nombreux appels à projets mondiaux. Quant à la Chine, elle accélérait son programme nucléaire, mais plus encore sa production d'énergie solaire et éolienne. Forte de ces constats, j'estimais que la France elle aussi avait les moyens d'investir.

Par le passé, la France a innové dans le domaine nucléaire, mais aussi dans d'autres. Les premières réalisations en matière d'énergie solaire ont ainsi eu lieu en France, à Font-Romeu ; et les premières réalisations d'éoliennes, dans des laboratoires de Poitiers. La première voiture électrique était une Peugeot 205 et les premiers bus électriques étaient de marque Heuliez. Je rappelle au passage que, quand j'ai convié le ministre de l'Industrie dans l'usine Heuliez de ma région, il a volontairement fait un détour pour éviter la chaîne de production électrique, estimant qu'elle ne constituait pas une solution d'avenir. Il faut parfois se montrer visionnaire.

Selon moi, il est anormal que l'Europe ne compte aujourd'hui aucun grand fabricant de panneaux photovoltaïques. Certains avancent que les panneaux chinois sont moins chers, mais ils ne le sont pas si l'on y inclut le coût carbone de leur transport. D'ailleurs, une entreprise de ma région, VMH, montée après la faillite d'un sous-traitant automobile, construit des panneaux photovoltaïques. Cet exemple prouve qu'il est possible d'avancer sur ces sujets.

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Vous avez souligné l'importance de la stratégie et de la vision à long terme pour qu'une filière se structure et devienne efficace. Vous avez vous-même proposé une vision de long terme pour la filière nucléaire en déclarant en 2011, dans le cadre des primaires du Parti socialiste, qu'il était possible de sortir du nucléaire en 40 ans. Puis la loi de 2015 a inclus une réduction de la part du nucléaire, envoyant ainsi un signal de long terme à la filière.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Je ne me souviens pas de cette déclaration de 2011. Je vous propose de nous en tenir aux faits, et non à des déclarations, donc aux 50 % d'énergie nucléaire figurant dans la loi de transition énergétique.

Cet objectif avait été annoncé et je devais le mettre en application. Dans un premier temps, j'ai estimé qu'il n'avait pas sa place dans la loi. J'étais en charge de préparer la COP 21 et la transition énergétique du pays, et je ne souhaitais pas prendre en charge cette problématique polémique. Je savais qu'elle susciterait des divisions à l'Assemblée nationale, alors même que j'avais besoin de rassembler les courants politiques pour aboutir à un modèle énergétique le plus consensuel possible.

Je ne souhaitais pas que figure dans la loi l'objectif d'abaisser la part du nucléaire dans la production d'électricité de 75 % à 50 %, car j'estimais que nous devions au préalable nous assurer d'économiser de l'énergie et de développer les énergies renouvelables. J'ai donc cherché à extraire cet objectif de 50 % de la loi, en proposant de le placer dans la PPE.

Une autre de mes préoccupations consistait à ne pas laisser croire que nous disposions d'une énergie abondante, sous la forme du nucléaire. Nous devions devenir une civilisation moins consommatrice d'énergie et améliorer l'autonomie énergétique de la France. Je rappelle en effet que la production d'énergie nucléaire nécessite du carburant et de l'uranium, que la France ne produit pas. À l'inverse, les énergies renouvelables et l'hydroélectricité, tout comme les efforts de performance énergétique, servent l'autonomie énergétique de la France.

Je ne suis pas parvenue à écarter cet objectif de la loi. Cependant, afin de ne pas abîmer le débat sur la transition énergétique et d'éviter un blocage entre pro- et antinucléaires dès le début, j'ai proposé d'évoquer le nucléaire à la fin. Cette tactique a plutôt bien fonctionné.

L'échéance initialement fixée était 2025, mais j'ai décidé de la porter à 2030. En effet, certains parlementaires UMP acceptaient de voter ou s'abstenir à cette condition, et il m'a semblé plus important d'obtenir un consensus que de s'accrocher à une position. Les écologistes sont alors montés au créneau, à Matignon comme à l'Élysée, et ont insisté pour maintenir l'échéance de 2025, mais je l'ai refusé. J'ai proposé d'écrire « l'horizon 2025 », en menaçant de retirer cet objectif de la loi si cette formulation n'était pas retenue. Elle l'a finalement été.

Nous avons ensuite élaboré la PPE, et nous avons de nouveau entendu les pro- et les antinucléaires. J'essaie de comprendre les logiques des uns et des autres, car ils nous forcent à nous expliquer, donc à réfléchir. À l'occasion de ces échanges sur la PPE, il m'a été demandé de faire figurer dans la loi la fermeture de 11 ou 16 réacteurs. Je l'ai refusé, d'une part car les centrales nucléaires emploient 35 000 salariés, et d'autre part parce que j'estimais toujours que la part du nucléaire n'était qu'une résultante des autres efforts accomplis sur l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Vous pourrez le vérifier : la PPE ne comprend aucune liste de réacteurs à fermer.

Après mon départ du ministère, mon ancienne directrice de cabinet est elle-même devenue ministre de l'environnement, en binôme avec M. Antoine Pellion. Ils ont alors décidé de la fermeture de la centrale de Fessenheim, non conditionnée à l'ouverture de la centrale de Flamanville, et publié une PPE contenant une liste de fermetures de réacteurs. Enfin, en novembre 2019, ils ont demandé à EDF d'imaginer un scénario « 100 % énergies renouvelables ». Ils contredisaient ainsi publiquement M. Jean-Bernard Levy, selon lequel il convenait de réfléchir à de nouveaux réacteurs car d'autres arrivaient en fin de vie.

Comment des ingénieurs, techniciens et ouvriers peuvent-ils se sentir motivés par l'énergie nucléaire, ne serait-ce que pour entretenir les centrales, s'ils entendent que cette énergie va s'arrêter ? C'est impossible. Or nous avons besoin d'ingénieurs, techniciens et ouvriers formés et motivés pour entretenir les centrales, notamment sur des problèmes de corrosion – qui touchent d'ailleurs moins les anciennes centrales que les nouvelles. De telles déclarations n'aident pas à maintenir des salariés dans ces filières ou à y attirer des jeunes.

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N'avez-vous pas engagé ces signaux politiques forts sur les perspectives de fin pour la filière électronucléaire française ? Votre loi prévoyait de plafonner les capacités installées et de réduire la part du nucléaire dans le mix électrique, et vous avez porté la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Au contraire, nous avons maintenu la part du nucléaire alors que d'autres souhaitaient sortir du nucléaire ou faire passer EDF à 100 % d'énergies renouvelables. Quant à Fessenheim, le décret prévoyait une fermeture uniquement lors de l'ouverture de Flamanville. C'est le décret suivant qui a supprimé cette condition.

Un critère clé réside selon moi dans le prix de l'énergie. Plus on investit dans les énergies renouvelables, plus leur prix diminue ; à l'inverse, plus on lance de nouveaux programmes nucléaires, plus le prix augmente. Aujourd'hui, le prix du nucléaire déjà installé et le prix du renouvelable sont équivalents ; le prix du nouveau nucléaire et de l'éolien flottant est beaucoup plus élevé. Plafonner le parc nucléaire permet d'éviter une fuite en avant dans cette énergie, plus chère s'agissant des nouveaux équipements et pour laquelle nous ne sommes pas autonomes en uranium. Les mines d'uranium devraient s'épuiser dans les années 2050 et, même si de nouveaux gisements apparaissent, nous resterions dépendants d'autres pays.

J'ajoute que la plupart de nos centrales arriveront prochainement en fin de vie, ce qui impliquera des investissements, des remises aux normes importantes. Enfin, la question des déchets n'est pas résolue, comme le montre l'exemple de Bure puisqu'un tribunal vient de libérer des militants anti-enfouissement des déchets. Du reste, comment peut-on envisager d'enfouir des déchets dont la durée de vie atteint 100 000 ans, alors même que les pyramides d'Égypte ont été oubliées en 3 000 ans ? J'y ai toujours été hostile et je n'ai jamais rien signé en faveur de l'enfouissement des déchets nucléaires, qui me semble irresponsable envers les générations futures. Nous devons nous l'interdire moralement.

Le nucléaire présente évidemment des avantages : elle est non fossile et nous possédons déjà des équipements amortis. Cependant, elle présente aussi des inconvénients. Je ne pense donc pas que les partisans du tout-nucléaire aient davantage raison que ceux qui souhaitent sortir du nucléaire.

Je pense être parvenue à un bon équilibre avec cet objectif de 50 % sans fermeture de réacteurs. Il s'agissait d'une part de ne pas décourager la filière et d'autre part de mettre en place des outils pour faire monter en puissance les énergies renouvelables et les économies d'énergie. Cet équilibre était solide.

