La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.
Présidence de M. Patrick Hetzel, président.
La commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements, auditionne les représentants des syndicats de la police nationale :
– Alliance Police nationale : MM. Denis Boé, responsable national judiciaire, et Johann Cavallero, responsable national CRS ;
– Unsa Police : Mme Ingrid Lecoq, déléguée nationale du pôle province et outre-mer, et M. Jean-Paul Nascimento, secrétaire national du pôle CRS ;
– Alternative Police CFDT : MM. Denis Jacob, secrétaire général, et Guillaume Ruet, secrétaire national.
Mes chers collègues, nous ouvrons nos travaux de la journée avec cette table ronde de représentants de syndicats de la police nationale. Je vous souhaite à tous la bienvenue et je vous remercie d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête. Nous cherchons à comprendre les éclats de violence qui ont marqué les manifestations de ce printemps et à évaluer la réponse qui leur a été apportée par les autorités publiques. Comme vous le savez, nous avons déjà entendu votre directeur général ainsi que vos camarades du conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale.
Un questionnaire vous a préalablement été transmis par notre rapporteur. Toutes les questions qu'il contient ne pourront pas être évoquées au cours de cette audition. Je vous invite à communiquer ultérieurement des éléments de réponse écrits, ainsi que tout autre élément d'information que vous jugeriez utile de porter à la connaissance de la commission d'enquête.
Il me revient d'ouvrir les débats et je le ferai en vous soumettant deux interrogations. En premier lieu, nous avons entendu plusieurs personnes souligner que les violences de ce printemps s'inscrivaient dans un continuum historique et qu'elles n'avaient rien d'exceptionnel au regard de faits passés. Confirmez-vous ce jugement ou, au contraire, voyez-vous émerger des phénomènes nouveaux ces derniers mois ?
Comment parvenez-vous, et quelles difficultés rencontrez-vous pour cela, à concilier le maintien de l'ordre lors des manifestations et l'interpellation des auteurs de violences avec la présence de tierces personnes – manifestants, services d'ordre, élus, journalistes, services de santé ? Pensez-vous que les coordinations sont bien réalisées ou qu'une marge de progression existe avec certains de ces acteurs ?
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Johann Cavallero, M. Denis Boé, Mme Ingrid Lecoq, M. Jean-Paul Nascimento, M. Denis Jacob et M. Guillaume Ruet prêtent successivement serment).
Si vous le permettez, je commencerai par un bref propos liminaire.
Les actions contre les forces de l'ordre sont actuellement de plus en plus violentes alors qu'en parallèle, les contrats déontologiques imposés aux policiers apparaissent de plus en plus pesants. Les policiers acceptent la règle déontologique, mais lorsque ces derniers sont dénoncés à tort sur les plateformes de l'inspection générale de la police nationale ou dans les médias, l'administration ne réagit pas. Ils ne peuvent compter que sur les syndicats de police.
Notre haute hiérarchie ne dénonce pas suffisamment l'utilisation abusive du terme « violences policières ». Nous constatons l'augmentation des violences à l'égard des forces de l'ordre au gré des manifestations où des individus radicalisés, appartenant ou non à des mouvements violents, majoritairement d'ultragauche, viennent casser, brûler, piller et surtout agresser ou essayer de tuer toute personne représentant l'autorité de l'État, dont les forces de police et de gendarmerie. Nous pouvons assister dans ce cadre à une désinhibition totale de ces adversaires qui utilisent des méthodes et des techniques de guérilla urbaine ainsi que des armes de guerre : coquetels Molotov, bombes à l'acide ou à la soude, bombes artisanales, explosifs, etc. Cette désinhibition est sans doute un problème sociétal de rapport à l'autorité.
