La commission examine pour avis l'article 6 du projet de loi relatif à des mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat (n° 19 – M. Louis Margueritte, rapporteur pour avis).
Mes chers collègues, en raison de l'examen d'une motion de censure dans l'hémicycle à 16 heures, l'ordre du jour de la présente réunion est limité à l'examen pour avis de l'article 6 du projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. La discussion générale et l'examen pour avis des articles 1er à 5 et 15 à 19 de ce projet de loi auront lieu ce soir à 21 heures.
L'article 6 prévoit deux mesures.
La première consiste à anticiper de trois mois la revalorisation des paramètres du barème des aides personnelles au logement (APL) relatifs aux dépenses des ménages, qui a normalement lieu au 1er octobre de chaque année, sur la base de l'indice de référence des loyers (IRL) du deuxième trimestre de l'année en cours. Cette année, exceptionnellement, elle aura lieu au 1er juillet. Le Gouvernement propose de la fixer à 3,5 %, soit un montant correspondant peu ou prou à l'IRL qui devrait être annoncé à la mi-juillet par l'INSEE, et qui se serait appliqué au 1er octobre.
Cette mesure est associée à une revalorisation des paramètres relatifs aux ressources des bénéficiaires, laquelle ne suppose aucune modification législative. Prise par arrêté, cette mesure permettra à ceux dont les ressources n'ont pas augmenté de bénéficier d'un montant d'APL plus important.
Par ailleurs, il est normal que le montant de l'IRL retenu soit inférieur à l'inflation constatée au mois de juillet et au mois de juin. En effet, il est obtenu en calculant une moyenne sur douze mois glissants. Une forme de rattrapage aura lieu, le cas échéant, au cours des mois à venir.
Concrètement, grâce à la revalorisation des paramètres du barème des APL, les ménages bénéficiaires profiteront d'une hausse de leur APL allant jusqu'à plusieurs dizaines d'euros par mois, sans attendre le mois d'octobre. Il en résultera, d'après les estimations dont nous disposons, un coût supplémentaire pour l'État d'environ 150 millions d'euros.
La seconde mesure consiste à plafonner à 3,5 % l'augmentation des loyers de juillet 2022 à juin 2023. À la date anniversaire d'un bail – dans le parc privé – ou au 1er janvier de chaque année – dans le parc social –,le bailleurpeut décider d'augmenter le loyer, en suivant l'IRL. Celui-ci continuera d'augmenter, pour atteindre sans doute 4,5 % ou 5 % au quatrième trimestre 2022 ainsi qu'au premier trimestre 2023. Le plafonnement à 3,5 % constitue une mesure de protection des locataires cohérente avec la revalorisation du barème des APL. Cela représente une économie pour les locataires d'environ 700 millions d'euros par rapport à l'absence de plafonnement. En outre, cette mesure complète les mesures relatives à l'indice des loyers commerciaux (ILC) prises par le Gouvernement il y a quelques mois.
Au bénéfice de ces deux mesures, et sans préjudice de celles que nous examinerons ce soir, j'émets un avis favorable à l'adoption de l'article 6.
En matière d'aide au logement, toute mesure de plafonnement est susceptible d'avoir l'effet pervers d'accentuer la crise du logement. Par ailleurs, il faudrait peut-être moduler le plafonnement en fonction de la situation du marché du logement, selon les zones géographiques.
Le taux de plafonnement de l'IRL prévu par le texte est inférieur d'un point au montant attendu à l'automne. M. le rapporteur pour avis pourrait-il préciser les conséquences de cette décision sur le parc locatif social ? Tous les organismes logeurs ne sont pas dans une situation très favorable.
Par ailleurs, qu'en est-il des collectivités d'outre-mer (COM) ? Les mesures proposées sont très générales, et ne semblent pas tenir compte de la diversité des situations.
Pour l'heure, nous n'avons identifié aucune difficulté insurmontable pour les bailleurs sociaux. La perte agrégée est estimée à 248 millions d'euros pour les bailleurs sociaux par rapport à l'évolution des loyers qui aurait eu lieu sans modification législative. La prise en compte de la diversité des situations est une véritable difficulté, que nous évoquerons lors de l'examen des amendements.
TITRE Ier : PROTECTION DU NIVEAU DE VIE DES FRANÇAIS
Chapitre II : Revalorisation anticipée de prestations sociales
Article 6 : Bouclier loyers et anticipation des APL
Amendement CF102 de M. Michel Castellani.
