Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 4 octobre 2022 à 17h30

La réunion

Source

La commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2023.

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.

La séance est ouverte à 17 h 30

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir accepté de venir dès le début de la session ordinaire 2022-2023 nous présenter le budget de votre ministère pour l'an prochain, qui déterminera vos marges d'action. Vous vous inscrivez dans une certaine continuité, puisque chaque premier mardi d'octobre le ministre de l'Europe et des affaires étrangères vient traditionnellement devant notre commission.

J'observe, pour commencer, que le budget de votre ministère, tel qu'il est prévu dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 devrait s'établir à un peu plus de 6,6 milliards d'euros, en progression de 542 millions d'euros, soit une augmentation assez importante de 9 %. Ce n'est pas trop décevant dans une période marquée par un souci de maîtrise des dépenses budgétaires – il ne faut pas dire qu'il s'annonce prometteur, car il ne faut jamais être trop optimiste.

Notre commission a désigné neuf rapporteurs pour avis. Dans les prochaines semaines du long marathon budgétaire qui s'ouvre, ils vont nous éclairer sur l'usage des crédits qui financent, directement ou indirectement, l'action extérieure de l'État, la politique d'influence et le rayonnement culturel de notre pays à l'étranger. Trois de ces rapporteurs ont la responsabilité d'examiner plus spécifiquement les programmes qui dépendent de votre département ministériel. En effet, le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) se répartit de manière un peu schématique entre deux missions : la mission Action extérieure de l'État et la mission interministérielle Aide publique au développement. Au sein de celle-ci, un programme budgétaire relève du Quai d'Orsay.

Les crédits de la mission Action extérieure de l'État s'élèvent à 3,1 milliards d'euros. Ils sont donc en hausse de 6,9 %. Pour mémoire, les dépenses de fonctionnement du ministère ne représentent que 17 % du total. Il faut saluer leur modestie. Quant aux contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix, elles en représentent environ 27 %. Lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, au début du mois de septembre, vous avez vous-même annoncé que le temps du « réarmement » de notre diplomatie était venu, bien entendu au service de la paix.

De fait, nous pouvons nous réjouir collectivement que la mission Action extérieure de l'État bénéficie l'an prochain de la création nette de 100 équivalents temps plein (ETP). L'enjeu est de répondre aux besoins prioritaires que sont la présence dans la zone indo-pacifique, la capacité d'analyse politique, la sécurisation des emprises diplomatiques et la cybersécurité. S'y ajouteront 6 ETP pour la nouvelle délégation à l'encadrement supérieur. Cette création nette d'emplois est une première depuis 1993, même si votre prédécesseur avait eu le grand mérite de mettre un coup d'arrêt à la longue érosion des ressources humaines du Quai d'Orsay, qui était la norme de cet infortuné ministère depuis trop longtemps.

En matière d'immobilier, les moyens continueront leur progression. Nous y sommes très sensibles au sein de cette commission, comme en témoignent les critiques qui ont été effectuées dans le passé sur une gestion immobilière qui se voulait économe et qui était marquée du sceau de la ladrerie – ladrerie imposée au MEAE en interministériel… Les moyens continueront donc leur progression, pour atteindre 50,5 millions d'euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une augmentation de 20 %. Le plan de sécurisation des emprises de nos ambassades pourra ainsi être poursuivi, ce dont nous ne pouvons que nous satisfaire.

Des financements seront également consacrés à la lutte contre la désinformation, notamment en Afrique. Notre stratégie d'influence se verra renforcée, grâce en particulier à des dotations en faveur de l'alliance internationale pour la protection du patrimoine des zones de conflit (ALIPH). Des crédits seront également affectés à la préparation de l'exposition universelle de 2025 à Osaka, et au soutien du réseau d'enseignement du français. Une aide spécifique de 10 millions d'euros a été octroyée aux établissements français du Liban. Pour être allé dans ce pays il y a quelques mois, je peux témoigner que ce ne sera pas du luxe.

Les dotations inscrites dans le programme 209 Solidarité avec les pays en développement de la mission Aide publique au développement s'élèvent à 3,3 milliards d'euros au total. Principal outil d'aide publique au développement du MEAE, elles augmenteront de 379,4 millions d'euros. Cette hausse devrait notamment permettre de plus que décupler la provision pour crise majeure, en la faisant passer de 23 millions d'euros à 270 millions d'euros. Les crédits destinés à la composante bilatérale de l'aide publique au développement (APD) française vont s'accroître de 300 millions d'euros et passer à 1,8 milliard d'euros. Cela correspond aux engagements pris à l'article 2 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui constitue l'essentiel de l'œuvre législative de cette commission lors de la précédente législature. Elle a pour nous un caractère absolu.

Au titre de l'action humanitaire, les crédits globaux s'élèveront à 642 millions d'euros, contre 500 millions d'euros l'an passé et 154 millions en 2017. Ce n'est quand même pas rien ! L'aide alimentaire augmentera de 42 millions d'euros et le fonds d'urgence humanitaire bénéficiera d'une revalorisation de 30 millions d'euros. À cela s'ajouteront 75 millions d'euros pour l'initiative Food and agricultural resilience mission (FARM).

En définitive, chacun conviendra que le Gouvernement s'emploie à travers le PLF 2023 à revaloriser substantiellement les moyens accordés à nos services et à notre diplomatie. Je dois dire que, dans l'Assemblée nationale actuelle, il est infiniment préférable d'être président de la commission des affaires étrangères que rapporteur général du budget.

Ce rapide panorama me porte à croire que vous êtes, madame la ministre, plutôt satisfaite des arbitrages effectués à l'occasion de ce projet de budget. Si vous trouvez que ce n'est pas assez, nous vous suivrons… Pour ma part, je vois beaucoup de points positifs dans les équilibres qui ont été trouvés.

Permalien
Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Le 2 septembre 2022, lors de la Conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, j'avais réaffirmé qu'accroître notre ambition diplomatique impliquait d'augmenter les moyens du MEAE – comme cela avait déjà eu lieu depuis plusieurs années pour les autres ministères régaliens. Une augmentation avait été amorcée prudemment ces deux dernières années ; elle est renforcée dans le projet de budget qui vous est soumis. La hausse sensible des moyens du ministère bénéficie tant à la mission Action extérieure de l'État qu'à notre politique en matière d'APD. Vous l'avez souligné, ce budget prévoit aussi une hausse de nos moyens humains, inédite en près de trente ans, ce qui est très important pour le ministère.

Cette évolution prend tout son sens à la lumière de l'environnement international, que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer devant votre commission et qui ne s'est guère amélioré depuis. Un environnement brutal où il est urgent que la diplomatie intervienne encore plus activement. Les moyens supplémentaires que je m'apprête à vous présenter répondent à ces enjeux. Ils nous permettront de déployer une diplomatie combative, agile et innovante ; une diplomatie de résultats concrets, au service des Français.

Dans un premier temps, je vous présenterai l'économie générale de ce budget. Le MEAE comprend deux missions. La mission Action extérieure de l'État comporte les programmes 105 Action de la France en Europe et dans le monde, 151 Français à l'étranger et affaires consulaires et 185 Diplomatie culturelles et d'influence. La mission Aide publique au développement comprend le programme 110 Aide économique et financière au développement, qui est géré par le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et le programme 209 Solidarité à l'égard des pays en développement, qui relève du Quai d'Orsay.

La trajectoire d'augmentation de notre budget se confirme et s'amplifie. En 2023, il devrait ainsi atteindre 6,65 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), pour l'ensemble de ses missions, avec une augmentation de 543 millions d'euros – soit une progression de 9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

Cette hausse bénéficiera à hauteur de 160 millions d'euros à la mission Action extérieure de l'État, qui atteindra 3,218 milliards d'euros. Cela constitue une augmentation substantielle. Elle s'inscrit en outre dans la trajectoire d'augmentation des moyens de la mission Aide publique au développement. Le programme 209, rattaché au Quai d'Orsay, en bénéficiera à hauteur de 383,1 millions d'euros. Il atteindra 3,436 milliards d'euros et deviendra donc prépondérant dans le budget du ministère .

J'ajoute que les deux programmes de la mission Aide publique au développement, qui est pilotée par ce ministère et regroupe les programmes 209 et 110, atteindront 5,77 milliards d'euros. Cela représente une hausse de 17 % par rapport à 2022 et un doublement des crédits par rapport à 2017.

Par ailleurs, fait particulièrement notable cette année, nos effectifs vont croître pour la première fois en trente ans, avec 100 ETP supplémentaires. Les effectifs avaient baissé de 30 % au cours des deux dernières décennies et de 17 % depuis 2006 – et cela sans modification substantielle du périmètre du ministère. Le PLF 2023 marque une rupture avec cette tendance, qui n'était plus soutenable. Mon prédécesseur parlait d'hémorragie des emplois. Cette évolution était d'autant plus intenable que la situation internationale ne s'est pas améliorée et que les moyens de nos principaux partenaires ont crû ces dernières années. Le plafond d'emplois du ministère est ainsi porté à 13 634 équivalents temps pleins travaillés (ETPT). Pour un ministère comme le nôtre, il s'agit d'une augmentation substantielle. Elle visera pour l'essentiel à mieux répondre à des besoins accrus par la multiplication des crises internationales.

Afin de financer à la fois la hausse de notre plafond d'emplois et la poursuite des réformes en cours au sein du ministère, sa masse salariale connaîtra une hausse de 6 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022.

Ces moyens nouveaux permettront d'accélérer la réforme des ressources humaines, au bénéfice de toutes les catégories d'agents : titulaires, contractuels ou de droit local. Ces moyens nouveaux s'établissent à 15,7 millions d'euros. Ils permettront de financer la poursuite de la mise en œuvre du plan de modernisation des ressources humaines, amorcée dans le cadre de la loi de finances pour 2022, ainsi que des mesures nouvelles à hauteur de 8 millions d'euros.

Grâce à ces moyens, nous continuerons à renforcer l'attractivité des métiers diplomatiques, en agissant tout au long des carrières. Lors du recrutement d'abord, en adaptant les épreuves des concours à l'exercice de nos métiers mais aussi en diversifiant les viviers de recrutement, afin que le ministère reflète tous les visages de notre pays. Je veillerai ainsi à ce que soit poursuivie l'expérience très réussie des deux premières académies diplomatiques d'été de La Courneuve, où est implantée une partie du ministère.

Nous amplifierons ensuite notre effort de formation, initiale et continue, afin que nos agents disposent de toutes les compétences nécessaires à l'exercice de leurs métiers. C'est le sens de l'école pratique des métiers de la diplomatie (EDI), implantée à La Courneuve et créée à l'initiative de Jean-Yves Le Drian.