Aujourd'hui, on agresse un Président de la République, des élus, députés, sénateurs, maires, mais aussi les pompiers, les professeurs, les médecins et surtout ceux qui sont en première ligne pour les défendre, les forces de l'ordre. On parle de désobéissance civile pour ceux qui violent la loi dans le cadre de l'expression d'une contestation sociale, comme la participation à une manifestation interdite. Cette désobéissance civile est soutenue d'ailleurs régulièrement par certains groupes politiques siégeant à l'Assemblée nationale. Ce soutien délégitime de façon systématique et systémique l'action de police en légitimant par ricochet celle des délinquants. Confortés dans le fait que la police n'est pas légitime dans l'exercice de son autorité, beaucoup d'activistes considèrent l'action de police illégale et se rebellent violemment contre tout l'exercice de l'autorité par la police. Les émeutiers sont confortés dans l'idée que leur cause est légitime par le fait qu'ils sont rarement condamnés. Problème de preuves, mais aussi problème de magistrats qui, pour certains, ne rendent pas la justice au nom du peuple français, mais au nom de leurs convictions politiques et syndicales.
Le maintien de l'ordre est une opération de police administrative en unité constituée. Le fait d'individualiser judiciairement la responsabilité des agents tend à inhiber fortement l'action de police. Le harcèlement juridique est la spécialité de l'extrême gauche pour qui l'usage de la force légitime par la police est considéré comme une violence policière.
Le phénomène des black blocs n'est pas nouveau, mais il s'est véritablement affirmé lors des manifestations contre la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Nous avons assisté à une émergence de ce phénomène, avec une agressivité à l'encontre des forces de sécurité et la volonté d'aller au contact desdites forces. Nous ne connaissions pas historiquement cela dans le maintien de l'ordre à la française, qui consistait à tenir à distance et à ne jamais être au contact. Nous avons observé une affirmation de ce phénomène des black blocs lors des manifestations contre la loi El Khomri en 2016.
Nous avons participé à de précédentes auditions à l'occasion des manifestations de Gilets jaunes et, plus récemment, lors des protestations contre la réforme des retraites. Dès 2016, nous avons préconisé une révision du schéma national du maintien de l'ordre et une dotation des forces de l'ordre en véhicules sonores et lumineux afin de prévenir les manifestants pacifiques qu'il convenait de s'écarter pour ne pas avoir affaire aux casseurs.
Les black blocs forment un mouvement organisé, préparé sur les réseaux sociaux et qui dépasse les frontières de la France. C'est un phénomène européen, dont le traitement ne peut relever des seules forces françaises. Il est important de le rappeler. Ce mouvement ne porte aucun slogan ni revendication. Il entend seulement mettre en péril les symboles républicains et démocratiques.
En second lieu, une question de complémentarité d'acteurs et d'actions se pose. Pour notre syndicat, elle porte surtout sur la judiciarisation des interpellations en lien avec la magistrature. Nous avons un problème de traitement judiciaire des personnes interpellées. Des fonctionnaires interviennent au milieu d'affrontements violents, procèdent à des interpellations, amènent la personne au commissariat pour y établir une fiche synthétique de présentation à destination d'un officier de police judiciaire. L'interpellateur retourne ensuite sur le théâtre des affrontements. Pour l'enquêteur, il devient difficile d'établir la responsabilité d'un ou de plusieurs auteurs de violences. Nous pensons que cette judiciarisation doit être faite sur le terrain. Quelques dispositifs émergent. Nous préconisons un dispositif de bus mobiles d'officiers de police judiciaire à même les théâtres de violence, pas au cœur des affrontements mais en retrait, avec des mises à disposition mobiles qui regroupent des officiers de police judiciaire enregistrant les plaintes en direct. L'agent présente l'interpellé. Il peut tout de suite témoigner de ce qu'il a vu, de ce qu'il s'est passé. L'officier de police judiciaire dispose de tous les éléments caractéristiques pour ensuite placer la personne en garde à vue et, le cas échéant, le présenter à un magistrat.
Je pense que c'est sur ces deux axes qu'il convient de travailler. Bien évidemment, d'autres moyens peuvent être mis à disposition dans le cadre de l'action partenariale avec les magistrats et surtout dans l'enquête judiciaire. Nous devons pouvoir travailler après les événements et ne pas nous retrouver, comme nous l'avons été, confrontés à une majorité de personnes placées en garde à vue libérées faute de charges.
