Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du jeudi 21 juillet 2022 à 11h10

Résumé de la réunion

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La réunion

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Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 21 juillet 2022

La réunion est ouverte à 11 h 10.

Audition de Mme Marie-France Bellin, présidente du conseil d'administration de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et de M. Jean-Christophe Niel, directeur général, sur le rapport annuel de l'Institut pour 2021

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. – Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir la présidente de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Madame Marie-France Bellin, et son directeur général, Monsieur Jean-Christophe Niel, qui vont présenter devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) le rapport d'activité de l'Institut pour l'année 2021. Je rappelle que, contrairement à celles de l'Autorité de sûreté nucléaire ou de la CNE2, cette audition n'est pas prévue par la loi, ce qui ne l'empêche pas d'avoir lieu chaque année et de s'inscrire pleinement dans les missions de l'Institut et de notre Office.

Je rappellerai simplement que l'IRSN a été créé, voici un peu plus de 20 ans, par la loi du 9 mai 2001 qui a prévu la fusion de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire et de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants. Il est placé sous la tutelle conjointe des ministères chargés de l'écologie, de la recherche, de l'énergie, de la santé et de la défense. Son champ de compétence couvre l'ensemble des risques liés aux rayonnements ionisants, utilisés dans l'industrie ou la médecine, ou encore les rayonnements naturels.

Je vais sans plus tarder donner la parole à Madame Bellin et Monsieur Niel pour la présentation de ce rapport pour l'année 2021, à la suite de quoi nous pourrons passer aux questions.

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

C'est un honneur et un devoir pour la présidente du conseil d'administration, Marie-France Bellin, et pour moi-même de présenter à votre Office le rapport d'activité de l'IRSN pour l'année 2021. L'Office a beaucoup contribué à installer et à définir le système de contrôle des usages des rayonnements ionisants en France, tant en sécurité nucléaire qu'en radioprotection. L'Office a été un acteur central de la création de l'IRSN, il y a exactement 20 ans. D'ailleurs, nous sommes à la disposition de l'Office pour traiter, à votre demande, toutes questions ayant trait à l'évaluation des risques liés à l'utilisation des rayonnements ionisants, dès lors qu'elles sont dans le champ de nos missions et qu'elles sont scientifiques et techniques.

L'IRSN est l'expert public des risques radiologiques et nucléaires. Notre mission est d'évaluer les risques liés à l'utilisation des rayonnements ionisants, y compris en situation accidentelle. Très concrètement, nous avons deux missions. La première est l'expertise au profit des autorités, des ministères et des institutions publiques. Il s'agit essentiellement pour l'IRSN, dans le cadre d'un processus de décision, d'éclairer cette décision par l'évaluation du risque lié à l'utilisation des rayonnements ionisants. L'autre mission de l'IRSN est la recherche. Celle-ci alimente notre expertise, les deux étant liées, comme le veulent nos textes fondateurs. L'évaluation de l'IRSN est scientifique et technique. Elle est collective et impartiale. Cette mission d'évaluation de l'IRSN réunit les dimensions de sûreté nucléaire, de sécurité nucléaire et de radioprotection, les domaines civil et défense, la recherche et l'expertise. Cette pluridisciplinarité et cette transversalité contribuent très directement à la qualité de l'appui que l'Institut peut apporter aux pouvoirs publics, en situation normale comme en situation d'accident.

À l'instar des agences sanitaires, notre mission d'évaluation est bien distincte de la mission de décision, d'inspection et de sanction, qui appartient aux autorités, aux ministères. C'est par ce système dual, de double sécurité, entre experts et autorités, entre évaluateurs et gestionnaires du risque, que l'État assure la protection de nos concitoyens vis-à-vis des utilisations des rayonnements ionisants. D'ailleurs, la structure budgétaire de l'IRSN est essentiellement organisée autour du programme 190. Il fait de l'Institut le destinataire d'une subvention pour charges de service public. Cette organisation est cohérente avec le système que je viens de décrire et il me semble important de la préserver.

Avant de présenter le rapport d'activité de l'IRSN, je souhaite aborder trois sujets.

Le premier est évidemment la situation en Ukraine. Dès le début de l'invasion russe, le 25 février, jusqu'au 8 avril, l'IRSN a mobilisé ses équipes dans son centre de crise. L'objectif était de suivre et d'analyser la situation, d'évaluer les risques posés par les installations nucléaires et d'assurer le suivi des mesures de radioactivité dans l'environnement, en Ukraine et en Europe. Nos travaux ont donné lieu à des informations, en français et en anglais, sur notre site internet, de manière régulière. Depuis le moment où nous avons activé notre centre de crise, nous avons reçu plus de 130 sollicitations médiatiques qui ont conduit à 400 retombées de presse, preuve que le sujet intéresse, voire inquiète. Nous travaillons aussi pour que notre homologue ukrainien, qui s'appelle la CSTC, reste impliqué dans le paysage européen international de la sûreté. Dans les mois et les années qui viennent, nous allons travailler, au sein de l'IRSN, avec les acteurs européens et internationaux de la sûreté sur les conséquences d'un état de guerre dans un pays équipé d'installations nucléaires civiles, du point de vue des approches et des doctrines de sûreté.

Le deuxième sujet que je souhaite aborder est le constat par EDF d'un phénomène de corrosion sous contrainte sur certains de ses réacteurs. Fin 2021, EDF a mis en évidence des défauts sur les tuyauteries des circuits d'injection de sécurité du réacteur n° 1 de Civaux, lors de la deuxième visite décennale. L'analyse en laboratoire a montré qu'il s'agissait de corrosion sous contrainte. Sous le contrôle de l'ASN, EDF a engagé des actions selon trois axes. D'abord, la définition et la qualification d'un dispositif de contrôle non destructif, plus performant, pour identifier et caractériser les défauts liés à cette corrosion sous contrainte, sans avoir à découper la tuyauterie comme cela se pratique aujourd'hui. L'IRSN se prononcera sur ce dispositif. EDF a aussi présenté des éléments venant à l'appui du maintien en exploitation des réacteurs. L'IRSN a récemment rendu deux avis en la matière ; le premier porte sur le « risque de rupture brutale » et le deuxième, rendu il y a quelques jours, sur des dispositions transitoires. EDF va définir un programme industriel pour remplacer les tronçons de circuits qui mériteraient de l'être. L'IRSN poursuit ses investigations pour mieux comprendre l'origine de cette corrosion sous contrainte. C'est essentiel pour déterminer notamment le périmètre des contrôles à effectuer.

