Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Réunion du mardi 31 janvier 2023 à 16h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Jeudi 26 janvier 2023

La séance est ouverte à 16 heures 02.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

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La Commission d'enquête chargée d'établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France a l'honneur de recevoir aujourd'hui M. Lionel Jospin.

M. le Premier ministre, nous vous remercions d'avoir accepté de venir exposer les principaux éléments de la politique énergétique que vous avez menée entre 1997 et 2002, à l'époque où vous dirigiez le gouvernement. Cette période était caractérisée, sur le plan politique, par une troisième cohabitation, sous l'autorité du président de la République, Jacques Chirac, et par une coalition gouvernementale. Celle-ci s'est notamment manifestée par la présence dans votre gouvernement de ministres appartenant au parti Les Verts. La Commission d'enquête procédera prochainement à l'audition de Mme Dominique Voynet.

Comme vous l'avez souhaité, cette audition se cantonnera à des échanges sur la politique énergétique conduite au cours de vos fonctions de Premier ministre. Je demande aux membres de la Commission de bien vouloir respecter cette période.

Il m'appartient de donner quelques éléments de contexte en guise de propos introductifs. Au cours des précédentes auditions organisées par notre Commission, deux événements importants ont été évoqués, la fermeture définitive de Superphénix et le sommet de Barcelone de 2002 en faveur de la libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz.

D'autres éléments de contexte peuvent également être relevés. Ainsi, lors de la déclaration du gouvernement sur la politique énergétique organisée le 20 janvier 1997 à l'Assemblée nationale, M. Christian Pierret, Secrétaire d'État à l'industrie, a posé le principe du « ni tout, ni tout », ni tout électrique, ni tout gaz ou énergies fossiles, ni tout énergies nouvelles et exprimé la volonté gouvernementale de mieux associer le Parlement aux choix énergétiques, tout en dessinant une nouvelle perspective visant à confier à une autorité indépendante la question de la sûreté nucléaire.

Le protocole de Kyoto avait été signé en 1997, l'Allemagne s'acheminait vers la sortie du nucléaire, scellée par un accord entre le gouvernement et les électriciens sur la fermeture progressive des centrales en juin 2000.

Au 1er janvier 1999, 74 % du parc français avait entre 11 et 20 ans, 6 % entre 21 et 22 ans et 20 % moins de 10 ans. Au cours de vos fonctions, diverses études comportant différents scénarios ont été produites, émanant notamment du Commissariat général au Plan, dont la Commission énergie 2010-2020 avait exploré les « chemins d'une croissance sobre et les défis du long terme ». Mais ce sont les travaux que vous avez confiés à René Pellat, Haut-Commissaire à l'énergie atomique, en mai 1999, qui sont susceptibles de retenir l'attention de notre Commission, avec le « rapport Charpin, Dessus, Pellat ». Il s'agissait d'une étude économique prospective de la filière nucléaire, y compris le retraitement, qui abordait la question de la durée de vie des centrales à l'horizon 2050. À cet horizon, le scénario haut tablait sur une consommation de 720 TWh, alors que le scénario bas misait sur unique consommation de 535 TWH, la capacité nucléaire en 2050 étant estimée, selon les scénarios, entre 33 et 85 GW, à comparer aux 63 GW disponibles en 2000. Le rapport étudiait à la fois les technologies de maîtrise de la demande d'électricité et les technologies de production électrique, de l'amont à l'aval du cycle pour ce qui concerne la filière nucléaire.

Votre audition, M. le Premier ministre, devrait ainsi nous éclairer sur les moyens dont disposait le gouvernement pour définir une stratégie énergétique.

Je crois par ailleurs utile de rappeler que François Roussely, auquel nous souhaitons une nouvelle fois rendre hommage, dirigeait EDF au cours de cette période.

Avant de vous donner la parole, Monsieur le Premier ministre, il m'appartient de vous demander, en de l'application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure . »

M. Lionel Jospin, ancien Premier ministre, prête serment.

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Je vous remercie Monsieur le Premier ministre, je vous laisse la parole.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Députés, sachez que j'ai plaisir à me retrouver devant une instance parlementaire, même si l'exercice qui nous réunit aujourd'hui est particulier. J'ai en fait vécu des années passionnantes à l'Assemblée nationale, d'abord comme député, puis au banc du gouvernement, pendant deux décennies, de 1981 à 2002, il y a deux décennies.

N'étant pas doté d'hypermnésie, la préparation de votre audition m'a conduit à redécouvrir le passé, ce qui n'a pas été déplaisant, et m'a obligé à beaucoup travailler, ce qui à mon âge est peut-être salutaire. Ne voyez dans cette dernière phrase aucune allusion au dossier des retraites sur lequel naturellement je ne m'exprimerai pas.

Avant de vous retrouver, j'ai eu des échanges avec plusieurs de mes anciens conseillers à Matignon et avec celui qui fut mon ministre de l'Industrie pendant cinq ans, Christian Pierret. Je me suis même rendu à Pierrefitte aux Archives nationales pour consulter mes fonds qui y sont déposés. J'ai fait mien le sujet de votre enquête, établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance de la France. Quant à l'exposé introductif qui m'a été demandé, vous accepterez qu'il soit centré sur la période pendant laquelle j'ai gouverné, de 1997 à 2002. À cette date, j'ai quitté la vie politique et mon expression publique est devenue rare et mesurée. À l'occasion de cette audition, je ne souhaite pas me départir de l'attitude réservée qui est désormais la mienne. En conséquence, pour ne pas me laisser entraîner sur le terrain de controverses, je ne m'exprimerai pas sur les politiques de l'énergie suivies par mes successeurs, politiques dont je ne suis pas comptable. Il en ira bien sûr différemment pour le temps où j'ai gouverné. Comme ancien Premier ministre, j'ai à répondre de la politique énergétique qui a été alors poursuivie. Comme nous étions en cohabitation, nous avons respecté les prérogatives du président de la République Jacques Chirac, en particulier dans le champ de la politique étrangère et européenne. Pour autant, l'article 20 de la Constitution s'appliquait pleinement et mon gouvernement a effectivement déterminé et conduit la politique de la Nation. Il le faisait d'ailleurs dans une relation étroite avec le Parlement en particulier avec l'Assemblée nationale, où il a toujours disposé d'une majorité, avec laquelle il dialoguait, tout en respectant l'opposition. Étant responsable de la politique alors menée, je répondrai à votre questionnement avec le souci de la transparence et dans le respect du serment que j'ai prêté. Je garderai à l'esprit l'interrogation centrale qui est la vôtre et qui a trait à la souveraineté et à l'indépendance énergétique de la France.

La maîtrise de l'énergie est depuis la révolution industrielle cruciale pour la vie des nations. Nous le constatons aujourd'hui dans le cas extrême de la guerre, quand l'agresseur russe cherche à écraser le système électrique de l'Ukraine. C'est vrai aussi en temps de paix, puisqu'il s'agit, comme nous l'avons voulu, de fournir à notre économie une énergie compétitive et à nos concitoyens une énergie abordable. Aujourd'hui selon les chiffres de 2020, la consommation française d'énergie primaire se répartit entre 40 % d'énergie nucléaire, 47 % d'énergies fossiles, charbon, pétrole, gaz naturel et 13 % d'énergies renouvelables. Or, la France ne dispose plus dans son sous-sol des énergies fossiles et de l'uranium lui permettant d'être strictement indépendante. Elle doit construire sa souveraineté, sa sécurité énergétique, pour partie par des alliances économiques et militaires mais aussi par des accords bilatéraux avec des pays producteurs d'énergie primaire. La création de votre commission vient ainsi à point nommé pour rappeler l'importance de ces données et de ces problématiques à nos concitoyens.

Je structurerai mon propos autour des trois sources d'énergie évoquées. Je traiterai du nucléaire, en premier et le plus longuement, non seulement parce qu'il semble au centre de vos préoccupations, mais aussi parce qu'il est le secteur où l'État stratège, régulateur et actionnaire industriel exerce des responsabilités majeures. Je parlerai ensuite des énergies fossiles dont nous restons dépendants. J'évoquerai enfin les énergies renouvelables dont nous espérons davantage. Dans ces trois champs, mon gouvernement a agi avec sérieux et a cherché à se montrer prévoyant. Il a été aussi guidé par la préoccupation d'apporter à nos concitoyens une énergie fiable et abordable pour tous. C'est pourquoi, avec le recul du temps, je pense pouvoir dire en réponse aux interrogations légitimes qui sont les vôtres que la politique conduite entre 1997 et 2002 n'a pas entraîné une perte de souveraineté et d'indépendance énergétique pour la France.

Dans le domaine du nucléaire, la politique de mon gouvernement s'est naturellement inscrite dans un continuum historique. Quand le monde est entré dans l'ère atomique en 1945, c'est une volonté d'indépendance qui a conduit le général de Gaulle et la IVe République à lancer un programme nucléaire. La France s'est dotée d'une arme de dissuasion et d'une filière d'enrichissement de l'uranium, d'utilisation civile, notamment pour produire de l'électricité. Le premier choc pétrolier de 1973, sous le gouvernement de Pierre Messmer puis la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, a provoqué une puissante accélération du programme nucléaire civil, visant à rendre la production d'électricité moins dépendante des approvisionnements pétroliers du Proche-Orient. Cette politique a été poursuivie, à un rythme plus modéré, en raison de l'évolution des besoins, sous les présidences de François Mitterrand. En 30 ans, de 1971 à 2002, la France s'est équipée de 58 réacteurs nucléaires. Les derniers ont été mis en service entre 1997 et 2002.