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Vous avez souligné l'importance, selon vous, du pilotage fin qui accompagnait la loi TEPCV, afin que les objectifs ne restent pas de simples annonces. Quel pilotage avez-vous mis en place sur cette question du nucléaire, afin de suivre l'évolution des trajectoires à l'« horizon 2025 » ? On nous a expliqué à plusieurs reprises que cette date n'était pas ferme, et que l'échéance pouvait tout aussi bien être 2027, mais que représentent deux années dans le temps industriel ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Ces outils de pilotage étaient assez simples. Nous devions abaisser la part du nucléaire grâce à des économies d'énergie, réorientées ailleurs, et aux énergies renouvelables. Sans cela, il était impossible de parvenir à ces 50 %. J'ai fait le pari d'investir fortement dans ce domaine, en mettant en place des outils pour les collectivités territoriales et les citoyens, la finance verte, les contrats de transition écologique (CTE), etc. Compte tenu du plafonnement à 63,2 GW, le plafonnement du nucléaire devait advenir arithmétiquement.

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Vous avez néanmoins affiché la volonté de fermer deux réacteurs, à Fessenheim. Qu'est-ce qui a motivé ce choix ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

La fermeture de Fessenheim avait été promise. L'argument avancé était que cette centrale comptait parmi les plus anciennes, que ses réacteurs tombaient souvent en panne et les normes de sécurité avaient considérablement évolué. Le niveau d'étiage de la rivière utilisée pour le refroidissement posait aussi problème. Du reste, ce problème se présente désormais pour toutes les centrales, comme nous l'avons vu à Chinon l'été dernier. Cela pose la question de l'avenir du nucléaire dans un contexte de réchauffement climatique.

J'ai engagé le processus de fermeture de Fessenheim, mais en me mettant à la place des dirigeants de cette région et de ce territoire. De mon point de vue, il ne faut jamais fermer un équipement industriel sans avoir imaginé sa mutation. J'ai donc soumis deux propositions aux élus locaux.

La première proposition consistait à mettre en place, à Fessenheim, un pôle d'excellence sur le démantèlement des centrales. En effet, plusieurs centaines de centrales doivent être démantelées de par le monde, et je souhaitais faire de Fessenheim un pôle pilote dans ce secteur. Nous aurions ainsi maintenu tous les emplois dans le cadre du démantèlement, d'autant que nous le voulions exemplaire pour le marché mondial. J'avais déjà demandé un inventaire des centrales à démanteler et des clients potentiels, que nous aurions pu associer au démantèlement de Fessenheim. Cette solution permettait aux ouvriers de sortir par le haut de cette centrale.

La deuxième proposition consistait à installer, dans une zone industrielle franco-allemande, une usine Tesla elle aussi franco-allemande. J'ai visité une usine Tesla, fait venir son patron au ministère, rencontré le ministre allemand de l'industrie. Ce processus était quasiment acté, mais s'est arrêté après mon départ du ministère et aujourd'hui, l'usine Tesla se trouve en Allemagne.

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À l'issue de l'audition, pourriez-vous nous communiquer les éléments que vous avez indiqués sur la fermeture de Fessenheim ? Je pense notamment aux arrêts des réacteurs à Fessenheim, à comparer au reste du parc.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Je ne dispose plus de ces documents, mais je peux les demander à EDF.

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Je rappelle que nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire et que nous tâchons de procéder à des auditions sérieuses, sous serment.

Quelques jours avant de quitter votre ministère, pour cause de fin de mandat présidentiel, vous avez pris le décret de fermeture de Fessenheim, qui a ensuite été cassé par les tribunaux. Pourquoi avoir précipité ce décret ? La démonstration que vous venez de faire semble indiquer qu'il n'existait pas d'urgence absolue à se prononcer juridiquement sur ce sujet.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Je pense qu'il s'agissait juste de finaliser un processus et de consolider le projet industriel de substitution.

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Vous avez assez largement critiqué la façon dont cette centrale a ensuite été fermée, de manière déconnectée à Flamanville. Avez-vous le sentiment d'avoir permis un autre choix dans la poursuite d'exploitation de Fessenheim au cas où Flamanville ne serait pas disponible en temps et en heure ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Oui, car Fessenheim ne devait fermer qu'au moment de l'ouverture de Flamanville.

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Dans ce cas, pourquoi avez-vous demandé à EDF de ne pas préparer la quatrième visite décennale de Fessenheim ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

EDF pensait que Flamanville allait ouvrir. Réinvestir dans Fessenheim n'avait dès lors pas de sens, d'autant que Flamanville avait déjà connu un dérapage financier considérable. De plus, j'avais préparé la mutation industrielle du site. Finalement, Flamanville n'a pas ouvert, et ne fonctionne toujours pas à ce jour.

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Lorsque vous étiez ministre de l'énergie, aviez-vous conscience de l'effet falaise du parc électronucléaire français ? Toutes les centrales approchaient des 40 ans. Avez-vous eu connaissance de nouveaux chantiers nucléaires, autres que Flamanville ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Non, il n'y en avait pas à ma connaissance en France.

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Comment envisagiez-vous l'avenir du nucléaire en France ? Quelles décisions avez-vous prises en la matière ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Je ne me souviens pas de décision particulière sur les stratégies. Je faisais confiance à EDF et au directeur général de l'énergie, mais je ne me souviens pas de décision stratégique sur le nucléaire en dehors de celle relative à Fessenheim.

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Vous avez évoqué la question des déchets, ce qui pose celles du cycle, des projets de réacteurs en surgénérateur, etc. Vous n'avez pas nécessairement eu d'action particulière dans ces domaines.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Non. À ma connaissance, EDF ne m'a fait remonter aucun sujet d'arbitrage en tant que ministre de l'énergie, hormis s'agissant des déchets nucléaires.

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La recherche sur les surgénérateurs concerne plutôt le CEA qu'EDF.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Oui.

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Vous avez évoqué des objectifs que l'on vous avait assignés en tant que ministre, en particulier concernant le passage à 50 % du nucléaire dans le mix énergétique. Faites-vous référence au Président de la République ou au Premier ministre de l'époque ?

Vous semblez également dire qu'en prenant vos responsabilités, vous avez pris du recul au regard des contraintes et de la sécurité d'approvisionnement, mais aussi de la capacité à assurer la transition énergétique, et que vous avez fait preuve de prudence par rapport aux objectifs politiques initiaux de réduction ou de sortie du nucléaire. Cela correspond-il bien à vos propos ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Oui, ce sont à peu près mes propos. Je suis attachée aux structures industrielles de notre pays et je ne suis pas favorable à bousculer les gens. Ma région compte elle-même une centrale nucléaire et je sais que, pour rester crédible dans le domaine énergétique, il faut être capable de monter en puissance dans les énergies renouvelables. Ce combat me tient à cœur, et je trouverais formidable de réussir à porter la part du nucléaire à 50 % en développant les énergies renouvelables et les économies d'énergie. Je suis aussi consciente des défauts du nucléaire, que j'ai déjà cités.

Dès lors que cet objectif politique avait été acté, j'ai cherché à le réaliser le mieux possible, dans l'intérêt de la France. Pour autant, je n'avais pas de scalps à distribuer, au travers d'une liste de réacteurs à fermer. On me l'a demandé, mais je l'ai toujours refusé.

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Je vais donner lecture de réponses que vous avez apportées à un questionnaire de Greenpeace le 26 septembre 2011.

À la question « Êtes-vous pour une sortie du nucléaire en France ? Si oui, à quelle échéance ? », vous répondez : « Oui, à échéance de 40 ans maximum. Un plan d'action sera défini dès le début du quinquennat pour rendre irréversible ce changement de politique énergétique. »

À la question « Êtes-vous pour ou contre l'arrêt du chantier et l'abandon du projet EPR de Flamanville ? », vous répondez : « Pendant la campagne de 2007, je m'étais déjà prononcée contre et si j'avais été élue, je n'aurais pas engagé ce chantier. »

À la question « Êtes-vous pour ou contre l'abandon du projet d'EPR de Penly ? », vous répondez : « Pour l'abandon. »

À la question « Le développement de la quatrième génération doit-il être poursuivi ? », vous répondez : « Contre la mise en chantier du réacteur Astrid. Je concentrerais les dépenses publiques sur les énergies renouvelables et la croissance verte. »

À la question « Sur le retraitement des combustibles irradiés et la production des MOX, êtes-vous pour ou contre l'abandon de la stratégie ? », vous répondez : « Pour l'abandon. Je concentrerais les dépenses publiques sur les énergies renouvelables et la croissance verte. »

Pourtant, par la suite, vous refuserez d'arrêter le chantier de l'EPR. Le 8 janvier 2015, vous déclarez au journal L'Usine nouvelle : « Il faut maintenant programmer les investissements de sécurité des réacteurs existants, mais il faut aussi programmer la construction d'une nouvelle génération de réacteurs, qui prendront la place des anciennes centrales lorsque celles-ci ne pourront plus être rénovées ».