Le troisième sujet que je souhaite aborder concerne le contrôle de l'IRSN par la Cour des comptes. Ce contrôle, d'une durée de 18 mois, s'est conclu en 2021. Dans le référé qui a été adressé au Gouvernement, la Cour a constaté que l'IRSN remplit ses missions. Elle a aussi noté que l'Institut a poursuivi ses activités dans le contexte de la pandémie. Je vois, dans ces deux constats, la reconnaissance du professionnalisme et de l'engagement des femmes et des hommes de l'IRSN. Dans son référé, la Cour a aussi appelé l'attention sur deux sujets : le « parachèvement du dispositif de crise » et le besoin de restaurer la « soutenabilité budgétaire » de l'IRSN. Je reprends ici les termes mêmes de la Cour des comptes.

Marie-France Bellin, présidente du conseil d'administration, va maintenant aborder quelques sujets dans le champ de la santé. Elle est professeure d'université - praticien hospitalier en radiologie à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre.

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Marie-France Bellin, présidente du conseil d'administration de l'IRSN

Je vais d'abord vous dire quelques mots sur le conseil d'administration que je préside, Jean-Christophe Niel, le directeur général, assurant des fonctions exécutives. Je veux ici témoigner du bon fonctionnement du conseil d'administration, comme l'a d'ailleurs souligné la Cour des comptes dans son rapport. Le conseil d'administration est composé de 25 membres. Lors de ses séances, les grandes questions relatives à la vie de l'Institut sont régulièrement abordées, qu'elles soient de nature budgétaire, qu'il s'agisse de décisions d'investissement ou d'organisation. Sont régulièrement présentées les réalisations scientifiques structurantes pour l'Institut.

Parmi les activités de l'IRSN, je voudrais mettre en lumière les activités de recherche et d'expertise dans le domaine de la santé. Parce qu'elles sont probablement un peu moins emblématiques, elles sont en effet moins connues que celles qui concernent le domaine de la sûreté des installations nucléaires.

Le système de gestion de la radioprotection a démontré sa robustesse, à la fois pour limiter ou pour prévenir les effets aigus des expositions accidentelles en particulier, et limiter la probabilité de survenue des cancers radio-induits qui pourraient être liés à des irradiations chroniques à faible dose. Néanmoins, de nombreuses questions persistent et ouvrent de grands champs de recherche. Ainsi, l'Institut effectue des travaux de recherche sur les conséquences des expositions accidentelles à forte dose, notamment en développant de nouvelles approches thérapeutiques, certaines à base de cellules souches. Ces approches permettent de traiter les pathologies qui sont la conséquence d'expositions à forte dose. Également en lien avec les équipes hospitalières, l'IRSN développe des activités et des travaux de recherche sur l'effet des radiations ionisantes sur l'environnement péri-tumoral au cours des séances de radiothérapie. L'objectif est d'améliorer la qualité de vie des patients en minimisant les effets secondaires. En dehors du champ strict de la radiothérapie, nous utilisons des faisceaux de rayonnement de plus en plus précis, avec des doses très importantes. Ainsi, en janvier 2021, l'IRSN a conclu avec l'Institut Gustave Roussy, premier centre européen de lutte contre le cancer, un accord de partenariat, de collaboration scientifique dans le domaine de la radiobiologie des tumeurs et des tissus sains, en particulier en rapport avec la radiothérapie.

Enfin, l'Institut étudie les effets mutagènes – c'est-à-dire susceptibles d'entraîner des anomalies génétiques et donc des cancers à long terme – des expositions chroniques aux rayonnements ionisants à faible dose. Pour ce faire, il a recours à l'épidémiologie et au suivi de cohortes de patients, tout en s'appuyant aussi sur la radiobiologie. La question de l'effet des faibles doses rencontre une forte attente sociétale, en lien avec les enjeux de santé-environnement. L'IRSN est impliqué dans les politiques nationales de santé-environnement, en particulier dans le quatrième plan national santé-environnement et dans le plan radon. Au niveau européen, l'IRSN est partenaire du projet « radon normes » lancé par la Commission européenne. Il réunit 56 partenaires de plus de 22 pays et vise à améliorer la protection des populations face au risque radon et aux risques engendrés par les radio-isotopes naturels. L'IRSN a également été choisi pour coordonner, au niveau européen, la recherche en radioprotection, dans le cadre de l'appel d'offres « Horizon Europe ».

Au total, environ 120 chercheurs, techniciens, experts collaborent dans ces domaines, le plus souvent d'ailleurs avec des équipes, soit hospitalières, soit universitaires, soit avec des organismes institutionnels de recherche, tels que l'Inserm ou le CNRS, avec lequel nous avons conclu un accord de coopération en 2020. Comme l'a indiqué le directeur général, ces recherches servent de support à l'expertise et permettent de la faire avancer en intégrant les données récentes de la science.

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

En 2021, dans le champ de l'expertise, nous avons rendu 650 avis et rapports aux différentes autorités civiles, de défense, de sécurité et de non-prolifération et aux ministères. Je vais évoquer quelques aspects de cette activité d'expertise. Comme nous l'avons fait pour le quatrième examen périodique des réacteurs de 900 mégawatts, nous avons engagé le quatrième examen décennal des 20 réacteurs de 1 300 mégawatts, ce qui s'inscrit dans la volonté d'EDF de prolonger l'exploitation de ces réacteurs. Ces réacteurs, la plupart construits dans les années 1980, ont une conception proche de celle des réacteurs de 900 mégawatts sur lesquels nous nous sommes prononcés en mars 2020, dans un avis de synthèse, résultat de 200 000 heures d'expertise et de 40 avis publics. Une différence importante entre les réacteurs de 1 300 mégawatts et de 900 mégawatts tient à l'enceinte de confinement, qui est constituée, pour les réacteurs de 1 300 mégawatts, d'une double enceinte. Pour conforter notre expertise, nous avons engagé des travaux de recherche sur le comportement de cette enceinte en cas d'accident grave. Voilà un exemple de la synergie essentielle entre l'expertise et la recherche.