Enfin, les rémunérations doivent pouvoir garantir des conditions de vie et d'exercice professionnel satisfaisantes. Nous avons veillé à ce que les mesures bénéficient à toutes les catégories d'agents. Après le plan ressources humaines financé en 2022, qui a notamment permis une augmentation des rémunérations des titulaires comme des contractuels en administration centrale, nous poursuivrons en 2023 la mise en œuvre du plan de convergence des rémunérations entre agents titulaires et contractuels, en lui consacrant 6,4 millions d'euros. J'insiste sur ce point, parce que le MEAE emploie 52 % de contractuels. Il entend rester pionnier dans la mise en œuvre du principe « à fonction égale, salaire égal ». Une dotation de 1,6 million d'euros sera également consacrée à la revalorisation des volontaires internationaux, ces jeunes collègues qui font un travail remarquable dans nos ambassades. Enfin, 3 millions d'euros sont prévus pour l'harmonisation des rémunérations des agents de droit local.

Ces mesures salariales s'accompagnent en outre de dépenses visant à améliorer la vie et le parcours de nos agents. Le budget de 4,8 millions d'euros consacré à l'école pratique des métiers de la diplomatie, fortement augmenté en 2022, est reconduit en 2023. Il s'agit ainsi de consolider l'offre de formation accessible à tous les agents.

Pour répondre aux besoins, une attention particulière sera portée au logement social, y compris d'urgence, avec un budget de 2 millions d'euros, qui prolonge l'important effort d'augmentation du parc de logements consenti l'an dernier.

Face aux effets de l'inflation, nous avons prévu une provision de 24 millions d'euros destinée à soutenir la rémunération de nos agents à l'étranger, y compris ceux de droit local.

Enfin, le ministère va poursuivre la mise en œuvre de la réforme de la haute fonction publique, en faisant évoluer son organisation et son fonctionnement, afin de jouer pleinement son rôle de chef de file interministériel de l'action extérieure de l'État, rôle rappelé par le président de la République et la première ministre.

Après cette présentation générale, j'en viens à la mission Action extérieure de l'État, qui regroupe les programmes 105, 151 et 185.

Le PLF 2023 consacre le renforcement durable des moyens de notre diplomatie au service de trois priorités. La première concerne le programme 105. Il s'agit de nous donner les moyens d'agir efficacement dans un monde en voie de fracturation.

En ce sens, il est essentiel de maintenir un outil diplomatique universel, capable de se déployer partout dans le monde et d'agir dans la quasi-totalité des organisations régionales et internationales. La France dispose du troisième réseau diplomatique mondial, fort de 163 ambassades, de 16 représentations permanentes et de 90 consulats généraux. Nous sommes présents partout, et nous sommes en mesure de parler à tout le monde. C'est un atout majeur pour bâtir les coalitions qui nous permettent d'obtenir des votes favorables à l'organisation des Nations Unies (ONU), comme par exemple lors de la dernière Assemblée générale, où nous sommes parvenus à faire condamner l'agression en Ukraine et à isoler la Russie, ce qui n'était pas acquis. C'est également un outil puissant au service de nos ressortissants. C'est grâce à ce réseau universel que nous avons été en mesure de les aider pendant la pandémie de Covid-19, partout dans le monde.

Ainsi, en 2023, le programme 105 verra ses crédits croître de 77,9 millions d'euros, hors dépenses de personnel, pour s'établir à 1,308 milliard d'euros.

Cela concerne tout d'abord les contributions de la France aux organisations internationales et aux Nations Unies, qui matérialisent notre engagement en faveur du multilatéralisme, du maintien de la paix et de la sécurité internationale, ainsi qu'en faveur de la souveraineté de l'Union européenne (UE).

Au sein du programme 105, les contributions augmenteront de 45,5 millions d'euros pour tenir compte notamment des effets de change : plus de la moitié de nos versements sont réalisés en dollars américains, devise utilisée par les Nations Unies. Elles s'établiraient ainsi à 829,1 millions d'euros.

La contribution du MEAE à la facilité européenne pour la paix (FEP), fortement sollicitée dans le cadre des actions de soutien à l'Ukraine, s'élève à 67,8 millions d'euros ; l'autre part de la contribution française est financée par le ministère des armées.

Je me réjouis également de la hausse de 2,3 millions d'euros de la contribution française au budget de la Cour pénale internationale (CPI), dont l'activité augmente depuis l'agression russe en Ukraine et dont le travail est essentiel pour poursuivre les exactions et crimes de guerre perpétrés par la Russie. La lutte contre l'impunité est un axe fort de notre action car il n'y a pas de paix sans justice. J'ai ainsi reçu Karim Khan, le procureur de la CPI. De même, la contribution française au Conseil de l'Europe augmente de 4,8 millions d'euros, conséquence de l'exclusion de la Russie.

Enfin, nous poursuivons l'effort mené depuis 2020 pour les contributions volontaires sur les thématiques climatiques et de développement, assurées par le programme 209, qui augmenteront de 59 millions d'euros cumulativement avec celles retracées par le programme 105.

Alors que nos partenaires décident de hausses importantes de leurs contributions, cet effort vise à conforter l'action des organisations internationales sur des sujets prioritaires pour nos intérêts, ainsi qu'à consolider l'influence française dans le système multilatéral.

Les crédits du programme 105 augmenteront aussi pour l'entretien et la modernisation de l'exceptionnel patrimoine immobilier du ministère, en France comme à l'étranger. Ce patrimoine est un outil de travail mais aussi de rayonnement et d'influence. En 2023, nous pourrons nous appuyer sur les moyens supplémentaires affectés à la direction des immeubles et de la logistique du ministère, qui disposera d'un budget de 119,7 millions d'euros. Les crédits supplémentaires permettront de poursuivre la mise en œuvre de notre programmation immobilière.

J'ai par ailleurs décidé de quintupler la dotation annuelle aux projets de verdissement des ambassades et des consulats, qui atteindra ainsi la somme de 1 million d'euros. Ils ont été pionniers en la matière et aux avant-postes de la sobriété énergétique dans le service public dès la préparation de la COP 21. Ils ont été exemplaires et doivent le rester.

Dans un contexte de persistance et souvent d'aggravation de la menace, les moyens nouveaux du programme 105 concernent aussi la sécurisation des emprises. L'enveloppe croît de 5 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 3 millions d'euros en CP. Cela permettra notamment de renforcer la sécurité des postes d'Islamabad, de Bagdad ou d'Addis-Abeba et, plus largement, de sécuriser les ambassades là où nos agents sont exposés à des situations de crise ou d'instabilité.

La progression des crédits du programme 105 bénéficiera aussi au numérique, pour lequel nous continuons à consentir des investissements soutenus. Il s'agit d'améliorer l'efficacité de nos outils, de pallier les inégalités de déploiement selon les pays et de renforcer la cybersécurité de notre réseau, le deuxième le plus attaqué après celui de la présidence de la République.

La stratégie d'investissement numérique se poursuivra donc en 2023 et les moyens de la direction du numérique s'établiront à 52,2 millions d'euros, en augmentation de 4,4 millions d'euros.

Enfin, la hausse des crédits du programme 105 s'appliquera à la communication stratégique. C'est un enjeu de plus en plus pressant, alors que nous sommes confrontés à des opérations de désinformation et de propagande hostiles, souvent d'origine russe, qui visent à attiser les discours antifrançais sur les réseaux sociaux, notamment en Afrique ou en Europe. Afin de mieux lutter contre ces pratiques, nous augmenterons de 2,5 millions d'euros les moyens de la direction de la communication et de la presse.

S'agissant de communication stratégique, la deuxième priorité assignée à la mission Action extérieure de l'État et au programme 185 est de renforcer notre politique d'influence, à l'heure où nos compétiteurs en font un véritable outil de puissance. L'influence est au cœur de batailles mondiales de plus en plus féroces. Elle est nécessaire pour maintenir un espace de dialogue et de coopération avec les sociétés civiles, alors que les tensions entre États s'aggravent. L'apprentissage du français, l'enseignement supérieur ou le rayonnement de nos industries culturelles et créatives sont autant d'enjeux stratégiques.

En 2023, la diplomatie culturelle et d'influence verra ainsi ses crédits augmenter de 11 millions d'euros, après transfert de la subvention de l'opérateur Atout France au ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle. À périmètre constant, cela représente une augmentation de près de 40 millions d'euros. Le programme 185 disposera donc d'un budget total de 671,2 millions d'euros, hors dépenses de personnel.

Cette hausse permettra de soutenir les axes centraux de la diplomatie culturelle et d'influence.

Premier axe : l'éducation en français et à la française. Avec 566 établissements et près de 390 000 élèves dans 138 pays, le réseau d'enseignement français à l'étranger est un instrument unique d'influence. L'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) poursuit la mise en œuvre de son plan de développement, conformément à l'objectif de doublement du nombre d'élèves à horizon 2030, réaffirmé par le président de la République en mars 2018. Les moyens de l'agence seront renforcés à hauteur de 30 millions d'euros.

Deuxième axe : la diplomatie économique et la politique d'attractivité. Nous voulons aider l'offre française à rayonner à travers le monde et convaincre toujours plus d'entreprises étrangères d'investir en France. Pour la troisième année consécutive, la France a été en 2021 le pays européen qui a accueilli le plus d'investissements étrangers directs. Dans cette perspective, nous financerons en 2023 des contributions additionnelles à des événements qui renforceront la visibilité internationale de l'excellence française : coupe du monde de rugby et sommet Choose France en 2023, Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024, exposition universelle d'Osaka en 2025, entre autres. Le projet « marque France » va aussi monter en puissance dans les prochains mois. Cet effort, que l'opérateur Business France aura la charge de mettre en œuvre sous le pilotage du Quai d'Orsay, sera financé à la fois par des redéploiements et par des crédits nouveaux.

Enfin, l'année 2023 marquera la poursuite et le renforcement des dispositifs d'intervention du ministère en administration centrale et dans le réseau culturel, avec la reconduite des moyens de 2022. À cela s'ajouteront 2 millions d'euros pour les projets d'influence dans la zone indo-pacifique, pour renforcer l'attractivité française en matière d'expertise muséale et pour créer un fonds consacré aux innovations dans le domaine de la diplomatie d'influence.

La troisième priorité de la mission Action extérieure de l'État, c'est de mieux protéger et aider les Français de l'étranger. Comme chacun a pu le constater lors de la pandémie, le Quai d'Orsay est aussi le grand service public de nos concitoyens qui vivent hors de France.

En 2023, l'action consulaire retracée par le programme 151 sera dotée de 141,1 millions d'euros, hors dépenses de personnel – soit une légère baisse d'environ 900 000 euros en CP par rapport à 2022, année électorale. Le coût de l'organisation des élections présidentielle et législatives s'est élevé à 13,5 millions d'euros, somme qu'il est inutile d'inscrire en 2023 compte tenu de l'absence d'élections nationales. Pour autant, il est prévu d'augmenter de 12,6 millions d'euros les moyens consacrés aux Français de l'étranger et à l'action consulaire. La qualité du service rendu à nos compatriotes ne sera donc en rien entamée.