Ces déclarations pourraient paraître contradictoires. Je vous propose de les aborder les unes après les autres. Quand vous arrivez aux responsabilités en 2014, souhaitez-vous sortir du nucléaire à échéance de 40 ans au maximum, comme indiqué en 2011 ? Ou est-ce que les circonstances et ce que vous avez découvert en arrivant au ministère vous ont fait changer d'avis ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

J'ai toujours été convaincue par les énergies renouvelables, et je sais à cette époque que le modèle énergétique français pourrait être plus équilibré que le tout-nucléaire. En effet, la France a déjà inventé dans les domaines de l'énergie solaire et de l'énergie éolienne. De plus, le programme nucléaire français n'a fait l'objet d'aucun débat. La représentation nationale a débattu pour la première fois du modèle énergétique français à l'occasion de la loi de transition énergétique. Auparavant, ces décisions relevaient uniquement du pouvoir exécutif. Les pronucléaire l'ont emporté, et ils ont mis en place un équipement prodigieux dans le pays, mais cette décision me semble déséquilibrée, notamment au regard de l'autonomie énergétique de notre pays et de la sécurité et sûreté nucléaire. En tant que ministre de l'énergie, j'ai suivi le transport des matières dangereuses nucléaires, et j'ai réalisé qu'il convenait de rééquilibrer ce mix pour éviter des problèmes insolubles.

Quand je m'exprime en 2011, je pointe cette nécessité de rééquilibrer la place du nucléaire. À cette époque, je ne suis pas ministre et je ne dispose pas des outils techniques ou des calculs exacts, mais je ne renie absolument pas cette déclaration de volonté. Je rappelle qu'à l'époque, les énergies renouvelables étaient dénigrées et assimilées à une régression. Selon moi, pourtant, tel n'était pas le sens de l'histoire. Il fallait diminuer les investissements dans le nucléaire et les réinvestir dans les énergies renouvelables. J'exprimais donc la volonté d'un tournant énergétique majeur, que j'aurai ensuite l'honneur de mener en 2014.

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Le 26 septembre 2011, vous indiquez que vous souhaitez sortir du nucléaire d'ici 40 ans. Puis, le 21 mai 2014, devant la commission d'enquête sur le coût du nucléaire, vous répondez : « Je ne pense pas que l'on puisse sortir du nucléaire ». Je souhaite comprendre votre cheminement. Après votre prise de responsabilités, avez-vous eu accès à des éléments qui vous ont conduite à juger précipité ou dangereux de sortir du nucléaire à courte échéance ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Je ne sais pas dans quelles conditions j'ai donné cette interview. Sortir du nucléaire en 40 ans me paraît curieux. Je ne me souviens pas avoir dit cela.

Je pense que je voulais avant tout indiquer que le tout-nucléaire ne constituait pas une solution et que le dénigrement des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique avait assez duré. En effet, nous subissions presque une interdiction de parler. Quand on évoquait le solaire ou l'éolien à cette époque, on était presque considéré comme un zombie. Je suis convaincue que, si ces énergies renouvelables avaient été prises au sérieux plus tôt, la France disposerait aujourd'hui d'industries très performantes dans ces domaines et nous ne rencontrerions pas les problèmes actuels.

Cette vision était sans doute exposée un peu schématiquement et je ne disposais pas des éléments techniques, mais je ne renie rien de l'inspiration de cette prise de parole. Quand je suis arrivée aux responsabilités, j'ai dû mettre en place cette vision de façon opérationnelle, et il n'est pas possible de sortir du nucléaire en 40 ans. D'ailleurs, on ne peut pas en sortir.

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Je souhaiterais comprendre votre position sur la filière MOX. L'usine Orano de La Hague produit du MOX, qui permet de recycler une partie du combustible usé des usines nucléaires, donc de réduire notre dépendance à l'uranium importé.

Je n'ai pas trouvé de déclaration de votre part sur ce sujet en tant que ministre. Quelle était votre position ? Avez-vous eu des décisions à prendre dans ce domaine ? Étiez-vous en contact avec Orano ou d'autres entreprises de recyclage ? La question du recyclage et de l'autonomie accrue en combustible se pose-t-elle ? Ou ce sujet reste-t-il peu abordé pendant que vous vous trouvez aux responsabilités ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Je n'ai pas pris de décision technique opérationnelle, mais je soutiens cette filière. Je me souviens avoir assisté à une réunion au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, sur la nouvelle génération de centrales avec des unités plus petites, mais aussi sur la question du retraitement. Je m'oppose à l'enfouissement aussi parce que nous disposerons peut-être un jour des technologies qui nous permettront de recycler les déchets nucléaires et produire du combustible. Cette filière est évidemment importante.

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Je ne suis pas sûr de comprendre la notion d'irréversibilité que vous mettez en avant s'agissant du stockage en couche profonde. Sauf erreur, le projet CIGEO prévoit la réversibilité et la possibilité de récupérer ces déchets pendant plusieurs décennies si des réacteurs de quatrième génération permettaient de les utiliser ou si les recherches en cours sur les lasers permettent de réduire leur radioactivité.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Il existe un aléa considérable. Compte tenu du coût que représente l'enfouissement des déchets, nous ne les récupérerons pas dans deux ans. Si tel était le cas, nous les stockerions en surface, dans des centrales nucléaires sécurisées. Je pointe donc une contradiction. Il n'est pas crédible d'enfouir des déchets qui resteront radioactifs pendant 100 000 ans. Qui s'en souviendra ?

S'ajoutent à cela des risques de séisme ou de contamination des nappes phréatiques. Nous ne maîtrisons pas le sujet. On a l'impression qu'en cachant les choses, le problème disparaît, mais je ne peux pas prendre la responsabilité, pour les générations à venir, d'enfouir des déchets radioactifs dans le sous-sol. Je ne suis pas venue sur Terre pour cela. Je le refuse, viscéralement.

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Je comprends donc que vous êtes favorable au stockage en surface.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Oui.

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Nous avons auditionné M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat de l'époque, et je lui ai demandé s'il jugeait réaliste l'hypothèse de 50 % de nucléaire à l'horizon 2025 ou 2030. Il n'a pas souhaité reprendre mon terme, préférant celui de « plausible ». M. Pierre-Marie Abadie, directeur général de l'énergie de l'époque, a estimé pour sa part que cet horizon et cette quotité n'étaient pas raisonnables à court terme. Quant à M. François Brottes, il a jugé que l'objectif de 50 % était purement politique. Du reste, quand il est devenu président du directoire de RTE par la suite, il a constaté le danger posé sur les réseaux à court terme. Enfin, M. Manuel Valls a considéré qu'aucune étude d'impact solide n'avait eu lieu sur cette loi. Il me semble exister un relatif consensus parmi les auditionnés.

Quel est le regard de la ministre de l'écologie de l'époque ? De quels éléments disposiez-vous sur la sécurité d'approvisionnement et les capacités du réseau ? Au-delà de l'écart de cinq ans entre les horizons 2025 et 2030, quels éléments techniques, scientifiques et technologiques vous permettaient de penser cet objectif atteignable ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

La décision a été prise avant mon arrivée au ministère de l'environnement, mais je l'assume. Comme je l'ai déjà indiqué, ces 50 % constituent pour moi une résultante. Même si l'objectif me semble irréaliste, me conduisant d'ailleurs à plaider pour 2030, la PPE permettra de le réajuster. Je cherche plutôt à tirer le meilleur profit de cette injonction politique pour le modèle énergétique français, en poussant les énergies renouvelables et les économies d'énergie. Parallèlement, la production est maintenue, et non diminuée, et la fermeture de Fessenheim conditionnée à l'ouverture de Flamanville. Tout se met donc en place en fonction de la capacité que nous aurons de monter en puissance ou non.

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J'avoue ne pas comprendre. Les deux directeurs en poste au sein de l'administration du ministère en charge de l'énergie nous indiquent, avec une grande franchise à la limite du désarmant, qu'aucune étude d'impact sérieuse n'a été menée et qu'il n'existe pas d'horizon à court terme. Celui qui deviendra ensuite président du directoire de RTE découvrira par la suite que cet objectif n'était pas possible. Or vous nous expliquez qu'il n'aurait pas posé problème s'il avait été suivi de manière rigoureuse, année après année. Vos propos me semblent contradictoires avec tous ceux des interlocuteurs précédents.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Votre logique me semblerait encore plus forte si vous interrogiez une personne favorable à 100 % d'énergies renouvelables. J'ai proposé seulement 50 %, sans fermer Fessenheim avant l'ouverture de Flamanville, et une autre personne a ensuite mis en avant 100 % d'énergies renouvelables.