Quand nous arrivons aux responsabilités en 1997, le parc nucléaire fournit plus de 75 % de l'électricité française. Cette situation semble excellente pour l'indépendance du pays mais elle se heurte à deux difficultés. La première est technique. Les centrales nucléaires sont adaptées aux consommations dites de base, constantes, par exemple pour fournir des usines, mais elles sont moins adaptées pour les consommations de pointe, par exemple les pics de consommation par grand froid, pour lesquels il est préférable de produire de l'électricité avec de l'hydraulique ou du gaz. L'autre difficulté touche à la sécurité des approvisionnements. Idéalement, il est souhaitable de répartir les risques entre plusieurs énergies primaires. La trop grande dépendance à une seule source peut être problématique, nous l'avons vu encore tout récemment en 2022, avec l'excessive dépendance de l'Allemagne au gaz russe ou, dans une moindre mesure, avec les défaillances de soudure détectées dans certaines centrales françaises, mettant plusieurs tranches à l'arrêt et faisant craindre des coupures d'électricité dans l'hiver 2023. Heureusement, elles semblent ne pas devoir se produire.

En outre, deux changements de nature très différente vont venir perturber le système énergétique français dans les années 1980 et 1990. Le premier est le choc provoqué dans les opinions publiques par les accidents nucléaires de Three Mile Island en 1979 aux États-Unis et à Tchernobyl, dans l'Ukraine soviétique, en 1986. Une méfiance à l'égard du nucléaire s'est exprimée dans une partie de la population en France, et avec plus de force encore dans d'autres démocraties européennes. Cela a contribué à la montée en puissance du courant de l'écologie politique. Ce sera l'une des raisons de la décision allemande ultérieure d'arrêter le nucléaire après l'accident de Fukushima en 2011. L'autre changement naît d'une évolution. La construction européenne, fondée sur la libre circulation des biens et des services entre pays européens, a remis en cause le modèle industriel français de monopole qui, dans l'énergie, avait conduit aux organisations d'EDF, de la Cogema, de Framatome et du CEA. L'Acte unique européen, accepté par le président Mitterrand et le chancelier Kohl et entré en vigueur en 1987, a inclus les services publics à la française dans le processus d'intégration européenne. La négociation des directives régulant le marché intérieur de l'électricité a démarré en 1990 et a abouti à un accord en 1996, sous la présidence de Jacques Chirac.

Tel est le contexte quand les élections législatives de 1997 portent une nouvelle majorité aux responsabilités. Pendant les cinq années de mon gouvernement, le nucléaire sera une composante essentielle de la politique énergétique du pays. Nos actions dans le champ du nucléaire civil viseront donc à renforcer la filière industrielle et à lui redonner sa crédibilité dans l'opinion. Je vais énumérer brièvement ces actions.

Nous avons certes fermé Superphénix. À ceux qui ont dit que ce choix était strictement politique, je répondrais qu'en annonçant cette intention dans l'accord signé avec les Verts, nous avons informé dûment l'opinion, avant les législatives, et les électeurs ont fait leur choix. La politique, c'est aussi instaurer une relation de confiance avec les citoyens par la transparence. En outre, en démocratie dirait-on que les choix énergétiques qui engagent un pays sur des dizaines d'années sont purement techniques et non pas politiques ? Ce serait singulier. Pour autant, les raisons de la fermeture de Superphénix ont été avant tout industrielles. La technologie du surgénérateur était séduisante théoriquement. Le plutonium obtenu lors de l'utilisation de l'uranium dans les centrales classiques laissait espérer un usage comme combustible pour produire de l'électricité dans la filière du surgénérateur. En outre, la transmutation espérée des matières nucléaires semblait ouvrir une voie à l'élimination des déchets. Mais la centrale dite surgénérateur lancée à Creys-Malville en 1977 et terminée en 1987 était un échec industriel. Elle n'avait jamais fonctionné de façon stable, elle avait subi un incident sur incident et connu de longs arrêts de fonctionnement. Les technologies employées étaient risquées, puisque le sodium explose au contact de l'eau et elles n'étaient pas maîtrisées après 20 ans d'efforts. Le projet, qui devenait lourd financièrement pour EDF, ne promettait pas le succès. En revanche, les recherches sur la transmutation des déchets nucléaires ont été poursuivies par la relance du réacteur Phénix. Par ailleurs, la fermeture de Superphénix ne fragilisait pas la sécurité énergétique du pays. Notons en effet que le projet Astrid de réacteur à neutrons rapides, repris par le CEA en 2010, a été à son tour arrêté. 25 ans après notre décision, cette technologie n'a prospéré dans aucun pays occidental, ni aux États-Unis, ni au Japon qui l'avait explorée, même si elle semble avoir débouché en Russie et peut-être en Chine, dans des conditions que nous ne connaissons guère. Ainsi, solder l'échec industriel était une décision rationnelle et raisonnable qui ne portait atteinte ni à l'indépendance ni à la souveraineté énergétique du pays.

Après cette décision, que j'assume pleinement, nous avons engagé de nombreuses actions pour sécuriser la filière nucléaire française et assurer la crédibilité de l'État dans ses responsabilités de contrôle. Nous avons renforcé la filière MOX, qui permet de mélanger des oxydes de plutonium et d'uranium, pour réduire la quantité de plutonium dite sur étagère. Elle est une compétence française de pointe dans le monde et elle permet de réduire notre dépendance aux importations d'uranium. Dans la période 1997, cette technologie a été introduite dans dix tranches nucléaires supplémentaires.

Nous avons préparé l'aval du cycle. On le sait, l'une des critiques principales adressées au nucléaire est l'accumulation de déchets radioactifs. En décidant la création du laboratoire de Bure dans des terrains argileux étanches, nous avons permis d'étudier dans le détail la possibilité de stocker, de manière réversible, les déchets à haute activité et à vie longue, en limitant au maximum le risque d'exposition pour les générations futures. Nous sommes sans doute devenus le pays nucléaire le plus avancé au monde sur la question de l'aval du cycle.

Nous avons intégré sûreté nucléaire et radioprotection. En France, la sûreté nucléaire, c'est-à-dire la maîtrise des risques industriels, était assurée par des organisations solides, à la compétence reconnue. En revanche, la radioprotection, c'est-à-dire la maîtrise des risques pour la santé des populations, était sous-équipée. Elle répondait malaisément aux inquiétudes de l'opinion, nous l'avions constaté au moment de l'accident de Tchernobyl. Mon gouvernement a donc décidé de rapprocher la sûreté nucléaire et la radioprotection en réunissant les deux missions. Par la création en février 2002 de la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, la radioprotection et l'attention portée aux risques pour la santé ont été renforcées. Nous avons ainsi redonné de la crédibilité aux autorités publiques de contrôle et plus largement à la parole de l'État.

Parallèlement, nous avons lancé la création d'une autorité de contrôle indépendante. C'était indispensable car, dans l'opinion, se répandait l'idée que les organismes de contrôle placés sous l'autorité des gouvernements pouvaient être soumis à leur influence et ne pas être suffisamment crédibles. Pour des raisons administratives diverses, cette autorité indépendante, l'autorité de sûreté nucléaire, a finalement été créée par une loi le 13 juin 2006, donc après la fin de mon gouvernement, mais c'était le prolongement de notre initiative et cette loi a été votée de manière consensuelle à l'Assemblée nationale, comme au Sénat.

Nous avons préparé la nouvelle génération des centrales nucléaires. Dans la période 1997-2002, la France arrivait à la fin d'un cycle de 30 ans de construction de centrales nucléaires. Nous avons en effet mis en service commercial de nouvelles centrales, celles de Chooz et de Civeaux et nous avons poursuivi les études nécessaires pour préparer la génération future de centrales nucléaires, des réacteurs pressurisés européens (EPR) destinés à compléter ou remplacer les premières centrales nucléaires mises en production à la fin des années 1970. Nous avons renforcé les acteurs du nucléaire comme Cogema et Framatome, en réorganisant leur actionnariat. La filière française d'enrichissement et de retraitement était un leader mondial qui exportait son savoir-faire dans plusieurs pays, notamment en Allemagne et au Japon. Elle a été un moment fragilisé par le refus du gouvernement allemand de reprendre les déchets de son industrie nucléaire retraités à la Hague. Après une négociation difficile avec le gouvernement fédéral, dans laquelle je suis personnellement intervenu avec force auprès de Gerhard Schröder, le Chancelier allemand, nous avons obtenu la reprise des transports de déchets de la France vers l'Allemagne, ce qui restaurait des marges pour l'entreposage des déchets et a redonné de la visibilité aux industriels.

Nous avons également stabilisé l'actionnariat de Framatome, après le retrait de plusieurs industriels, dont Siemens, en l'adossant à Cogema, créant ainsi un industriel public dont la taille était adaptée aux investissements à venir, même si la structure a ensuite beaucoup bougé. Nous avons correctement intégré le système électrique français dans son environnement européen, conformément aux engagements pris par deux présidents, François Mitterrand, avec l'Acte unique, et Jacques Chirac, avec l'adoption de la directive européenne 1996. Le Parlement a ainsi adopté la loi de régulation de l'électricité du 10 février 2000, dite loi Pierret, ouvrant de façon limitée le marché français à la concurrence européenne. Nous l'avons fait en renforçant le service public de l'électricité, sans fragiliser la filière nucléaire. Nous avons maintenu le monopole, dit naturel, du réseau électrique au sein d'EDF, sous le contrôle d'une autorité indépendante de régulation et nous avons ouvert à la concurrence européenne la fourniture d'électricité aux gros consommateurs industriels, et à eux seuls. En outre, cette loi a mis en place le financement du service public d'électricité, permettant à tous d'accéder à cette énergie à un coût abordable. Ce dispositif, bien calibré pour la filière française, a d'ailleurs permis à EDF d'accroître ses positions en Europe et dans le monde en tirant parti de son avantage compétitif nucléaire. Quant aux décisions de régulation critiquées aujourd'hui, aucune, et notamment pas l'obligation faite à EDF de revendre l'électricité nucléaire à prix coûtant à ses concurrents, ne date de mon gouvernement ni ne peut trouver sa cause dans des décisions prises par lui.

J'espère vous avoir montré que, pendant cinq ans, nous avons agi avec esprit de responsabilité et prévoyance pour préserver la filière nucléaire et son avenir, sans affaiblir la souveraineté et l'indépendance énergétique de notre pays.