Nous avons préconisé, dès 2016, la dotation, pour les forces de sécurité, de nouvelles armes non létales que sont les marqueurs, les traceurs ADN chimiques tels qu'on les connaît dans les établissements bancaires et qui recouvrent la peau d'un produit indélébile pendant près de six semaines. Dans le cadre d'une enquête judiciaire, ils permettent d'identifier des auteurs d'infractions, de les interpeller et de les mettre à disposition de la justice.
Je vous présente en quelques mots le travail partenarial que nous souhaiterions déployer sur le terrain avec les magistrats. On a toujours tendance à jeter la pierre sur la magistrature, sur la justice, et l'on sait que la justice, comme la police nationale, a de gros problèmes de moyens, même si beaucoup d'efforts ont été consentis récemment pour la police nationale. Il faut qu'il en soit de même pour la justice et que la justice ait les moyens de suivre l'action de la police. Nous estimons que ce travail partenarial avec la magistrature sur des théâtres d'affrontements pourrait constituer une solution, notamment avec ces bus dans lesquels on pourrait installer des officiers de police judiciaire.
Je vous remercie pour ces éléments, qui me permettent de rebondir et de faire réagir vos homologues. Vous indiquez que les black blocs sont préparés avant de se rendre sur un terrain de manifestation. Il est donc de plus en plus difficile d'apporter la preuve de leur présence. Vous apportez un commencement de réponse en préconisant que la preuve nécessaire à la justice soit directement recueillie sur le terrain. Actuellement, les fiches renseignées par les officiers de police judiciaire sont souvent incomplètes, ce qui ne permet pas à la magistrature de poursuivre efficacement. Est-ce que cette judiciarisation sur le terrain pourrait permettre à la personne qui a effectué l'interpellation d'apporter son témoignage à l'officier de police judiciaire et de faire en sorte que la fiche soit bien renseignée ? Y a-t-il consensus sur ce point entre vous ?
La problématique est celle du temps court. Dès lors que l'individu est interpellé, la présentation à l'officier de police judiciaire et l'avis du magistrat posent un vrai problème. De ce fait, l'idée d'un bus mobile est bonne. Néanmoins, les individus sont tous masqués en noir et tous ont consigne de ne pas parler hors la présence de leur avocat. Il serait nécessaire de capter la vidéo.
Les dernières violences n'ont jamais été aussi importantes. Tous ces groupuscules se retrouvent derrière une même cause le temps d'une manifestation : il s'agit d'idéologies anticapitalistes et opposées aux symboles de l'État. Ces individus fonctionnent sans hiérarchie et communiquent sur des messageries sécurisées.
Avoir l'officier de police judiciaire au plus près est une bonne idée. Mais le vrai sujet reste la matérialisation de la preuve.
Les membres des compagnies républicaines de sécurité perdent leur qualité d'agents de police judiciaire lorsqu'ils sont déployés en unités constituées. C'est la raison pour laquelle des fiches techniques synthétiques sont établies. Après avoir procédé à une interpellation, le fonctionnaire rejoint rapidement ses collègues sur le terrain. Il ne reste pas avec l'individu interpellé. Le fonctionnaire ne peut donc pas détailler lui-même les faits commis. Enfin, tous les agents des compagnies républicaines de sécurité ne sont pas dotés de caméras vidéo, même si elles commencent à être distribuées. Elles permettront de mieux matérialiser les faits.
Effectivement, les black blocs interviennent en noir. Ils viennent sur les lieux habillés normalement et, à un signal déterminé, ils revêtent leurs habits noirs. Dans ces groupuscules, nous trouvons 40 % de meneurs et le reste composé de suiveurs. Nous pensons que la caméra-piéton généralisée est capitale pour une matérialisation de la preuve par l'image. Il est aussi est important de faire usage des drones pour permettre une vue d'ensemble du théâtre d'affrontement.
En amont, nous pensons qu'il faut agir. Il sera important de légiférer pour un ciblage efficace des auteurs. L'efficacité de la loi sera de s'attaquer au noyau dur des black blocs.