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Le directeur général de l'énergie et du climat n'a pas souhaité dire que ces hypothèses étaient réalistes, mais a préféré les dire plausibles. Quant au directeur général de l'énergie, il a avoué qu'il n'existait pas d'étude robuste permettant d'atteindre l'objectif. J'ai d'ailleurs fait une boutade, en indiquant que cela était grave mais pas suffisamment pour qu'il démissionne, et il a approuvé.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

La déclaration la plus étonnante me semble venir de M. François Brottes, car il était rapporteur de la loi et a fait voter ces 50 %. Je ne me souviens pas qu'il s'y soit opposé, y compris dans le cadre de la PPE. Il était par ailleurs favorable à la fermeture d'un certain nombre de réacteurs. Certains changent de position en fonction de leur posture. Moi, je ne l'ai jamais fait.

L'objectif de 50 % résultait d'un accord politique entre le Parti socialiste et les Verts. Cet accord politique n'est pas robuste techniquement, car ils n'avaient pas les moyens de mener des études d'impact. Il s'agit d'un objectif politique pour sortir du tout-nucléaire, et je le partage. J'assume donc cet objectif, même si je ne l'ai pas négocié.

Il faut sortir du tout-nucléaire pour les raisons que nous avons déjà exposées (indépendance énergétique de la France, coût de l'énergie, compétition mondiale sur les énergies renouvelables), mais il faut en sortir raisonnablement.

La production nucléaire représente moins de 10 % de la production énergétique mondiale, alors que la production d'énergie solaire et éolienne en représente 15 %. La compétition mondiale, notamment en Chine, nous incite à ne pas prendre de retard. Si nous adoptons une posture idéologique, pro- ou antinucléaires, nous reproduirons les mêmes erreurs. Nous désarmerons la France dans cette compétition mondiale, alors même que nous devrions investir dans l'efficacité énergétique des bâtiments, les transports propres et les énergies renouvelables.

Je rêverais que la France puisse produire des panneaux photovoltaïques sur son sol, et l'exemple de ma région prouve que cela est possible. Nous avons du potentiel, notamment de très bons ingénieurs. Cependant, rien ne se réalisera si l'on estime les économies d'énergies inutiles grâce au nucléaire, que nous continuons à développer, et si l'on écarte la question du prix. S'il devait tripler, cela me semblerait tout de même important pour les consommateurs.

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Un certain nombre d'auditions ont mis en avant que le développement des énergies renouvelables sur notre territoire nécessitait des filières industrielles. Vous avez évoqué des initiatives que vous avez menées, et votre conviction très forte dans ce domaine. Elle fait d'ailleurs écho à celle de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, que nous avons auditionnée la semaine dernière.

Nous savons désormais que la chaîne de valeur industrielle des énergies renouvelables comprend des matériaux critiques, dont des métaux rares. J'imagine qu'ils constituaient l'une de vos préoccupations centrales de l'époque, puisque vous souhaitiez porter à 50 % la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Quelles mesures avez-vous prises à partir de 2014 pour développer l'approvisionnement en matériaux critiques ? Nous en avons sur notre sol, mais il s'agissait aussi de les sécuriser et de les diversifier, et de nous rendre le plus indépendant possible dans la chaîne de valeur.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Nous avons organisé des appels à projets. À chacun son métier : les industriels dirigent leurs industries, et il revient à l'État de rendre attractif et solvable un marché. Pour ce faire, j'ai développé la finance verte et lancé des appels à projets dans le domaine des énergies renouvelables. Ces appels à projets garantissent aux industriels des commandes, un prix de rachat de l'énergie et un business model rentable ; sur cette base, ils peuvent investir et rechercher des matériaux rares. Dans la tradition du volontarisme énergétique français, j'ai considéré que les appels à projets constituaient un outil dynamique, permettant aux industriels d'investir – ce qu'ils ont d'ailleurs fait.

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Nous avons eu un échange avec M. de Ladoucette, ancien président de la CRE (commission de régulation de l'énergie). Notre collègue Francis Dubois lui a demandé : « Je me demande si la CRE a le pouvoir de rappeler à l'État que cette actualisation [du tarif de l'ARENH, accès régulé à l'électricité nucléaire historique] est obligatoire si nous souhaitons que le producteur [EDF] ne soit pas déséquilibré ». M. de Ladoucette a répondu : « Nous avons souvent posé cette question à l'exécutif et à l'administration entre le 21 juillet 2014 et les deux ans et demi qui ont suivi. Ensuite, les discussions se sont taries et nous n'avions pas le pouvoir d'interpeller le Gouvernement. Vous pourrez cependant poser cette question à Mme Royal. »

Quelles ont été vos réflexions sur le tarif auquel EDF était tenue de revendre son électricité, et qui ne correspondait pas aux coûts de production selon ses anciens responsables ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

L'ARENH est un scandale. Il date de 2010, et se trouve à l'interface d'une idéologie libérale, selon laquelle le marché résoudrait miraculeusement tous les problèmes, et des injonctions européennes, invitant à libéraliser le marché dans l'intérêt des consommateurs. Le marché de la commercialisation s'est trouvé libéralisé et y sont alors intervenus des vautours et des spéculateurs. L'État avait financé les centrales nucléaires et les installations hydroélectriques, mais ces spéculateurs achetaient l'énergie sous son prix de production et EDF était obligée de vendre à perte. Cela semble aberrant.

Ces personnes qui ne produisaient pas et achetaient à perte, revendaient ensuite cette énergie au prix du marché, aligné sur celui du gaz russe. Nous ne l'avons pas remarqué au début, car l'énergie n'augmentait pas beaucoup ; puis elle a commencé à flamber, et ces opérateurs ont empoché l'écart. Or nous n'avons rien fait, mettant en avant la pseudo-réglementation européenne, en réalité mal appliquée dans ce domaine. Du reste, ces opérateurs n'ont même pas rempli leurs obligations, et une commission d'enquête me semblerait d'ailleurs intéressante sur l'utilisation de l'ARENH, les personnes qu'il a enrichies et les raisons pour lesquelles elles n'ont pas été sanctionnées alors même qu'elles n'avaient pas tenu leurs engagements.

Je rappelle ces engagements, car ils restent d'actualité : les opérateurs qui investissent ce créneau ont l'obligation de produire de l'énergie. L'ARENH leur permet d'acheter de l'énergie à un prix inférieur au coût de production, mais ils doivent, en contrepartie de ce profit, créer des filières de production d'énergie. Cela me semble d'ailleurs absurde, et je ne vois pas comment ils auraient pu construire des réacteurs nucléaires ou des barrages. Quoi qu'il en soit, ils n'ont pas tenu ces obligations.

Pis encore, ils ont abandonné leurs clients. Nous avons tous vu leurs publicités, incitant les consommateurs à quitter EDF pour les rejoindre. Certains, en particulier parmi les moins fortunés et les plus attentifs à leurs factures, ont changé d'opérateur, mais le nouvel opérateur a disparu quand le dispositif n'a plus été rentable.

Saviez-vous que l'État lui-même a dû acheter son électricité à ces opérateurs privés, alors qu'il est actionnaire d'EDF ? L'État a été obligé d'acheter son énergie sur le marché libre auprès de l'entreprise Hydroption, qui a fait faillite fin 2021. Avant cela, elle avait empoché toutes les plus-values possibles, et aujourd'hui, l'État retourne chez EDF, qui a augmenté ses prix entre-temps. Réalisez-vous l'aberration de ce système ?

Il convient de le dénoncer et d'en sortir. Quand je suis arrivée aux responsabilités, il était en place depuis 2010, et je n'ai jamais été saisie pour supprimer l'ARENH. Du reste, les plus-values étaient moins visibles à cette époque qu'aujourd'hui, où les prix de l'énergie flambent.

Un autre sujet concerne les barrages hydroélectriques. J'ai toujours admiré ces constructions, réalisées par des ingénieurs et ouvriers dans des conditions incroyables. Quand leurs concessions sont arrivées à échéance, j'ai reçu une note comminatoire de la part de la Commission européenne, me demandant de les remettre sur le marché, en libre concurrence.

Il m'a paru étonnant de remettre sur le marché des ouvrages que nous avions payés depuis des générations et de laisser des opérateurs empocher les bénéfices de la revente d'énergie. Je l'ai donc refusé. La France s'est alors trouvée menacée de pénalités, mais j'ai maintenu mon refus en arguant que ces barrages produisaient de l'énergie renouvelable, sans émission de carbone. Les placer sur le marché était susceptible d'entraîner une hausse des prix, ce qui aurait été contraire à l'accord de Paris sur le climat. Ce dernier prévoit en effet de faire monter en puissance les énergies renouvelables, ce qui implique de ne pas augmenter leur prix.