Alors que nombre d'entre eux sont confrontés à des contextes économiques dégradés, ils pourront continuer à compter sur une gamme d'aides sociales inégalée chez nos partenaires. Je voudrais que l'on mesure mieux qu'on ne le fait à quel point le niveau de service offert par les consulats et les ambassades est sans comparaison dans le monde.

Les bourses scolaires destinées aux enfants français qui étudient dans les établissements du réseau de l'AEFE retrouveront leur niveau de 2021, avec un budget de 105,8 millions d'euros, qui comprend des bourses spécifiques pour les enfants en situation de handicap. Des crédits supplémentaires seront alloués à l'aide sociale, les inégalités ayant progressé pendant la crise pandémique (16,2 millions d'euros en 2023, soit 1 million de plus qu'en 2022). Le dispositif de secours occasionnel de solidarité – dit « SOS Covid » –, qui représentait 12 millions d'euros en 2021 et 4,3 millions d'euros en 2022, sera remplacé par une aide sociale classique pour ceux de nos compatriotes qui en auraient besoin. Ils pourront en outre compter sur le soutien des organismes locaux d'entraide et de solidarité (dotés de 1,4 million d'euros en 2023) et sur celui des associations agissant en faveur des Français de l'étranger, grâce au dispositif de soutien au tissu associatif des Français à l'étranger (STAFE) – 2 millions d'euros en 2023. Toutes ces aides sont distribuées en liaison avec les élus consulaires, qui constituent de précieux relais des besoins des Français de l'étranger et de nos actions.

Être aux côtés des Français de l'étranger, c'est aussi leur faciliter la vie en simplifiant leurs démarches. En ce sens, nous poursuivrons la modernisation de l'action consulaire à travers trois projets phares : la numérisation du registre de l'état-civil ; l'amélioration continue du dispositif de vote par internet ; la mise en place de l'expérimentation du service France Consulaire. Depuis ses débuts en octobre 2021, celui-ci a été étendu à treize pays : Croatie, Danemark, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Malte, Moldavie, Norvège, République tchèque, Roumanie, Slovénie et Suède. Son extension en Europe se poursuivra jusqu'en 2023, avec la Grèce dès cette année, puis la Bulgarie ou encore Chypre, avant de se prolonger dans le reste du monde en fonction des moyens disponibles.

Aider les Français de l'étranger, c'est également développer de nouveaux services, comme l'expérimentation du renouvellement des passeports sans comparution, qui débutera en 2023 au Canada et au Portugal. Ou encore le déploiement à grande échelle de la nouvelle application de rendez-vous consulaires.

J'en viens maintenant à notre action de solidarité à l'égard des pays en développement, conduite par le programme 209. La priorité du PLF 2023 est claire : renforcer et moderniser l'APD.

Ses crédits sont gérés par les programmes 209, qui relève du Quai d'Orsay, et 110, qui dépend de Bercy. La progression importante de ces crédits traduit les engagements pris lors du vote de la loi de programmation du 4 août 2021. Cet effort doit permettre de concrétiser l'ambition du président de la République en matière d'APD, en conservant une trajectoire très dynamique en volume. Cela représente près de 860 millions d'euros d'augmentation sur l'ensemble de la mission, dont 383,1 millions d'euros pour le programme 209 et 476 millions pour le programme 110.

En attendant le prochain comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui devrait se tenir d'ici à la fin de l'année sous l'égide de la première ministre, nos priorités restent celles fixées par celui de 2018, confirmées par la loi du 4 août 2021. Il s'agit de cinq priorités sectorielles et de priorités géographiques. Les premières concernent la santé, le climat, l'égalité entre les femmes et les hommes, l'éducation, la prévention des crises et le traitement des fragilités. Les secondes nous amènent à concentrer l'aide sur dix-huit pays d'Afrique subsaharienne et sur Haïti.

Au-delà de ces priorités, la capacité à répondre aux crises humanitaires est aujourd'hui un enjeu majeur. Ce projet de budget en prend pleinement la mesure. L'aide humanitaire programmée atteint ainsi 642 millions d'euros par le biais de trois canaux principaux : 200 millions d'euros mis en œuvre par le fonds d'urgence et de stabilisation (+ 30 millions d'euros) ; 160 millions d'euros destinés à l'aide alimentaire programmée (AAP) (+ 41,7 millions d'euros) ; 200 millions d'euros pour les contributions volontaires humanitaires aux Nations Unies (+ 19,5 millions d'euros). L'initiative FARM recevra 75 millions d'euros, afin de répondre à l'aggravation de l'insécurité alimentaire mondiale provoquée par l'invasion de l'Ukraine et par le blocus de la mer Noire.

Afin d'être les plus réactifs possibles, cette programmation a été doublée par la constitution d'une provision pour crises majeures, que nous avons réussi à plus que décupler, en la portant de 23 millions à 270 millions d'euros. Un tel saut quantitatif devient qualitatif et il doit permettre de répondre efficacement à de nouvelles urgences humanitaires. En tout, ce sont donc 912 millions d'euros qui sont susceptibles d'être consacrés à l'aide humanitaire en 2023.

Je voudrais enfin rappeler que, conformément à la loi du 4 août 2021, la part d'aide bilatérale sera rehaussée, passant de 1,6 milliard d'euros en 2022 à 2,1 milliards d'euros en 2023. Outre l'aide humanitaire que je viens d'évoquer, cela se traduit par une augmentation de l'aide-projet (+ 84 millions d'euros), dont 20 millions d'euros pour les projets mis en œuvre par les organisations non gouvernementales (ONG) et 10 millions d'euros pour l'enveloppe allouée au fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI). Ces projets sont plébiscités par les ambassades du fait de leur impact rapide et visible. Leur enveloppe sera donc portée à 80 millions d'euros. Enfin, 20,6 millions d'euros supplémentaires seront affectés aux experts techniques internationaux (ETI), conformément à l'objectif présidentiel de doublement de leur nombre à l'horizon 2023.

La santé mondiale restera une priorité l'année prochaine. Je pense notamment au fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (FMSTP), qui a sauvé 50 millions de vies en vingt ans d'existence et qui, comme l'a rappelé récemment le président de la République, a l'ambition de faire disparaître ces maladies d'ici à 2030. Nous y prendrons toute notre part. Outre 70 millions d'euros pour la reconstitution 2020-2022 du fonds, nous allons lui consacrer 300 millions d'euros supplémentaires pour le prochain cycle triennal 2023-2025, soit près de 1,6 milliard d'euros sur l'ensemble de la période.

La part du programme 209 consacrée à la coopération européenne s'établira à 374 millions d'euros à travers le fonds européen de développement (FED). Elle poursuivra sa diminution jusqu'à extinction des projets démarrés dans le cadre du 11e FED, qui sera définitivement remplacé en 2027 par le nouvel instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI).

Les ressources du programme 209, comme celles du programme 110, sont complétées par le fonds de solidarité pour le développement (FSD), géré par l'Agence française de développement (AFD) pour le compte de l'État. Doté de 738 millions d'euros, dont 487 millions d'euros au titre de la quote-part du MEAE, le FSD poursuivra le financement de plusieurs fonds multilatéraux dans les domaines de la santé et de l'éducation.

Avant de conclure, un mot du nouveau mécanisme de restitution des biens mal acquis, créé au sein de la mission Aide publique au développement par la loi de finances pour 2022. Sous la responsabilité du MEAE, le programme 370 doit permettre, à terme, de restituer sous la forme de projets de coopération et de développement avec les populations concernées les recettes issues de la cession de biens mal acquis. Les financements vont progressivement se mettre en place dès que les procédures judiciaires aboutiront. Le MEAE suit attentivement la montée en puissance de ce dispositif, qui dépend de l'avancée des procédures judiciaires.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Après avoir rapporté pour avis pendant cinq années sur le budget de l'action extérieure de l'État et après avoir déploré la lente érosion de ses moyens – tout en saluant l'action de votre prédécesseur pour atténuer et inverser la tendance – je ne peux qu'être heureux aujourd'hui de voir une rupture fondamentale. J'espère qu'elle se maintiendra tout au long de la législature qui commence.

Trois axes principaux sous-tendent votre action dans le monde. D'abord une vision réaliste des relations internationales car la violence et la force sont bien souvent nichées au cœur des stratégies d'influence. Votre prédécesseur avait l'habitude de dire que l'influence est une forme de guerre par d'autres moyens. Nous ne pouvons pas être dupes du hard qui prend les apparences du soft. Nous saluons donc l'augmentation des moyens destinés à lutter contre la désinformation et les propagandes toxiques, qui s'exercent violemment à l'encontre de la France – notamment en Afrique, mais pas seulement. Il faut impérativement répliquer à la hauteur des attaques que nous subissons, telle que celle qui est hélas intervenue ce week-end au Burkina Faso contre un établissement symbole du rayonnement culturel francophone.

Après la vision réaliste, je saluerai l'esprit d'ouverture. Nous ne pouvons et nous ne devons pas nous recroqueviller sur nous-mêmes, animés d'un esprit de défaitisme. C'est le sens de votre politique d'influence et de l'augmentation des moyens pour favoriser la présence de la France dans les grandes organisations internationales des Nations Unies. Parce que la conflictualité augmente, il faut plus que jamais réinventer toutes les formes de discussion, dans tous les forums possibles. Comme vous l'avez dit, nous devons parler partout et avec tout le monde.

Enfin, j'évoquerai le terme de réinvention – vous employez celui de réarmement – car le piège serait de se contenter d'énumérer les organismes et les dispositifs qui composent notre réseau d'influence. Vous avez heureusement choisi de conforter la vision du rôle du diplomate tel un ensemblier au service des divers atouts de notre diplomatie – et Dieu sait que j'ai pu constater l'excellence de nos diplomates pendant ces cinq années écoulées. Ce PLF constitue l'occasion de saluer leur action de par le monde, leurs qualités, leur dévouement et leur bonne volonté à mettre en œuvre cette feuille de route que je souhaite que nous votions. Le groupe Renaissance vous soutiendra pour l'appliquer et en assurer le plein succès.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma première question est d'une actualité brûlante, puisqu'il semblerait qu'une émission du magazine d'investigation Complément d'enquête évoque la distraction ou la disparition de mobilier national à des hauteurs insoupçonnées, notamment dans votre ministère. Allez-vous ouvrir une enquête au sein du MEAE concernant le vol de ce qui appartient aux Français ?