Il convient enfin d'étudier la possibilité d'une fiche d'interdit de manifestation, à l'instar des interdits de stade. La personne visée devrait aller pointer au commissariat dès qu'une manifestation est annoncée.
Pour légiférer efficacement, nous nous heurtons à des difficultés d'ordre constitutionnel. Assister à une rencontre dans un stade n'est pas de même nature que le droit fondamental de manifester. Il faudrait trouver le bon vecteur juridique, avec une voie qui respecte la Constitution, pour garantir la possibilité de manifester en sécurité.
Vous évoquiez votre difficulté à procéder à une identification des black blocs. Auriez-vous des propositions ?
Je pense que les traceurs ADN peuvent être une solution pour agir plus tard. Quand on est confronté à ce genre d'affrontements, on risque, dans l'impossibilité d'interpeller les auteurs, de subir des dommages collatéraux. Les forces de l'ordre n'interviennent pas pour le plaisir d'impacter des manifestants pacifiques, pris entre les black blocs et les forces de sécurité. Il serait aussi utile que la police puisse inviter les manifestants à quitter les lieux dès lors que des théâtres d'affrontement apparaissent.
Sur le fait de légiférer, il faut trouver le juste équilibre juridique pour anticiper la présence des black blocs, d'autant que nombre d'entre eux viennent de pays frontaliers tels que les Pays-Bas, l'Allemagne et la Belgique. Les blacks blocs suivent un entraînement spécifique. Ce débat doit être porté au niveau de l'Europe.
Sur cette question, nous envisageons l'audition d'un dirigeant d'Europol sur les actions menées à l'étranger et sur la possibilité d'une coordination.
Il faut aussi différencier les manifestations interdites des autres. Ainsi, la manifestation sur l'axe Lyon-Turin était prohibée, mais des individus étaient présents. Lorsqu'un rassemblement est interdit, force doit rester à la loi.
Concernant les manifestations autorisées, c'est souvent la dislocation qui pose problème. Les black blocs sont présents depuis le sommet d'Évian en 2003 et ils ont acquis une grande habitude. Les badauds, pour leur part, gênent l'action des forces de l'ordre. Des gens photographient ou filment. Ils regardent les casseurs frapper et, quoique sans intervenir, ils gênent l'action des forces de l'ordre. Tout le monde se réclame aujourd'hui de la presse. Il ne faut pas dénaturer le dispositif policier mis en place.
Nous n'oublions pas, au moment où nous vous auditionnons, que les hommes et les femmes que vous représentez à travers vos organisations ont été en première ligne face aux groupuscules violents dont nous essayons d'analyser les modalités d'action.
Nous étudions la question relevant de la structuration et du financement des groupuscules violents. Selon les premières auditions, la structuration est plutôt molle et les financements presque inexistants, en tout cas faibles. Confirmez-vous ce point de vue ?
En ce qui concerne le schéma national du maintien de l'ordre, comment concilier la mise à distance, qui permet d'éviter la confrontation, et la mobilité, voire l'hyper mobilité ? Cette articulation peut sembler difficile dans des théâtres d'opérations eux-mêmes délicats à cause du comportement des personnes en face de vous.
Le préfet de police de Paris indiquait qu'il restait des progrès à accomplir en matière de communication ou d'information à destination des manifestants, des « vrais » manifestants. Le but est de faire en sorte, au moment de la dispersion, que des messages soient diffusés pour avertir de l'éventualité d'affrontements ou de violences. De quels outils nos forces de l'ordre pourraient-elles se doter à votre sens ? Comment appréhendez-vous les notions de « brutalisation » et ces expressions parfois employées au sein même de notre institution ? Je pense notamment à la critique adressée après l'épisode de Sainte-Soline, consistant à dire que tout était prévisible donc évitable. Comment y répondez-vous ?
Je ne sais plus qui d'entre vous a évoqué le comportement d'un certain nombre de familles politiques. Quelle ligne de partage tracez-vous entre ce qui relève de l'accompagnement d'une colère et l'incitation à la violence ? Dans la période récente, il s'agit d'un vrai débat.