Cet argument a pesé, et les sanctions n'ont pas été appliquées. Cet exemple montre qu'il existe toujours des possibilités face à une situation qui semble injuste, et qu'il est possible de faire valoir des arguments justes, solides, structurés et équilibrés.

Tel n'a pas été le cas pour l'ARENH. L'idéologie prévalente à cette époque estimait que ce tarif ferait diminuer les prix de l'énergie ou augmenter les volumes d'énergie produite, mais le contraire s'est produit. EDF a été spoliée, et nous aussi.

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Ce mécanisme avait déjà commencé quand vous êtes arrivée aux responsabilités, et les fournisseurs alternatifs d'énergie n'avaient pas atteint leurs objectifs. Vous dites ne pas avoir été saisie contre l'ARENH, mais qui aurait dû vous saisir ? Si vous estimez qu'il s'agit d'un scandale, pourquoi n'avez-vous pas agi ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Il s'agissait d'une réglementation européenne. J'ai réagi sur le sujet des concessions, et sur d'autres sujets, quand ils sont parvenus à ma décision. Par ailleurs, nous ne connaissions pas à l'époque de flambée des prix de l'énergie. Enfin, j'estime avoir agi en refusant la hausse du prix de l'énergie.

EDF m'avait demandé cette hausse de prix car elle vendait son énergie à perte et souhaitait, elle aussi, empocher des marges, mais je la lui ai refusée en l'invitant à changer le système de l'ARENH. En l'absence d'autres arguments de la part d'EDF, j'ai décidé de bloquer le prix de l'énergie.

Il aurait peut-être fallu saisir cette opportunité pour remettre à plat l'ensemble de ces mécanismes, mais ils étaient très verrouillés et imposés par l'Europe. Il aurait sans doute aussi fallu contrôler que les opérateurs produiraient bien de l'énergie. Quand nous les interrogions, ils nous répondaient que produire de l'énergie nécessitait beaucoup de temps et que les deux années écoulées depuis la mise en place de l'ARENH n'avaient pas suffi pour construire des équipements énergétiques. Ils promettaient toutefois de le faire. Nous en voyons le résultat aujourd'hui.

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Que leur avez-vous dit ? Comment avez-vous réagi à cette non-atteinte des objectifs ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Je n'étais pas leur interlocutrice quotidienne, ces échanges avaient lieu au niveau des services. Quand ils évoquaient ces sujets avec moi, je leur demandais de contrôler que les opérateurs remplissaient bien leurs obligations. J'en ai toutefois tiré une leçon pour les concessions. Sans ce problème, je n'aurais peut-être pas perçu les dégâts potentiels d'une remise sur le marché.

Il n'est pas trop tard pour demander des comptes à ces opérateurs, de voir quels profits ils ont réalisé sur le dos de la nation et les faire rembourser EDF s'ils n'ont pas rempli leurs obligations de production d'énergie.

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En ce moment même, le Sénat vote une loi d'accélération des énergies renouvelables. Vous avez expliqué que vous vous étiez battue pour le développement de ces énergies au cours de votre mandat. Qu'est-ce qui vous a semblé freiner leur développement ? Quels freins demeurent encore aujourd'hui et mériteraient d'être levés ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

J'ai réussi à lever certains freins, jusqu'à ce que cette dynamique se trouve interrompue.

Le premier frein relevait du pouvoir d'achat, mais grâce au crédit d'impôt, les Français ont pu réaliser des travaux d'économie d'énergie. Ce crédit d'impôt s'élevait à 8 000 euros par personne, soit 16 000 euros pour un couple, sans condition de ressources ou paperasserie. Il impliquait seulement de cocher trois cases dans sa déclaration, alors que le dossier de l'actuelle MaPrimeRenov fait 10 pages. Enfin, ce crédit d'impôt fusionnait les types de travaux réalisés et levait l'obligation précédemment en vigueur de réaliser au moins trois types de travaux. Ce type d'incitation, très forte, permet d'agir très vite. Celle-ci a coûté 2 milliards d'euros, et je suis convaincue qu'elle a généré 10 milliards d'euros de travaux.

Le crédit d'impôt et les territoires à énergie positive ont été supprimés dès mon départ du ministère. À cet égard, il me semble important de s'intéresser aussi aux technocrates, qui n'ont jamais de comptes à rendre sur rien et profitent des remaniements ministériels pour revenir sur des arbitrages en leur défaveur. C'est insupportable. La personne qui, à la Cour des comptes, avait émis des objections sur les territoires à énergie positive est ensuite devenue directrice de cabinet du nouveau ministre et a détruit ces territoires. Quant aux fonctionnaires qui avaient été battus dans les arbitrages sur le crédit d'impôt de transition énergétique, ils ont rejoint le cabinet du ministre et ce crédit d'impôt a été supprimé.

Je tire de cette expérience la nécessité d'une continuité.

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Le ministère de l'écologie a connu beaucoup d'évolutions après votre départ. Pourriez-vous vous montrer plus précise ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Mme Michèle Pappalardo, de la Cour des comptes, est devenue directrice de cabinet de M. Nicolas Hulot. Or elle était farouchement hostile aux territoires à énergie positive, qu'elle estimait exorbitants. La Cour des comptes en a ensuite jugé et les a trouvés parfaitement réguliers.

En matière de transition énergétique et sur les sujets de moyen et long terme, les entreprises ont besoin de stabilité. Avant de casser un dispositif, il conviendrait de mener une étude d'impact, y compris au parlement. Des changements ont toutefois été apportés à la loi de transition énergétique qu'il avait votée sans en examiner les inconvénients.

Quand je suis devenue ministre, je n'ai pas cherché à changer tout ce qui avait été acté lors du Grenelle de l'environnement par un autre bord politique. Nous avions au contraire besoin de continuité, et la loi de transition énergétique cite dans l'exposé de ses motifs le Grenelle de l'environnement. Je l'ai fait de ma propre responsabilité, même si certains conseillers souhaitaient revenir dessus. On ne change pas ce qui a été fait, si cela convient. Il est important d'assurer une continuité au fil des alternances politiques.

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Le Premier ministre que vous serviez a souligné l'absence d'étude d'impact sur certains éléments de la loi TEPCV.

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J'ai rencontré quelques difficultés à suivre votre exposé, mais j'entends bien que vos déclarations ont changé au fil du temps. Nous évoluons tous, notamment sur ce sujet très complexe du mix énergétique. Qualifieriez-vous d'erreur politique majeure l'accord politique entre le PS et les Verts, et cet abaissement arbitraire de la part du nucléaire à 50 % sans savoir s'il serait raisonnable ou faisable ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Non, car il n'est pas dans mon tempérament de rembobiner le fil de l'histoire. La politique, ce sont aussi des choix et des accords. J'ai expliqué comment j'avais interprété celui-ci quand j'ai eu la responsabilité de le mettre en application, dans l'intérêt du pays, en considérant que le tout-nucléaire ne constituait pas un bon choix. Je me suis appuyée dessus pour donner à la France des opportunités supplémentaires afin de prendre une avance sur les énergies renouvelables et la performance énergétique, tout en maintenant la production nucléaire à son niveau de l'époque. Je pense avoir abouti à un bon équilibre, grâce à un débat parlementaire d'excellente qualité, tous partis politiques confondus. Il me permettait à la fois d'appliquer l'accord de Paris sur le climat, prévoyant la montée en puissance des énergies renouvelables, et de sécuriser l'équipement industriel du pays.

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J'ai l'impression d'une tension permanente chez vous. D'un côté, je note des intuitions assez brillantes (ex. : intégration des océans dans les discussions climatiques, impacts du réchauffement climatique sur les femmes) et un souci que je pense sincère de protéger les classes populaires et moyennes contre les impacts de certaines décisions, en particulier sur leurs factures. De l'autre, vous n'avez pas remis en cause sur le fond la pertinence des grands projets et grandes décisions.

À votre arrivée au ministère, vous avez reçu une mise en demeure de la Commission européenne s'agissant des barrages, et j'ai retrouvé trace de positions très dures de votre part à ce sujet. Cependant, lors du vote de la loi, vous indiquez dans plusieurs de vos interventions en commission ou dans la presse que vous avez trouvé une solution qui convient à la Commission européenne. Cette solution maintient l'ouverture de principe des concessions, avec un mélange public-privé. Lors des autres auditions que nous avons menées, différents dirigeants d'EDF, et notamment M. Levy, ont pointé l'absence de prise de décision efficace sur ces concessions, qui se sont trouvées bloquées dans leur modernisation ou l'amélioration de leur exploitation, et même l'impossibilité de mettre en exploitation de nouveaux gisements hydroélectriques. Des durées de 10 à 20 ans ont été évoquées. Pensez-vous avoir trouvé un bon accord ? Depuis, aucune décision n'a été prise au sujet des concessions, et les seuls travaux qui ont eu lieu concernent des mises en sécurité. Nous avons perdu beaucoup de temps.