Je vous remercie pour tous les chiffres que vous nous avez communiqués. Cependant, comme le disait Jean Bodin : « Il n'est de richesse que d'hommes ». Et j'ajouterai : que d'hommes de qualité car leur nombre ne fait pas tout. Je souhaite appeler votre attention sur la mise en extinction du corps des ministres plénipotentiaires et de celui des conseillers des affaires étrangères à partir du 1er janvier 2023, décidée par le président de la République. Le décret procédant pour cela à la fusion de ces deux corps a été signé le 16 avril 2022. Ces diplomates auront le choix entre demeurer dans un corps dit d'extinction ou être intégrés au corps des administrateurs de l'État, uniformisé et interministériel. Il s'agit de facto de privatiser la haute fonction publique et de promouvoir le népotisme, sous le prétexte de favoriser l'innovation et le dynamisme.

Ce projet est mortifère, notamment parce que les spécialités des hauts fonctionnaires ne sont pas interchangeables. Tous les fonctionnaires n'ont pas la fibre internationale, ni les diplomates la fibre préfectorale. Ce décret de mise en extinction vise un ministère déjà très éprouvé par une réduction d'effectifs de 50 % au cours des trente dernières années. Il est d'autant moins justifié que le Quai d'Orsay est l'une des administrations les plus ouvertes et diversifiées, avec 19 % des ambassadeurs et 41 % des chefs de service qui ne sont pas diplomates. Il en est de même pour les 52 % d'agents contractuels.

Lorsqu'on a choisi de consacrer sa vie au rayonnement et à la promotion de la France sur la scène internationale, à l'issue du concours le plus sélectif de la fonction publique, il serait absurde d'être contraint de mener une carrière systématiquement interministérielle et indifférenciée.

Il s'agit en réalité de la fin de toute spécialisation, pourtant gage de performance du réseau diplomatique. C'est la fin de la transmission de la mémoire de l'institution, de l'accumulation de l'expérience, du façonnement d'une culture et de compétences particulières. C'est condamner notre personnel diplomatique à l'éternel noviciat. À l'heure du retour de la guerre en Europe, de l'effondrement de l'influence française en Afrique et de la remise en cause de l'ordre international né en 1945, l'urgence est de renouer avec une politique étrangère puissante.

Ma question est simple : qu'en est-il des états généraux de la diplomatie, promis par le président de la République et censés être une plateforme de négociation au sujet de cette réforme ? Notre outil diplomatique et consulaire garantissait à la France de tenir un rang conforme à son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et à son statut historique de grande puissance. Le professionnalisme et la qualité dont est empreinte notre diplomatie sont salués dans toutes les enceintes internationales, par les alliés comme par les rivaux. Avec les deux concours du cadre d'Orient, cette diplomatie incarne l'exception française, que vous devriez protéger et non détruire. La fusion interministérielle serait fatale à la survie de l'excellence diplomatique française. Nous ne pouvons pas nous le permettre, à l'heure ou la Chine, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Turquie et les États-Unis renforcent leurs réseaux diplomatiques et consulaires.

Plus que jamais, je suis convaincue que nous devons renouer avec le concept d'État stratège, sans recours excessif à la privatisation de ses fonctions régaliennes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je tiens à rappeler que notre commission a désigné deux rapporteurs d'information, MM. Ledoux et Le Gall, sur cette question tout à fait importante de la réforme du corps diplomatique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En cette période de résurgence des conflits sur le continent européen et d'aggravation des crises de tous ordres au niveau mondial, la France se doit de disposer d'une action extérieure forte et d'un programme ambitieux de solidarité internationale. À la lecture du PLF 2023, nous notons quelques évolutions positives, comme l'augmentation des crédits alloués à la mission Action extérieure de l'État, ainsi que l'augmentation du plafond d'emplois du MEAE de 106 ETP.

Cette annonce nous semble néanmoins tardive et insuffisante, après des décennies d'affaiblissement de notre diplomatie. En effet, les effectifs du ministère ont été réduits de moitié en l'espace de trente ans. Le détricotage du troisième plus grand réseau diplomatique au monde serait de plus amplifié par la réforme prévoyant la suppression des corps diplomatiques. Les personnels de votre ministère ont lancé un mouvement de grève inédit en juin dernier pour dénoncer une réforme qui porterait aux nues le nivellement par le bas et l'ubérisation de notre diplomatie, tout en augmentant le pouvoir discrétionnaire sur les nominations des hauts fonctionnaires. Emmanuel Macron proclame sa volonté de dialoguer et de tenir des états généraux de la diplomatie, tout en répétant qu'il ne reviendra pas sur une réforme pourtant unanimement critiquée.

Quelles mesures envisagez-vous pour défendre une diplomatie professionnelle, capable de peser sur la scène internationale ? Cela passe par l'interruption de cette réforme et par l'engagement d'une politique volontariste, pour être à même d'assurer les vastes missions dévolues au ministère.

Je souhaite également attirer votre attention sur les moyens consacrés au programme 151 Français à l'étranger et affaires consulaires, pour lequel le PLF 2023 prévoit une légère hausse des crédits. Nombre de Français à l'étranger font face à des délais d'attente considérables pour effectuer des démarches administratives. Il faut s'interroger sur l'objectif de dématérialisation des services consulaires alors que nos concitoyens à l'étranger peinent à trouver un interlocuteur et un accueil humain. Quelles sont les mesures que vous prévoyez pour garantir une action consulaire de qualité ?

Le PLF 2023 ambitionne de porter à près de 6 milliards d'euros les crédits alloués à l'APD, afin que 0,55 % du revenu national brut y soit consacré. Cette hausse des crédits doit pourtant nous amener à une réflexion sérieuse et critique sur la manière dont elle est déployée. En effet, nous avons émis de nombreuses critiques quant à la transparence et au ciblage, géographique et thématique, des projets financés par l'APD. Il est en particulier regrettable que la politique d'aide au développement soit menée par une banque, ce qui constitue une contrainte structurelle qui implique la prééminence de prêts et entretient une logique de dépendance et d'endettement des pays bénéficiaires.

Quelles solutions peuvent être adoptées pour recourir davantage aux dons et aux subventions plutôt qu'aux prêts, afin de faire de l'APD un outil qui soit réellement au service de la solidarité internationale ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le 15 août 2022, les derniers militaires français de l'opération Barkhane ont quitté le Mali, ce qui met fin à neuf ans de lutte contre le terrorisme menée d'abord dans le cadre de l'opération Serval. Au total, cinquante-huit soldats français sont morts en moins d'une décennie en combattant les groupes armés salafistes djihadistes et pour défendre les valeurs auxquelles la France, l'Europe et plus largement le monde occidental, sont particulièrement attachés.

Samedi dernier, des manifestants ont tenté d'incendier l'ambassade de France, à Ouagadougou. C'est dans cette ville que le président Macron avait tenu un discours sur la refondation des relations entre la France et le continent africain en novembre 2017… L'institut français de Bobo-Dioulasso a été également pris pour cible. Au Mali comme au Burkina Faso, la France fait l'objet de nombreuses campagnes de désinformation. Notre pays et ses ressortissants y sont attaqués. Difficile de ne pas y voir l'action de la Russie et des milices du groupe Wagner, qui jouent un rôle majeur pour déstabiliser notre présence dans cette région de monde. En mars 2022, lors du vote sur la résolution à l'ONU contre la guerre en Ukraine, le Sénégal – avec qui la France entretient des relations étroites de longue date – a fait partie des pays africains qui se sont abstenus.

À l'occasion de la Conférence des ambassadrices et ambassadeurs, le président de la République et vous-même avez fortement insisté pour que notre diplomatie publique soit beaucoup plus offensive en Afrique. Vous avez pour cela nommé une ambassadrice chargée de la diplomatie publique en Afrique. Si je salue cette initiative, il n'en demeure pas moins qu'il convient de tirer les conclusions de cette année catastrophique pour l'influence de la France sur ce continent. Quelle analyse faites-vous de la situation et dans quelle mesure vous conduit-elle à redéfinir la stratégie de la France en Afrique ?

Par ailleurs, les priorités de la politique de développement au cours de ce quinquennat et la trajectoire de l'APD feront prochainement l'objet d'un comité interministériel. À cette occasion, et bien que cela puisse être malheureusement préjudiciable pour les populations, allez-vous défendre la remise en cause de l'APD dans des pays qui sont désormais résolument hostiles à la France ?

Toujours lors de la Conférence des ambassadrices et ambassadeurs, le président de la République a annoncé la tenue d'états généraux de la diplomatie d'ici à l'automne. Cette annonce fait suite notamment à la grève, historique, de nombreux diplomates contre la réforme de la haute fonction publique qui prévoit l'extinction du corps des conseillers des affaires étrangères et de celui des ministres plénipotentiaires. Je ne suis pas certain que cette réforme vise à, je vous cite, « renforcer l'attractivité du métier diplomatique ». Il est parfaitement anormal, madame la ministre, que la commission des affaires étrangères n'ait pas été saisie de ce dossier, ni même informée. Le calendrier électoral ne saurait justifier ce défaut d'information.

Quand ces états généraux seront-ils organisés ? Et le seront-ils pour acter un état de fait ou peuvent-ils remettre en question cette réforme, qui risque de profondément affaiblir notre corps diplomatique pourtant considéré comme l'un des meilleurs au monde ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avant d'en venir au budget, je souhaiterais connaître les modalités de retour de femmes et des enfants de djihadistes détenus sur le territoire syrien, en cours d'étude au sein du MEAE.

Le budget que vous présentez comporte de bonnes nouvelles. Il est en augmentation de 9 % ; il faut le souligner et s'en féliciter. Le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) se réjouit de la création de plus d'une centaine de nouveaux emplois, pour la première fois depuis près de trente ans. Je tiens ici à saluer le travail de votre prédécesseur, Jean-Yves Le Drian, qui a beaucoup œuvré pour mettre fin au cycle néfaste de réduction des effectifs, entamé depuis de trop nombreuses années. Ces nouveaux emplois permettront de répondre à des besoins essentiels pour l'action de la France, notamment le renforcement de la capacité d'analyse politique dans les directions du ministère les plus exposées, afin de permettre de mieux anticiper les mouvements à venir dans un contexte géopolitique de plus en plus complexe.

Renforcer la présence française dans la zone indo-pacifique doit aussi être une priorité. Les événements actuels à l'Est de l'Europe ne doivent pas faire oublier que c'est dans cette zone que se situent de nombreux enjeux pour l'avenir du monde et sa stabilité. Il faut également saluer la revalorisation des moyens accordés à la diplomatie culturelle et d'influence, avec notamment la hausse du budget de l'AEFE, dont une partie viendra soutenir l'action, essentielle, de cette institution au Liban, pays qui nous est si cher.

L'augmentation des crédits de l'APD est essentielle ; avec de près de 380 millions d'euros, elle se situe dans la droite ligne de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Il est en effet primordial que la France continue d'être un acteur majeur dans l'accompagnement du développement équilibré des pays les moins avancés, pour aider les populations et préserver leur environnement.

Je terminerai par une interrogation au sujet du renforcement du budget destiné à la lutte contre la désinformation anti-française, comme celle que l'on connaît en Afrique, mais pas seulement. Pourriez-vous nous détailler cette mission et ses objectifs ?