Avant le nouveau schéma national de maintien de l'ordre, il faut rappeler que le maintien de l'ordre à la française était reconnu dans le monde entier et même par l'Organisation des Nations unies en 1965, sans oublier d'évoquer le Conseil de l'Europe.
Je reviens sur la préparation du maintien de l'ordre sur la plaque parisienne. Vous devez savoir que, jusqu'à peu de temps encore, les forces mobiles n'assistaient pas aux réunions préparatoires consacrées au maintien de l'ordre, qui étaient tenues au sein même de la préfecture de police.
Concernant la sommation et l'utilisation de la force légitime, nous pouvons poser le problème de l'autorité civile sur le maintien de l'ordre, c'est-à-dire le commissaire de police. Son rôle est de fixer des objectifs à atteindre, comme l'évacuation d'une place, en se tournant vers le commandant de la force publique à savoir le commandant de la compagnie républicaine de sécurité ou de l'escadron de gendarmerie mobile. Sur la plaque parisienne, l'autorité civile exerce les deux rôles. Pour l'Unsa Police, cette situation pose problème.
Je comprends la confusion des rôles que vous indiquez, mais pouvez-vous expliquer en quoi c'est une problématique ? Pouvez-vous donner des exemples précis ?
Les rôles sont prévus par le code de procédure pénale. L'autorité civile fixe les objectifs à atteindre et le commandant de la force publique s'impose comme le spécialiste du maintien de l'ordre. Il sait comment mettre en œuvre les moyens adaptés, s'il doit utiliser des canons à eau, des grenades ou tout autre instrument à sa disposition. Bien sûr, ces décisions interviennent après les sommations d'usage. Sur la plaque parisienne, les compagnies républicaines de sécurité rencontrent des soucis, ce qui crée une certaine confusion dans les ordres reçus et mis en place.
Il sera difficile de répondre à toutes les questions posées. Pour répondre à celle de Sainte Soline, le mouvement black bloc n'est pas prévisible. Il est composé d'une multitude de mouvances issues principalement des milieux d'activistes d'ultra-gauche, d'anarchistes, de libertaires, d'altermondialistes, d'antifascistes. Ce n'est pas une organisation structurée. La question se pose de la manière d'anticiper leur action, notamment via leurs échanges sur les réseaux sociaux et les messageries cryptées. Cette situation nécessite un renforcement de la lutte contre la cybercriminalité. Il suffit à ces groupuscules d'un seul appel sur ces réseaux pour converger vers un point commun et agir. De plus, le financement n'est pas un financement occulte donné par certains organismes ou associations. On découvre souvent des armes artisanales, fabriquées au moyen de ce qui est trouvé sur les réseaux sociaux.
La parole publique est dangereuse lorsqu'elle consiste à affirmer qu'il existe des violences policières. Elle donne une légitimité à ceux qui s'agrègent aux mouvements des black blocs, c'est-à-dire la part radicale qui s'exprime par la violence. Les manifestants ne vont pas de la colère à la violence. Ce n'est pas vrai. En revanche, les personnes violentes expriment autre chose qu'une revendication, et elles l'expriment par la violence. Je dénonce avec force les propos de certaines personnalités publiques et politiques à propos de violences policières. Les policiers ne provoquent pas la violence pendant les manifestations. Ils agissent pour mettre un terme aux troubles à l'ordre public. Ils garantissent aux manifestants la possibilité d'exprimer leurs revendications et à toute personne de circuler sur la voie publique pendant une manifestation en toute sécurité.
Sur le maintien de l'ordre, notamment en fin de manifestation, il est en effet nécessaire de renforcer la communication à destination des manifestants pacifiques afin d'éviter de les trouver confrontés à des théâtres de violence.
Dans la police nationale, nous souffrons d'un problème de retour d'expérience de terrain. Nous devrions être écoutés lorsque nous rendons compte des difficultés rencontrées, mais il manque un vrai retour d'expérience régulier, quelle que soit la mission. Il pourrait s'agir de débriefings pour connaître le retour des professionnels de terrain de façon à mieux adapter l'action de la police.