Il s'agit d'insérer un plafond de 1 % pour la hausse de l'IRL dans le parc résidentiel privé, en lieu et place du plafond de 3,5 % proposé par le Gouvernement. L'objectif est de placer le bouclier loyers à la hauteur des enjeux, notamment des tensions que subit le pouvoir d'achat des Français les plus précaires. Il est impératif de protéger les plus démunis en limitant la hausse de leur loyer.
Les propriétaires bailleurs du parc privé sont, pour une grande majorité d'entre eux, dans une situation financière qui leur permet d'accepter un tel plafonnement. La proportion de multipropriétaires, qui ont plus de cinq logements mis en location et détiennent ensemble plus de la moitié du parc locatif, est d'environ 3,5 %. Quant aux petits propriétaires bailleurs, leurs charges sont essentiellement composées de remboursements d'emprunts, indifférents à l'inflation s'il s'agit d'emprunts à taux fixe.
S'agissant des bailleurs sociaux, les auteurs de l'amendement sont conscients qu'ils sont confrontés à des difficultés financières. Ils conservent donc le compromis consistant à plafonner l'augmentation des loyers à 3,5 % pour les ménages les plus fragiles du parc social. Cette hausse sera contrebalancée par la hausse identique du montant des APL.
L'amendement a pour objet de soulever la question. Pourquoi 3,5 % et non 1 % ou 4 % ? M. le rapporteur pour avis a-t-il pu, dans les brefs délais qui lui ont été impartis, auditionner des propriétaires privés et des représentants du mouvement HLM pour savoir ce qu'ils pensent de cette mesure ?
La question soulevée par les auteurs de l'amendement est importante.
Les délais qui nous ont été impartis ne nous ont pas permis de mener de nombreuses auditions. Nous avons surtout travaillé avec les ministères chargés de cette négociation. Une négociation similaire – certes, comparaison n'est pas raison – a été menée par le Gouvernement au sujet de l'ILC il y a quelques mois. Il en est résulté la révision du mode de calcul de cet indice, notamment au bénéfice des petits commerçants, ce qui a permis de diviser par deux l'augmentation de l'ILC, qui, à défaut, aurait été comprise entre 3,3 % et 4 %. En tout état de cause, bailleurs et locataires sont confrontés à des difficultés. Il s'agit d'un jeu à somme nulle consistant à répartir ou non une augmentation des coûts.
Le montant de 3,5 % est du même ordre de grandeur que l'indice des revenus locatifs en juillet. Par ailleurs, les APL augmentent dans la même proportion. Ces mesures nous semblent donc équilibrées. Outre les multipropriétaires et les grandes foncières, le marché comporte aussi des propriétaires disposant d'un ou deux biens, qui constituent pour eux un complément de revenu. D'après nos chiffres, ils représentent 25 % des propriétaires bailleurs. Le montant de l'augmentation peut toujours être discuté à la virgule près, mais il constitue, me semble-t-il, un point d'équilibre qui n'est pas déraisonnable.
Par ailleurs, en matière de message émis, il faut trouver le bon équilibre vis-à-vis des investisseurs, non les grands investisseurs financiers, qui sont parfois décriés, mais ceux dont nous aurons besoin pour la rénovation énergétique des bâtiments.
Cette réponse me laisse un peu sur ma faim, et je ne suis sans doute pas le seul dans ce cas. Il serait bon, d'ici à l'examen du texte en séance publique, de se renseigner et d'auditionner les propriétaires privés ainsi que des représentants du mouvement HLM, pour savoir à quelles incidences ils s'attendent dans cette affaire.
S'agissant d'une mesure temporaire, le problème est toujours le même : comment en sortir ? Si j'ai bien compris l'article 6, les mesures qu'il prévoit s'appliqueront une fois, avant un retour à la normale.
S'agissant de leur modulation, l'examen de l'amendement CF104 permettra d'ouvrir le débat. Les mesures générales peuvent être déstabilisatrices sur certains marchés.
La commission rejette l'amendement CF102.
Amendement CF83 de Mme Clémence Guetté.
Nous proposons de geler l'IRL jusqu'à fin 2023. Son plafonnement à 3,5 % est pour nous une bombe sociale, qui induira une perte de 2,6 milliards d'euros pour les locataires, ce qui représente, pour un loyer mensuel moyen de 700 euros, une augmentation annuelle de 300 euros.
Rappelons que 3,5 % des ménages possèdent 50 % des logements mis en location. Ce sont eux qui bénéficient avant tout des hausses des loyers. Nous avons cru comprendre, lors de l'audition de Bruno Le Maire jeudi dernier, que le Gouvernement souhaitait cibler les mesures : les plus aisés doivent précisément faire un effort supplémentaire au cœur de la terrible crise que nous traversons.