J'évoquerais maintenant plus brièvement les énergies fossiles, charbon, pétrole, gaz naturel, et la façon dont mon gouvernement les a appréhendées. Naturellement, la réalité du réchauffement climatique était connue, même si le rythme d'accélération du phénomène et la perception collective de ces dangers étaient moins aigus. Toutefois, les énergies fossiles représentaient encore à l'époque plus de 50 % de la consommation totale de la France, avec des secteurs comme les transports où aucune solution alternative n'existait à l'époque. Notre politique a donc consisté à marier la préparation de la transition énergétique vers des énergies non carbonées et la sécurisation de nos approvisionnements en énergie fossile. Nous avons donc réduit la consommation de charbon, la source la plus importante d'émissions de carbone dans l'atmosphère, nous avons fermé les mines de Carmaux, d'Alès et de Gardanne, tout en organisant le réaménagement des sites et la formation des enfants des mineurs à de nouveaux métiers. Nous avons également fermé la centrale à charbon de Penchot. Nous avons en outre sécurisé et diversifié nos approvisionnements pétroliers et gaziers par des accords avec des pays producteurs, notamment le Venezuela, l'Angola, l'Arabie saoudite et l'Iran, en obtenant même dans ces deux derniers pays un pourcentage garanti de certaines de leurs réserves. Nous avons travaillé à la création de nouvelles routes d'enlèvement de pétrole d'Azerbaïdjan, afin d'en sécuriser l'approvisionnement. Nous avons également participé à des négociations internationales avec les pays producteurs, afin de limiter la hausse potentielle des prix du pétrole et ce à des niveaux extrêmement bas. Il est vrai que c'était dans un tout autre contexte que celui d'aujourd'hui.

Dans ce secteur, nous avons là encore cherché à renforcer les acteurs. Ainsi, nous avons accompagné la fusion entre Total et Elf en 1999, alors que le duel fratricide des deux entreprises créait le risque d'une prise de contrôle par un industriel étranger. Si Total est aujourd'hui un acteur essentiel de la sécurité de l'approvisionnement pétrolier et gazier français, mais aussi désormais une entreprise engagée dans la transition énergétique, c'est bien parce que nous avons œuvré à la création de ce champion national doté d'une grande capacité d'investissement. Ce rappel de la volonté qui a été la nôtre de sécuriser nos approvisionnements tout en préparant la transition énergétique, me conduit, pour finir, à parler des énergies non carbonées.

Cinq ans après la conférence de Rio en 1992, la deuxième grande conférence internationale sur le changement climatique a eu lieu en décembre 1997 à Kyoto. Nos délégués ont été très actifs dans la négociation. La ratification du protocole de Kyoto fut opérée par la loi du 10 juillet 2000. Tirant les leçons de cette négociation, nous avons commencé à associer étroitement les scientifiques à nos équipes de diplomates, rattrapant ainsi un retard par rapport aux structures mises en place chez nos grands partenaires. Nous avons amorcé la transformation de l'action extérieure de la France en matière de développement durable. Ces idées seront reprises et mises en œuvre par nos successeurs. La jonction et la mobilisation de ces compétences seront utiles plus tard, lorsqu'il s'agira de négocier l'accord de Paris.

Toujours à Kyoto, la France a défendu le principe d'une taxe carbone et le soutien du financement de la transition dans les pays en développement. Si la taxe carbone n'a pas abouti à cause des divergences intereuropéennes, mon gouvernement a préparé, dès après Kyoto, la mise en place du marché européen des droits d'émission, qui est aujourd'hui l'instrument principal de la politique climat de l'Union européenne. Nous l'avons fait en associant les énergéticiens et les acteurs industriels français à la préparation de ce marché. En 1997, nous avons renforcé la mission interministérielle sur l'effet de serre. Placée auprès du Premier ministre, cette structure a joué un rôle majeur pour la mise en cohérence des politiques menées dans chaque département ministériel. Elle a montré que la lutte contre le changement climatique touchait tous les secteurs, agriculture, transport, où nous avons privilégié le rail, bâtiment, aménagement du territoire, économie numérique, etc. et qu'elle devait concerner chacun. Nous avons finalisé en 2000 le premier programme national de lutte contre le changement climatique, destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre sur la période 2000-2010. C'est l'ancêtre du plan climat.

Toujours en 2000, nous avons lancé un grand plan d'énergie pour répondre à la hausse des prix du pétrole mais aussi dans un but de lutte contre le réchauffement. Les moyens de l'ADEME ont augmenté de plus de 50 % dans les cinq années de mon gouvernement. En outre, sur une initiative parlementaire, le Sénat et l'Assemblée nationale ont adopté à l'unanimité, le 17 février 2001, la loi qui modifie le Code de l'environnement et qui dans son article premier confère à la lutte contre l'intensification de l'effet de serre et à la prévention des risques liés au réchauffement climatique le caractère de priorité nationale. Nous avons ainsi créé l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, chargé de collecter et de diffuser des informations et de formuler des recommandations à destination du gouvernement et du Parlement.

Si j'ai déjà longuement parlé de la première des énergies non carbonées, le nucléaire, nous étions conscients, dès 1997-2002 de l'ardente obligation de faire évoluer notre système énergétique national vers une complémentarité du nucléaire et des énergies renouvelables, pour progressivement remplacer les énergies fossiles. La première de ces énergies renouvelables est bien sûr l'hydraulique. Nous avons organisé la transformation de la Compagnie nationale du Rhône en producteur d'électricité hydraulique de plein exercice, en partenariat avec un autre énergéticien français, Suez, ce qui a sécurisé et stabilisé le secteur de l'hydraulique.

La deuxième ressource est l'éolien. Il était encore à l'époque à un stade embryonnaire. Nous avons adopté en 2001 un décret volontariste conduisant EDF à acheter l'électricité éolienne à un prix sécurisé à l'avance, 0,55 € par kilowattheure pendant cinq ans, puis une rémunération décroissante sur 10 ans.

En ce qui concerne l'énergie photovoltaïque, la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service de l'électricité a instauré un mécanisme d'obligation d'achat de la production d'électricité photovoltaïque, en vue d'intéresser les particuliers et de rentabiliser leur investissement. Plus globalement, c'est pendant la présidence française et sous son impulsion que l'Union européenne a adopté une directive fixant pour la première fois des objectifs chiffrés sur les énergies renouvelables (ENR). Sur le plan national, la loi d'aménagement et de développement durable du territoire de 1999, dite loi Voynet, a instauré les premiers exercices de prospective énergétique territoriale française. Il est vrai qu'ils ne survivront pas à l'alternance.

J'espère que cette introduction vous aura éclairés sur l'état d'esprit qui nous a animés pendant nos cinq années de responsabilité gouvernementale. Elle vous aura aussi rappelé les réalisations qui ont été les nôtres. Aujourd'hui, s'il m'est permis de nous projeter vers l'avenir, je me réjouis que la technologie prometteuse de la fusion nucléaire, dans le cadre du large projet international de recherche et d'ingénierie ITER, ait trouvé en France sa principale installation. J'y vois la reconnaissance de l'excellence française que nous nous sommes efforcés de servir. L'énergie est un secteur de l'activité humaine qui s'inscrit dans la longue durée mais où surgit parfois l'impératif de décision rapide. À ces deux échelles du temps, l'une qui implique la prévoyance, l'autre qui impose la réactivité, mon gouvernement a voulu servir le pays, œuvrer à la compétitivité de notre économie, améliorer le sort de nos concitoyens et sauvegarder la souveraineté et l'indépendance de la France.

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Merci beaucoup, Monsieur le Premier ministre, pour ce propos introductif précis et pour les travaux préparatoires qu'il reflète.

Quelle est la place de la question énergétique dans les priorités de votre gouvernement entre 1997 et 2002 ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

C'est une période pendant laquelle le gouvernement que je dirigeais et la majorité qui m'a constamment appuyé, ont agi sur des plans extrêmement différents. Nous nous sommes investis dans la lutte contre le chômage, qui était une priorité, dans l'élaboration de la loi sur les 35 heures, dans les emplois jeunes. Nous avons aussi agi dans domaines sociaux et sociétaux. En même temps, l'énergie constituait pour nous le soubassement sur lequel pouvait s'appuyer l'industrie française. Nous avons donc considéré que c'était un élément essentiel de notre politique. J'ai eu la chance d'être entouré par des conseillers et des conseillères de grande qualité, dont les noms sont connus, compte tenu des responsabilités qu'ils ont exercées. J'ai également eu un très bon ministre de l'Industrie, Christian Pierret. Il était secrétaire d'État parce que je tenais à un gouvernement resserré, mais il avait une fonction pleinement ministérielle. Je crois qu'il serait disposé à venir devant votre Commission car il est plus technicien que moi sur ces sujets. Malgré le temps que j'ai consacré à la préparation de cette audition, je n'ai pas relu l'intégralité du rapport Pellat.

L'énergie était donc un sujet essentiel pour mon gouvernement. Notre première annonce sur le sujet, la fermeture de Superphénix sur laquelle je suis prêt à revenir, a peut-être été à l'origine d'un quiproquo sur la tonalité de notre politique énergétique.

La politique industrielle que nous avons menée a conduit à la stabilisation les emplois industriels pendant cinq ans, indépendamment des mesures sociales que nous avons prises. C'est en parti dû à la capacité de l'infrastructure énergétique française, que nous nous sommes efforcés de servir.

Mes ministres, notamment Christian Pierret et Dominique Voynet qui ont beaucoup dialogué, mais aussi Dominique Strauss-Kahn et celui qui lui a succédé au ministère de l'Économie, ou encore Claude Allègre, physicien, qui s'occupait de la Recherche, ont été extrêmement attentifs à l'énergie.