La cohérence du cycle du combustible est aussi un sujet structurant qui mobilise l'Institut. Il s'agit notamment, pour les opérateurs EDF, Orano et l'Andra, de s'assurer que, même en cas d'aléas d'exploitation, les capacités d'entreposage dans les installations sont suffisantes. C'est un réel enjeu de sûreté nucléaire. L'analyse a montré que les capacités d'entreposage des piscines de combustibles usés seraient saturées avant la fin de la décennie, voire plus tôt s'il y avait des aléas de production. EDF a décidé de construire une nouvelle piscine d'entreposage d'assemblages combustibles. Elle doit être mise en service en 2034 et l'IRSN s'était prononcé, en 2018, sur les options de sûreté prévues pour cette piscine. Dans l'attente, Orano a demandé à l'ASN l'autorisation d'augmenter le nombre d'assemblages combustibles entreposés dans trois piscines de son site de La Hague. Nous avons expertisé le dossier d'options de sûreté de ce projet de densification. Nous avons considéré que les options de sûreté étaient globalement adaptées, en identifiant néanmoins deux sujets qui doivent être pris en compte plus précisément pour la demande d'autorisation : d'une part, la conception des nouveaux équipements d'entreposage ; d'autre part, l'efficacité des systèmes de refroidissement des eaux de piscine.

Cet avis est public, comme le prescrit la loi, et nous l'avons complété par une version commentée qui est aussi sur notre site. Il s'agit du même avis, auquel nous avons seulement ajouté des commentaires pour en faciliter la lecture à toute personne intéressée. Voici un exemple de ce qu'est depuis 20 ans, c'est-à-dire depuis la création de l'Institut, notre politique d'ouverture à la société et de notre interaction avec elle. Elle se traduit notamment par un dialogue continu avec le Haut comité à la transparence et à l'information en matière de sécurité nucléaire (HCTISN), mais aussi avec les commissions locales d'information qui sont près de tous les sites nucléaires et sont regroupées au sein d'une association nationale avec laquelle nous dialoguons également. Cela permet de partager nos travaux et d'intégrer les préoccupations de ces instances dans nos expertises.

J'en viens aux petits réacteurs modulaires, ou SMR (small modular reactors). Les SMR se caractérisent, selon leurs promoteurs, par une conception simplifiée par rapport aux réacteurs de forte puissance constituant le parc actuel. Au niveau international, il existe de nombreux modèles de SMR, dont la technologie et la maturité sont très variables. Dans une note d'information, nous avons identifié les enjeux de sûreté associés. Sur le principe, la puissance limitée de ces réacteurs devrait leur permettre de respecter des objectifs de sûreté exigeants, en termes de fréquence d'accidents et de limitation des rejets, notamment du fait qu'il n'est pas nécessaire de prendre d'urgence des contre-mesures en cas d'accident. Il faut étudier dans le détail ces différents concepts, pour se positionner plus avant sur un niveau de sûreté, notamment sur le recours accru aux systèmes passifs, l'un des arguments mis en avant par les promoteurs.

Nous nous sommes penchés sur de nombreux autres sujets d'expertise, par exemple la mise en service du réacteur EPR et le projet Cigéo ou encore, dans le domaine de la défense, l'analyse des essais à la mer du sous-marin nucléaire d'attaque, le Suffren.

Dans le domaine de l'expertise en radioprotection médicale ou environnementale, l'IRSN a achevé un certain nombre de travaux en 2021. Nous avons notamment publié le dernier constat radiologique régional pour la Normandie et les Hauts-de-France. Ces constats radiologiques régionaux permettent de disposer d'un état des lieux approfondi de la radioactivité sur le territoire étudié ; ils complètent la surveillance régulière de la radioactivité de l'environnement. Aujourd'hui, nous passons à une autre démarche : nous réalisons des études radiologiques de site, en commençant par le site de la centrale nucléaire de Saint-Alban. L'objectif est d'améliorer la connaissance des effets que peut avoir sur l'environnement la présence d'un site nucléaire et d'estimer de manière plus réaliste l'exposition des populations avoisinantes, ainsi que de contribuer à l'information des autorités et du public. Dans la démarche d'ouverture à la société que j'ai déjà évoquée, c'est aussi une manière d'impliquer les populations dans la mesure de la radioactivité environnementale.

Un mot sur le tritium. Il s'agit d'un radioélément, isotope de l'hydrogène, qui est produit par les installations nucléaires, notamment les réacteurs. Il soulève un certain nombre de questions. Dans ce cadre, nous avons réalisé, en mai 2021, la synthèse de dix ans de recherche en radiotoxicologie humaine et environnementale sur ce radioélément. Ce travail avait été conduit avec les laboratoires nucléaires canadiens. Les résultats concordent avec ceux qui ont été publiés par d'autres équipes. Ils indiquent que les modifications induites par l'incorporation de tritium sont observées à des niveaux d'exposition élevés. Ce rapport a fait l'objet d'un webinaire rassemblant 200 personnes. En juin 2021, nous avons présenté à un comité de suivi pluraliste les résultats d'une étude qui avait été lancée suite à la publication, par un réseau de préleveurs citoyens, d'une activité de tritium de 310 becquerels par litre mesurée dans la Loire. Ce niveau était plus élevé que ce qui était observé de manière systématique. Notre étude n'a pas mis en évidence de mesures atypiques dans les eaux de la Loire. Par contre, sur la base des mesures de terrain que nous avons effectuées et de nouvelles modélisations, nous avons pu mieux caractériser les conditions de dispersion des rejets dans la Loire, entre Chinon et Saumur.

Un point sur les expositions professionnelles aux rayonnements ionisants. En vertu de dispositions réglementaires, l'IRSN doit faire un bilan annuel pour le ministère du Travail. Cela concerne les activités médicales, vétérinaires, l'industrie nucléaire ou non nucléaire, la recherche, l'enseignement, ainsi que des secteurs concernés par l'exposition aux rayonnements naturels, par exemple les personnels navigants aériens. Nous constatons une augmentation légère de l'effectif suivi, avec 90 000 travailleurs environ. 60 % sont dans le domaine médical et vétérinaire et 22 % dans le nucléaire. Nous constatons que la dose a augmenté, en 2021, de 9 %, ce qui est à mettre en rapport avec le volume des travaux de maintenance dans le domaine nucléaire qui s'est accru en raison du grand carénage et de l'amélioration des conditions sanitaires liées au Covid.

Dans le champ de l'expertise en radioprotection, je voulais aussi souligner l'implication internationale de l'IRSN. En 2021, nous avons été nommés « capacity building center » de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour la gestion médicale et sanitaire des urgences radiologiques et nucléaires, ce qui marque une reconnaissance de l'Institut sur ces sujets. Une fois par an environ, une personne dans le monde est victime de surirradiation et l'IRSN fait partie, avec l'hôpital Percy, des organismes vers lesquels l'AIEA se tourne pour accueillir ces personnes surirradiées. En septembre, l'hôpital Percy et l'IRSN ont accueilli un patient d'Amérique du Sud pour le traiter. Pour mémoire, dans le domaine international et médical, l'IRSN est aussi centre collaborateur de l'OMS.