Vous avez défendu les énergies renouvelables, en particulier l'hydroélectricité, mais n'estimez-vous pas avoir perdu une occasion de développer les gisements français ? Au tout début de votre audition, vous avez indiqué que cette énergie avait réglé le problème du stockage. Elle l'a fait potentiellement, mais elle a aujourd'hui atteint son stockage maximal et vous n'avez pas enclenché de nouvelles possibilités dans ce domaine. Est-ce en raison du problème des concessions ? Ou avez-vous manqué d'information sur la possibilité de développer cette énergie ? De nombreux « experts en carton » expliquent en effet avec assurance que la France exploite déjà au maximum ses potentialités hydroélectriques, alors que cela est complètement faux. Avez-vous été informée des possibilités de développer l'hydroélectricité ?

En toute fin de votre audition, en réponse à une question, vous avez évoqué le rôle des technocrates. Je ne cherche pas à accuser des individus, mais je m'interroge moi aussi depuis le début de ces auditions. Vous disposez d'une longue expérience en tant que femme d'État, avec une formation de technocrate puis des prises de responsabilité à tous les échelons de l'État. Estimez-vous qu'il existe depuis 30 ans une défaillance dans l'information que les technocrates devraient fournir de manière objective aux décideurs politiques, ou un abandon du pouvoir aux technocrates par certains décideurs ? Dans une telle situation, plus personne n'est responsable de rien, des dossiers dérivent et ne sont jamais clos et les politiques ne vont pas au bout de leurs idées.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Qu'est-ce que la politique ? La politique, c'est la capacité de décider de manière éclairée et en assumant ses responsabilités. Quand des ministres faibles ne possèdent pas un certain rapport de force politique et n'ont pas le courage politique de décider, par manque d'outils de décision, la technostructure prend le pouvoir. Elle fait d'ailleurs souvent au mieux, avec ses propres convictions, mais elle n'a jamais de comptes à rendre, ce qui pose problème. Un travail considérable a été accompli en amont de la COP 21, et il est désolant que tout se soit ensuite écroulé. J'y vois le gâchis d'un travail collectif considérable.

S'agissant des barrages, je ne comprends pas bien votre question. J'ai empêché dans ce domaine une mise en concurrence telle que celle survenue dans le secteur nucléaire, avec l'ARENH. J'étais sommée d'ouvrir à la concurrence les concessions telles quelles, y compris à des entreprises non françaises qui avaient déjà manifesté leur intérêt. Je l'ai refusé, dans la mesure où les équipements des barrages avaient été payés par la France et par nous tous. J'ai dû trouver un mécanisme pour apaiser la Commission, en lui assurant que les marchés de travaux éventuels seraient ouverts, avec des dispositifs privé-public. Cependant, le secteur privé y restait minoritaire et les compagnies de production hydroélectrique majoritaires. Quant aux travaux, je ne me souviens pas en avoir empêché. Les opérateurs énergéticiens pouvaient monter des projets s'ils souhaitaient construire de nouveaux barrages ou accroître les capacités des barrages existants. La production d'hydroélectricité supplémentaire n'a jamais été interdite.

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L'audition de M. Levy a permis d'établir deux éléments. D'une part, la décision que vous avez prise n'a pas réglé le problème des concessions et EDF et Engie n'ont toujours pas les moyens de reprendre pleinement possession de ces barrages. En conséquence, le développement de l'hydroélectricité se trouve bloqué depuis 20 ans. D'autre part, M. Levy a indiqué des potentialités d'investissement. Le fait que, selon le PDG d'EDF, l'ensemble du personnel politique n'a pas développé ce secteur depuis 20 ans me semble problématique sous l'angle de la souveraineté énergétique. Il s'agit en effet de l'énergie la plus propre, elle est stockable et parfaitement souveraine. Ce blocage depuis 10 ou 20 ans m'interpelle considérablement.

Vous a-t-on indiqué que les problèmes liés aux concessions bloquaient les investissements dans l'hydroélectricité ? Vous a-t-on signalé les potentialités d'investissement significatives dans ce secteur, en particulier en stockage ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Les propos de M. Levy me semblent contradictoires. Il souligne l'absence d'investissement depuis 20 ans, puis que le refus de privatiser les concessions bloquerait l'investissement. EDF n'est pas propriétaire de tous les barrages. La Compagnie nationale du Rhône…

Il n'y a pas d'insécurité juridique. En tout cas, EDF ne m'a pas proposé d'autre solution. Il me semble un peu facile de la part d'EDF de se dédouaner de sa responsabilité de gestionnaire d'équipements et d'énergéticien sans rien proposer. Selon moi, il aurait été pire d'ouvrir nos barrages à la concurrence et de laisser intervenir des opérateurs étrangers. Les concessions auraient alors pu être vendues à des prix inférieurs à la valorisation des barrages. EDF ne peut pas soutenir de tels arguments tout en se plaignant de l'ARENH.

J'invite à la vigilance, car ce que nous avons observé avec l'ARENH est en train de se reproduire avec le transport ferroviaire sur injonction de la Commission européenne. Depuis la libéralisation, des trains italiens interviennent sur les lignes les plus rentables, telles que Paris-Lyon. Or qui a payé les gares et les rails ? La France. Des opérateurs acquièrent des concessions pour des équipements de transport public à un prix inférieur au prix du marché, ils les utilisent, sans être tenus de desservir les lignes secondaires et les gares moins rentables, et ils disparaîtront quand ils les auront rentabilisées.

Il en va de même pour Gares & Connexions. Les gares qui rapportent sont dotées de bureaux et de commerces qui génèrent des profits. Pourquoi ces profits ne sont-ils pas reversés à l'organisation des transports ? Ce qui rapporte de l'argent a été privatisé, et ce qui en coûte reste dans le secteur public. Il convient de se montrer vigilants.

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Je souhaite revenir sur le renouvellement des concessions hydroélectriques et sur l'ARENH. Nous posons la même question à tous les ministres qui ont participé à l'ARENH. Je l'ai posée à M. Jean-Louis Borloo, porteur de la loi NOME (nouvelle organisation du marché de l'électricité) et il a répondu que l'ARENH était pilotable autant sur les volumes (100 TWh initialement) que sur le prix (40 euros / MW initialement). Vous avez raison, Madame la ministre, le prix initial était bien trop faible.

J'ai aussi demandé à M. de Ladoucette si la CRE avait remis un rapport sur ce prix de l'ARENH. Il a répondu qu'un rapport vous avait été remis pendant que vous étiez ministre. Il vous a également précisé qu'il serait nécessaire de prendre un décret pour réévaluer le prix de l'ARENH.

J'ai enfin interrogé M. Manuel Valls, Premier ministre de l'époque, sur le pilotage de l'ARENH. Il a indiqué que les ministres prenaient les orientations et que lui-même arbitrait. Cependant, il n'a procédé à aucun arbitrage concernant l'ARENH, qui n'est pas parvenu jusqu'à son cabinet. Il nous a invités à vous relayer la question.

Je vous rejoins sur le fait qu'un prix régulé, bloqué, de l'électricité, permettait aux consommateurs de payer une énergie moins chère et de ne pas subir des évolutions de prix trop fortes. Il évitait aussi que les acheteurs de l'ARENH, qui ne produisaient pas, spéculent sur le prix de l'électricité. Vous avez pris cette première décision, mais une deuxième décision vous revenait pour assurer une cohérence. Vous aviez la possibilité de mettre un terme à cette spéculation en abaissant le volume par décret. Vous en étiez avertie depuis 2014 par la CRE et M. de Ladoucette, mais vous n'avez pas pris ce décret. Vous pouviez également augmenter le prix, ce qui aurait limité la spéculation. Pourquoi n'avez-vous pas pris ce décret ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

L'ARENH a été mis en place en 2010. Votre question vaut donc aussi pour les quatre années précédant ma prise de fonctions. Pendant quatre ans, des opérateurs sont venus sur le marché et y ont signé des contrats. Je ne me souviens plus si M. de Ladoucette a recommandé d'augmenter l'ARENH, mais si tel est le cas, il n'a pas beaucoup insisté. Du reste, les opérateurs qui avaient signé un contrat l'auraient refusé. Je suppose que ces contrats courraient sur plusieurs années, et nous étions dès lors bloqués. Je ne sais pas si de nouveaux opérateurs se sont présentés après 2014.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Que vous a dit M. Laurent Michel à ce sujet ? Je ne me souviens pas avoir arbitré des volumes d'ARENH. Je suppose que ces sujets arrivaient à la direction générale de l'énergie, mais ils revêtaient aussi une dimension interministérielle. Je ne suis pas certaine que je pouvais en décider seule, auquel cas, j'aurais pris cette décision. J'ai décidé du blocage des prix, ce qui vous prouve que je ne craignais pas d'intervenir. Concernant l'ARENH, je n'ai pas vu passer cette possibilité et on ne m'a pas dit que j'avais ce pouvoir. Je suis intervenue comme j'ai pu, en bloquant les tarifs. J'avais en effet constaté une spéculation injuste, et je craignais qu'elle ne s'accroisse encore. EDF insistait pourtant pour que j'augmente les prix. Il faut selon moi changer ce système, et il n'est pas trop tard.