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Au début de votre gouvernement, le protocole de Kyoto est adopté. Est-ce qu'il marque un tournant ou une poursuite de la manière dont sont appréhendés les gaz à effet de serre ? Comment le nucléaire est-il perçu dans la perspective de la lutte contre les gaz à effet de serre. À l'époque, on ne parlait pas encore de décarbonation.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Je ne parlerais pas d'une rupture. Depuis la conférence de Rio, nous étions dans un processus de prise de conscience. Cependant, avoir une ministre de l'Environnement importante, qui s'est investie dans la négociation du protocole de Kyoto, a positionné la France d'une certaine façon. Comme je l'ai dit, nous avons progressivement intégré des équipes scientifiques à nos diplomates, ce qui a changé la vision de la diplomatie française sur l'environnement. La prise de conscience était moins aiguë qu'aujourd'hui, nous ne pensions pas encore que nous étions dans la phase de l'accélération.

Quant au nucléaire, c'était une énergie non carbonée, avec des problèmes de production de déchets, de sécurité. C'est une énergie qui n'est pas dangereuse tant qu'elle est sûre. Des accidents ont démontré qu'elle pouvait être dangereuse. Le nucléaire jouait un rôle essentiel même si des enceintes comme Kyoto n'étaient pas celles où cet argument pouvait être développé avec le plus de lyrisme.

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Nous retrouvons des déclarations de cette époque dans lesquelles votre ministre de l'Environnement, Dominique Voynet, explique que le charbon peut être une énergie d'avenir pour se substituer au nucléaire considéré comme dangereux. C'est contradictoire avec la perception du nucléaire comme une énergie décarbonée.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Mme Voynet aurait dû répondre à cette question avant cette audition. Je lui laisse le soin de vous apporter une réponse sur ce point quand vous l'auditionnerez. Les données sur l'énergie nucléaire restent les mêmes et les effets du chardon sur le réchauffement climatique sont avérés.

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Dans votre propos introductif, vous avez présenté la décision de la fermeture de Superphénix comme une décision d'ordre industriel. Pourtant, des éléments font apparaître que le surgénérateur représentait un enjeu politique, puisque vous avez également précisé que sa fermeture figurait dans le programme commun. Celle-ci a également fait l'objet d'arbitrages interministériels puisque votre ministre de l'Économie et de l'Industrie, Dominique Strauss-Kahn, était favorable au maintien de Superphénix. Votre décision s'est-elle basée sur des données industrielles ou sur le nécessaire équilibre de la gauche plurielle ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

C'est une erreur profonde de se focaliser sur l'influence qu'auraient exercée les Verts sur le gouvernement que j'ai conduit pendant cinq ans. Je m'adresse ici à des députés qui sont au fait des réalités politiques. Je voudrais en rappeler une essentielle, qui touche à la majorité plurielle que vous avez évoquée.

Sur les cinq partis qui composaient la majorité plurielle constituée en 1997 avec une série d'accords bilatéraux, quatre étaient favorables au nucléaire : le PS, le PC, les Radicaux de gauche et le MDC. La majorité était composée de 314 députés dont 248 socialistes, 35 communistes, 14 Radicaux de gauche, 9 MDC et 8 Verts.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Nous avons le droit de rêver au passé pour préparer l'avenir, mais ne m'entraînez pas sur le terrain de la politique d'aujourd'hui.

Les Verts représentaient donc huit députés sur les 314 composant ma majorité. Si la politique que nous avons conduite avait été négative pour le secteur nucléaire français, j'aurais eu des problèmes à l'intérieur de ma majorité qui a été constamment cohérente sur les sujets de l'énergie. Les Verts n'ont en rien pesé négativement dans le domaine du nucléaire, même s'ils ne se sont pas ralliés à l'industrie nucléaire. Ils ont joué un rôle important sur la question de la sûreté, un rôle utile sur la question de l'indépendance des autorités de contrôle, même s'ils ont un peu hésité. En effet, ils se rendaient compte qu'un des effets d'une autorité de contrôle indépendante était la légitimation de ses observations et donc de la filière. Pendant un temps, ils ont sans doute été tentés de conserver la tutelle hiérarchique des ministères, à condition que celui de l'Environnement y occupe une place. Ils ont aussi contribué à aérer un secteur où les décisions technocratiques étaient l'usage, en insistant sur leur dimension démocratique pour qu'elles soient comprises par l'opinion. Enfin, ils ont été précieux sur les questions environnementales et de développement durable.

Je tiens à répondre à cette fable selon laquelle la présence d'une ministre et d'un secrétaire d'État Verts au gouvernement et de 8 députés sur plus de 300 aurait pesé négativement sur la politique énergétique de la France et en particulier sur sa politique nucléaire.

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Nous avons retrouvé la trace qu'un Conseil des ministres européen qui s'est tenu en 2000 à La Haye sur l'énergie et où la France aurait défendu une position défavorable au développement du nucléaire. La bataille sur la taxonomie trouve ainsi son origine à La Haye où Dominique Voynet représentait notre pays. Elle avait pour mandat de défendre le nucléaire, ce qu'elle n'a pas fait, en lien avec le ministre anglais, comme elle l'a dit publiquement.

Quelle était la nature du mandat que vous lui aviez confié à l'occasion de cette réunion ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Je comprends que vous faites allusion au mécanisme de développement propre. La vidéo dans laquelle la ministre s'exprime a été filmée après 2002. Je rappelle que sur ce mécanisme de développement propre, la France était isolée au sein de l'Union européenne. Les pays membres n'étaient pas favorables à ce que le nucléaire soit intégré dans ce mécanisme comme une énergie propre. Je pense que Mme Voynet surinterprète l'influence qu'elle a pu avoir dans ce domaine. Quoi qu'il en soit, le mécanisme de développement propre ne concernait que les pays en développement et les débats sur la taxonomie n'ont eu aucun effet sur le programme nucléaire français, contrairement à ce que vous avez suggéré.

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En 2002, le sommet de Barcelone, que vous avez préparé, décide d'une nouvelle étape dans l'ouverture à la concurrence dans le domaine de l'énergie. Il constitue le fondement de la politique de libéralisation du marché. Quel bilan tirez-vous de la position française et des choix qui ont été faits à cette époque ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

L'ouverture du marché de l'énergie est fondée sur une directive européenne de 1996 acceptée par le Président Chirac. La loi de 2010 transpose dans le droit français cette directive.

Dans la loi de 2000, dite « loi Pierret », nous avons transposé dans le droit français une disposition instaurant une ouverture limitée du marché, qui ne concernait que les gros consommateurs. Elle ne remettait pas en cause le service public de l'électricité, qui assure un tarif unique sur l'ensemble du territoire national, et la capacité d'investissement d'EDF n'était pas obérée.

Il n'est pas juste, sur le plan chronologique, de dire que le sommet de Barcelone est à l'origine de l'ouverture du marché. Il s'inscrit dans un processus d'ouverture progressive, avec l'élargissement aux PME, que nous nous efforçons de limiter.

Les lois de dérégulation, notamment de 2010, qui ont été votées après n'engagent en rien mon gouvernement.

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Vous avez dit dans votre propos liminaire que vous aviez restructuré et renforcé la filière électronucléaire, notamment avec la création d'Areva en fusionnant Cogema et Framatone. Comment avez-vous décidé d'installer Mme Lauvergeon à la tête de cet outil industriel ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

En période de cohabitation, comme vous le savez, les nominations sont souvent faites par le président de la République, sur proposition du Premier ministre. J'assume parfaitement la décision de nommer Mme Lauvergeon. De la même manière, c'est en parfait accord avec Jacques Chirac que François Roussely a été nommé président d'EDF, sur ma proposition. Mme Lauvergeon était parfaitement compétente et je ne vois pas pourquoi je devrais motiver le choix du président de la République et du Premier ministre.

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Quelle feuille de route le gouvernement a-t-il confiée à Mme Lauvergeon ? Nous savons qu'une forme de concurrence s'est installée entre Areva et EDF et a déstabilisé la filière électronucléaire française. En aviez-vous conscience au moment de la nomination de Mme Lauvergeon ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Des dirigeants d'entreprise développent des politiques. Areva a pensé qu'elle était en mesure de concevoir un nouvel ensemble nucléaire. Il est vraisemblable qu'il y ait eu compétition entre EDF et Areva. Les difficultés rencontrées par Areva en Finlande n'obèrent pas celles rencontrées par EDF sur l'EPR de Flamanville. Ce sont des questions que vous devez poser à ceux qui dirigeaient les entreprises à ce moment-là. Les difficultés que vous évoquées ne résultent pas des choix de nomination de personnes qui étaient au demeurant parfaitement compétentes.

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Le projet EPR était construit sur la base d'un partenariat fort entre la filière électronucléaire française et l'allemand Siemens. Pourquoi avoir mêlé Siemens à une filière qui était quasi exclusivement française ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Les études menées par EDF et Framatone sur un nouveau type de centrale plus efficace et plus sûre se sont poursuivies pendant la période où nous étions au gouvernement. J'ai lu sur Wikipédia que nous nous serions opposés à l'ouverture d'une centrale EDF. Pendant la période où je dirigeais le gouvernement, les études se sont poursuivies, EDF et Framatone ont travaillé sur le basic design d'un EPR sans aucune entrave.

Les études de sûreté ont été poursuivies. Je n'ai retrouvé aucune trace d'une demande d'EDF pour lancer une procédure de construction d'une centrale EPR à cette époque.

Sur Siemens, nous avons constaté un retrait progressif des Allemands, ce n'est pas nous qui avons introduit Siemens dans le projet.

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Au moment où vous avez pris la tête du gouvernement, il existait un projet de création d'une centrale au Carnet, en aval de Nantes. Ce projet ne verra jamais le jour. Avez-vous demandé à EDF de renoncer à ce projet, le maire de Nantes y étant opposé ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

EDF n'a déposé aucune demande de création d'un EPR entre 1997 et 2002. Je n'ai lu cette information que sur Wikipédia.

