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Intervention de Ségolène Royal

Réunion du mardi 7 février 2023 à 16h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie :

Je propose de vous dire quelques mots sur la loi du 17 août 2015 avant de répondre à vos questions.

En tant que cheffe de délégation pour la Conférence de Paris sur le Climat (COP 21) de décembre 2015, j'étais en charge des avancées opérationnelles en matière de lutte contre le réchauffement climatique. J'ai souhaité que la France finalise sa stratégie bas carbone afin de se montrer exemplaire à l'ouverture de cette conférence. Nous avons d'ailleurs été l'un des premiers pays du monde à faire adopter au parlement une stratégie bas carbone de lutte contre le réchauffement climatique.

J'ai voulu une loi la plus consensuelle possible, mais je souhaitais également en prendre les décrets d'application pendant le débat parlementaire. J'ai moi-même été parlementaire durant quatre mandats, soit vingt ans, et j'ai vu beaucoup de ministres faire voter des lois sans se préoccuper de leurs textes d'application et des mesures opérationnelles nécessaires à leur mise en œuvre.

J'avais assigné trois objectifs à cette loi, qui contenait pour la première fois le terme de « croissance verte » : Lutter contre le réchauffement climatique ; Réduire la facture énergétique (qui représentait alors un déficit de 70 milliards d'euros dans la balance commerciale) ; Faire de la France une championne dans l'industrie et l'innovation, dans tous les secteurs clés de l'énergie et de l'efficacité énergétique.

Je souhaitais également donner aux territoires et aux citoyens les moyens de participer à la transition énergétique, notamment par la création des TEPCV (territoires à énergie positive pour la croissance verte).

Enfin, au moment où je voyais s'accroître la compétition mondiale sur les énergies renouvelables, les transports propres et l'efficacité énergétique des bâtiments, je désirais profiter de la COP 21 pour encourager nos industriels à prendre de l'avance dans tous ces domaines.

En matière d'énergies renouvelables, la France et ses départements d'outre-mer disposent de tout, qu'il s'agisse d'énergie solaire, d'énergies marines, d'éolien, d'hydrolien, de géothermie, ou de bois. Les énergies marines ont toujours représenté pour moi une opportunité très forte.

La loi de 2015 poursuivait également trois objectifs politiques forts, qui figurent d'ailleurs dans l'exposé de ses motifs : ne pas opposer les énergies les unes aux autres ; faire en sorte que la France ne connaisse ni pénurie ni dépendance ; disposer d'un champ d'énergies propres, sûres et les moins chères possible.

La France a toujours fait preuve d'un grand volontarisme dans ses politiques énergétiques. Elle l'a montré au sortir de la guerre avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier, qui a posé les fondements de l'Europe ; mais aussi dès les premiers travaux du Conseil national de la Résistance, qui présentait l'énergie comme un levier majeur de développement. Cette approche a conduit au service public de l'énergie, à la création d'entreprises publiques puissantes et à l'édification de barrages.

Des investissements massifs ont donc eu lieu dans l'énergie après la guerre. En 2015, j'ai demandé au parlement de consentir le même effort d'imagination, d'anticipation et d'investissement afin de prendre le tournant de l'autonomie énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique.

Lors du choc pétrolier de 1973, le prix du pétrole brut a quadruplé et le programme nucléaire lancé par la France, unique au monde, s'est accéléré. Plus d'une quarantaine de réacteurs ont été construits en dix ans, reflétant un très fort volontarisme politique.

Comment continuer à être les meilleurs dans le domaine énergétique ?

Il convient avant tout d'économiser l'énergie, et tel était l'objet du grand chantier relatif aux bâtiments afin de créer des emplois et réduire les factures. En effet, le bâtiment est le premier secteur consommateur d'énergie, avant même les transports et l'industrie. Les travaux de rénovation et d'isolation, les bâtiments à énergie positive, les réseaux intelligents et les territoires à énergie positive revêtent donc une grande importance de ce point de vue.

Les énergies renouvelables constituent un deuxième pilier. La France a le premier potentiel agricole européen, avec des débouchés en méthanisation et en biocarburants, mais aussi le troisième potentiel forestier. Elle est également la première puissance maritime européenne avec ses outremers et le premier producteur européen d'énergies renouvelables en incluant l'hydroélectricité (qui a réglé ses problèmes de stockage de l'énergie). La loi de 2015 posait un objectif ambitieux de 32 % d'énergies renouvelables à l'horizon 2030 contre 14 % en 2012. Le titre premier souligne clairement que cet objectif vise à renforcer l'indépendance énergétique de la France et lutter contre les catastrophes climatiques. Il se décline comme suit : Porter la part du nucléaire à 50 % à l'horizon 2025 ; Réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030, par rapport à 1990 (le facteur 4) ; Diminuer de moitié la consommation d'énergie à l'horizon 2050 par rapport à 2012, avec un rythme annuel de baisse de l'intensité énergétique de 2,5 % par an d'ici 2030 et un pilotage resserré reposant sur un suivi régulier; Porter la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique à 32 % d'ici 2030, en portant la part de la chaleur renouvelable (biomasse, valorisation des déchets, géothermie) à 38 % et la part des biocarburants à 15 %.