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À deux reprises, vous avez émis des critiques contre ces opérateurs alternatifs, qui n'auraient pas construit de moyens de production. Pendant les quatre premières années de l'ARENH, de 2010 à 2014, ils n'ont rien fait – et je vous rejoins, ils auraient dû construire dès le début. Je constate toutefois qu'ils n'ont pas fait davantage entre 2014 et 2017. Avez-vous un commentaire là-dessus ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Non. Il fallait contrôler, mais je n'ai pas d'explication sur les raisons pour lesquelles nous n'avons pas vu qu'ils ne construisaient rien. Dans la mesure où une nouvelle mode consiste à supprimer des corps d'inspection, ils ne risquent pas d'être facilement contrôlés désormais.

Il en va de même pour l'hydroélectricité, et je ne vous ai d'ailleurs pas répondu sur ce sujet. Quand Alstom a vendu toute sa capacité hydroélectrique, General Electric l'a reprise. Personnellement, j'étais favorable à Siemens, donc à une solution européenne.

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Nous avons la certitude que vous pouviez, par décret, abaisser les volumes et augmenter les prix. Il est regrettable que cette décision n'ait pas été prise, depuis 2014 et jusqu'à aujourd'hui d'ailleurs. Nous pourrions encore la prendre.

Ma deuxième question porte sur l'hydroélectricité. Je suis député de la circonscription de Tulle et Ussel, en Corrèze, qui couvre la vallée de la Dordogne. Depuis 2011, nous nous trouvons en infraction concernant le renouvellement des concessions. Je vous félicite toutefois de ne pas avoir cédé à l'Europe sur ce sujet, ce qui a permis de maintenir EDF dans la vallée de la Dordogne et ailleurs en France.

Les barrages sont propriétés de l'État, et EDF en est concessionnaire ou fermier. Dès lors que la concession n'est pas renouvelée, EDF ne dispose pas de son droit à fermage et ne peut pas investir. En effet, elle ne dispose d'aucune garantie. Or EDF avait la possibilité de construire une station de transfert d'énergie par pompage (STEP), qui équivaut à une tranche nucléaire. Sur l'ensemble de la vallée, ce type de possibilités représentait 5 GW. L'hydroélectricité, énergie complètement décarbonée, représente 49 % des énergies renouvelables. Dans votre loi, vous auriez pu trouver un système juridique permettant à EDF de se montrer moins frileuse et de réaliser ces investissements. Il est regrettable que cette loi, comme les suivantes, n'ait pas pris cette décision. Elle aurait permis de développer l'hydroélectricité, et nous ne connaîtrions peut-être pas une perte de souveraineté électrique à l'heure actuelle.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Honnêtement, si vous étiez patron d'EDF et si l'on vous demandait d'entretenir des centrales hydroélectriques, qui constituent le fleuron des énergies renouvelables, un secteur dans lequel les Français sont les meilleurs, est-ce que vous le refuseriez ? Est-ce que vous demanderiez un décret, un arrêté ou une loi ? Est-ce que vous resteriez les bras ballants ? Être nommé patron d'une telle entreprise constitue une chance, et M. Jean-Bernard Levy vient pleurnicher parce qu'il ne dispose pas d'un texte pour entretenir barrages ? Il ne mérite pas d'être à la tête d'EDF. Les bras m'en tombent quand j'entends cela, d'autant que j'ai protégé EDF contre l'ouverture du marché et la privatisation des concessions. Se sentant protégée, EDF aurait dû entretenir et investir sur ses barrages. Ces personnes ne se montrent pas à la hauteur. Elles viennent aujourd'hui s'excuser de n'avoir rien fait, en mettant en avant l'absence de décret, alors même que je les avais protégées en me battant contre la Commission européenne. L'ouverture du marché aurait tout fait s'écrouler. Des spéculateurs auraient investi le secteur, d'autres énergéticiens européens se seraient manifestés. Si le patron d'EDF n'a pas réalisé les investissements, ce n'est pas sérieux. J'aurais dû en donner l'ordre, mais je ne pouvais pas contrôler, en plus de tout le reste, ce que faisait le patron d'EDF pour entretenir ses barrages.

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Je souhaite revenir sur l'objectif de 50 % d'énergie nucléaire à l'horizon 2025. Au cours de votre audition, vous avez évoqué la dangerosité de miser sur le tout-nucléaire, et indiqué que les investissements dans le secteur nucléaire avaient empêché des investissements dans les énergies renouvelables. Le fait que l'État français ait tout misé sur le nucléaire dans sa stratégie énergétique a-t-il obéré des investissements dans les énergies renouvelables, malgré les différents chantiers que vous avez lancés quand vous étiez ministre de l'écologie ? Emmanuel Macron a repris les mêmes propos au début de son précédent quinquennat.

Une autre question porte sur la filière photovoltaïque et le dumping chinois. Sous le quinquennat de François Hollande, Bruxelles a tenu tête aux Chinois pour protéger cette filière en Europe. Début 2018, cet effort a été abandonné et cette filière se trouve aujourd'hui fortement abîmée. Avez-vous des éléments sur ce sujet ?

J'aurais enfin une question sur la thermosensibilité.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Je ne sais pas ce qu'il s'est passé après 2018 au niveau européen car je n'étais plus aux responsabilités. Il n'en demeure pas moins vrai que nous n'avons pas de filière digne de ce nom en Europe pour l'ensemble des énergies renouvelables, et notamment la fabrication de panneaux photovoltaïques.

Nous venons d'évoquer l'un des éléments de réponse, à savoir la libéralisation de tous les marchés. L'Europe encourage en réalité ses pays à se faire concurrence les uns aux autres. Pendant ce temps, les États-Unis d'Amérique font bloc. Dans le domaine de la transition énergétique, il s'avère crucial de permettre des accords entre pays européens, de même que des investissements d'État. Il aurait fallu revisiter le concept de libre marché face aux exigences de la transition énergétique et de l'accord de Paris sur le climat, et inventer des dérogations, pour devenir plus forts ensemble. Il n'est pas trop tard pour prendre ces enjeux à bras-le-corps.

Le tout-nucléaire a-t-il empêché des investissements dans les énergies renouvelables ? Je ne le pense pas. Je pense plutôt que nous sommes passés à côté d'opportunités qui existaient en France quand nous avons pris la décision du tout-nucléaire. Le tout-nucléaire a permis des performances exceptionnelles, mais il a mis de côté, voire méprisé, le solaire et l'éolien. Au sein même d'EDF, les ingénieurs en charge de ces secteurs étaient considérés de façon marginale, et la noblesse du métier d'énergéticien résidait dans le nucléaire. C'est dommage, car nous disposions pourtant d'outils de recherche et de réalisation dans les énergies renouvelables (solaire à Font-Romeu, éoliennes à Poitiers, première voiture électrique). Nous aurions peut-être un Tesla français aujourd'hui si nous avions soutenu cette filière comme j'ai essayé de le faire. Malheureusement, je n'ai même pas eu le soutien du ministère de l'énergie quand j'ai cherché à développer la Mia électrique d'Heuliez.

Nous sommes passés à côté d'un potentiel, mais c'est le passé. La France doit aujourd'hui se faire confiance dans sa capacité à développer le renouvelable.