Lorsque vous êtes confronté à une personne décédée après un accident de la route ou un suicide, vous vous sentez seul. Vous pouvez aussi avoir des problématiques d'intervention dans les quartiers difficiles. On nous demande de lutter contre les trafics de stupéfiants, ce qui fait courir le risque de contrôles au faciès ou de contrôles abusifs. Nous contrôlons toujours les mêmes personnes dans un endroit déterminé. Si on demandait aux collègues comment ils perçoivent leurs missions au quotidien pour atteindre les objectifs fixés, nous éviterions peut-être des situations médiatisées telle que nous les connaissons.
À titre d'exemple, les collègues n'interviennent que peu, voire plus du tout, sur les trafics de cigarettes aux abords des gares. La raison en est les différents rapports qui indiquent qu'à la gare du Nord, les personnes d'origine étrangère sont susceptibles de faire l'objet d'un contrôle d'identité. C'est pourquoi nous n'intervenons pas. Au contraire, si les retours d'expérience étaient mieux pris en compte, ils permettraient d'adapter les missions de police.
Il faut quand même savoir que la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité n'a pas été associée à l'élaboration du schéma national du maintien de l'ordre.
Dans les compagnies républicaines de sécurité, nous avons la chance d'avoir recours aux retours d'expérience de façon régulière. Ils permettent d'analyser la situation et de proposer des recommandations. Le dernier retour d'expérience a permis de pointer le sujet des moyens ou celui de la coordination des forces à Paris.
La mise à distance n'est pas une difficulté dans la mesure où les compagnies républicaines de sécurité ont toujours su s'adapter. Je pense à la mise en place des groupes tactiques temporaires. Ces deux unités de compagnies républicaines de sécurité suivent la manifestation dans des rues parallèles. La mise à distance et la mobilité ne sont pas contradictoires. Il est important de savoir se coordonner avec les autres forces. Les unités mobiles, rompues à ce genre d'exercice, doivent constituer le premier rideau.
Concernant Sainte-Soline, la preuve photo apparaît également intéressante. Lorsque des personnes se rendent à une manifestation avec une meuleuse, c'est significatif.
Le terme « violences policières » vise à affaiblir l'autorité. Or, ce sont les policiers qui disposent de l'usage de la force, et eux seuls. Est-il judicieux ou pas ? Des enquêtes sont menées, l'inspection générale de la police nationale est saisie. Bien souvent, on observe qu'il y a eu un usage proportionné de la force. Il est difficile de s'en rendre compte à partir de quelques secondes d'images. Les caméras-piétons peuvent dédouaner l'action des forces de l'ordre quand elles sont accusées à tort.
Les black blocs sont une mouvance très hétéroclite, incluant des personnes de toute nature, y compris des femmes ou des personnes issues de quartiers sensibles. Il peut y avoir des gens comme vous et moi, et on en trouve de plus en plus.
Ce mouvement se compose de ceux qui cassent et de ceux qui protègent. Les black blocs s'abritent toujours derrière des bâches et des parapluies tenus par des personnels féminins. Ils veulent en découdre et affronter les forces de l'ordre. Il y a trente ans, ce phénomène était celui des hooligans qui venaient au stade se battre entre eux et combattre les forces de l'ordre. C'est ce même phénomène qui est recréé.
En matière de dissimulation, les black blocs portent de grosses lunettes de ski, des masques, des K-ways faciles à jeter. Ils sont très mobiles. Par conséquent, il conviendrait de fermer les axes de métro tout au long de la manifestation, pas seulement au début et à la fin de celle-ci. Or, les groupuscules parviennent à pénétrer la manifestation via ces axes de métro, et ils forment ainsi le bloc. Il y a quelques années, la délégation des compagnies républicaines de sécurité avait trouvé la stratégie de canaliser les accès aux manifestations dès que le groupe se constituait, pour le disloquer.