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Avez-vous connaissance d'autres projets de construction de réacteurs, comme ceux de Palier N4, ou de réservation d'un site ? EDF avait-elle l'ambition de réserver un site pour un développement futur ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Si cette ambition a existé, elle n'a pas été portée à ma connaissance. Vous pourrez poser cette question à Christian Pierret si vous décidez de le convoquer. François Roussely n'a jamais formulé de demande de réservation d'un site pour l'installation future d'un EPR, que ce soit de manière officielle ou officieuse. À cette période, EDF était davantage préoccupée par ses problèmes de maintenance du parc nucléaire et par son expansion internationale. Je pense qu'EDF se satisfaisait que les études soient menées, qu'elles soient accompagnées par des analyses de sûreté, pour être en mesure de lancer une procédure d'installation d'EPR le moment venu. La décision de lancement d'un EPR a été prise en 2004 et les travaux de l'EPR de Flamanville ont commencé en 2007.

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Merci M. le Premier ministre pour votre disponibilité. Notre commission est très honorée de vous recevoir et vous remercie de la grande clarté des réponses que vous lui avez apportées.

Ma première question porte sur l'accord électoral passé en 1997 entre le parti socialiste et les Verts, puisque notre commission a pour objectif de comprendre les processus qui ont mené aux décisions prises par votre gouvernement en matière énergétique.

Le 1er mai 1997, dans un entretien à la presse, Dominique Voynet évoque comme première mesure qu'elle prendrait au sein d'un gouvernement de gauche et écologiste, la fermeture de Superphénix.

Quelle est la place, pour les Verts, de la fermeture de Superphénix au moment de la négociation de l'accord politique avec le parti socialiste ? Est-ce un point non négociable ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Je n'en ai aucune idée, dans la mesure où je n'ai pas mené ces négociations qui ont été conduites par Pierre Moscovici. Le PS travaillait sur ces questions avec un groupe d'experts qui suivaient les problèmes énergétiques et les questions scientifiques. Au-delà de ce que nous avons découvert et mis en œuvre quand nous étions au gouvernement, nous ne voyions pas d'avenir industriel prospère au surgénérateur. J'ajoute qu'aucun ministre, même de l'environnement et Mme Voynet ne l'était pas encore, n'avait pas la capacité de fermer Superphénix. C'est une décision qui ne pouvait être prise que par le gouvernement lui-même et par le Premier ministre.

L'analyse que j'ai faite avec mes conseillers, avec Dominique Strauss-Kahn, Claude Allègre, Martine Aubry pour les questions de sûreté et Christian Pierret, m'a conduit à penser que cette filière ne pourrait pas prospérer. Elle n'a d'ailleurs pas prospéré depuis.

Je ne sais pas exactement dans quels termes vous posez le problème mais je rappelle que nous pouvions aller aux élections législatives sans accord avec les Verts. Je me suis réjoui de la conclusion d'un accord avec ce parti mais à aucun moment l'abandon de Superphénix a été une condition de la signature de cet accord qui ne nous gênait pas. Par ailleurs, il prévoit un moratoire sur le MOX. Or, mon gouvernement a moxé dix nouvelles tranches nucléaires, avec l'accord de Dominique Voynet. Cet accord n'a pas posé de problème aux autres composantes de la majorité plurielle et n'a pas entravé l'action gouvernementale. Il ne faut donc pas accorder à des décisions politiques plus de poids qu'elles n'en ont.

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Je vous remercie et je note que la fermeture de Superphénix n'était pas une condition indispensable à un accord entre le parti socialiste et les Verts.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

J'ai dit que ce sujet n'était pas pour nous un point fondamental.

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Est-ce que pour les Verts, Superphénix constituait un point dur de la négociation de l'accord politique avec le parti socialiste ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Je ne peux pas m'exprimer au nom des Verts. À partir du moment où nous étions d'accord pour prendre cette position, nous l'avons annoncée publiquement. Le débat s'est poursuivi au sein du gouvernement, non pas sur la décision qui avait été prise et annoncée, notamment dans ma déclaration de politique générale, mais sur le délai dans lequel elle serait appliquée.

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Je dois, M. le Premier ministre, vous exprimer mon désarroi. La décision de fermer Superphénix figure dans un accord politique entre le PS et les Verts. Vous dites que la direction du parti socialiste a suivi ce sujet de près. Vous avez également indiqué que vous aviez décidé de fermer Superphénix pour des raisons industrielles. Or, le second tour des élections législatives s'est tenu le 1er juin 1997. Le 17 juin 1997, vous annoncez, dans votre déclaration de politique générale, la fermeture du surgénérateur. Vous êtes, M. le Premier ministre, la quarante-septième personnalité que nous auditionnons. Pour l'ensemble des personnes que nous avons interrogées, à l'exception de Mme Lepage, la fermeture de Superphénix n'avait pas de fondements industriels.

Comment, en 16 jours, avez-vous pu, avec l'ensemble des administrations et des entreprises concernées, prendre une telle décision sur un fondement industriel, qui ne semble pas évident pour la quasi-totalité des personnes que nous avons interrogées ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Vous pensez que les personnes qui ont exprimé ce point de vue sont convaincues que cette filière existerait et produirait de l'électricité.

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Je ne suis pas d'accord sur le résumé des auditions effectué par le rapporteur.

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Mme Laernoes, vous aurez la parole tout à l'heure.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Je dois conclure, qu'à une exception, toutes les personnes que vous avez auditionnées considèrent que le surgénérateur de Creys-Malville fournirait de l'électricité en France. Est-ce votre opinion ?

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En tant que rapporteur de la Commission, je rendrai un rapport dans lequel je donnerai mon opinion. Ce n'est pas la question que je vous ai posée. Je vous ai posé une question très simple. Sur quels fondements industriels avez-vous pris la décision de fermer Superphénix ? Si certains membres de la Commission ne sont pas d'accord avec ce que j'ai retenu des auditions, ils pourront l'exprimer. À l'exception de Mme Lepage, toutes les personnes que nous avons interrogées ont estimé que la fermeture de Superphénix ne se justifiait pas. Je joue mon rôle de rapporteur en confrontant les différents points de vue. Qui avez-vous reçu, quels conseils vous ont donné les administrations, sur la base du fonctionnement industriel de Superphénix, qui était un projet de recherche ? Quelles sont les raisons techniques qui ont présidé à ce choix ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Il y a une mauvaise habitude dans certains milieux français consistant à penser qu'un projet arrêté, sur lequel il est difficile de porter un véritable jugement, aurait été la solution miracle. C'est la tonalité de « l'enquête » publiée par le Point sur ce sujet qui affirme que le surgénérateur était la filière miracle. Je ne tomberais pas dans cette analyse. L'équipe autour de moi était parfaitement en mesure d'examiner, en deux semaines, les éléments scientifiques et techniques concernant cette filière.

Par ailleurs, cette filière dont le développement a été chaotique, comme le rappelle l'article du Point, débouchait sur des arrêts constants, représentait un coût financier considérable pour EDF et les développements ultérieurs n'ont pas prouvé, dans les pays développés qui font preuve de transparence contrairement à la Russie, qu'elle pouvait prospérer.

La mise en œuvre de la décision a pris plusieurs mois. J'avais auprès de moi un certain nombre d'hommes et de femmes d'une grande qualité et des ministres parfaitement capables d'évaluer la situation entre ma nomination et ma déclaration de politique générale.

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Pourquoi ne pas avoir consulté le Parlement sur une décision aussi importante pour notre filière nucléaire ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Je n'ai pas consulté le Parlement pour engager les 35 heures, j'ai débattu avec le Parlement. Je vous rappelle qu'à l'époque où je gouvernais, la vie politique se déroulait au Parlement, entre le Premier ministre et les groupes parlementaires, de la majorité comme de l'opposition. Pendant les cinq ans de mon gouvernement, la scène centrale de la vie politique française était le Parlement. Je suis certainement le Premier ministre qui a le plus, non pas consulté le Parlement, mais engagé des débats avec le Parlement, à partir des fondements qui articulaient la politique de la majorité et des critiques ou des controverses engagées par l'opposition.

Je n'avais pas à consulter le Parlement sur une décision relevant du pouvoir exécutif.

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Ma prochaine question porte sur le futur EPR. Elle est issue d'un entretien entre Mme Voynet et un conseiller. Vous avez rappelé qu'EDF ne vous avait pas soumis de proposition formelle pour la construction d'un EPR. Ce conseiller dit que Mme Voynet était très opposée à la construction d'un EPR et aurait menacé de démissionner si vous autorisiez cette construction. Il ajoute que vous vouliez qu'elle reste au gouvernement, que vous l'estimiez en tant que ministre, que vous n'aviez pas d'avis sur l'EPR et que vous avez suivi celui de Mme Voynet.

Quand s'est posée la question de la relance de la filière nucléaire, les Verts ont-ils mis leur poids politique dans la balance et menacé de démissionner ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Vous relatez un échange qui a eu lieu entre un conseiller et sa ministre.

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Non, c'est un conseiller qui relate des échanges entre vous et la ministre.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Comment un conseiller peut-il relater un tel échange ?

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Si cet échange n'a jamais eu lieu, vous pouvez le dire. Au-delà de savoir si ce sont des propos exacts, sont-ils représentatifs des échanges que vous avez pu avoir avec Mme Voynet sur les questions nucléaires ? Au sein de votre gouvernement, l'option antinucléaire portée par les Verts était-elle suffisamment forte pour qu'ils mettent en balance leur démission au moment où ce type de décision était à l'étude ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

M. le rapporteur, je pensais avoir fait justice de cette vision de la situation dans mon intervention. Est-ce que je dois vous rappeler qu'il y avait 8 députés Verts dans une majorité qui en comportait plus de 300 ? Vous laissez entendre que le poids des Verts m'aurait conduit à mener une politique antinucléaire.

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Je relate simplement des propos M. le Premier ministre.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Vous avez fait votre propre commentaire.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Le poids relatif des Verts dans la majorité plurielle était ce que j'ai déjà décrit. Il y avait 4 partis favorables au nucléaire, qui auraient été opposés à une politique antinucléaire. Je pensais avoir été clair. Ce ne sont pas les propos supposés entre un conseiller et sa ministre qui sont de nature à changer la nature de la situation.