Comme je l'ai indiqué à notre collègue Charles de Courson, tous les propriétaires ne sont pas des multipropriétaires très aisés. Pour beaucoup, la mise en location d'un logement est un complément de revenu. Tous n'ont pas un emprunt en face. Par ailleurs, ils doivent s'acquitter de charges d'entretien en tout genre, à l'échelle de l'appartement ou du foyer et de la copropriété.
Le taux de 3,5 % peut être débattu. Il constitue néanmoins un effort et un point d'équilibre raisonnable.
Monsieur le rapporteur pour avis, vous faites un choix. Je me contenterai de dire que ce n'est pas parce que le taux d'augmentation des APL est identique à celui du plafonnement de l'IRL que celle-ci permet de compenser la hausse des loyers. Vous savez très bien que le taux d'augmentation des APL est calculé à partir d'un montant bien plus faible. Vous feriez mieux de ne plus utiliser cet argument.
La commission rejette l'amendement CF83.
Amendement CF104 de M. Michel Castellani.
La politique du logement fait l'objet, depuis plusieurs années, d'une critique de fond : elle est nationale, alors même qu'il existe 400 marchés, dont les situations diffèrent. Certains sont très tendus, d'autres absolument pas. En outre, l'augmentation des prix n'est pas la même partout.
L'amendement vise à permettre, pour le département de Mayotte et pour la collectivité de Corse, le ministre chargé de la transition écologique et de la cohésion des territoires à procéder à l'évaluation de la nécessité de faire évoluer la variation de l'indice de réfrence des loyers en fonction de critères objectifs comme le niveau d'inflation ou liés aux disparités de niveaux de vie, notamment le taux de pauvreté constaté sur le territoire de ces collectivités.
Dans le domaine du logement, des adaptations sont d'ores et déjà prévues. Ainsi, la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN)permet d'encadrer les loyers dans les zones tendues. Les disparités régionales, ainsi qu'entre l'outre-mer et la métropole, sont peut-être importantes. Cette question mérite d'être étudiée.
Toutefois, l'amendement gagnerait à être retravaillé, notamment sur la question des critères. . Telle quelle, elle pourrait laisser démunis le préfet ou les services placés sous son autorité quant aux critères à prendre en compte pour modifier le plafonnement des loyers dans les territoires ultramarins
Cher collègue, je vous propose de retirer l'amendement en vue de le retravailler dans les jours à venir.
Je suis prêt à retirer l'amendement, mais il faut trouver une solution d'ici à l'examen du texte en séance publique.
Monsieur le rapporteur pour avis, le plafonnement de l'augmentation de l'IRL s'applique-t-il sur tout le territoire de la République ? S'appliquera-t-il, par exemple, en Polynésie française, dans les Antilles ? Traditionnellement, l'étude d'impact – je l'ai eue tardivement – comporte une rubrique précisant le champ d'application des mesures prévues. Êtes-vous ouvert à l'idée d'autoriser le Gouvernement à moduler ses mesures, selon la situation outre-mer mais aussi dans les 400 bassins de logement ?
.. Sont soumises de plein droit à ces dispositions la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon. Je suis prêt à retravailler l'amendement pour préciser les critères de modulation.
Monsieur le rapporteur pour avis, je suis un garçon à l'esprit ouvert. Je suis donc prêt à collaborer avec vous et à réfléchir, outre le cas des territoires d'outre-mer, à l'exception de la Polynésie, de Wallis-et-Futuna et de la Nouvelle-Calédonie, aux moyens de moduler cette politique nationale qui aboutit à des catastrophes dans certains bassins de logement.
L'amendement CF104 est retiré.
La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 6 non modifié.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du lundi 11 juillet 2022 à 15 heures
Présents. - M. David Amiel, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, M. Mickaël Bouloux, M. Frédéric Cabrolier, M. Florian Chauche, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Sophie Errante, Mme Marina Ferrari, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, Mme Nadia Hai, M. Alexandre Holroyd, M. François Jolivet, M. Mohamed Laqhila, Mme Constance Le Grip, M. Pascal Lecamp, Mme Charlotte Leduc, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Louis Margueritte, M. Damien Maudet, Mme Marianne Maximi, M. Robin Reda, M. Sébastien Rome, M. Alexandre Sabatou, M. Michel Sala, M. Emeric Salmon, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - Mme Karine Lebon, M. Jean-Paul Mattei, Mme Christine Pires Beaune