Vous avez fait ce distinguo pertinent entre manifestations interdites et autorisées. Est-il possible d'empêcher les premières ? Sainte-Soline était interdite. La manifestation de samedi dernier en Maurienne était également interdite. Or, ces deux évènements ont connu des montées de violence d'éléments radicalisés.
Il est plus difficile d'intervenir en zone rurale qu'en zone urbaine. On laisse pourtant les gens s'installer, soit dans des terrains privés où il est difficile d'intervenir, soit dans des campements illégaux. Au final, ils se rassemblent. Il faudrait intervenir beaucoup plus rapidement. Tout est question de volonté et d'instructions données aux forces de l'ordre.
Lorsqu'une manifestation est interdite, elle devient un attroupement. Dans le code de procédure pénale, l'attroupement est un délit. Nous sommes donc en mesure d'engager immédiatement la force publique pour évacuer les personnes rassemblées.
La liberté des élus consiste aussi à venir témoigner et observer ce qui se passe lors des manifestations. Vous avez effectué un distinguo entre manifestation interdite et manifestation autorisée, mais vous omettez le troisième cas des manifestations spontanées, catégorisées sauvages ou non déclarées, qui n'entraînent pas d'infraction dans leur participation. Lors de la réforme des retraites, les manifestations spontanées ont donné lieu à de nombreuses interpellations et à de nombreux classements sans suite. Il y a peut-être aussi un problème de consignes. Beaucoup de jeunes gens ont été arrêtés alors qu'ils ne commettaient pas forcément d'actes répréhensibles. J'ai le souvenir de bus remplis de manifestants pendant ces manifestations. Les consignes étaient-elles alors adaptées ?
Lorsque vous indiquez que les black blocs veulent en découdre avec les forces de l'ordre, les modifications de la doctrine sont d'aller beaucoup plus au contact. Vous indiquez aussi que le phénomène est européen. Mais comment expliquer que la violence ne se déploie pas de la même façon et avec la même intensité dans les autres pays européens ?
Les experts des Nations Unies, dans un rapport paru en fin de semaine dernière, alertent sur l'usage excessif de la force dans le maintien de l'ordre, la façon dont travaille la brigade de répression de l'action violente motorisée, et le nombre de blessés.
Enfin, les responsables politiques ont la liberté de qualifier les faits auxquels ils assistent.
Vous parlez des fins de manifestations. Mais nous avons observé des interventions des unités de compagnies républicaines de sécurité ou de la brigade de répression de l'action violente motorisée assez tôt, au cœur du cortège. Des services d'ordre d'organisations syndicales ont subi ces interventions policières alors qu'ils n'entravent aucunement l'action de la police.
Le maintien de l'ordre à la française est mondialement réputé. Certes, la pratique allemande est beaucoup citée en exemple, mais c'est un pays dans lequel les manifestants sont beaucoup plus respectueux des autorités. Lorsque des violences interviennent malgré tout, les forces de l'ordre multiplient les effectifs et vont au contact physique, ce qui se traduit par des blessés du côté des manifestants comme du côté policier. En France, nous préférons tenir à distance.
Nous pouvons constater la résilience dont ont fait preuve nos collègues, les compagnies républicaines de sécurité et les gendarmes mobiles avant d'utiliser les moyens intermédiaires, voire les canons à eau.
Pour rappel, les manifestations spontanées ont été interdites par le préfet de police. Lorsqu'elles prennent place, il y a interpellation des participants et remise à la disposition d'un officier de police judiciaire dans un commissariat.
Concernant les quelques personnes poursuivies lors des manifestations contre la réforme des retraites, il convient de préciser qu'elles sont présentées à l'officier de police judiciaire qui prend éventuellement la décision d'un placement en garde à vue. Cette décision n'est pas anodine. Elle s'appuie sur les faits inscrits dans la fiche remplie par l'agent interpellateur. Vient ensuite le temps de l'enquête, qui permet de déterminer, à charge et à décharge, ce qu'a pu commettre la personne. L'enquête sert aussi à exploiter les différentes vidéos et à procéder aux auditions. Il n'est pas du ressort de l'officier de police judiciaire de décider des poursuites. Cette prérogative appartient au parquet.