Un dernier point sur l'activité de recherche. Comme je l'ai dit, la recherche sert à disposer des connaissances nécessaires à notre expertise. J'ai déjà donné un exemple sur le béton, dans le cadre de l'expertise des réacteurs de 1 300 mégawatts. C'est une recherche au sens classique du terme, qui est partenariale et internationale. La présidente du conseil d'administration a évoqué le partenariat avec l'Institut Gustave Roussy ; je peux aussi mentionner la feuille de route signée récemment avec le CNRS, avec lequel nous avons énormément de collaborations, ou l'accord-cadre, conclu en début d'année avec l'Université Paris-Saclay. Nous sommes aussi un acteur important, dans notre champ de la recherche en sûreté nucléaire, en radioprotection. Nous étions par exemple présents, en 2021, dans 33 projets européens.

Pour illustrer l'année 2021, permettez-moi de citer trois exemples, parmi des réalisations nombreuses et très variées. Nous avons achevé, au Canada, une campagne de 26 essais destinée à étudier la capacité de refroidissement du cœur d'un réacteur en situation d'accident, dans le cadre d'un programme qui s'appelle « Perfroi », post-Fukushima, financé par l'ANR. Ces données servent à alimenter des codes de calcul que nous utilisons dans le cadre de l'expertise. Un autre projet de l'ANR vise la mise au point d'un traitement pour les victimes d'un syndrome aigu d'irradiation. Il ouvre de nouvelles voies de prise en charge des patients victimes de ces complications, notamment à la suite d'une radiothérapie. Enfin, dans le cadre d'une démarche européenne, nous étudions la possible contribution à la radioprotection de méthodes développées en lien avec l'étude de la toxicité des produits chimiques.

J'en viens à mes conclusions. Dans l'ensemble de nos champs d'intervention, nous sommes dans un contexte d'enjeux sans précédent, d'attentes et de demandes croissantes. Cela concerne aussi bien la sûreté nucléaire, du fait à la fois de la prolongation d'exploitation d'installations et de nouveaux projets, que la sécurité nucléaire, dans un contexte de menaces persistant, ou encore la protection contre les rayonnements ionisants, du fait d'un recours accru à ceux-ci dans le domaine médical mais aussi d'une augmentation des préoccupations sociétales en santé-environnement. Tous nos champs d'intervention sont concernés. L'ensemble de ces enjeux est retracé dans notre baromètre qui vient d'être publié. Je n'ai pas le temps d'entrer dans le détail, mais je pourrai y revenir si vous le souhaitez.

Pour faire face à ces évolutions constantes, pour assurer la pérennité et la pertinence de nos actions, pour répondre à ces demandes et attentes croissantes, nous nous adaptons en permanence. Dans le contexte de ressources publiques que nous connaissons – j'ai déjà évoqué le constat de la Cour des comptes sur la soutenabilité budgétaire de l'IRSN qu'il faut restaurer – l'IRSN a engagé des démarches de transformation pour améliorer son efficacité et son efficience : transformation numérique, transformation managériale, transformation des modes de travail.

En particulier, en 2021, nous avons formalisé notre stratégie numérique et préparé notre feuille de route RSE, qui a été publiée en 2022. Il s'agit in fine de permettre aux femmes et aux hommes de l'Institut de répondre à tout moment à ce besoin d'adaptation, pour que la sûreté nucléaire, la sécurité nucléaire, la protection des personnes et de l'environnement soient au plus haut niveau, dans une société actrice de la gestion des risques. Nous voulons contribuer à ce haut niveau de sûreté qui doit caractériser notre bouquet énergétique, quel qu'il soit.

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. – Nous vous remercions pour cette présentation. Avant de laisser la parole à mes collègues, je souhaite aborder deux sujets qui ont donné lieu à des travaux de l'Office récemment. Le premier concerne la maîtrise des crédits de recherche en matière de sûreté nucléaire. Le président de l'Autorité de sûreté nucléaire a souhaité, devant les membres de l'Office, le 17 mai dernier, que soit créé un programme budgétaire spécifique, consacré au contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et dont l'ASN aurait la maîtrise. Quels sont les arguments scientifiques et administratifs qui peuvent le justifier ? Ne craignez-vous pas, de ce fait, une dilution de ce système dual dont vous vantiez l'an dernier devant nous les avantages en ce qu'il peut procurer une double sécurité entre experts et autorités et entre évaluateurs et gestionnaires du risque ?

La seconde question porte sur la sûreté nucléaire et la conséquence de la guerre actuelle en Ukraine. Une ancienne collègue, Émilie Cariou, avait posé une question écrite, le 15 mars dernier, à propos des 2,5 millions de comprimés d'iode qui auraient été fournis à l'Ukraine pour parer à tout danger nucléaire, en interrogeant le Gouvernement sur l'état des stocks en France. Depuis le 25 février, l'IRSN active son centre technique de crise pour suivre les développements en Ukraine du point de vue de la sûreté nucléaire. Sur la base des points de situation réguliers que vous publiez, comment appréciez-vous aujourd'hui la dispersion de radionucléides et les retombées pour l'homme et l'environnement ? Ces sujets ont fait l'objet d'un suivi de l'Office par le passé et nous souhaitons nous inscrire dans cette continuité.

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Merci pour cette présentation. J'ai trois questions assez directes. Est-ce que vous suivez particulièrement le projet Iter ? Quelle vision l'IRSN en a-t-il, notamment s'agissant de son coût ? Ma deuxième question concerne les essais d'armes nucléaires qui ont été effectués il y a longtemps par certaines puissances, dont le Royaume-Uni et les États-Unis. Les retombées de ces essais aériens ont été suivies pendant un certain temps. Ce suivi est-il encore en cours ? Enfin, je pense qu'il est intéressant, pour l'ensemble de nos collègues, que vous puissiez nous dire ce qui ressort du volet « Les Français, le nucléaire et la sûreté » de votre baromètre 2022. Je crois que cela permettra d'éclairer la représentation nationale sur la vision qu'ont les Français de l'énergie nucléaire. La rigueur intellectuelle qui doit présider à tous travaux, politiques comme scientifiques, m'oblige à rappeler que cette enquête a été réalisée en novembre 2021, c'est-à-dire avant la guerre en Ukraine. Car il me semble que nous devons en lire les résultats en ayant cette donnée en tête.

