Intervention de Catherine Colonna

Réunion du mardi 4 octobre 2022 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Catherine Colonna, ministre :

Vous me contraignez à un choix cruel en me demandant de répondre, dans un temps imparti nécessairement bref, sur le budget et à des questions d'actualité, voire de politique générale. Je m'efforcerai de faire un peu des deux, en risquant ainsi de mécontenter tout le monde et de ne donner satisfaction à personne.

Monsieur Ledoux a parlé du réarmement et même de la réinvention de notre outil diplomatique. Je tiens à préciser que nous sommes un ministère pacifique, même s'il faut parfois préparer la guerre pour assurer la paix. En employant le terme « réarmement », je m'inscrivais dans le mouvement général observé ces dernières années pour les ministères régaliens. Certains en avaient déjà amplement bénéficié, comme les ministères des armées, de l'intérieur et, désormais, de la justice. Il était temps qu'il en soit de même pour le Quai d'Orsay.

Le terme de réinvention est un bon terme. En évoquant ce concept, je voulais aussi dire qu'il faut que le MEAE développe davantage une culture de l'innovation. Le monde change, nous devons être agiles. Nous le ferons en matière de communication, dans la limite de nos moyens. Nous le faisons aussi à travers les stratégies d'influence, qui sont devenues capitales. Je crois au terrain et je soutiendrai les propositions qui en émaneront, si elles paraissent prometteuses. C'est ce que nous avons fait, monsieur Julien-Laferrière, dans le domaine du développement. Nous avons soutenu des idées émises par les ambassades, avec des projets souvent modestes, rapidement réalisables, adaptés aux besoins locaux et visibles par les populations. Nous allons donc développer la flexibilité et la réactivité. Je concède que nous étions un peu en retard en la matière.

Madame Le Pen, je me réjouirais presque de vous entendre plus souvent. Merci de rappeler la qualité des ambassadeurs, des diplomates en général et celle de notre outil diplomatique. Mais j'aimerais tenter de corriger une confusion. La disparition de certains corps ne signifie ni la disparition des individus, ni celle des emplois. Au contraire, nous créons des emplois. Il fallait le faire, car il faut des gens pour assurer les missions et garantir que la machine fonctionne. Au demeurant, le décret du 16 avril dernier ne supprime pas les deux corps que vous citez. C'est au contraire le texte réglementaire qui matérialise les garanties obtenues par mon prédécesseur.

Les états généraux de la diplomatie vont s'ouvrir dès ce mois d'octobre, la décision ayant été prise par le président de la République et par la première ministre, sur ma proposition. Il est nécessaire de mener une réflexion avec tous ceux qui sont concernés : les élus, des partenaires extérieurs, les jeunes diplomates et toutes nos forces vives. Cette réflexion doit se projeter au-delà de la réforme des corps et permettre de répondre au besoin de sens du personnel tout en lui faisant connaître les priorités que l'État fixe. Un premier bilan de ces états généraux devrait pouvoir être réalisé au début de l'année prochaine. Il s'agira alors de dessiner les lignes directrices qui permettront de renforcer notre diplomatie.

Je n'ai pas vu l'émission de Complément d'enquête mais nous la regarderons avec attention. Le thème que vous mentionnez a déjà été exploré par le passé. Si des faits nouveaux qui relèvent de la justice étaient révélés, il y aurait bien entendu matière à enquête. Les registres du mobilier des ambassades sont très précisément tenus et font l'objet d'un examen annuel. Chaque ambassadeur doit signer les documents d'inventaire au début et à la fin de ses fonctions : il engage ainsi sa propre responsabilité.

Madame Leboucher a évoqué les services consulaires aux Français et les délais d'obtention de rendez-vous. Sans doute avez-vous perçu dans le vœu que j'ai formé une petite critique sur la situation actuelle. La pandémie de Covid-19 et les confinements successifs ont empêché pendant plusieurs mois les personnels de travailler au même rythme que d'habitude. Même si les services consulaires français n'ont jamais fermé – contrairement à ceux d'autres pays –, un retard certain s'est partout accumulé. Nous pensons pouvoir améliorer la situation dès la fin de cette année grâce à une nouvelle plateforme de prises de rendez-vous. Je profite de l'occasion pour appeler nos compatriotes à la responsabilité. Trop de rendez-vous sont pris mais ne sont pas honorés et restent bloqués car on ne prend pas la peine de les annuler. La nouvelle plateforme est en cours de déploiement et va être mise en place très bientôt. Dans les pays où les besoins sont les plus urgents, des renforts ponctuels d'effectifs pourront être déployés. Nous avons également travaillé avec le ministère de l'intérieur pour faciliter certaines démarches administratives, notamment en supprimant la deuxième comparution lors des renouvellements de passeport. Des expérimentations en ce sens sont menées dès cette année dans deux pays.

