En 2021, dans le champ de l'expertise, nous avons rendu 650 avis et rapports aux différentes autorités civiles, de défense, de sécurité et de non-prolifération et aux ministères. Je vais évoquer quelques aspects de cette activité d'expertise. Comme nous l'avons fait pour le quatrième examen périodique des réacteurs de 900 mégawatts, nous avons engagé le quatrième examen décennal des 20 réacteurs de 1 300 mégawatts, ce qui s'inscrit dans la volonté d'EDF de prolonger l'exploitation de ces réacteurs. Ces réacteurs, la plupart construits dans les années 1980, ont une conception proche de celle des réacteurs de 900 mégawatts sur lesquels nous nous sommes prononcés en mars 2020, dans un avis de synthèse, résultat de 200 000 heures d'expertise et de 40 avis publics. Une différence importante entre les réacteurs de 1 300 mégawatts et de 900 mégawatts tient à l'enceinte de confinement, qui est constituée, pour les réacteurs de 1 300 mégawatts, d'une double enceinte. Pour conforter notre expertise, nous avons engagé des travaux de recherche sur le comportement de cette enceinte en cas d'accident grave. Voilà un exemple de la synergie essentielle entre l'expertise et la recherche.
La cohérence du cycle du combustible est aussi un sujet structurant qui mobilise l'Institut. Il s'agit notamment, pour les opérateurs EDF, Orano et l'Andra, de s'assurer que, même en cas d'aléas d'exploitation, les capacités d'entreposage dans les installations sont suffisantes. C'est un réel enjeu de sûreté nucléaire. L'analyse a montré que les capacités d'entreposage des piscines de combustibles usés seraient saturées avant la fin de la décennie, voire plus tôt s'il y avait des aléas de production. EDF a décidé de construire une nouvelle piscine d'entreposage d'assemblages combustibles. Elle doit être mise en service en 2034 et l'IRSN s'était prononcé, en 2018, sur les options de sûreté prévues pour cette piscine. Dans l'attente, Orano a demandé à l'ASN l'autorisation d'augmenter le nombre d'assemblages combustibles entreposés dans trois piscines de son site de La Hague. Nous avons expertisé le dossier d'options de sûreté de ce projet de densification. Nous avons considéré que les options de sûreté étaient globalement adaptées, en identifiant néanmoins deux sujets qui doivent être pris en compte plus précisément pour la demande d'autorisation : d'une part, la conception des nouveaux équipements d'entreposage ; d'autre part, l'efficacité des systèmes de refroidissement des eaux de piscine.
Cet avis est public, comme le prescrit la loi, et nous l'avons complété par une version commentée qui est aussi sur notre site. Il s'agit du même avis, auquel nous avons seulement ajouté des commentaires pour en faciliter la lecture à toute personne intéressée. Voici un exemple de ce qu'est depuis 20 ans, c'est-à-dire depuis la création de l'Institut, notre politique d'ouverture à la société et de notre interaction avec elle. Elle se traduit notamment par un dialogue continu avec le Haut comité à la transparence et à l'information en matière de sécurité nucléaire (HCTISN), mais aussi avec les commissions locales d'information qui sont près de tous les sites nucléaires et sont regroupées au sein d'une association nationale avec laquelle nous dialoguons également. Cela permet de partager nos travaux et d'intégrer les préoccupations de ces instances dans nos expertises.
J'en viens aux petits réacteurs modulaires, ou SMR (small modular reactors). Les SMR se caractérisent, selon leurs promoteurs, par une conception simplifiée par rapport aux réacteurs de forte puissance constituant le parc actuel. Au niveau international, il existe de nombreux modèles de SMR, dont la technologie et la maturité sont très variables. Dans une note d'information, nous avons identifié les enjeux de sûreté associés. Sur le principe, la puissance limitée de ces réacteurs devrait leur permettre de respecter des objectifs de sûreté exigeants, en termes de fréquence d'accidents et de limitation des rejets, notamment du fait qu'il n'est pas nécessaire de prendre d'urgence des contre-mesures en cas d'accident. Il faut étudier dans le détail ces différents concepts, pour se positionner plus avant sur un niveau de sûreté, notamment sur le recours accru aux systèmes passifs, l'un des arguments mis en avant par les promoteurs.