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Stéphane Piednoir, sénateur

Merci pour votre présentation et votre travail au quotidien. Madame la Présidente, vous avez souligné tout à l'heure le bon fonctionnement du conseil d'administration ; j'ajouterai à cette appréciation celle d'une « densité » de ce fonctionnement, pour en faire partie moi-même et pour y assister en visioconférence, une possibilité qui est donnée désormais et qui est appréciable. Merci pour le travail fourni, sachant que pour les non-initiés, les sujets sont parfois très techniques. La radioprotection est sans doute la composante de vos travaux qui est la plus méconnue. Pourtant, la radioprotection des populations dans les activités nucléaires est essentielle. Nous constatons que de nombreux avis sont fournis en la matière. J'ai deux questions à vous poser.

Sur l'ensemble des avis que fournit l'IRNS – les 650 que vous avez mentionnés –, certains concernent la prolongation de la durée d'exploitation des réacteurs de 1 300 mégawatts et, plus globalement, de l'ensemble du parc nucléaire français. Vous avez évoqué la dualité du travail avec l'ASN qui fixe un niveau d'exigence de sûreté pour le fonctionnement du parc. Or le niveau d'exigence de sûreté n'est pas le même partout dans le monde, tant s'en faut. Aujourd'hui, une bonne partie de notre parc est arrêtée, en raison de problèmes de corrosion sous contrainte. Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage ? Serions-nous trop pointilleux ? Nous ne serons jamais trop pointilleux s'agissant de sûreté nucléaire, mais ne sommes-nous pas trop pointilleux pour les tests permettant de considérer que le phénomène est sous contrôle ? Tous les pays ne font pas les mêmes tests pour valider l'exploitation de leurs centrales.

Ma deuxième question concerne les rejets des centrales dans les fleuves et océans. Vous avez évoqué d'ailleurs le problème du tritium. Il se trouve que le « prélèvement citoyen » a été fait dans mon département de Maine-et-Loire, entre Chinon et Saumur. Les niveaux de tritium peuvent être extrêmement élevés si le prélèvement est réalisé à un endroit précis. J'apprécie la réactivité avec laquelle vous avez répondu à ma propre sollicitation. J'étais maire d'une commune voisine et nous apprécions vraiment d'avoir l'œil d'experts pour rassurer les populations et pour dire qu'une dispersion rapide se fait ensuite naturellement, dans un fleuve comme la Loire. Ma question concerne la sécheresse que l'on connaît aujourd'hui. Nous savons que l'on a autorisé certaines centrales à augmenter la température des fleuves où se font les rejets. J'imagine que vous avez été saisis en amont. Est-ce que cela ne vous inquiète pas ? Dans les années 1980, les normes d'exploitation autorisaient une élévation de température allant jusqu'à quatre degrés dans certains fleuves. Aujourd'hui, les normes sont bien en-deçà, à peine deux degrés du fait des rejets. Sur le long terme, est-ce que cela vous inquiète ? Est-ce que cela peut aussi fragiliser la relance du nucléaire en France ?

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– Merci pour cette présentation. Je voulais féliciter votre institution pour sa contribution à la fiabilité et à la renommée de la filière nucléaire française et, partant, à la réputation de notre pays. L'IRSN, comme d'autres institutions, publie des rapports scientifiques de très grande qualité, avec un vocabulaire précis, technique qui, pour les experts et ceux qui s'y intéressent, ne souffre d'aucune ambiguïté. Malheureusement, certains groupes politiques et groupes activistes utilisent la science, parfois son propre langage, en faisant peur à la population avec l'emploi de mots qui, pour des profanes peu familiers de ce vocabulaire, peuvent effrayer. Ils utilisent aussi des ordres de grandeur ou encore des extraits de rapports, des phrases ou des mots complètement sortis de leur contexte, dans le seul but de faire peur. Ceci n'est pas nouveau et a joué un rôle considérable dans la décrédibilisation de la filière nucléaire et, d'une manière générale, de la connaissance scientifique. Ma question est simple. Comment le secteur nucléaire – et l'expertise scientifique en général – pourrait-il se protéger de ces manipulations, de cette mauvaise foi, de cette utilisation de la rigueur scientifique contre la science ?

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– Je suis député de Polynésie, je vois donc forcément ces sujets à travers un prisme particulier. J'ai eu l'opportunité, en 2019, de visiter l'atoll de Mururoa où l'on nous a bien expliqué qu'il y avait encore des déchets radioactifs, que ce soit au fond du lagon, notamment sous le banc Colette où il y a du plutonium, ou dans les deux puits de stockage situés à un kilomètre au sud du banc Colette. Tous ces sites de stockage sont situés dans la partie de l'atoll qui menace de s'effondrer. Quelle est la position de l'IRSN sur ce sujet ? Le plus gros investissement de l'État en Polynésie, ces dernières années, est le projet Telsite de surveillance géo-mécanique de l'atoll. L'importance des sommes engagées témoigne de l'inquiétude relative au risque d'effondrement.

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. – Madame la présidente, Monsieur le directeur général, je vous donne la parole pour répondre à ces nombreuses questions.

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Je vous remercie pour cet ensemble de questions très complet. Concernant les crédits de recherche, l'ASN souhaite créer un programme dédié à la sûreté nucléaire, rassemblant le budget de l'ASN et la partie du budget de l'IRSN venant en appui à l'ASN, soit 25 à 30 % de notre budget total. Nous ne sommes pas favorables à cette proposition parce qu'elle nous semble contraire à l'esprit qui a présidé à la création de l'Institut, à savoir en faire un organisme qui est expert de l'ensemble des risques liés aux rayonnements ionisants. Cette approche permet de favoriser la multidisciplinarité et la transversalité. Il nous semble que la construction d'un tel programme budgétaire reviendrait à cloisonner l'expertise à destination de l'ASN au sein d'un nouvel ensemble ; elle rendrait par ailleurs la gestion de l'Institut beaucoup plus rigide et supprimerait de la flexibilité. Nous n'y sommes pas favorables pour des raisons de principe, sans parler des questions pratiques. Si chaque client de l'IRSN faisait de même, la gestion deviendrait extrêmement compliquée. En effet, nous avons énormément de demandeurs et toute institution publique est légitime à nous demander des analyses sur le risque lié aux rayonnements ionisants. Par ailleurs, je note que nos commanditaires, notamment l'Autorité de sûreté nucléaire, se disent aujourd'hui pleinement satisfaits du travail que nous conduisons pour leur compte. Les ministères de tutelle de l'IRSN, que j'avais saisis de ce sujet, m'ont confirmé par écrit qu'ils étaient en phase avec la position de l'IRSN, comme la Cour des comptes.