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Je vous remercie. Vous avez mentionné deux limites au nucléaire : la sécurité d'approvisionnement, avec l'idée de diversifier le mix électrique, et celle des pointes. Vous avez dit que le nucléaire, contrairement à d'autres sources d'énergie, ne permettait pas de passer les périodes de pointe. Je ne comprends pas pourquoi le nucléaire ne pourrait pas être activé en pointe de consommation.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Je rappelle que je ne suis pas un technicien du nucléaire, que je ne suis pas ingénieur des Mines, même si j'ai été amené à travailler récemment sur ces questions pour préparer cette audition. D'après ce qui m'a été dit, la plupart des autres pays nucléaires utilisent peu cette énergie pour faire face aux périodes de pointe et préfèrent avoir recours à d'autres sources d'énergie. Les centrales nucléaires ont en principe des programmations relativement longues et les utiliser en période de pointe ne permet pas d'optimiser leur fonctionnement. Il est préférable d'utiliser d'autres sources d'énergie dans ce contexte.

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Sur le projet de stockage des déchets nucléaires à Bure, pouvez-vous nous dire comment s'est déroulée la prise de décision au sein de votre gouvernement ? Avez-vous été confronté à des oppositions ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Quand nous avons abordé cette question, nous l'avons fait dans l'esprit de garder ouvertes plusieurs options. Je ne me souviens pas de difficultés au sein du gouvernement. En revanche, les rapports avec les collectivités locales et les élus ont été difficiles. Leur degré d'acception nous a beaucoup occupés. Nous avons été heureux d'aboutir à un projet à Bure dans la Meuse.

À l'intérieur du gouvernement, le ministre de l'Éducation nationale et de la Recherche, Claude Allègre, était très favorable à entreposer les déchets en surface, considérant que cette solution était celle offrant la meilleure réversibilité, même si le projet est conçu pour que l'entreposage en profondeur soit réversible. Je souligne que ce projet est toujours au stade de l'expérimentation et que le site n'accueille pas encore de déchets en nombre. La position de Claude Allègre était valable mais discutable du point de vue de la sécurité internationale, les déchets étant plus facilement accessibles. Finalement, le choix d'enfouir les déchets à Bure a emporté l'adhésion du gouvernement.

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En 2000, vous avez commandé à Jean-Michel Charpin, Commissaire au Plan, Benjamin Dessus, directeur au CNRS, et René Pellat, Haut-commissaire à l'Énergie atomique un rapport sur les options énergétiques du pays, avec deux scénarios qui ne sont pas sans faire penser à l'exercice mené récemment par RTE. Le premier est un scénario de forte consommation, à plus de 700 TWh, le second un scénario de faible consommation autour de 500 TWh.

Quelle était votre vision de la politique énergétique à développer pour atteindre pas seulement les prévisions de consommation mais les objectifs que le pays pouvait se donner en termes de consommation d'électricité pour poursuivre la réindustrialisation du pays ?

Certaines des personnes que nous avons reçues ont parlé d'illusion surcapacitaire, d'autres ont considéré que la France exportait trop d'électricité et qu'il n'était pas utile d'en produire davantage. Quelles étaient vos réflexions prospectives à 20 ou 30 ans pour combler le potentiel besoin de production électrique ou d'énergie décarbonée ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Plusieurs gouvernements, avant et après le mien, ont estimé qu'il y avait eu, en raison de la réaction puissante au choc pétrolier de 1973, une surestimation de ce que seraient les taux de croissance économique dans le monde et en Europe et donc le niveau de consommation d'électricité ou d'énergie par l'industrie et les transports. Ils ont estimé que la France disposait de capacités suffisantes. Certains gouvernements, avant et après le mien, ont même évoqué la nécessité de faire baisser le pourcentage du nucléaire dans la production électrique française.

Je n'ai jamais fait de déclaration disant que le nucléaire devait être ramené à tel ou tel pourcentage, je ne me suis jamais exprimé sur ce sujet. Mon approche était de poursuivre le développement du nucléaire. Nous arrivions à la fin du cycle des centrales construites à partir de la fin des années 1970 et nous pensions que l'EPR prendrait la suite, même s'il était au stade des études. Nous espérions aussi développer davantage les énergies renouvelables.

Je ne me souviens pas d'un moment où j'aurais défini ce que devaient être l'équilibre et le degré de développement de l'énergie française sur les trente prochaines années.

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Pendant votre mandat, vous avez été amené à faire des choix pour renforcer la souveraineté énergétique du pays. Je vous interrogerai sur ces choix qui m'interrogent. Auparavant, je souhaite revenir sur l'échange que vous avez eu avec le rapporteur sur Superphénix car j'estime qu'il subsiste une grande confusion. Vous avez dit que le programme politique négocié avec les Verts avait été arbitré par M. Moscovici. Pourtant, dans votre introduction, vous avez affirmé que le sujet de Superphénix avait été soumis à l'arbitrage des Français. Je ne comprends comment, en tant que chef de cette coalition, vous pouvez considérer que vous n'avez pas arbitré mais que les Français l'ont fait.

Par ailleurs, je ne pense pas que Superphénix ait été au cœur de l'élection de 1997 qui portait surtout sur les réformes sociales engagées par Alain Juppé. Vous n'avez pas clairement répondu sur la fermeture de Superphénix et je viens en support du rapporteur. L'ensemble des physiciens du nucléaire ont affirmé que le surgénérateur n'était pas un échec industriel ni technologique. C'était un prototype industriel, donc affirmer qu'il devait être fermé à cause de son parcours chaotique, c'est aberrant d'un point de vue d'ingénierie. Par définition, un prototype est chaotique. Plus on avance dans l'expérimentation d'un prototype, plus la production est assurée et plus les défauts techniques sont corrigés. Vous avez annoncé sa fermeture au moment où sa production d'électricité est à son maximum, avec un taux de charge de 35 %.

Vous dites également que le surgénérateur était une aberration financière. Par définition, l'ensemble des coûts d'investissement étaient réalisés au moment de votre décision, soit 35 milliards de francs. J'ajoute que sa fermeture, de mémoire, coûtera entre 10 et 16 milliards de francs à EDF. Avec un taux de charge de 35 %, il était possible de dégager sur 40 ans entre 300 et 400 millions de francs. Votre décision n'obéit donc pas à des considérations financières, je ne comprends pas comment vous avez rendu cet arbitrage dans le délai évoqué par le rapporteur sans tenir compte de considérations politiques. Cette décision représente un coût pour la société de 10 milliards d'euros.

De la même façon, vous dites que les sociétés occidentales n'ont pas poursuivi leurs expérimentations dans cette quatrième filière. J'y vois deux incohérences. Vous avez dit qu'après les accidents nucléaires aux États-Unis et à Tchernobyl, avec des conséquences sur les opinions publiques occidentales, nous avions assisté à une fermeture du nucléaire. Entre les années 1990 et aujourd'hui, nonobstant l'EPR dont le design était fixé, il n'y a eu aucune percée technologique. Toutes les démocraties occidentales se sont malheureusement retirées de l'expérimentation industrielle de nouvelles filières nucléaires de 4e génération. Les dictatures que vous avez citées ont malheureusement repris notre avance. Vous semblez oublier que la France disposait d'une avance inédite parmi les démocraties occidentales. Si aucun autre pays n'a pris le relais de la France, c'est parce que notre pays disposait d'une réelle avance. Vous avez évoqué le Japon mais la recherche japonaise sur la quatrième génération dépendait du projet français. On ne peut donc pas reprocher au Japon de ne pas avoir poursuivi les recherches puisque nous l'avons lâché.

Je ne comprends pas non plus quand vous dites que cette filière n'a pas prospéré alors que, dans le même temps, vous considérez qu'elle aurait dû prospérer avec le réacteur Astrid dont vous semblez regretter l'abandon.

Votre gouvernement a pris de nombreuses décisions de politique industrielle, notamment avec le début du démantèlement du conglomérat Alcatel Alstom. Avez-vous eu à connaître de la privatisation de 52 % de son capital en, je crois, 1998 ou 1999 ? En 1999, Alstom a décidé de vendre à General Electric ses turbines produites à Belfort et a rencontré des difficultés avec ABB (ASEA Brown Boveri). Êtes-vous intervenu dans les décisions prises par Alstom ou ont-elles été prises sans votre consentement ?

De la même manière, en 2000, Framatone a vendu à General Electric les activités Thermodyn du Creusot, qui sont essentielles pour le nucléaire et pour la flotte militaire et dont une partie de l'usine est sous secret-défense. Avez-vous eu à connaître de cette décision favorable aux Américains ?

Dans le secteur pétrolier et gazier, vous avez mentionné le rapprochement entre Elf et Total. Pourquoi avez-vous renoncé à mettre en place un mécanisme d'actionnariat populaire ou à prendre une participation importante de l'État dans ce qui deviendra Total ?

Vous avez parlé d'un certain nombre de contrats pétroliers susceptibles de renforcer notre souveraineté avec l'Iran, l'Arabie saoudite et le Venezuela. Considérez-vous que notre souveraineté soit renforcée en mettant notre destin dans les mains de régimes autoritaires ?

Enfin, sur la conférence de Kyoto, pourquoi avez-vous choisi comme date de référence 1990, qui est une date défavorable à la France parce que les efforts de décarbonation de notre électricité se déroulent au cours des années quatre-vingt alors que d'autres pays, notamment l'Allemagne avec l'intégration de l'Allemagne de l'Est, rencontrent des difficultés pour décarboner. Il aurait sans doute été plus juste pour France d'intégrer dans le protocole de Kyoto ses efforts de décarbonation.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

M'autorisez-vous à poser une question à M. le Député ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Pensez-vous que la filière Superphénix, si le prototype de Creys-Malville n'avait pas été arrêté, aurait débouché ? Quelle est votre conviction ?

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Je ne sais pas, M. le Premier ministre, si vous posez une vraie question ou une question rhétorique. Je laisse M. Tanguy réagir s'il le souhaite.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Pourquoi parlez-vous de rhétorique ?