Nous nous sommes penchés sur de nombreux autres sujets d'expertise, par exemple la mise en service du réacteur EPR et le projet Cigéo ou encore, dans le domaine de la défense, l'analyse des essais à la mer du sous-marin nucléaire d'attaque, le Suffren.
Dans le domaine de l'expertise en radioprotection médicale ou environnementale, l'IRSN a achevé un certain nombre de travaux en 2021. Nous avons notamment publié le dernier constat radiologique régional pour la Normandie et les Hauts-de-France. Ces constats radiologiques régionaux permettent de disposer d'un état des lieux approfondi de la radioactivité sur le territoire étudié ; ils complètent la surveillance régulière de la radioactivité de l'environnement. Aujourd'hui, nous passons à une autre démarche : nous réalisons des études radiologiques de site, en commençant par le site de la centrale nucléaire de Saint-Alban. L'objectif est d'améliorer la connaissance des effets que peut avoir sur l'environnement la présence d'un site nucléaire et d'estimer de manière plus réaliste l'exposition des populations avoisinantes, ainsi que de contribuer à l'information des autorités et du public. Dans la démarche d'ouverture à la société que j'ai déjà évoquée, c'est aussi une manière d'impliquer les populations dans la mesure de la radioactivité environnementale.
Un mot sur le tritium. Il s'agit d'un radioélément, isotope de l'hydrogène, qui est produit par les installations nucléaires, notamment les réacteurs. Il soulève un certain nombre de questions. Dans ce cadre, nous avons réalisé, en mai 2021, la synthèse de dix ans de recherche en radiotoxicologie humaine et environnementale sur ce radioélément. Ce travail avait été conduit avec les laboratoires nucléaires canadiens. Les résultats concordent avec ceux qui ont été publiés par d'autres équipes. Ils indiquent que les modifications induites par l'incorporation de tritium sont observées à des niveaux d'exposition élevés. Ce rapport a fait l'objet d'un webinaire rassemblant 200 personnes. En juin 2021, nous avons présenté à un comité de suivi pluraliste les résultats d'une étude qui avait été lancée suite à la publication, par un réseau de préleveurs citoyens, d'une activité de tritium de 310 becquerels par litre mesurée dans la Loire. Ce niveau était plus élevé que ce qui était observé de manière systématique. Notre étude n'a pas mis en évidence de mesures atypiques dans les eaux de la Loire. Par contre, sur la base des mesures de terrain que nous avons effectuées et de nouvelles modélisations, nous avons pu mieux caractériser les conditions de dispersion des rejets dans la Loire, entre Chinon et Saumur.
Un point sur les expositions professionnelles aux rayonnements ionisants. En vertu de dispositions réglementaires, l'IRSN doit faire un bilan annuel pour le ministère du Travail. Cela concerne les activités médicales, vétérinaires, l'industrie nucléaire ou non nucléaire, la recherche, l'enseignement, ainsi que des secteurs concernés par l'exposition aux rayonnements naturels, par exemple les personnels navigants aériens. Nous constatons une augmentation légère de l'effectif suivi, avec 90 000 travailleurs environ. 60 % sont dans le domaine médical et vétérinaire et 22 % dans le nucléaire. Nous constatons que la dose a augmenté, en 2021, de 9 %, ce qui est à mettre en rapport avec le volume des travaux de maintenance dans le domaine nucléaire qui s'est accru en raison du grand carénage et de l'amélioration des conditions sanitaires liées au Covid.