Nous partageons en revanche la volonté d'offrir au Parlement une visibilité sur l'ensemble de ce qui est dépensé par l'État, par les budgets publics, au titre de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Mais d'autres outils que les programmes le permettent, notamment les jaunes budgétaires. Le sénateur Berson avait précisément proposé d'en consacrer un à ce domaine, tant il est important, comme nous le constatons en observant les débats qui se multiplient actuellement. S'il est bon d'avoir une vision globale, il nous semble en revanche qu'entrer dans la logique de l'ASN serait contraire à la philosophie et aux principes de construction du système de contrôle conçu il y a 20 ans – système auquel l'Office a beaucoup contribué.

Votre deuxième question avait trait aux risques de voir des retombées radioactives en Ukraine. Nous avons rendu publiques les simulations que nous avons faites quant à leur impact potentiel. Plus que l'impact direct d'un missile, le risque qui nous semble le plus important est la perte d'alimentation électrique dans les centrales. Nous nous sommes concentrés sur ce sujet. En incluant dans nos calculs les enseignements de Fukushima, nous constatons que, selon l'ampleur de l'accident, les conséquences locales pourraient aller de quelques kilomètres à une centaine de kilomètres, en Ukraine. Les conséquences en France resteraient extrêmement limitées.

Au-delà de ces évaluations que nous avons rendues publiques, nous avons été questionnés sur un certain nombre de sujets, notamment sur la situation à Tchernobyl. La situation à Tchernobyl a attiré l'attention parce qu'une dimension symbolique forte est attachée à ce site. Il n'en reste pas moins qu'en termes de risques potentiels, l'enjeu est beaucoup plus faible que pour la centrale de Zaporijjia ou les autres centrales en fonctionnement en Ukraine, pays qui compte 15 réacteurs sur 4 sites. Le risque est beaucoup plus faible à Tchernobyl parce que 20 000 assemblages combustibles ont été retirés des trois réacteurs non accidentés et ont refroidi depuis 40 ans.

Nos simulations montrent qu'en cas de perte des alimentations électriques, donc du refroidissement de la piscine, la température de l'eau ne dépasserait pas 60 ou 70 degrés et l'absence d'ébullition ferait que les combustibles ne se dégradent pas. Ces calculs concordent avec ceux de nos collègues ukrainiens. Nous avons aussi suivi la radioactivité dans l'environnement. Il y a eu un certain nombre d'interruptions de mesures, mais nous n'avons pas noté d'évolution importante. Quelques augmentations, aux alentours de Tchernobyl, au début de l'invasion, ont été mises sur le compte des mouvements locaux de troupes. C'est possible et il est difficile d'être plus précis sans être sur place. Il y a aussi des débats sur une irradiation sévère de soldats russes. Il est probable que certains soldats russes, notamment ceux qui ont participé à des travaux de terrassement, ont reçu des doses importantes, mais pas au point de causer des syndromes d'irradiation aiguë. À moins que, par malchance, ils aient creusé à un endroit où il y a des déchets. Ceci n'est pas à exclure car la zone d'exclusion de Tchernobyl compte un certain nombre d'endroits où des déchets sont enterrés.

Pour répondre à Monsieur Fugit sur le coût d'Iter, nous ne suivons pas les budgets. Nous avons l'habitude de dire que la sûreté n'a pas de prix, mais qu'elle a un coût. Par contre, nous suivons Iter en termes de sûreté. Iter utilise du tritium. Actuellement, l'inventaire, c'est-à-dire la quantité de tritium présente dans l'installation elle-même, dans l'anneau, est faible. Pour nous, l'enjeu de sûreté associé à l'installation elle-même est limité. Il porte davantage sur l'entreposage de tritium à proximité, puisque les quantités de tritium y sont considérables. Elles se mesurent en kilogrammes, mais le sujet est important au regard de l'activité du tritium qu'elles représentent. C'est un isotope d'hydrogène qui se faufile partout.

Le vrai sujet pour nous est plutôt la santé au travail sur Iter. Pour des raisons liées à la technologie choisie, une couverture à l'intérieur du réacteur est en béryllium. Or c'est un cancérogène bien identifié. L'IRSN a élaboré un document sur le sujet, qui est public. Je peux le transmettre à l'Office s'il est intéressé. Pour nous, les sujets de sûreté commenceront au stade du démonstrateur, c'est-à-dire à l'étape suivante, dont il est déjà question dans un certain nombre d'instances internationales ; en effet, les débits de dose et les quantités de substances radioactives seront bien plus importants. D'ailleurs, notre message aux enceintes internationales consiste à dire qu'il faut intégrer le plus tôt possible cette dimension de sûreté dans le futur démonstrateur.

S'agissant des essais nucléaires en Polynésie, plusieurs centaines d'essais aériens ont eu lieu dans les années 1960, réalisés par de nombreux pays. L'élément radioactif créé par ces essais que l'on peut encore mesurer est le césium 137. L'IRSN fait des mesures dans l'environnement et j'ai évoqué tout à l'heure les constats radiologiques régionaux et les études radiologiques de site. Nous mesurons le césium 137 présent dans l'atmosphère et ces mesures sont disponibles sur le site de l'IRSN. Cependant, nous ne savons pas discriminer le césium qui vient des essais nucléaires de celui qui vient de Tchernobyl, qui sont deux grands contributeurs. Les deux hémisphères n'ont pas tout à fait les mêmes concentrations parce qu'ils sont assez bien séparés en matière de circulation des masses d'air, mais, dans chaque hémisphère, la quantité de césium 137 est relativement homogène. L'année dernière, nous avons connu un épisode de vent saharien amenant de la radioactivité. Cette radioactivité n'était pas spécifique aux essais conduits dans le Sahara. Elle était le résultat de cette contamination moyennée dans l'atmosphère, dans l'hémisphère nord, qui se dépose sur le sable. Dans des conditions météorologiques très particulières, ce sable est soulevé et quand il traverse la Méditerranée, les plus lourds aérosols s'arrêtent et les plus fins restent, ce qui conduit à augmenter la concentration de césium. Il avait été mesuré une augmentation d'un facteur 10 par rapport à la moyenne. Pour mémoire, lors de l'accident de Tchernobyl, en France, la concentration de césium était de 10 millions de fois la valeur actuelle.