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Je ne suis ni ingénier ni physicien mais je pense ce projet aurait permis à la science et à la technique d'avancer. Elles peuvent aussi progresser par l'échec et je considère que tout projet de recherche appliquée présente un intérêt quand il est suivi sur plusieurs années. Il existe de nombreux progrès en physique qui sont nés d'incidents ou de hasards, notamment au CERN. Un prototype peut fournir des résultats imprévus et il est certain qu'une filière ne peut pas naître quand elle est arrêtée.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Dans le domaine de la science, je suis prêt à vous entendre. Superphénix était à la fois un prototype de recherche et à visée industrielle, dont le coût était considérable. S'il avait été uniquement dans le champ de la recherche, les recherches auraient été poursuivies comme elles le sont avec ITER sur la fusion. Nous ne savons pas si ITER aboutira en 2035 ou en 2045. De nombreux pays acceptent de dépenser des sommes importantes dans une technologie future et dans une recherche qui est d'abord fondamentale.

Superphénix était une centrale et non seulement un prototype de laboratoire. Les coûts financiers pour EDF étaient considérables et ce prototype n'a pas été pensé avec les industriels, tout en devenant une centrale qui avait des objectifs industriels.

J'ajoute que vos critiques seraient plus recevables si cette filière avait prospéré dans d'autres pays. Vous dites que les États-Unis et le Japon ont arrêté leurs propres recherches à cause de la décision française mais les États-Unis disposaient de tous moyens pour développer cette technologie. Tous ceux qui m'ont conseillé sur ces questions m'ont assuré que les recherches dans le domaine du nucléaire ne portaient pas sur cette filière. Quant à la Russie et à la Chine, nous ne savons pas dans quelles conditions ils ont développé leur propre surgénérateur car ce sont des régimes opaques. Par ailleurs, un grand expert, que j'ai rencontré il y a peu de temps, m'a dit que les Russes travaillaient sur toutes les filières et qu'ils n'étaient pas passés à l'échelon industriel pour le surgénérateur, ce qui le faisait douter des résultats de cette technologie.

Je considère donc que les fondements sur lesquels nous avons pris notre décision sont aujourd'hui toujours valides.

Je n'ai à aucun moment regretté l'abandon d'Astrid, j'ai dit qu'Astrid, relancé en 2010 avait été abandonné mais je n'ai émis aucun commentaire sur ce sujet. Je le voyais comme un argument à l'appui de ma thèse.

À propos de la négociation avec les Verts, vous avez levé une ambiguïté. Si je n'ai pas participé aux discussions qui ont été conduites par Pierre Moscovici, j'ai été pleinement associé au résultat et je l'ai approuvé. Je n'ai pas à vous rappeler ce que sont les discussions politiques qui ont porté sur l'énergie, les 35 heures, les sièges, etc. et nous avons soumis aux Français un ensemble de propositions.

Vous avez dit que Superphénix n'était pas au cœur des préoccupations des Français. C'est vrai et ce sujet n'était pas non plus au cœur de nos propres préoccupations au moment de la négociation de l'accord politique.

Sur le démantèlement d'Alstom, je me tourne vers le président et vers le rapporteur. C'est la première fois que je suis interrogé par une Commission d'enquête mais si vous voulez poser des questions techniques à d'anciens Premiers Ministres ou Présidents de la République, je vous invite à les transmettre au préalable pour obtenir des réponses précises, sauf si ces questions ont pour objectif de les embarrasser.

Je ne suis pas un technicien du nucléaire, je n'ai pas été ministre de l'Industrie, je n'ai pas été formé à l'École des Mines. J'ai gouverné un pays pendant cinq ans, de façon relativement efficace et en tout cas honorable. J'ai eu à rendre des arbitrages, j'ai beaucoup travaillé avec mes très bonnes équipes, je me suis imprégné de beaucoup d'éléments mais je ne suis pas en mesure de répondre plus de vingt ans après de façon précise à une question technique, sauf si elle m'a été soumise à l'avance.

Je suis aussi un de vos pairs, c'est-à-dire un ancien homme politique, un ancien élu du peuple et un ancien responsable d'État. Sur ce terrain, j'ai un certain nombre de choses à dire et mon objectif est de vous éclairer sur les motifs de nos choix et sur les actions que nous avons menées.

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Merci beaucoup, M. le Premier ministre, pour toutes les informations très précises que vous nous avez apportées et qui témoignent d'une grande mémoire des événements et d'un gros travail de préparation.

Je retiens de la période 1997-2002 plusieurs éléments positifs puisque cette Commission d'enquête a pour objectif de mettre en lumière ce qui a conduit à la perte de souveraineté énergétique de la France mais aussi de dire ce qui a pu la conforter.

Je souligne que vous avez, au cours de votre mandat, renforcé et centralisé les administrations chargées du contrôle des installations nucléaires, avec la création, en 2002, de la Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, qui a repris les activités de la Direction de la sûreté des installations nucléaires, du bureau des rayonnements de la Direction générale de la santé, d'une partie de celles de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants et de la Commission interministérielle des radioéléments artificiels, préfigurant la création de l'ASN, devenue autorité administrative indépendante en 2006. L'ASN est extrêmement précieuse dans le suivi de nos installations et nous nous reposons sur elle pour l'ensemble des décisions concernant la filière. Elle crée aussi la confiance que nous avons dans le nucléaire français. Cette démarche a aussi permis de mettre en place un contrôle indépendant d'EDF, en attendant qu'il soit indépendant du pouvoir politique, dont nous mesurons l'importance dans le contexte de la réflexion autour d'un nouveau programme d'EPR, du grand carénage ou de la prolongation au-delà de 50 ans de la vie des centrales et du suivi des cas de corrosion sous contrainte.

Sur la question de l'absence de lancement de nouveaux projets de construction de réacteur sous votre gouvernement, vous avez souvent répondu qu'à la fin de votre mandat, le réacteur le plus ancien, Fessenheim, n'avait que 24 ans et que la question du remplacement des centrales n'était pas encore posée. Pour autant, vous avez poursuivi les études sur le programme EPR et vous avez assumé plusieurs fois, au cours de cette audition, l'abandon du programme Superphénix, au regard de choix politiques mais aussi en vous appuyant sur l'immaturité des technologies mises en œuvre et leur non-viabilité économique. J'ajoute que l'abandon d'Astrid en 2019 valide a posteriori votre analyse et vous donne raison.

Je n'ai pas les mêmes souvenirs que le rapporteur quand il dit que toutes les personnes que nous avons auditionnées considèrent que l'arrêt de Superphénix repose uniquement sur des motivations politiques. Celles qui l'ont affirmé n'ont pas écarté l'existence d'éléments industriels. Cependant, je n'ai pas assisté à toutes les auditions.

Vous avez également initié, de manière assez pionnière, un plan de développement des énergies renouvelables, avec l'adoption du programme national de lutte contre l'effet de serre qui fixait un objectif de 3 000 MW en électricité éolienne. Qu'est-ce qui vous a poussé dans cette direction ? Avez-vous imaginé, que près de 25 ans plus tard, l'Assemblée nationale voterait un texte d'accélération des énergies renouvelables ?

Enfin, c'est sous votre gouvernement que le décret obligeant les distributeurs d'électricité à acheter l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables pour toutes les installations d'une puissance inférieure à 12 MW a été publié. Ce mécanisme a depuis évolué, à travers différents textes, notamment la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Il a permis de conforter les installations d'énergies renouvelables et contribue aux recettes de l'État, payant ainsi une partie du bouclier tarifaire. Il participe aussi de la souveraineté énergétique de la France.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises votre souci de ne pas mettre EDF en danger sur le plan financier pour que l'entreprise ait la capacité de maintenir notre souveraineté énergétique et de contribuer à la péréquation tarifaire.

Vous avez indiqué que la directive européenne sur l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie n'avait été transposée en droit français qu'en 2010. Ce sujet a-t-il été évoqué pendant votre mandat et avez-vous été tenté de prendre cette direction ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Vous avez eu raison d'insister sur l'indépendance du contrôle de la sûreté nucléaire. C'était une décision fondamentale, parce qu'il était nécessaire, pour une industrie aussi particulière, que nous soyons certains de l'absence de conflit d'intérêts et de l'existence d'une séparation entre ceux qui prenaient les décisions ou assuraient le fonctionnement des centrales, et ceux chargés d'évaluer la sécurité. Cette décision, qui a pu être critiquée notamment par ce que l'on appelle parfois de façon indistincte le « lobby nucléaire », a légitimé d'une certaine façon l'option nucléaire. Si l'opinion française est aujourd'hui plutôt favorable au nucléaire, elle a aussi, à une autre époque, exprimé des doutes. Il est évident que la position des Français n'est pas la même après Tchernobyl et pendant la guerre en Ukraine qui a provoqué la flambée des prix du pétrole et du gaz. L'opinion bouge et réagit avec une forme de bon sens.

À l'époque où je dirigeais le gouvernement, le remplacement de centrales et la construction de nouvelles centrales ne semblaient pas s'imposer, compte tenu de l'évolution de la production et de la consommation d'électricité. Il était plus rationnel d'attendre le développement de nouvelles technologies, c'est-à-dire l'EPR.

La loi sur l'accélération des énergies renouvelables que vous avez évoquée montre que nous n'avons pas suffisamment avancé en vingt ans.

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Nous sommes aujourd'hui dans un nouveau format d'audition puisque le président et le rapporteur ont pris comme source une vidéo du lobby pro-nucléaire pour poser une question et ont rapporté des propos de M. Laponche que nous aurions pu auditionner, ce qui nous aurait permis d'entendre une personne ouvertement antinucléaire, alors que, jusqu'à maintenant, nous n'avons reçu que des personnes plutôt favorables au nucléaire. Le rapporteur a également généralisé les propos des personnes auditionnées sur Superphénix. Pourtant, M. Bréchet du CEA renvoie à un livre, M. d'Escatha à EDF, M. Colombani ne dit rien sur les aspects techniques, etc.

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Mme Laernoes, un ancien Premier ministre est à votre disposition pour répondre à vos questions. Libre à vous d'utiliser votre temps de parole pour vous adresser au président et au rapporteur mais vous ne vous plaindrez pas quand je vous demanderai de conclure votre intervention.