Dans le champ de l'expertise en radioprotection, je voulais aussi souligner l'implication internationale de l'IRSN. En 2021, nous avons été nommés « capacity building center » de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour la gestion médicale et sanitaire des urgences radiologiques et nucléaires, ce qui marque une reconnaissance de l'Institut sur ces sujets. Une fois par an environ, une personne dans le monde est victime de surirradiation et l'IRSN fait partie, avec l'hôpital Percy, des organismes vers lesquels l'AIEA se tourne pour accueillir ces personnes surirradiées. En septembre, l'hôpital Percy et l'IRSN ont accueilli un patient d'Amérique du Sud pour le traiter. Pour mémoire, dans le domaine international et médical, l'IRSN est aussi centre collaborateur de l'OMS.
Un dernier point sur l'activité de recherche. Comme je l'ai dit, la recherche sert à disposer des connaissances nécessaires à notre expertise. J'ai déjà donné un exemple sur le béton, dans le cadre de l'expertise des réacteurs de 1 300 mégawatts. C'est une recherche au sens classique du terme, qui est partenariale et internationale. La présidente du conseil d'administration a évoqué le partenariat avec l'Institut Gustave Roussy ; je peux aussi mentionner la feuille de route signée récemment avec le CNRS, avec lequel nous avons énormément de collaborations, ou l'accord-cadre, conclu en début d'année avec l'Université Paris-Saclay. Nous sommes aussi un acteur important, dans notre champ de la recherche en sûreté nucléaire, en radioprotection. Nous étions par exemple présents, en 2021, dans 33 projets européens.
Pour illustrer l'année 2021, permettez-moi de citer trois exemples, parmi des réalisations nombreuses et très variées. Nous avons achevé, au Canada, une campagne de 26 essais destinée à étudier la capacité de refroidissement du cœur d'un réacteur en situation d'accident, dans le cadre d'un programme qui s'appelle « Perfroi », post-Fukushima, financé par l'ANR. Ces données servent à alimenter des codes de calcul que nous utilisons dans le cadre de l'expertise. Un autre projet de l'ANR vise la mise au point d'un traitement pour les victimes d'un syndrome aigu d'irradiation. Il ouvre de nouvelles voies de prise en charge des patients victimes de ces complications, notamment à la suite d'une radiothérapie. Enfin, dans le cadre d'une démarche européenne, nous étudions la possible contribution à la radioprotection de méthodes développées en lien avec l'étude de la toxicité des produits chimiques.
J'en viens à mes conclusions. Dans l'ensemble de nos champs d'intervention, nous sommes dans un contexte d'enjeux sans précédent, d'attentes et de demandes croissantes. Cela concerne aussi bien la sûreté nucléaire, du fait à la fois de la prolongation d'exploitation d'installations et de nouveaux projets, que la sécurité nucléaire, dans un contexte de menaces persistant, ou encore la protection contre les rayonnements ionisants, du fait d'un recours accru à ceux-ci dans le domaine médical mais aussi d'une augmentation des préoccupations sociétales en santé-environnement. Tous nos champs d'intervention sont concernés. L'ensemble de ces enjeux est retracé dans notre baromètre qui vient d'être publié. Je n'ai pas le temps d'entrer dans le détail, mais je pourrai y revenir si vous le souhaitez.
Pour faire face à ces évolutions constantes, pour assurer la pérennité et la pertinence de nos actions, pour répondre à ces demandes et attentes croissantes, nous nous adaptons en permanence. Dans le contexte de ressources publiques que nous connaissons – j'ai déjà évoqué le constat de la Cour des comptes sur la soutenabilité budgétaire de l'IRSN qu'il faut restaurer – l'IRSN a engagé des démarches de transformation pour améliorer son efficacité et son efficience : transformation numérique, transformation managériale, transformation des modes de travail.
En particulier, en 2021, nous avons formalisé notre stratégie numérique et préparé notre feuille de route RSE, qui a été publiée en 2022. Il s'agit in fine de permettre aux femmes et aux hommes de l'Institut de répondre à tout moment à ce besoin d'adaptation, pour que la sûreté nucléaire, la sécurité nucléaire, la protection des personnes et de l'environnement soient au plus haut niveau, dans une société actrice de la gestion des risques. Nous voulons contribuer à ce haut niveau de sûreté qui doit caractériser notre bouquet énergétique, quel qu'il soit.