Pour conclure, je vous assure du soutien de notre groupe lors de l'examen de ce bon budget, qui sera examiné par notre commission très prochainement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour cette présentation, qui reprend les informations qui figurent dans le dossier de presse. Nous aurions sans doute eu besoin de plus d'éléments, et notamment des projets annuels de performances, pour disposer d'une meilleure vue du PLF. Mais je ne doute pas qu'avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés nous présenterons quelques amendements, comme nous en avons l'habitude.

Les arbitrages budgétaires sont liés aux évolutions de la situation internationale et, en particulier, au conflit en cours entre la Russie et l'Ukraine.

S'agissant du rayonnement de la France à l'étranger, le secteur audiovisuel public extérieur est aussi l'une des voix de notre pays. France Médias Monde diffuse dans le monde entier – ou presque – une information objective et non partisane, lutte contre la désinformation, accompagne notre diplomatie ainsi que le commerce extérieur et transmet nos valeurs, en promouvant la francophonie.

La suppression de la redevance audiovisuelle va provisoirement être compensée par une part de TVA jusqu'en 2025. Après, c'est l'incertitude. Cette absence de visibilité suscite des inquiétudes. Vous avez à diverses reprises affirmé votre soutien à France Médias Monde. Pouvez-vous le confirmer de nouveau à l'occasion de ce projet de budget ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout d'abord, nous nous félicitons de la hausse des crédits accordés à votre ministère. Je souhaite néanmoins attirer votre attention sur le déficit commercial, qui va atteindre cette année un niveau record du fait de la conjoncture internationale, de l'envolée de la facture énergétique et de la dépréciation de l'euro.

Moteur traditionnel de notre commerce extérieur, le secteur aéronautique est confronté à de très sévères difficultés. Cette filière est dans une situation paradoxale. Le marché mondial de l'aviation commerciale reste en effet dynamique, grâce au renouvellement important de la flotte par des avions de nouvelle génération, qui consomment jusqu'à 25 % de carburant en moins. Durant la crise sanitaire, Airbus et ses sous-traitants ont su conserver une avance technologique indéniable, tout en avançant fortement vers la décarbonation. Pourtant, ils ne peuvent pas répondre à la demande, principalement en raison de la rupture d'approvisionnement de matériaux comme le titane – indispensable à la fabrication de certaines pièces – et de composants électroniques.

Le rapport remis au Gouvernement en janvier 2022 par Philippe Varin a souligné la fragilité des chaînes d'approvisionnement et la nécessité de retrouver une souveraineté industrielle. Cela concerne aussi bien l'aéronautique que les producteurs de batteries électriques ou le secteur éolien. Plusieurs rapports récents mettent en garde contre la menace de pénurie mondiale de certains matériaux, indispensables pour répondre au défi de la transition énergétique.

Les outils d'accompagnement des entreprises présentes sur le marché international sont appréciés et jugés performants. Il faut d'ailleurs saluer le travail de la direction de la diplomatie économique du MEAE. Mais ne faudrait-il pas se montrer plus innovants et plus combatifs, compte tenu de la menace de rupture des approvisionnements. Si elle n'est pas nouvelle, elle prend une tout autre ampleur dans le contexte géopolitique actuel.

Comment la puissance publique pourrait-elle aider davantage les acteurs concernés à sécuriser ces approvisionnements internationaux, à commencer par ceux de la filière aéronautique ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je joins ma voix à celle de mes collègues pour vous dire que nous sommes satisfaits de l'augmentation sensible des crédits du MEAE, en particulier de celle de plus de 850 millions d'euros de la mission Aide publique au développement. Cette hausse devrait permettre de répondre aux objectifs de programmation financière, dans la continuité des augmentations opérées lors de la législature précédente. Nous espérons aussi qu'elle permettra de se rapprocher de l'objectif de 0,7 % du PIB, fixé par la communauté internationale dès les années 1960. Je souhaiterais à cet égard saluer le travail de notre commission au cours de la précédente législature car c'est un amendement qui a permis d'inscrire dans la loi de programmation l'objectif de 0,7 % en 2025.

Nous serons vigilants au sujet de l'allocation de ces ressources et du respect des objectifs et des priorités que vous avez vous-même rappelées. Pour ce qui est des instruments, la priorité doit être donnée aux dons plutôt qu'aux prêts.

La loi a défini dix-neuf pays prioritaires. Je voudrais rappeler à notre collègue Michel Herbillon que l'aide au développement ne se limite pas à l'aide budgétaire. Certains parmi ces pays prioritaires souffrent des crises actuelles, de la guerre et du terrorisme. Des ONG, à Bamako notamment, continuent malgré tout leur travail, ce qui permet de maintenir l'APD et de ne pas abandonner ces pays. Je tiens à rappeler aussi l'importance de l'aide bilatérale, dont le rattrapage budgétaire ne doit pas se faire au détriment de l'aide multilatérale, qui est indispensable contrairement à certaines idées reçues.

Je souhaite aborder la question du fonds de solidarité pour le développement et, en particulier, de la taxe sur les transactions financières (TTF). La part de cette taxe qui est consacrée au développement est plafonnée à 528 millions d'euros. Depuis maintenant plus de dix ans, les recettes augmentent mais ne profitent pas à l'objet pour lequel la taxe a été créée, c'est-à-dire l'APD. L'augmentation des recettes va en effet uniquement au budget général. J'essaie depuis des années de convaincre mes collègues et le rapporteur général du budget de mettre un terme à cette anomalie. Je n'y suis pas encore parvenu, malgré le soutien du ministre Jean-Yves Le Drian. J'espère que l'on arrivera enfin à faire en sorte que l'augmentation des recettes de la taxe sur les transactions financières soit effectivement affectée à l'APD.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre groupe se félicite de la hausse du budget du MEAE. J'espère pour ma part que ces moyens supplémentaires signifieront plus d'activisme de vos services en faveur de Mayotte et une diplomatie plus agressive pour défendre ce département français sur la scène internationale.

Le mercredi 28 septembre dernier, la commission des lois a auditionné Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer. Durant cette audition, la situation de Mayotte et la question de l'immigration comorienne ont été abordées par plusieurs collègues. En 2021, plus de 10 000 naissances ont eu lieu à Mayotte. On décrit souvent l'hôpital de Mamoudzou comme la première maternité d'Europe mais c'est oublier que parmi les 10 000 bébés qui y naissent, 7 400 le sont de mères comoriennes, souvent en situation irrégulière et qui espèrent accéder à la nationalité française grâce à ces enfants. La machine démographique et la poussée migratoire comorienne à l'œuvre à Mayotte déstabilisent profondément notre département. Violence, accaparement des terres, saturation des services publics, prolifération des trafics et croissance de l'économie clandestine, destruction de l'écosystème ne cessent d'être dénoncés et condamnés par les gouvernements successifs.

En même temps, ces gouvernements déploient depuis plusieurs décennies une stratégie d'aide financière aux Comores, en faisant d'ailleurs totalement abstraction de leur revendication territoriale sur Mayotte. Cette aide est présentée comme un investissement pour endiguer le flux migratoire. Lors de son audition, le ministre chargé des outre-mer a indiqué que 150 millions d'euros avaient ainsi été donnés à Mayotte.

Les crédits de la mission Aide publique au développement vont progresser de 37 %, pour atteindre 7 milliards d'euros en 2025. Des augmentations pour les crédits bilatéraux et multilatéraux sont prévues, dont les Comores vont bénéficier. Au regard de la hausse continue de l'immigration comorienne à Mayotte, quelle est la rentabilité de cet investissement en aide publique ? Va-t-on continuer à dépenser l'argent des contribuables français en pure perte au profit des Comores ? Peut-on continuer à financer un pays qui colonise et déstabilise ouvertement un département français ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout le monde se félicite de la hausse des effectifs de votre ministère après tant d'années de réductions.

Concernant l'attractivité du métier, bon courage ! Parce que vous êtes celle qui est chargée d'enterrer le corps diplomatique, si j'ai bien compris. Comment rendre un métier attractif quand on détruit des siècles d'expérience ? C'est catastrophique et il faudra bien entendu revenir sur cette réforme. Mais l'attractivité dépend aussi d'une certaine idée de la France, que doit servir notre diplomatie.

J'ai été très surpris de voir votre ministère, et donc vous-même, se borner à « prendre acte » de l'enquête de Bakou sur le massacre des prisonniers arméniens par les soldats azéris. J'ai l'impression qu'il y a deux poids, deux mesures. Est-ce que les massacres sont seulement perpétrés par les Russes ? Quant à ceux commis par les Ukrainiens, par l'Arabie saoudite au Yémen ou par les Azéris, votre ministère en prend acte, mais il ne les condamne pas. Cela a beaucoup choqué les Arméniens, où qu'ils soient. J'aimerais connaître votre réaction sur ce communiqué très surprenant.

Que pensez-vous du sabotage des gazoducs Nord Stream ? Et de la déclaration de M. Zelinski, qui a dit vouloir tuer chaque Russe tant que Poutine sera au pouvoir ? N'avez-vous pas le sentiment qu'on bascule progressivement d'une protection légitime de l'Ukraine à une volonté de déstabilisation complète de la Russie ? Est-ce l'intérêt de la France ?

Enfin, trouvez-vous normal que Mme von der Leyen s'exprime au nom de la France ? Elle n'a été élue ni par les Français, ni par personne. La France, et donc le président de la République, accepte de plus en plus que Mme von der Leyen s'exprime en son nom, pour des sanctions, pour des remarques et pour jeter de l'huile sur le feu en Ukraine. Est-ce acceptable et est-ce conforme à une certaine idée de notre pays ? Au fond, n'y a-t-il pas un lien entre la destruction de notre corps diplomatique et la fin d'une France indépendante ?

Permalien
Catherine Colonna, ministre

Vous me contraignez à un choix cruel en me demandant de répondre, dans un temps imparti nécessairement bref, sur le budget et à des questions d'actualité, voire de politique générale. Je m'efforcerai de faire un peu des deux, en risquant ainsi de mécontenter tout le monde et de ne donner satisfaction à personne.

Monsieur Ledoux a parlé du réarmement et même de la réinvention de notre outil diplomatique. Je tiens à préciser que nous sommes un ministère pacifique, même s'il faut parfois préparer la guerre pour assurer la paix. En employant le terme « réarmement », je m'inscrivais dans le mouvement général observé ces dernières années pour les ministères régaliens. Certains en avaient déjà amplement bénéficié, comme les ministères des armées, de l'intérieur et, désormais, de la justice. Il était temps qu'il en soit de même pour le Quai d'Orsay.