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Vous avez affirmé qu'aucun acteur n'avait évoqué les problèmes techniques, financiers et juridiques de l'arrêt de Superphénix et M. Jospin a été interrogé sur le rôle des Verts et des accords électoraux dans cette décision. Par ailleurs, il me semble que le Parlement a été éclairé sur les conditions de fermeture du surgénérateur en 1998.

Dans une récente interview au Point, vous avez dit, Monsieur le Premier ministre, que votre gouvernement n'avait jamais fait les poches de cette grande entreprise, EDF, pour assurer les fins de mois du budget de l'État, contrairement à certains gouvernements qui ont succédé au vôtre.

Pouvez-vous préciser la manière dont vous avez traité EDF ? Par ailleurs, les accords électoraux sont-ils uniquement des accords électoralistes ou permettent-ils à plusieurs formations politiques de discuter du fond d'un certain nombre de problématiques et d'apporter des éclairages techniques et rationnels qui entraînent une décision collective, notamment sur Superphénix qui souffrait de défauts techniques majeurs ?

Dans votre propos liminaire, vous avez mis des guillemets à la notion de « souveraineté et indépendance énergétique de la France ». D'autres personnes auditionnées ont interrogé cette notion, dans la mesure où nos énergies fossiles sont toutes importées, comme l'uranium.

Vous avez également fait état de différents contrats bilatéraux pour assurer l'approvisionnement énergétique de la France. Valent-ils indépendance et souveraineté énergétique ?

Sur les énergies renouvelables, votre gouvernement s'est-il intéressé à l'électricité hydraulique ? Vous avez mentionné la création d'une filière d'énergie éolienne et l'utilisation de panneaux photovoltaïques. Pensiez-vous que l'hydroélectricité et le nucléaire étaient suffisants en termes d'énergies décarbonées ?

Enfin, les efforts de diminution de la consommation nous rendent moins dépendants. C'est un sujet que vous n'avez pas du tout évoqué. Votre gouvernement s'est-il intéressé à la diminution de la consommation d'énergie ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

En vous écoutant, j'ai repensé à une question d'un précédent intervenant à laquelle j'ai oublié de répondre. Nous avons conclu des accords d'approvisionnement en pétrole avec l'Arabie saoudite, le Venezuela et l'Iran. Si nous devions déterminer notre politique énergétique uniquement sur le fondement de savoir si les pays qui exportent du pétrole et du gaz sont des pays démocratiques, nous aurions un vrai problème d'approvisionnement. Je pense néanmoins qu'aujourd'hui, nous ne signerions pas un accord avec l'Iran si nous étions au gouvernement. À l'époque, le régime des ayatollahs était le même, mais nous n'étions pas face à des répressions violentes. Les contextes ont changé. Tout gouvernement serait confronté à des choix difficiles s'il devait utiliser vos critères.

Sur EDF, je me suis en effet laissé aller, agacé par la mauvaise foi de l'enquête du Point. Quand je dirigeais le gouvernement, nous n'avons jamais demandé de financement à EDF. Ce n'est pas le cas depuis. Par ailleurs, quand nous étions aux responsabilités, l'endettement d'EDF s'élevait à 25 milliards d'euros. Il est aujourd'hui de plus de 50 milliards d'euros. Nous avons permis à EDF de travailler, sans la contraindre financièrement.

J'ai été surpris, non pas par l'évocation de cette vidéo, à laquelle je m'attendais, mais pas à celle d'une conversation entre une ministre et un conseiller.

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Ce n'est pas ce que j'ai dit Monsieur le Premier ministre.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Vous avez évoqué une conversation entre une ministre et moi, rapportée par un conseiller. Son propos était assorti de commentaires, y compris sur moi. Je ne m'attendais pas à une question de ce niveau mais j'ai essayé d'y répondre. Sur un certain nombre de sujets, notamment sur le surgénérateur, les Verts peuvent dire des choses justes, qui ne sont pas pour moi un critère. Je répète qu'ils n'ont pas pesé de façon décisive sur les choix portant sur le nucléaire et je ne vois pas un point sur lequel ils auraient freiné le programme nucléaire français.

L'axe central de votre commission, est de rechercher les raisons expliquant une perte d'indépendance et de souveraineté de la France. Le fait que nous ayons arrêté Superphénix n'a en rien privé la France d'une portion de sa souveraineté ou de son indépendance. Je ne vois pas comment on pourrait faire la démonstration inverse.

J'ai mis l'expression « indépendance et souveraineté » entre guillemets car j'ai repris l'intitulé de votre commission. Les guillemets introduisent aussi une notion de relativité, la dépendance et l'indépendance étant moins relatives que la souveraineté. Celle-ci a une dimension plus subjective, c'est la manière dont les responsables politiques, au nom du peuple souverain, s'efforcent de la construire, dans des conditions qui, pour la France, ne sont pas les plus favorables, compte tenu de l'absence de charbon, de pétrole ou d'uranium sur le territoire national. Il est donc pertinent de revenir sur cette distinction entre les deux mots.

Le plan développé par Dominique Voynet, notamment au niveau territorial dans le cadre des contrats État/régions ou dans les dialogues avec les communes, prévoyait des économies d'énergie. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'Équipement et des Transports, était également extrêmement sensible à cette dimension. Les économies d'énergie constituaient une dimension importante de notre vision des choses.

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Vous avez dit dans votre propos liminaire que l'énergie était un sujet de techniciens et devenait un sujet politique. Est-ce un élément du contexte de l'époque où vous avez gouverné, ou est-ce un regard actuel ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

L'énergie a toujours été un sujet de débat politique, une dimension de la souveraineté des nations, une question essentielle pour le développement industriel, colorée aujourd'hui par les conséquences de ce développement depuis deux siècles, notamment avec le problème du réchauffement climatique. C'est donc une question centrale pour les gouvernements et je l'ai toujours considérée comme telle. Les décisions, notamment sur le nucléaire, ont souvent été examinées sous l'angle technocratique, examinées dans des cercles relativement restreint, sans une information toujours suffisante de la population. Cette volonté d'ouvrir ce secteur et de considérer que la population doit être convaincue s'est accentuée au fil du temps. Mon gouvernement, notamment parce que les Verts y étaient associés, a été un moment de transition. Croire que la présence des Verts au sein du gouvernement a nui à la politique énergétique de la France ou a mis en cause le consensus national, notamment sur le nucléaire, serait une erreur. Au contraire, qu'une formation politique écologique ait participé pendant cinq ans à un gouvernement qui a continué à développer une filière nucléaire a été une bonne chose.

Dominique Voynet, au-delà de telle ou telle vidéo, dont vous avez eu raison Madame de rappeler que celle qui l'a réalisée n'est pas étrangère à certains lobbys, est une femme rationnelle, c'est un médecin, elle a une culture scientifique. Elle n'a pas renoncé à ses convictions pendant la période où elle était au gouvernement, mais elle était réaliste, consciente du rapport de forces, et elle a accompagné une politique. J'ai le souvenir d'une ministre et d'une femme loyale.

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Ma question était d'ordre général sur la place de l'énergie dans le débat public. Vous avez plusieurs fois abordé la question du contexte qui vous semblait importante. Il est important de comprendre le contexte dans lequel vous avez pris des décisions pour mieux les appréhendées.

À l'époque où vous avez dirigé le gouvernement, vous dites que celui-ci a été transparent et a consulté davantage les citoyens, notamment sur la question du nucléaire. En tant que président de la plus ancienne commission locale d'information et de surveillance française, je ne peux que témoigner de la nécessité de la transparence et de l'information en matière nucléaire.

Avez-vous le sentiment qu'il existe une forme de parallélisme dans toutes les énergies, y compris les énergies plus diffuses, qui ne présentent pas de risque en matière de sûreté mais qui créent un problème d'acceptabilité ? Une logique de transparence vous semble-t-elle nécessaire ?

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Dès qu'il y a des problèmes d'acceptabilité, par exemple sur les éoliennes ou sur certains projets de barrages hydrauliques, que j'ai connus quand je présidais l'Institut interdépartemental de la Montagne Noire, la transparence est utile. C'est peut-être une des conditions de l'acceptabilité.

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J'ai posé des questions très précises sur votre politique industrielle mais vous avez répondu avec des généralités. Je ne vous ai pas demandé si l'URSSAF était intervenue sur une PME, je vous ai parlé du conglomérat Alstom-Alcatel, qui figurait dans le top 5 mondial des plus grandes entreprises industrielles, avec 75 000 salariés ! Je n'arrive pas à croire, en tant que Premier ministre, que vous n'ayez pas eu connaissance des décisions concernant ce groupe. Quand la France sacrifie ses turbines à gaz, j'ai du mal à croire que vous ne soyez pas informé. Quand elle sacrifie les turbines qui font fonctionner la flotte militaire, aussi bien les sous-marins que les bateaux de surface, je ne peux pas croire que vous ne soyez pas au courant. Quand je vous demande pourquoi vous n'avez pas arbitré en faveur de l'actionnariat populaire au moment de la fusion entre Elf et Total, ce n'est pas un détail, c'est la plus grande entreprise française. D'une manière générale, vous donnez l'impression que tous ces sujets, qui sont au cœur de la souveraineté énergétique française, vous indifféraient.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Non.

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Je crois M. Tanguy que ce n'était pas tant une question qu'une observation.

M. le Premier ministre, je vous remercie très sincèrement pour le temps que vous avez consacré à notre Commission d'enquête et pour les réponses que vous avez apportées. Elles nous permettront de contextualiser nos travaux. Vous avez pu constater que la nature des travaux parlementaires avait un peu changé.

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Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Je ne pense pas que l'indépendance et la souveraineté énergétique de la France aient été affaiblies par les mesures prises par mon gouvernement. Je souhaiterais que la question soit examinée sous cet angle.

La séance s'achève à 18 heures 37.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Antoine Armand, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Frédéric Falcon, Mme Julie Laernoes, M. Alexandre Loubet, Mme Valérie Rabault, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean-Philippe Tanguy