Le baromètre est un outil que l'IRSN développe depuis 30 ans. Il porte sur la perception des risques et de la sécurité par les Français. Ce baromètre ne se limite pas au risque radiologique, mais concerne tous les risques. L'intérêt est d'avoir une vision sociologique de la perception de l'ensemble des risques par les Français. Non seulement le document est public, mais, dans une démarche d' open data, les données brutes des enquêtes sont aussi accessibles. Si des personnes veulent faire leurs propres croisements et recoupements de données, c'est-à-dire tirer des enseignements que nous n'avons pas choisi de tirer, elles peuvent le faire. Votre précision, Monsieur Fugit, est très importante : la dernière enquête a été réalisée en novembre et ne montre donc que la perception à cette époque.

Nous constatons que la préoccupation principale des Français est la santé, à la suite du Covid, sachant que son niveau est en baisse par rapport à l'année dernière. Le dérèglement climatique, pour lequel la valeur recensée a augmenté de 5 points en un an, arrive à égalité pour la première fois, puis viennent l'insécurité à 15 %, la grande pauvreté et l'exclusion à 13 % et l'instabilité géopolitique à 11 % – préoccupation qui devrait être à un niveau plus élevé dans l'enquête de novembre prochain.

Nous avons d'ailleurs déjà constaté des variations par le passé. En septembre 2002, des épisodes cévenols ont conduit à 23 décès dans quatre départements du sud de la France ; en novembre de la même année, la perception du risque d'inondation était montée très haut, avant de retomber à son niveau habituel après quelques années. En 2015, le même phénomène s'est produit avec les attentats, qui ont eu lieu quelques jours ou quelques semaines avant l'enquête. Un autre enseignement est intéressant par rapport au débat que vous soulevez, Monsieur Tanguy, puisque l'enquête montre que 64 % des Français conservent une confiance dans les institutions scientifiques ; en 2020, une légère baisse était apparue, liée à la pandémie et nous constatons en 2021 une remontée de 3 points par rapport à l'année dernière. Les Français sont confiants aussi dans les experts, puisque 54 % d'entre eux ont une bonne opinion d'eux. Ceux qui en ont une mauvaise sont peu nombreux, à hauteur de 8 %.

Sur le nucléaire, quelques chiffres sont intéressants. On relève notamment une évolution. Nous posons traditionnellement la question des arguments pour et contre. Le premier argument pour est l'indépendance énergétique à 36 %, suivi par le coût à 22 % et les gaz à effet de serre à 17 %. Le premier argument contre est la gestion des déchets à 35 %, suivi du risque d'accident à 20 % et du coût à 12 %. Parmi les questions sur la perception du nucléaire par les Français, la question suivante a été posée : la construction du parc nucléaire a-t-elle été une bonne chose ? Cette année, en novembre, la part des réponses favorables est 60 %, soit une augmentation de plus de 7 points par rapport à l'année dernière. Nous ne sommes pas capables de le corréler scientifiquement avec l'évolution du dérèglement climatique, mais nous ne pouvons pas ne pas faire le rapprochement. Nous avons également posé la question : êtes-vous favorable à la construction de nouvelles centrales ? Le niveau de réponses positives s'établit à 44 % cette année, en augmentation de 15 points sur un an. Êtes-vous contre la fermeture des centrales ? La hausse est également de 14 points, pour arriver à un total de 46 %. C'est un indicateur qu'il faudra suivre.

Monsieur Piednoir, la corrosion sous contrainte est un sujet sérieux parce que les défauts liés à la corrosion sous contrainte peuvent évoluer très rapidement. Contrairement à la fatigue thermique dont nous pouvons suivre facilement l'évolution car elle est régulière, la corrosion sous contrainte peut mettre 15 ans, voire 20 ans à apparaître, mais elle peut ensuite se propager très vite. Elle est la conjonction de trois caractéristiques : la qualité des matériaux, un agresseur chimique et des contraintes. C'est un sujet très sérieux. Ces défauts sous contrainte n'étaient pas attendus. D'ailleurs, ils n'ont pas été découverts par des contrôles recherchant spécifiquement la corrosion sous contrainte, mais par des contrôles recherchant la fatigue thermique car l'inox austénitique est un matériau qui est censé être résistant à la corrosion sous contrainte. C'était donc une surprise. Dans la durée, l'un des objectifs que doit poursuivre EDF est de développer un système de contrôle disruptif spécifique.

Sommes-nous trop pointilleux ? La question renvoie à la structuration du parc français. Le parc est très standardisé, ce qui veut dire que lorsqu'un événement apparaît sur un réacteur, il faut s'interroger tout de suite pour savoir s'il ne concerne pas les 58 autres réacteurs. Par ailleurs, la production électrique dépendant beaucoup du nucléaire en France. Une telle dépendance est assez spécifique à la France et crée donc des enjeux sur l'état des réacteurs. Quand ce phénomène est apparu, nous avons contacté nos homologues étrangers, mais, dans les bases de données, ce phénomène est très peu fréquent. Je crois que nous avons trouvé 150 cas, ce qui reste un phénomène peu fréquent. Dans nos travaux actuels, nous essayons de comprendre l'origine de cette corrosion sous contrainte. Elle est à la fois due à un phénomène dit de bras mort, c'est-à-dire d'eaux un peu stagnantes, et à des contraintes liées apparemment à la géométrie des tuyauteries, ce qui orienterait ce problème, d'après la position d'EDF aujourd'hui, vers le palier N4, les réacteurs les plus récents, et les plus récents des réacteurs de 1 300 MW, qu'on appelle le palier P'4. Pour ce dernier, la géométrie des lignes concernées est un peu compliquée et un peu longue.

Les rejets dans les cours d'eau et la sécheresse renvoient à la question de la canicule. Nous pouvons élargir le débat et parler des « agressions externes » que peuvent être les séismes, les incendies, les grands chauds, les grands froids ou les inondations. Les centrales nucléaires ont pris en compte ce sujet dès leur conception, mais de manière clairement insuffisante. Depuis leur création, les préoccupations sur ce sujet augmentent. Quelques épisodes, au milieu des années 1980, ont concerné la Loire, où de grands froids ont amené une prise en masse du fleuve. Cela pose un vrai problème de sûreté, puisqu'on ne peut plus alors pomper l'eau pour refroidir les installations. À la suite de cela, EDF a développé un programme « grand froid » que l'IRSN a expertisé. En 1999, l'inondation de la centrale du Blayais a conduit à une révision complète de la démarche inondation. Clairement, l'inondation du Blayais était un précurseur de l'accident de Fukushima. Les deux accidents ont d'ailleurs un point commun qui a tardé à être reconnu, à savoir qu'ils concernaient tous deux plusieurs réacteurs d'un même site, ce qui est assez caractéristique des agressions externes. D'ailleurs, quand nous avons fait le retour d'expérience de Fukushima, les conclusions tirées de l'inondation du Blayais n'ont pas dû être modifiées. Le travail mené au Blayais anticipait les conclusions tirées de l'accident de Fukushima.