Le terme de réinvention est un bon terme. En évoquant ce concept, je voulais aussi dire qu'il faut que le MEAE développe davantage une culture de l'innovation. Le monde change, nous devons être agiles. Nous le ferons en matière de communication, dans la limite de nos moyens. Nous le faisons aussi à travers les stratégies d'influence, qui sont devenues capitales. Je crois au terrain et je soutiendrai les propositions qui en émaneront, si elles paraissent prometteuses. C'est ce que nous avons fait, monsieur Julien-Laferrière, dans le domaine du développement. Nous avons soutenu des idées émises par les ambassades, avec des projets souvent modestes, rapidement réalisables, adaptés aux besoins locaux et visibles par les populations. Nous allons donc développer la flexibilité et la réactivité. Je concède que nous étions un peu en retard en la matière.

Madame Le Pen, je me réjouirais presque de vous entendre plus souvent. Merci de rappeler la qualité des ambassadeurs, des diplomates en général et celle de notre outil diplomatique. Mais j'aimerais tenter de corriger une confusion. La disparition de certains corps ne signifie ni la disparition des individus, ni celle des emplois. Au contraire, nous créons des emplois. Il fallait le faire, car il faut des gens pour assurer les missions et garantir que la machine fonctionne. Au demeurant, le décret du 16 avril dernier ne supprime pas les deux corps que vous citez. C'est au contraire le texte réglementaire qui matérialise les garanties obtenues par mon prédécesseur.

Les états généraux de la diplomatie vont s'ouvrir dès ce mois d'octobre, la décision ayant été prise par le président de la République et par la première ministre, sur ma proposition. Il est nécessaire de mener une réflexion avec tous ceux qui sont concernés : les élus, des partenaires extérieurs, les jeunes diplomates et toutes nos forces vives. Cette réflexion doit se projeter au-delà de la réforme des corps et permettre de répondre au besoin de sens du personnel tout en lui faisant connaître les priorités que l'État fixe. Un premier bilan de ces états généraux devrait pouvoir être réalisé au début de l'année prochaine. Il s'agira alors de dessiner les lignes directrices qui permettront de renforcer notre diplomatie.

Je n'ai pas vu l'émission de Complément d'enquête mais nous la regarderons avec attention. Le thème que vous mentionnez a déjà été exploré par le passé. Si des faits nouveaux qui relèvent de la justice étaient révélés, il y aurait bien entendu matière à enquête. Les registres du mobilier des ambassades sont très précisément tenus et font l'objet d'un examen annuel. Chaque ambassadeur doit signer les documents d'inventaire au début et à la fin de ses fonctions : il engage ainsi sa propre responsabilité.

Madame Leboucher a évoqué les services consulaires aux Français et les délais d'obtention de rendez-vous. Sans doute avez-vous perçu dans le vœu que j'ai formé une petite critique sur la situation actuelle. La pandémie de Covid-19 et les confinements successifs ont empêché pendant plusieurs mois les personnels de travailler au même rythme que d'habitude. Même si les services consulaires français n'ont jamais fermé – contrairement à ceux d'autres pays –, un retard certain s'est partout accumulé. Nous pensons pouvoir améliorer la situation dès la fin de cette année grâce à une nouvelle plateforme de prises de rendez-vous. Je profite de l'occasion pour appeler nos compatriotes à la responsabilité. Trop de rendez-vous sont pris mais ne sont pas honorés et restent bloqués car on ne prend pas la peine de les annuler. La nouvelle plateforme est en cours de déploiement et va être mise en place très bientôt. Dans les pays où les besoins sont les plus urgents, des renforts ponctuels d'effectifs pourront être déployés. Nous avons également travaillé avec le ministère de l'intérieur pour faciliter certaines démarches administratives, notamment en supprimant la deuxième comparution lors des renouvellements de passeport. Des expérimentations en ce sens sont menées dès cette année dans deux pays.

L'AFD est en effet une banque, et c'est nécessaire si nous voulons qu'elle lève des fonds sur les marchés internationaux et assure son rôle. Ne confondons pas l'instrument et le pilotage. L'AFD est un opérateur de l'État. Elle est placée sous la triple tutelle du MEAE, de Bercy et du ministre délégué chargé des outre-mer. Une programmation et un pilotage politique sont donc assurés et j'espère qu'un CICID se tiendra bientôt. Un comité du développement présidé par le président de la République sera peut-être même organisé, ce qui serait une bonne chose en début de législature.

Il faut relever que les dons ont nettement plus progressé que les prêts : c'est le résultat de ce pilotage politique. Ces dons représentent 1 milliard d'euros au titre de l'aide-projet, 80 millions d'euros s'agissant du FSPI – avec des projets innovants qui sont très utiles localement – et 600 millions d'euros au titre de l'aide humanitaire. Cela permet de concentrer les efforts dans les pays les plus fragiles, alors que les prêts vont bénéficier aux pays dits intermédiaires, que les ratios actuels d'endettement rendent éligibles aux mécanismes d'emprunts.

J'en viens au Burkina-Faso, premier sujet évoqué par Monsieur Herbillon. Notre priorité est et demeure la sécurité des ressortissants français. La situation a évolué dans le sens d'un relatif retour au calme. Néanmoins, nous avons pris tout de suite les mesures nécessaires. Un dispositif a été arrêté à cet effet, sur lequel je ne m'étendrai pas. Je rappelle qu'il s'agit d'une crise politique intérieure au Burkina Faso. Elle ne nous concerne pas directement et nous n'en sommes pas partie prenante. Il y a eu des actions de désinformation, très clairement organisées par des petits groupes qui ont peut-être été manipulés. Je ne ferai pas de commentaires sur les commanditaires potentiels ; certaines images en disent plus que je ne peux le faire dans ma fonction. Des appels irresponsables ont eu lieu sur les réseaux sociaux. Nous avons demandé qu'ils cessent. Nous avons pu arrêter des tentatives d'intrusion. La situation a évolué un peu plus favorablement mais nous restons mobilisés et prudents. Parallèlement, des missions diplomatiques s'organisent. Une mission de haut niveau de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) se déroule sur place. Nous espérons qu'elle pourra apporter un peu de raison et rappeler que le Burkina Faso a besoin du respect du calendrier de retour à l'ordre constitutionnel, perturbé depuis trop longtemps. Les dommages subis par l'ambassade de France sont évalués entre 2 millions et 2,5 millions d'euros.

La situation générale au Sahel mériterait à elle seule un débat. Je rappelle simplement que, par notre engagement, nous avons évité que le Mali ne bascule et que Bamako ne soit prise par les groupes djihadistes. Mais cela n'a pas suffi à assurer la stabilité du pays. Je vous remercie d'avoir rendu hommage aux soldats français qui ont perdu la vie dans cette noble mission, qui a permis de marquer des points contre les groupes terroristes armés (GAT). Malheureusement, les autorités maliennes – issues d'un double coup d'État – n'ont pas poursuivi la même politique. Par leur action et par leurs alliances avec des mercenaires, elles ne font pas preuve de beaucoup d'efficacité dans la lutte contre les GAT.

Je reviens brièvement sur les questions de communication et de lutte contre la désinformation soulevées par madame Vichnievsky. Nous voulons mieux anticiper les attaques informationnelles et voir d'où elles proviennent, en accroissant nos capacités de veille sur les réseaux sociaux. Une nouvelle sous-direction de la direction de la presse et de la communication du Quai d'Orsay sera désormais chargée de le faire. Une fois que l'on a veillé, observé et identifié, il faut ensuite agir. Nous nous employons à toucher de nouveaux publics, sur de nouvelles plateformes et dans de nouvelles langues, ce qui suppose des moyens. Il faut aussi que les ambassades soient en mesure d'être plus réactives, en augmentant leurs moyens à l'aune de ceux qui nous sont donnés. Il faut toujours se souvenir que les pays où sévit la désinformation sont les mieux armés pour lutter contre elle. L'action d'influence que nous menons et l'APD que nous leur apportons sont des moyens dont il ne faut pas oublier l'importance dans cette lutte contre les fausses informations.

Peut-être avez-vous appris qu'une nouvelle opération de rapatriement d'enfants retenus dans des camps en Syrie a été menée aujourd'hui. Je ne comptais pas la confirmer mais le parquet national antiterroriste l'a fait. Nous essayons de ramener ces enfants lorsque c'est possible et si nous pensons que les conditions locales le permettent. Nous n'assurons pas, bien évidemment, le contrôle effectif de ces territoires et les conditions sur place sont très difficiles. Ce sont des opérations délicates, sur lesquelles nous ne communiquons jamais en amont pour des raisons évidentes. Je rends hommage à tous les services de l'État qui sont impliqués dans ces opérations d'une très grande complexité.

Monsieur David, quelles que soient les modalités de financement de l'audiovisuel public, le MEAE restera vigilant à ce que les moyens accordés à l'audiovisuel extérieur soient maintenus, voire augmentés. Il est indispensable que ces médias puissent répondre à leur mission de presse libre et indépendante, qu'ils diffusent une information professionnelle et de qualité et qu'ils luttent contre la désinformation qui se répand à bas bruit. L'année 2023 sera celle de la consolidation du rôle de cet audiovisuel extérieur. Nous avons par exemple mis en place un dispositif d'accueil de journalistes ukrainiens en exil, grâce à France Médias Monde. Par le biais de RFI Romania, nous pouvons émettre une information fiable et de qualité, en ukrainien et en russe. Quant à votre réflexion sur le contrat d'objectifs et de moyens, elle dépasse ma compétence et concerne les années 2024 et 2025.

Monsieur Portarrieu a posé deux questions sur le déficit commercial. Je crois avoir répondu par anticipation en ce qui concerne les moyens que le MEAE peut consacrer à l'amélioration de l'attractivité de la France, avec plutôt de bons résultats. Cela ne suffit pas à réduire le déficit commercial mais c'est un sujet qui dépasse la compétence du seul MEAE. Vous avez également abordé la question de l'autonomie et de la résilience de certaines filières industrielles. Nous sommes bien informés des points d'attention particuliers que la société Airbus a évoqués s'agissant de certains métaux nécessaires. De manière plus générale, il faut diversifier nos fournisseurs. C'est ce qu'Airbus a entrepris de faire mais il lui faudra encore quelques mois pour être moins dépendante, d'un pays en particulier.

Monsieur Julien-Laferrière, les sommes mobilisées dans le cadre du FSD ne sont pas considérables. Il s'agit cependant d'un outil intéressant qui est plébiscité, tant par les ambassadeurs que par les pays ou les populations qui peuvent en bénéficier. Ce qui compte, ce n'est pas la provenance des crédits de l'APD, c'est leur total – et il augmente considérablement en volume. Vous me direz probablement que ce total ne progresse pas suffisamment en pourcentage. Mais l'objectif de 0,5 % prévu par la loi du 4 août 2021 pour cette année est atteint. Pour ce qui est des années suivantes, vous avez formulé un vœu par voie d'amendement, auquel je souscris. J'observe que la croissance du produit intérieur brut (PIB) permet une augmentation considérable en volume de notre aide au développement. Elle a doublé depuis 2017, ce qui est un beau résultat. Il est plus facile d'assurer le pilotage politique de l'APD dans le cadre de la mission Aide publique au développement plutôt qu'en dehors de celle-ci. Je souscris à la demande de votre assemblée d'assurer un pilotage politique étroit de ces activités, et notamment de l'AFD.