Monsieur le Président, vous n'étiez pas élu à cette époque, mais j'ai inauguré en Alsace deux champions dans le domaine de la géothermie, l'un en géothermie profonde, une première mondiale, et l'autre en valorisation de biomasse bois. Parallèlement, je me rendais à Fessenheim. Nous composions donc avec une diversité dans les territoires.

Tels étaient les grands traits de cette loi de transition énergétique et ses objectifs opérationnels, qui avaient vocation à être ajustés au fil du temps grâce à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La loi créait en effet un outil qui évitait de tâtonner année après année, en programmant et en réactualisant des stratégies énergétiques.

J'ai également eu le souci de mettre en place des outils pour accompagner cette loi, en particulier la finance verte. J'avais été marquée par l'échec de la conférence de Copenhague, à laquelle j'avais assisté en tant que présidente de région. J'avais réalisé que nous ne parviendrions à un accord sur le climat à Paris que si le secteur financier basculait du côté des stratégies bas carbone.

En juillet 2015, la coalition de la finance verte s'est réunie pour la première fois à Paris, et les banques et assurances ont entamé ce mouvement. Les assurances ne parvenaient plus à assurer les dégâts climatiques et ont compris qu'il était dans leur intérêt de financer la lutte contre le réchauffement climatique.

Je présidais cette coalition et je me suis rendue à Washington pour la réunion du FMI et de la Banque mondiale, en présence du Secrétaire général des Nations Unies. J'ai alors souhaité que la France se trouve à l'avant-garde en finance verte, et nous avons été l'un des premiers pays du monde à adopter un prix du carbone.

L'article 173 de la loi de transition énergétique intègre en outre le risque climatique dans le reporting sur la responsabilité sociale des entreprises et investisseurs. Des investisseurs ont pu se développer grâce à cet article, qui a ensuite servi de référence à la finance verte mondiale et a été adopté par d'autres pays.

Nous avons également créé un label Transition énergétique pour le climat, pour des fonds représentant un encours de 1,5 milliard d'euros, et un label Financement participatif pour la croissance verte. En janvier 2017, nous avons aussi lancé sur le marché la première obligation verte souveraine pour 7 milliards d'euros (alors même que le secteur bancaire et financier demandait un encours de 11 milliards d'euros). Cette obligation verte a recueilli 200 investisseurs et a permis de financer des politiques en faveur de l'environnement et la lutte contre le réchauffement climatique.

Parallèlement, nous avons mis en place un fonds de financement de la transition énergétique (250 millions d'euros), des prêts pour la croissance verte (3 milliards d'euros, gérés par la Caisse des Dépôts et consignations), de nouvelles règles créant des marchés et réduisant les coûts, des soutiens aux particuliers (doublement du crédit d'impôt de transition énergétique et réforme des prêts à taux zéro, avec possibilité de cumuler les deux) et des sociétés de tiers-financement en mesure d'avancer des fonds aux particuliers. Nous avons aussi facilité l'émergence de projets urbains innovants et exemplaires, avec des démonstrateurs industriels pour la ville durable et de multiples appels à projets pour accélérer la montée en puissance des énergies renouvelables (éolien en mer, éolien flottant, méthanisation, biomasse, réseaux de chaleur, notamment). L'État a joué un rôle de locomotive et a mobilisé les investisseurs en les sécurisant.

Selon moi, la transition énergétique a besoin de stabilité et de sécurité, et je regrette que les changements ministériels aient provoqué des reculs, au détriment des entreprises et industriels. Ils ont besoin de durabilité et de visibilité pour arrêter leur stratégie et investir. Quand un travail est engagé de manière consensuelle, dans l'intérêt énergétique de la France, l'idéologie pro- ou antinucléaire, n'a aucun sens. De mon point de vue, on ne peut pas être pour ou contre le nucléaire, mais uniquement pour un modèle énergétique équilibré, nous fournissant une énergie la moins chère possible, nous garantissant une indépendance et une stabilité des règles.

L'énergie, c'est la vie. Il s'agit du sujet le plus important dans un pays et dans sa stratégie. Nous voyons d'ailleurs que les pays qui en sont privés ne parviennent pas à se développer. Je pense en particulier à tout le continent africain. Ce problème avait d'ailleurs été évoqué à l'occasion de la COP 21.

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