Au milieu des années 2000, les canicules ont conduit à des plans « grand chaud ».

La canicule se traduit de plusieurs manières. Souvent, ces épisodes se passent à un moment où le niveau des eaux est faible. Se pose la question environnementale de l'impact sur le biotope, sur la vie dans les cours d'eau. L'IRSN n'intervient pas sur ce sujet, qui est géré par l'Autorité de sûreté nucléaire ; il intervient sur le sujet radioactif.

Le premier problème environnemental est d'éviter que l'eau se réchauffe trop : si c'est le cas, il faut arrêter le réacteur. Mais les grands chauds posent aussi un problème du point de vue de la sûreté. Un certain nombre d'équipements doivent fonctionner dans des gammes de températures ni trop basses ni trop hautes. Le plan « grand chaud » qu'a développé EDF a traité ce sujet. Dans le cadre de notre avis sur la prolongation d'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts au-delà de 40 ans, nous avons demandé un renforcement de ces dispositions. Il peut prendre plusieurs formes : tantôt retenir des équipements qui résistent mieux aux températures, tantôt améliorer les échangeurs thermiques pour permettre d'obtenir des ambiances plus froides. En tout état de cause, si les températures sont trop élevées, des critères de sûreté conduiraient à l'arrêt du réacteur. En intégrant ce sujet dans une démarche plus large de dérèglement climatique, il est demandé aux opérateurs de nouveaux réacteurs d'intégrer cette perspective de long terme. Sur le réacteur en fonctionnement, cette question est observée tous les dix ans, à l'occasion des réexamens de sûreté.

Monsieur Tanguy s'interrogeait sur la manière dont les résultats scientifiques sont utilisés. La crédibilité associée aux scientifiques me semble être plutôt élevée. Nous poursuivons notre démarche d'ouverture à la société. Nous n'essayons pas de convaincre les gens ; nous essayons de leur donner des éléments pour qu'ils se fassent leur propre réflexion. Nous interagissons avec les commissions locales d'information. Ces structures de type Grenelle réunissent l'exploitant, les experts, les associations, les administrations et les élus. Je crois qu'il y en a 35 en France. Elles sont un lieu de débat et d'échanges. L'IRSN pratique, dans ces instances, le dialogue technique. Nous venons présenter nos démarches. Nous constatons que, dans ces instances et dans la société, les compétences se développent et nous avons un vrai débat technique. Il me semble que c'est la solution pour que les gens se forment leur propre philosophie. Certains seront cependant tout à fait pour, d'autres tout à fait contre ; il me paraît difficile de convaincre tout le monde.

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Marie-France Bellin, présidente du conseil d'administration de l'IRSN

– Un service des politiques d'ouverture à la société a été créé au sein même de l'IRSN, ainsi qu'un comité spécialisé.

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Tout à fait. Notre démarche d'ouverture à la société n'est pas une démarche de porte-parole. Nos experts, nos chercheurs vont rencontrer les CLI, les experts non institutionnels et présentent leurs résultats. C'est un métier qui s'apprend. Nous proposons des formations pour mettre nos experts en condition et les accompagner. Je constate que nos experts et chercheurs qui le font sont un peu inquiets à la première réunion et y retournent ensuite volontiers.

Pour répondre à la question de Monsieur Brotherson, la situation à Mururoa est suivie par le ministère de la Défense. Que fait l'IRSN, en Polynésie, depuis de nombreuses années ? Depuis les années 1960, nous avons un laboratoire sur place, le LESE, qui fait de la mesure de radioactivité dans l'environnement, dans la partie civile du site. Nous constatons que le niveau de radioactivité est aujourd'hui faible. Nous faisons également des mesures sur un certain nombre d'îles. Nous constatons que l'exposition artificielle, aujourd'hui, en Polynésie, au vu de nos résultats, est un millième de la radioactivité naturelle. La démarche est systématique, nous la menions tous les ans et la menons désormais tous les deux ans, parce que les niveaux sont faibles et n'évoluent pas. Nous appliquons cette surveillance sur sept îles de Polynésie, représentatives des cinq archipels. Par ailleurs, nous participons aux travaux d'un certain nombre de commissions. Nous avons été auditionnés par le Civen et par l'Observatoire de la santé des vétérans. Nous ne sommes du reste pas sollicités au titre des mesures que nous réalisons sur l'atoll de Mururoa, mais au titre de nos compétences en radiobiologie, en radioprotection et en épidémiologie.

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. – En l'absence d'autres demandes d'intervention, je voudrais vous remercier de votre fidélité à l'Office. Merci également, à travers vous, à l'ensemble des équipes de l'IRSN. L'Office aura l'occasion de vous solliciter à nouveau dans le cadre de rapports prochains ou d'évaluations.

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Je vous invite à venir visiter les installations de l'IRSN. Certaines se trouvent en région parisienne, au Vésinet où nous faisons de la surveillance, ainsi qu'à Fontenay-aux-Roses, où nous avons notre centre de crise. Si vous êtes intéressés, nous pouvons organiser une visite de notre centre de crise, voire d'autres installations. Nous sommes à votre disposition.

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Marie-France Bellin, présidente du conseil d'administration de l'IRSN

– Merci à vous. Nous sommes très heureux de pouvoir vous donner certaines informations et nous sommes à votre disposition si vous en souhaitez davantage, ou à l'occasion de la préparation ou de la publication de rapports.

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. – Nous avons noté l'invitation et nous l'évoquerons. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est close.

La réunion est close à 12 h 15.

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du jeudi 21 juillet 2022 à 11 h 00

Députés

Présents. - M. Moetai Brotherson, M. Jean-Luc Fugit, Mme Olga Givernet, M. Victor Habert-Dassault, M. Pierre Henriet, M. Aurélien Lopez-Liguori, M. Jean-François Portarrieu, M. Alexandre Sabatou, M. Jean-Philippe Tanguy

Excusés. - M. Philippe Bolo, Mme Perrine Goulet

Sénateurs

Présent. - M. Stéphane Piednoir

Excusés. - Mme Laure Darcos, Mme Annie Delmont-Koropoulis, M. Ludovic Haye, Mme Annick Jacquemet, Mme Sonia de la Provôté, M. Gérard Longuet, Mme Michelle Meunier, Mme Angèle Préville, Mme Catherine Procaccia, M. Bruno Sido