Madame Youssouffa, j'ai bien noté votre préoccupation. Nous sommes conscients des difficultés économiques, sociales et migratoires à Mayotte. Vous m'aviez interrogée à ce sujet lors des questions au Gouvernement. J'avais à cette occasion rappelé les chiffres des expulsions, qui sont très importants. Le faible niveau de développement de certains territoires, comme les Comores, conduit nombre de leurs habitants à émigrer. Nous ne sommes, par conséquent, pas favorables à la fin de l'APD. Au contraire, il faut trouver des solutions pour que les pays les moins avancés se développent, afin qu'il y ait moins d'émigration. On ne réglera pas ce problème si l'on n'agit pas sur les causes de ces migrations. Pour les Comores, un plan de développement de 150 millions d'euros est prévu. Il a pour objectif d'agir sur les causes pour prévenir davantage les départs de migrants clandestins vers Mayotte. Il s'agit de favoriser et de multiplier les possibilités de développement économique aux Comores, en ciblant en particulier l'île d'Anjouan.

Monsieur Dupont-Aignan, j'ai dit aujourd'hui même lors des questions aux Gouvernement que la France se tenait sans ambiguïté aux côtés du peuple arménien. J'ai rappelé notre souhait, qui est celui de tous les amis de l'Arménie, qu'une solution négociée et pacifique soit trouvée au conflit entre ce pays et l'Azerbaïdjan. Enfin, j'ai rappelé qu'en droit international exécuter des prisonniers de guerre constitue un crime de guerre. Il faudra donc que les auteurs de ces faits soient jugés. Nous avons immédiatement demandé une enquête indépendante.

En ce qui concerne l'Ukraine, ne confondons pas les choses. Si quelqu'un punit la Russie, ce sont ses responsables politiques et en particulier le premier d'entre eux, le président Poutine. N'oublions pas non plus que c'est l'armée russe qui est en Ukraine et non l'inverse. Elle y commet des crimes, des crimes de guerre et peut-être même des crimes contre l'humanité. Elle devra rendre des comptes. La position de la France a été rappelée hier par la première ministre et par moi-même lors du débat consacré à l'Ukraine, au titre de l'article 50-1 de la Constitution.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les 28 et 29 septembre 2022, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, M. Louis Mapou, s'est rendu à Washington à l'invitation du président Joe Biden pour participer au premier sommet des pays insulaires du Pacifique. Je me félicite que la Nouvelle-Calédonie, ainsi que la Polynésie française, aient pu y être représentées. Cependant, je trouve regrettable l'absence d'un représentant du Gouvernement français, quel que soit son rang. La participation de l'ambassadeur relève du service minimal et ne peut constituer une présence politique suffisante lorsqu'on rencontre le président de la première puissance mondiale. Cela peut être perçu par bon nombre de nos concitoyens, notamment en Nouvelle-Calédonie, comme un abandon de souveraineté.

Que les collectivités autonomes du Pacifique soient mises en avant et deviennent, en quelque sorte, les porte-avions de la stratégie indo-pacifique est une excellente nouvelle. Mais cela n'exonère en aucun cas la République de sa responsabilité dans cette région du monde. Les collectivités autonomes sont des atouts et non des substituts. Pourriez-vous m'indiquer votre position et celle du Gouvernement lors des discussions à venir sur la coopération dans la zone indo-pacifique et la place que vous comptez y prendre ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme vous le savez, notre commission m'a nommé rapporteur pour avis sur les crédits de l'action diplomatique consulaire dans le cadre du PLF 2023. Que dire de ce budget ? Il ressort de votre présentation que plusieurs postes budgétaires bénéficieront de légères hausses et il faut s'en satisfaire, même s'il aurait été bien préférable de disposer des bleus budgétaires avant votre audition, et ce d'autant plus que le Gouvernement a promis d'associer plus étroitement le Parlement à la préparation du budget.

Il faut souligner deux choses. D'une part, ces hausses ne sont parfois que la prise en compte des effets de l'inflation, d'effets de change ou de l'évolution de quotes-parts. D'autre part, ce projet de budget laisse une impression générale de saupoudrage et il est difficile d'y déceler les principes directeurs. Vous parlez de réarmement de notre outil diplomatique ; je crois pour ma part qu'il s'agit au mieux de colmatage.

Cela étant dit, je souhaite vous interroger sur les crédits alloués à l'entretien immobilier. Le parc du ministère n'a cessé de se dégrader sous l'effet d'une politique insoutenable conduite depuis des années. Dans ce contexte, je salue bien sûr le renforcement des moyens en 2022 et ceux qui sont prévus pour 2023. J'ai appris toutefois que le ministère n'avait pas bénéficié cette année des 36 millions d'euros devant être versés par le compte d'affectation spéciale (CAS) 723 Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l'État. Sans ces moyens – que la représentation nationale a pourtant votés – c'est la moitié du plan de rattrapage immobilier qui ne sera pas financée, tandis que de nombreux besoins ne seront pas satisfaits.

Comment envisagez-vous de récupérer ces crédits, dont votre ministère a fortement besoin ? Dès lors que le projet de budget que vous présentez repose à nouveau sur cette hypothèse de 36 millions d'euros de recettes provenant du CAS 723, quelle garantie avez-vous de ne pas être confrontée à la même difficulté en 2023 ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce PLF présente un certain nombre d'éléments satisfaisants, que ma collègue Élise Leboucher a évoqués, mais également de grandes incertitudes liées au contexte de forte inflation en ce qui concerne la trajectoire des lignes budgétaires qu'elle a mentionnées. Comme mes collègues, je souligne qu'il est nécessaire que nous disposions bien plus en amont des annexes budgétaires, afin de poser des questions plus précises.

Je souhaite vous interroger sur les volets humain et financier de l'APD. Quels sont les moyens prévus en termes d'effectifs pour répondre aux ambitions affichées pour l'APD par la loi du 4 août 2021 ? Certes, le budget passe à près de 2 milliards d'euros en deux ans mais, pour ce qui est des emplois, le solde est négatif sur la même période : 29 ETP ont été perdus en 2022, 5 sont gagnés en 2023 ; le déficit est donc de 24 ETP. Quelle est la trajectoire prévue pour les emplois dans les années à venir ?

Du point de vue financier, une part trop faible de l'APD est financée par la TTF. Le montant annuel collecté par l'État bat régulièrement des records. Pourtant, la part destinée à la solidarité internationale reste bridée à un niveau inférieur aux besoins actuels, tandis que le taux de la taxe est inchangé depuis 2017. La modification de son taux et une affectation plus massive de cette taxe au FSD ne seraient-elles pas des mesures rapides et efficaces pour assurer le maintien de l'APD à un niveau élevé ?

Enfin, pourquoi la France mène-t-elle au Tchad une politique complaisante vis-à-vis de la junte de Déby, qui vient d'engager son pays dans une phase de transition permanente ? On a ajouté vingt-quatre mois aux dix-huit mois précédents, ce qui s'apparente désormais à une transition dynastique et pas à une transition démocratique. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont réagi. Qu'en est-il de la France ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le président du Nicaragua, Daniel Ortega, ancien révolutionnaire sandiniste, et la vice-présidente qui est aussi son épouse, Rosario Murillo, mènent une politique agressive, répressive et totalitaire. Des centaines d'opposants ont été abattus ou ont disparu et pas moins de 200 sont actuellement emprisonnés. Hier, la cour de justice de Managua a indiqué que deux Franco-Nicaraguayennes étaient actuellement détenues et seraient jugées pour avoir conspiré, porté atteinte à l'intégrité nationale et diffusé de fausses nouvelles. Le MEAE a affirmé suivre de très près cette situation et avoir pris contact avec les autorités nicaraguayennes. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Le réseau de l'AEFE contribue à un enseignement d'excellence à la française et constitue, je vous cite, « l'un de nos meilleurs vecteurs d'expansion de la francophonie et d'une façon de voir le monde, de nos valeurs ». Or à la suite d'un recours, l'AEFE a été contrainte de modifier dans l'urgence le décret qui régit la situation administrative des personnels détachés qu'elle emploie. Cette modification entraîne un surcoût. De manière plus générale, l'ambition de doublement des effectifs à horizon 2030 nécessite un renforcement des moyens, notamment budgétaires, de l'AEFE. Une concertation générale est très attendue sur ce sujet et devait avoir lieu en octobre. Pourriez-vous aussi nous apporter des précisions sur ce sujet ?

Enfin, je vous remercie pour les créations d'emplois dans votre ministère, une première depuis trente ans. Comment ces 106 ETP vont-ils être répartis, notamment d'un point de vue géographique ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaitais aborder le sujet de la réforme des corps diplomatiques mais il a déjà été largement évoqué. Ce n'est pas hors sujet par rapport à l'examen du PLF pour lequel nous sommes réunis. Les budgets n'ont un sens que s'il y a des gens pour les mettre en œuvre. Contrairement aux libéraux, je pense que la destruction est rarement créatrice.

Le budget prévu pour l'action extérieure de la France bénéficie d'une très légère hausse au regard de l'inflation, mais d'une hausse malgré tout. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que cette augmentation des moyens, qui suit la précédente, était nécessaire, compte tenu de la saignée opérée au cours des trente dernières années. Pourtant, cette hausse ne doit pas empêcher de poser certaines questions de fond. L'an dernier, les 43 ETP qui avaient été créés portaient, sauf erreur de ma part, sur des postes d'apprentis. J'ai beaucoup de respect pour ces derniers et pour l'apprentissage, mais il n'en reste pas moins que ce ne sont pas des postes de diplomates occupant des postes à responsabilités et qu'il ne s'agit pas d'emplois pérennes. Quelles sont la nature et la répartition géographique des 106 ETP qui vont être créés ?

Pour revenir rapidement sur la situation au Sahel, nous avons condamné les tentatives inacceptables d'intrusion dans notre ambassade au Burkina Faso. Nous ne sommes pas dupes des propagandes qui sont menées, par les uns et par les autres. Il n'en reste pas moins que ces propagandes n'auraient aucune prise si notre action n'avait pas fait preuve de certains errements. Va-t-on assister à une révision profonde de la stratégie française au Sahel dans les mois qui viennent ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaiterais vous alerter sur le cas de M. Salah Hamouri, avocat franco-palestinien et défenseur des droits humains, en détention administrative en Israël de manière totalement arbitraire depuis mars 2022. Il est soumis à l'isolement et ne peut voir ni sa femme, ni ses enfants. L'acharnement israélien à son encontre lui a déjà fait perdre huit ans de sa vie dans les geôles de ce pays. L'ambassadeur de France en Israël, Éric Danon, et les services consulaires sont engagés pour soutenir cet homme. Cependant, la grève de la faim qu'il a entamée il y a dix jours pour réclamer le respect de ses droits l'a considérablement affaibli. Deux mesures d'urgence s'imposent. La première est de faire en sorte que Salah Hamouri accède en détention à des ressources de sucre et de sels minéraux. La seconde est de s'assurer qu'il ne soit plus placé à l'isolement.