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Quand vous inscrivez dans la loi l'objectif de 50 % à horizon 2025, avez-vous l'impression qu'au sein de l'État, des lobbies ou des vents contraires font en sorte qu'il ne se réalise pas ? Vous avez indiqué que vous cherchiez avant tout une montée en puissance du renouvelable et une réduction de la consommation énergétique, mais que vous ne souhaitiez pas nécessairement fermer des réacteurs. Or force est de constater que cet objectif n'a pas été réalisé. Pourquoi ? Votre successeur, M. Nicolas Hulot, a ensuite repoussé cet objectif à 2035 et aujourd'hui, la loi relative à l'accélération du nucléaire, votée au Sénat le remet en cause. Je rappelle que cet objectif était assorti d'une planification stable et d'une stratégie claire adoptée avant la COP 21. Étaient-elles faisables techniquement et politiquement ? Avez-vous eu l'impression que tout le monde ne la soutenait pas, y compris au sein même de l'État ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Je n'ai pas senti que des lobbies pronucléaires empêchaient le développement des énergies renouvelables, et cela ne m'aurait pas arrêtée. Les outils que j'ai mis en place (appels d'offres, finance verte, crédits d'impôt, territoires à énergie positive) constituaient un dispositif complet, allant des industries aux particuliers. Quand je quitte le ministère, les énergies renouvelables sont déjà montées en puissance, puisqu'elles produisent, sauf erreur de ma part, l'équivalent de six réacteurs nucléaires.

J'ai la conviction profonde que, si cette dynamique s'était prolongée, nous aurions aujourd'hui des filières positionnées parmi les premières d'Europe dans ce domaine. Si cet effort n'avait pas été stoppé net en 2017, nous serions montés en puissance – mais pas aux dépens du nucléaire. Ce dernier a en effet besoin d'investissements de sécurité, afin de sécuriser ses 63,2 GW. En revanche, il n'était pas nécessaire d'imaginer la construction de nouveaux réacteurs.

À ce sujet, je vais vous dire le fond de ma pensée : il serait impossible de construire de nouveaux réacteurs. Où les mettriez-vous ? Imaginez-vous une commune ou un département accepter une nouvelle implantation ? Seriez-vous preneurs, vous, dans vos circonscriptions, d'un réacteur nucléaire ? Vous pourriez sans doute construire de nouveaux réacteurs sur les emprises des centrales actuelles, mais ce n'est pas pareil. Quant à l'impact sur un territoire en termes d'emploi et d'énergie, il me semble plus fort avec les économies d'énergie, la performance des bâtiments et les énergies renouvelables.

Quoi qu'il en soit, il faut investir sur les réacteurs actuels afin qu'ils restent actifs, car ils présentent des problèmes de corrosion et d'entretien. Ces investissements constituent déjà un objectif ambitieux. Annoncer de nouveaux réacteurs permet peut-être de renforcer la confiance de la filière, mais l'urgence se situe ailleurs. Au moment où nous parlons, 13 réacteurs se trouvent à l'arrêt. Pourquoi construire de nouveaux réacteurs alors que l'on peut en redémarrer 13 ? Il s'agit aussi d'une question de bon sens et d'allocation optimale des ressources publiques.

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De nombreuses personnes auditionnées ont expliqué l'état de la filière nucléaire, notamment le fait qu'elle ne soit pas en mesure d'ouvrir l'EPR de Flamanville, par le désinvestissement qu'elle a subi. Personnellement, j'ai plutôt eu l'impression de divergences au sein de la filière.

Vous avez évoqué la fermeture de Fessenheim et le souci de préserver les emplois, en mentionnant Tesla, mais aussi l'idée de devenir des champions mondiaux dans le nucléaire vieillissant. Avez-vous l'impression que le nucléaire fonctionne moins bien aujourd'hui en France en raison d'un problème d'investissement ? L'accord entre les socialistes et les écologistes a-t-il conduit à moins investir dans le nucléaire ? Ou n'a-t-on pas créé certaines filières pourvoyeuses d'emplois, notamment en déconstruction ou sécurisation des centrales ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Une question porte aussi sur le retard pris à Flamanville, alors qu'EDF investissait parallèlement à Hinkley Point. Certains choix n'ont peut-être pas été judicieux. Les syndicats d'EDF ont d'ailleurs beaucoup réagi sur ces sujets. M. Jean-Bernard Levy s'est acharné sur Hinkley Point, qu'il voulait absolument réaliser, et dont la France a d'ailleurs payé une partie. Il imaginait peut-être qu'en réalisant Hinkley Point avant Flamanville, il pourrait conquérir des marchés à l'international. J'en ai toujours douté, et j'ai plusieurs fois posé cette question de l'allocation des ressources au sein d'une entreprise quasiment publique.

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Pendant l'exercice de votre mandat en tant que ministre, vous n'avez donc pas eu l'impression d'un désinvestissement dans le nucléaire, mais plutôt de choix d'investissement différents (ex. : Hinkley Point au lieu de Flamanville). Dans d'autres auditions, s'est aussi posée la question de l'exportation : le choix a été d'allouer des moyens à l'exportation plutôt qu'à la filière interne, par exemple en démantèlement.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Un ministre de l'énergie n'interfère pas dans tous les choix stratégiques d'EDF. Nous discutons, et j'ai posé des questions, mais ces choix relèvent de la responsabilité de l'entreprise.

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J'avais une dernière question sur les déchets, mais vous y avez déjà répondu partiellement. Il me semble que vous avez utilisé tous vos pouvoirs de l'époque en faveur de la réversibilité.

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Vous avez, à de nombreuses reprises, utilisé le mot « croyance » et même le terme « viscéral » pour évoquer les déchets nucléaires.

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

C'est aussi une affaire de cœur.

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Les anciens Égyptiens, que vous avez aussi évoqués, pensaient que l'esprit se trouvait dans le cœur, mais la science leur a donné tort.

Avec le recul, ne pensez-vous pas que vous vous êtes trompée sur les possibilités de certaines technologies ? Vous avez vanté la route solaire, et le projet mené dans ce domaine dans l'Orne s'est avéré un échec technologique majeur.

Vous avez également indiqué que les énergies renouvelables représentent 10 % à 15 % des énergies utilisées dans le monde, contre 10 % pour le nucléaire. Vous convenez pourtant que la transition climatique a échoué. La progression des énergies renouvelables intermittentes, par rapport au nucléaire, ne permet pas de la réussir.

Pendant la période pronucléaire, durant laquelle la France ne rencontrait aucun problème d'approvisionnement électrique ; mais depuis que les technologies intermittentes ont intégré le mix français, plus rien ne fonctionne. Le système est perturbé, les financements ne vont pas où il faut, nous ne parvenons plus à gérer la pointe, nous dépendons de nos concurrents. Or vous continuez à défendre ces technologies. Vous défendez notamment les énergies marines, sur lesquelles personne ne mise car les métaux ne font pas bon ménage avec l'eau de mer.

Sur la base de votre expérience, et des expériences allemande et espagnole, continueriez-vous à prétendre que l'on peut assurer une transition climatique avec 50 % d'énergie nucléaire et 50 % d'énergies renouvelables, dont 35 % d'énergies intermittentes ? Estimez-vous une telle transition techniquement possible ? Vous êtes-vous trompée ou vous a-t-on fourni de mauvaises informations ?

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Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie

Je pense que vous vous situez sur une planète un peu vaporeuse. Vous prétendez que nous n'avions aucun problème du temps du nucléaire, mais nos réacteurs ont été construits pour 40 ans et devaient fermer à cette échéance. Ils n'ont pas fermé. Connaissez-vous leur durée de vie moyenne ?

Si nous avions suivi les recommandations des ingénieurs qui ont construit ces réacteurs, toutes nos centrales devraient fermer. Aujourd'hui, nous avons besoin de réinvestir dans ces centrales pour les sécuriser et leur permettre de continuer à produire de l'énergie. Cela représente un coût considérable. De plus, le nouveau nucléaire coûte deux fois plus cher que l'ancien nucléaire et que les énergies renouvelables, et votre commission pourra le vérifier. Il ne permet en outre pas de garantir l'indépendance énergétique de la France car nous ne produisons ni plutonium ni uranium.

Il ne s'agit pas d'opposer les énergies les unes aux autres, mais de construire un modèle énergétique où le nucléaire se trouve complété par les énergies renouvelables et les économies d'énergie. Tel est le cas. Inutile de passer d'une idéologie à une autre.

Vous partagez pour votre part l'idéologie du tout-nucléaire et vous pensez qu'il a existé un âge d'or dans ce domaine que nous devrions poursuivre, mais c'est physiquement et scientifiquement impossible. Ces réacteurs ont besoin de remises à niveau coûteuses, et si nous pouvons produire des énergies assurant l'indépendance énergétique de la France sans émettre de gaz à effet de serre, il ne serait pas raisonnable de ne pas le faire. La complémentarité entre les deux constitue la bonne solution.

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Merci, Madame la ministre, de vous être rendue disponible pour notre commission d'enquête, ainsi que pour les réponses que vous avez apportées à nos nombreuses questions. Elles ont apporté un éclairage sur la façon dont certaines décisions ont été prises sous votre autorité.

L'audition s'achève à 18 heures 34.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Antoine Armand, Mme Annick Cousin, M. Francis Dubois, Mme Olga Givernet, Mme Julie Laernoes, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Lionel Vuibert.

Excusée. – Mme Valérie Rabault.