L'AFD est en effet une banque, et c'est nécessaire si nous voulons qu'elle lève des fonds sur les marchés internationaux et assure son rôle. Ne confondons pas l'instrument et le pilotage. L'AFD est un opérateur de l'État. Elle est placée sous la triple tutelle du MEAE, de Bercy et du ministre délégué chargé des outre-mer. Une programmation et un pilotage politique sont donc assurés et j'espère qu'un CICID se tiendra bientôt. Un comité du développement présidé par le président de la République sera peut-être même organisé, ce qui serait une bonne chose en début de législature.

Il faut relever que les dons ont nettement plus progressé que les prêts : c'est le résultat de ce pilotage politique. Ces dons représentent 1 milliard d'euros au titre de l'aide-projet, 80 millions d'euros s'agissant du FSPI – avec des projets innovants qui sont très utiles localement – et 600 millions d'euros au titre de l'aide humanitaire. Cela permet de concentrer les efforts dans les pays les plus fragiles, alors que les prêts vont bénéficier aux pays dits intermédiaires, que les ratios actuels d'endettement rendent éligibles aux mécanismes d'emprunts.

J'en viens au Burkina-Faso, premier sujet évoqué par Monsieur Herbillon. Notre priorité est et demeure la sécurité des ressortissants français. La situation a évolué dans le sens d'un relatif retour au calme. Néanmoins, nous avons pris tout de suite les mesures nécessaires. Un dispositif a été arrêté à cet effet, sur lequel je ne m'étendrai pas. Je rappelle qu'il s'agit d'une crise politique intérieure au Burkina Faso. Elle ne nous concerne pas directement et nous n'en sommes pas partie prenante. Il y a eu des actions de désinformation, très clairement organisées par des petits groupes qui ont peut-être été manipulés. Je ne ferai pas de commentaires sur les commanditaires potentiels ; certaines images en disent plus que je ne peux le faire dans ma fonction. Des appels irresponsables ont eu lieu sur les réseaux sociaux. Nous avons demandé qu'ils cessent. Nous avons pu arrêter des tentatives d'intrusion. La situation a évolué un peu plus favorablement mais nous restons mobilisés et prudents. Parallèlement, des missions diplomatiques s'organisent. Une mission de haut niveau de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) se déroule sur place. Nous espérons qu'elle pourra apporter un peu de raison et rappeler que le Burkina Faso a besoin du respect du calendrier de retour à l'ordre constitutionnel, perturbé depuis trop longtemps. Les dommages subis par l'ambassade de France sont évalués entre 2 millions et 2,5 millions d'euros.

La situation générale au Sahel mériterait à elle seule un débat. Je rappelle simplement que, par notre engagement, nous avons évité que le Mali ne bascule et que Bamako ne soit prise par les groupes djihadistes. Mais cela n'a pas suffi à assurer la stabilité du pays. Je vous remercie d'avoir rendu hommage aux soldats français qui ont perdu la vie dans cette noble mission, qui a permis de marquer des points contre les groupes terroristes armés (GAT). Malheureusement, les autorités maliennes – issues d'un double coup d'État – n'ont pas poursuivi la même politique. Par leur action et par leurs alliances avec des mercenaires, elles ne font pas preuve de beaucoup d'efficacité dans la lutte contre les GAT.

Je reviens brièvement sur les questions de communication et de lutte contre la désinformation soulevées par madame Vichnievsky. Nous voulons mieux anticiper les attaques informationnelles et voir d'où elles proviennent, en accroissant nos capacités de veille sur les réseaux sociaux. Une nouvelle sous-direction de la direction de la presse et de la communication du Quai d'Orsay sera désormais chargée de le faire. Une fois que l'on a veillé, observé et identifié, il faut ensuite agir. Nous nous employons à toucher de nouveaux publics, sur de nouvelles plateformes et dans de nouvelles langues, ce qui suppose des moyens. Il faut aussi que les ambassades soient en mesure d'être plus réactives, en augmentant leurs moyens à l'aune de ceux qui nous sont donnés. Il faut toujours se souvenir que les pays où sévit la désinformation sont les mieux armés pour lutter contre elle. L'action d'influence que nous menons et l'APD que nous leur apportons sont des moyens dont il ne faut pas oublier l'importance dans cette lutte contre les fausses informations.

Peut-être avez-vous appris qu'une nouvelle opération de rapatriement d'enfants retenus dans des camps en Syrie a été menée aujourd'hui. Je ne comptais pas la confirmer mais le parquet national antiterroriste l'a fait. Nous essayons de ramener ces enfants lorsque c'est possible et si nous pensons que les conditions locales le permettent. Nous n'assurons pas, bien évidemment, le contrôle effectif de ces territoires et les conditions sur place sont très difficiles. Ce sont des opérations délicates, sur lesquelles nous ne communiquons jamais en amont pour des raisons évidentes. Je rends hommage à tous les services de l'État qui sont impliqués dans ces opérations d'une très grande complexité.