Par ailleurs, je m'étonne que la France n'ait encore jamais réclamé clairement sa libération. Au vu des efforts de terrain restés lettres mortes, une prise de position publique du Gouvernement serait de nature à affirmer notre fermeté vis-à-vis de l'État d'Israël. Celui-ci méprise une fois de plus les droits humains des militants palestiniens. Que comptez-vous faire ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je me joins également à ces propos sur Salah Hamouri, qui depuis près de vingt ans subit le harcèlement de l'État d'Israël : ce n'est rien pour un État, mais c'est une éternité pour un homme.

Il mène une grève de la faim depuis le 25 septembre 2022, avec vingt-neuf autres prisonniers politiques. Pour le punir, il a été placé à l'isolement dans une cellule de quatre mètres carrés sans fenêtre, avec seulement un matelas et des toilettes. Il n'a pas le droit de sortir, ni de voir la lumière du jour. Salah Hamouri est amaigri, affaibli et souffrant. On refuse de lui donner du sel, qu'il est vital de consommer pendant une grève de la faim. La santé de notre compatriote ne cesse de se dégrader. Aussi avons-nous été contraints de vous interpeller, par voie de communiqué, puis à vous adresser une demande urgente d'audience. Nous vous remercions d'ailleurs, madame la ministre, pour la rapidité de votre réponse. Nous espérons qu'une date de rendez-vous nous sera très vite communiquée.

Salah Hamouri est un symbole de tous ces Palestiniens opprimés par l'État d'Israël, qu'un rapport d'Amnesty International a associé en février 2022 au système de l'apartheid. Salah Hamouri est aussi le symbole de ces familles que l'on brise, par racisme et par mépris des droits humains. Enfin, parce qu'il est notre compatriote, il est le symbole d'une France qu'on humilie au-delà de ses frontières. Ainsi, pour avoir écrit au président de la République française le 14 juillet 2022, Salah Hamouri a été transféré à Hadarim, une prison de haute sécurité.

La pression diplomatique de la France est-elle à la hauteur ou les autorités israéliennes nous baladent-elles en jouant la montre, le temps jouant contre Salah Hamouri ? Nous ne pouvons pas nous résoudre à attendre sa mort pour que la France hausse le ton. En répondant rapidement à notre courrier, vous semblez indiquer que vous prenez la mesure de l'urgence de la situation. Quelle mesure concrète envisagez-vous de prendre pour que l'État d'Israël respecte les droits de notre compatriote à vivre librement, où il le désire, entouré de sa famille ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez bien perçu madame la ministre combien cette commission est inquiète non pas sur le budget mais sur les évolutions de la situation internationale et sur la manière pour la France d'y faire face. Le dialogue que nous aurons lors des prochaines semaines sera donc des plus soutenus.

Permalien
Catherine Colonna, ministre

Monsieur Metzdorf, les États membres du Forum des îles du Pacifique (FIP) ont été conviés par le président américain à Washington à la fin du mois de septembre 2022. La France n'est pas membre du FIP. En revanche, elle a obtenu en 2016 que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française puissent en devenir membres à part entière et être ainsi mieux insérées dans leur environnement. C'est à ce titre, et à ce titre seulement, que nos territoires ont été invités par les États-Unis. Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, j'ajoute que c'est bien par l'intermédiaire de l'État français que cela a été fait. La France a autorisé les gouvernements de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française à se rendre à Washington pour participer à cette réunion. Il n'y a donc pas d'atteinte à la souveraineté de l'État, avec laquelle nous ne saurions transiger.

Monsieur Seitlinger m'a interrogée sur les questions immobilières. Si l'on prend un peu de recul, on peut relever qu'au cours des dix dernières années le MEAE a procédé à 188 cessions, pour un montant de 789 millions d'euros. Sur ce total, 200 millions d'euros ont contribué au désendettement de l'État. Cette politique de cessions est aujourd'hui moins dynamique, d'abord parce qu'il y a moins de biens à vendre, ensuite parce que le marché immobilier est plus déprimé, ce qui rend les ventes moins intéressantes. Nous ne pouvons pas compter sur une ressource aléatoire pour répondre à des besoins permanents d'entretien des ambassades et résidences. C'est la raison pour laquelle le ministère a obtenu, grâce à la représentation nationale, un renforcement significatif de ses crédits budgétaires. Pour la troisième année consécutive, notre dotation augmente. Elle est aujourd'hui portée à presque 57 millions d'euros en AE. Cette tendance devra être confortée à l'avenir car nos besoins restent importants à l'étranger. Ils sont estimés non pas à 57 millions d'euros par an mais plutôt à 80 millions d'euros. Il y a donc encore beaucoup à faire.

Concernant l'autre volet de ce dossier des cessions de biens à l'étranger, nous devons encore récupérer 36 millions d'euros de versements issus du CAS 723. L'arbitrage rendu par nos autorités a été favorable. Nous attendons donc la fin de gestion pour les récupérer, comme il se doit. Je n'ai pas manqué de le rappeler à mon collègue ministre délégué chargé des comptes publics.

Madame Abomangoli, le programme 209 dispose de 1 458 ETP en 2022. Les choix de répartition pour 2023 seront examinés lors des réunions de programmation avec la direction des ressources humaines du ministère, au plus près des besoins. Il faudra prendre en compte l'augmentation de l'APD, et donc le besoin de personnel qualifié pour la mettre en œuvre. Tous les choix ne sont pas encore faits. J'en reste à me réjouir de cette augmentation des effectifs du ministère, la première depuis trente ans.

Quant à la TTF, comme j'ai pu le dire à monsieur Julien-Laferrière, ce qui compte n'est pas d'où viennent les crédits mais qu'ils arrivent et qu'ils augmentent.

Nous suivons de très près la situation de nos deux compatriotes au Nicaragua, Madame Caroit. L'ambassade de France et les autorités françaises à Paris sont mobilisées. Nous avons déposé une demande d'accès consulaire à ces deux ressortissantes, cet accès étant garanti par la convention de Vienne.

Quant à l'AEFE, elle a réformé le statut de ses personnels expatriés et ses modalités de recrutement. C'est donc une avancée par rapport à la situation que vous avez évoquée. On peut s'en réjouir collectivement, en premier lieu pour les personnels concernés. Cette réforme entraîne un surcoût pour l'AEFE, que l'on évalue à environ 15 millions d'euros pour 2023. Le MEAE soutiendra l'AEFE en prenant en charge près de la moitié de cette somme, soit 7 millions d'euros.

Monsieur Le Gall, la répartition précise des 100 emplois créés cette année n'est pas encore finalisée, au-delà de la répartition générale de deux-tiers d'emplois à l'étranger et d'un tiers en France. J'éviterai le saupoudrage, au demeurant difficile au vu du nombre d'emplois créés. Toutes les catégories sont concernées par ces nouveaux postes de titulaires, en France et à l'étranger, expatriés et recrutés locaux. Permettez-moi de réserver les choix finaux à la direction des ressources humaines et à la direction générale de l'administration et de la modernisation du ministère.

Nous suivons le cas de notre compatriote Salah Hamouri depuis le départ, et pas seulement depuis la lettre que vous m'avez adressée, Madame Soudais. La diplomatie française a multiplié les contacts à tous les niveaux – à Paris, à Tel Aviv et à Jérusalem –, afin d'obtenir des explications et des assurances sur ses conditions de détention. Notre droit de visite consulaire a déjà été exercé à cinq reprises depuis le mois de mars, tandis que la famille de M. Hamouri a été reçue à de nombreuses reprises au Quai d'Orsay ; ce fut le cas hier encore.

Pour le reste, je ne commenterai pas vos propos sur la nature de l'État d'Israël, afin de ne pas avoir à m'en distancier.

J'indiquerai néanmoins que nous évoquons bien entendu la situation de M. Hamouri avec les autorités israéliennes. Le président de la République, lui-même, l'a fait lorsqu'il a reçu le premier ministre Lapid, il y a très peu de temps.

M. Hamouri doit être libéré. Il doit pouvoir mener une vie normale, là où il le souhaite, y compris à Jérusalem, où il est né et où il réside. Ses enfants et son épouse doivent en outre pouvoir s'y rendre et le retrouver. C'est ce que nous ne cessons de dire aux autorités de l'État d'Israël, y compris au plus haut niveau.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la ministre, je formulerai trois remarques.

La première est que cette commission est convaincue que la France doit disposer d'un service diplomatique à caractère universel et convenablement doté. Nous estimons que l'avantage qu'en retire la France en matière d'image et d'influence sur tous les continents excède très largement les dépenses engagées.

La deuxième est que nous avons été très choqués par la politique immobilière menée par le passé – et heureusement interrompue par M. Jean-Yves Le Drian –, qui consistait à vendre des actifs appartenant à la France, à verser le produit de ces ventes au budget général pour financer le déficit, et à présenter cela comme une mesure de rigueur financière. Il s'agissait en réalité d'un appauvrissement puisque nous perdions des actifs immobiliers, qui disparaissaient dans un puits sans fond. Nous sommes heureux que ce soit terminé et nous voulons désormais inverser la tendance. Des bâtiments historiques qui contribuaient à l'image de la France ont été perdus.

Troisièmement, nous estimons qu'il n'est pas possible d'imaginer faire des économies de gestion sur un budget aussi limité que celui du Quai d'Orsay car on arrive tout de suite à l'os et cela aboutit à des désastres. Conseiller maître honoraire de la Cour des comptes, je suis très attaché aux efforts de réduction de la dépense publique, mais comme le disait Georges Marchais : « Il faut prendre l'argent là où il est ».

La séance est levée à 19 h 40

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Frédéric Falcon, M. Thibaut François, Mme Maud Gatel, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Joris Hébrard, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Stéphanie Kochert, M. Arnaud Le Gall, Mme Marine Le Pen, Mme Élise Leboucher, M. Vincent Ledoux, M. Nicolas Metzdorf, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Jean-François Portarrieu, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Sabrina Sebaihi, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, Mme Michèle Tabarot, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Vichnievsky, M. Christopher Weissberg, Mme Estelle Youssouffa, M. Frédéric Zgainski

Excusés. - M. Moetai Brotherson, M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, Mme Amélia Lakrafi, M. Tematai Le Gayic, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Marcangeli, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, M. Éric Woerth