Monsieur David, quelles que soient les modalités de financement de l'audiovisuel public, le MEAE restera vigilant à ce que les moyens accordés à l'audiovisuel extérieur soient maintenus, voire augmentés. Il est indispensable que ces médias puissent répondre à leur mission de presse libre et indépendante, qu'ils diffusent une information professionnelle et de qualité et qu'ils luttent contre la désinformation qui se répand à bas bruit. L'année 2023 sera celle de la consolidation du rôle de cet audiovisuel extérieur. Nous avons par exemple mis en place un dispositif d'accueil de journalistes ukrainiens en exil, grâce à France Médias Monde. Par le biais de RFI Romania, nous pouvons émettre une information fiable et de qualité, en ukrainien et en russe. Quant à votre réflexion sur le contrat d'objectifs et de moyens, elle dépasse ma compétence et concerne les années 2024 et 2025.

Monsieur Portarrieu a posé deux questions sur le déficit commercial. Je crois avoir répondu par anticipation en ce qui concerne les moyens que le MEAE peut consacrer à l'amélioration de l'attractivité de la France, avec plutôt de bons résultats. Cela ne suffit pas à réduire le déficit commercial mais c'est un sujet qui dépasse la compétence du seul MEAE. Vous avez également abordé la question de l'autonomie et de la résilience de certaines filières industrielles. Nous sommes bien informés des points d'attention particuliers que la société Airbus a évoqués s'agissant de certains métaux nécessaires. De manière plus générale, il faut diversifier nos fournisseurs. C'est ce qu'Airbus a entrepris de faire mais il lui faudra encore quelques mois pour être moins dépendante, d'un pays en particulier.

Monsieur Julien-Laferrière, les sommes mobilisées dans le cadre du FSD ne sont pas considérables. Il s'agit cependant d'un outil intéressant qui est plébiscité, tant par les ambassadeurs que par les pays ou les populations qui peuvent en bénéficier. Ce qui compte, ce n'est pas la provenance des crédits de l'APD, c'est leur total – et il augmente considérablement en volume. Vous me direz probablement que ce total ne progresse pas suffisamment en pourcentage. Mais l'objectif de 0,5 % prévu par la loi du 4 août 2021 pour cette année est atteint. Pour ce qui est des années suivantes, vous avez formulé un vœu par voie d'amendement, auquel je souscris. J'observe que la croissance du produit intérieur brut (PIB) permet une augmentation considérable en volume de notre aide au développement. Elle a doublé depuis 2017, ce qui est un beau résultat. Il est plus facile d'assurer le pilotage politique de l'APD dans le cadre de la mission Aide publique au développement plutôt qu'en dehors de celle-ci. Je souscris à la demande de votre assemblée d'assurer un pilotage politique étroit de ces activités, et notamment de l'AFD.

Madame Youssouffa, j'ai bien noté votre préoccupation. Nous sommes conscients des difficultés économiques, sociales et migratoires à Mayotte. Vous m'aviez interrogée à ce sujet lors des questions au Gouvernement. J'avais à cette occasion rappelé les chiffres des expulsions, qui sont très importants. Le faible niveau de développement de certains territoires, comme les Comores, conduit nombre de leurs habitants à émigrer. Nous ne sommes, par conséquent, pas favorables à la fin de l'APD. Au contraire, il faut trouver des solutions pour que les pays les moins avancés se développent, afin qu'il y ait moins d'émigration. On ne réglera pas ce problème si l'on n'agit pas sur les causes de ces migrations. Pour les Comores, un plan de développement de 150 millions d'euros est prévu. Il a pour objectif d'agir sur les causes pour prévenir davantage les départs de migrants clandestins vers Mayotte. Il s'agit de favoriser et de multiplier les possibilités de développement économique aux Comores, en ciblant en particulier l'île d'Anjouan.

Monsieur Dupont-Aignan, j'ai dit aujourd'hui même lors des questions aux Gouvernement que la France se tenait sans ambiguïté aux côtés du peuple arménien. J'ai rappelé notre souhait, qui est celui de tous les amis de l'Arménie, qu'une solution négociée et pacifique soit trouvée au conflit entre ce pays et l'Azerbaïdjan. Enfin, j'ai rappelé qu'en droit international exécuter des prisonniers de guerre constitue un crime de guerre. Il faudra donc que les auteurs de ces faits soient jugés. Nous avons immédiatement demandé une enquête indépendante.

En ce qui concerne l'Ukraine, ne confondons pas les choses. Si quelqu'un punit la Russie, ce sont ses responsables politiques et en particulier le premier d'entre eux, le président Poutine. N'oublions pas non plus que c'est l'armée russe qui est en Ukraine et non l'inverse. Elle y commet des crimes, des crimes de guerre et peut-être même des crimes contre l'humanité. Elle devra rendre des comptes. La position de la France a été rappelée hier par la première ministre et par moi-même lors du débat consacré à l'Ukraine, au titre de l'article 50-1 de la Constitution.

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