Le nouveau schéma national du maintien de l'ordre n'a pas supprimé le principe de mise à distance. Nous nous adaptons à la situation sur le terrain. Ce qui distingue une manifestation déclarée d'un mouvement spontané est que la première est préparée avec les forces de sécurité et les services d'ordre des organisations syndicales, qui restent en contact permanent avec les forces de l'ordre par radio. Il est donc beaucoup plus facile pour nous de surveiller une manifestation déclarée. Pour une manifestation interdite, nous estimons au jugé le nombre de personnels que nous devons mobiliser.
La parole politique est évidemment publique. Encore ne doit-elle pas être utilisée pour inciter les personnes à se confronter aux forces de police et de gendarmerie, comme j'ai pu le constater au cours de certaines manifestations. Il n'est question de remettre en cause ni la participation des élus aux mouvements sociaux, ni le fait de porter une parole politique. Néanmoins, certaines limites ne doivent pas être dépassées dans les propos qui attisent l'envie de se confronter aux forces de sécurité.
J'ai constaté, comme de nombreux collègues, la présence de certaines personnalités politiques dont les propos attisaient les violences. Le devoir de réserve m'impose cependant de ne pas en citer les noms.
S'agissant des violences de plus en plus prononcées en France, je rappelle les manifestations qui se sont produites il y a quelques années outre-Manche. Entre l'emploi de grenades lacrymogènes en France et la charge à cheval des policiers armés de bâtons au Royaume-Uni, nous ne pouvons pas considérer la police française la plus violente d'Europe.
Qu'on essaie de trouver des moyens alternatifs pour maîtriser des théâtres de violence et éviter les dommages collatéraux, c'est évident. Le maintien de l'ordre à la française tend à privilégier les dommages mobiliers pour éviter tout bilan humain. De fait, le maintien de l'ordre français est reconnu comme l'un des meilleurs au monde.
À l'occasion des manifestations contre la réforme des retraites, nous n'avons pas reçu de consigne particulière. Il nous a été demandé de faire preuve de la plus grande résilience.
Sur le sujet du rapport des Nations Unies, je tiens à préciser que les sept experts ne se sont pas exprimés au nom de l'Organisation des Nations unies.
Je vous remercie pour ce que vous faites et pour votre franchise, qui correspond à la majorité des images que la majorité des Français a vues.
Vous avez évoqué la structuration des black blocs. Nous avons pu entendre qu'il n'y avait finalement pas de structure, qu'il s'agissait de personnes lambda emportées par un élan venu d'on ne sait où. Dans la plupart des cas, vous avez indiqué que les black blocs étaient préparés, notamment en suivant des stages de formation. Vous parlez de leur communication à travers les messageries cryptées. Vous soulignez que l'augmentation des violences n'est pas historique, contrairement à ce que certains tentent de faire croire. Enfin, vous avez rapporté que la présence d'élus contribuait à galvaniser et à légitimer ces délinquants, voire à rendre les opérations dangereuses dans certains cas.
J'ai bien noté vos préconisations en faveur de retours d'expérience plus fréquents, de l'instauration de bus mobiles, de la mise en place de marqueurs ou encore de la généralisation des caméras-piétons. Ce sont des bonnes idées.
Comment expliquez-vous le décalage entre vous qui êtes sur le terrain et ceux qui ne le sont pas, qui n'ont donc pas la même perception ?
Enfin, pourquoi, quand il s'agit d'une manifestation interdite, la dispersion de cette manifestation n'est-elle pas ordonnée ? Les situations évidentes que vous avez décrites ne le sont pas pour tout le monde.
Nous manquons sans doute de communication pédagogique à destination de la population, ou tout du moins une partie, qui n'est pas suffisamment informée sur le maintien de l'ordre. Quant à nous, nous sommes formés aux spécificités du maintien de l'ordre, par exemple aux effets du gaz lacrymogène, de sorte que nous ne tenons rien pour anodin.
Concernant l'évolution du matériel, ces sujets sont portés à l'attention du ministère de l'intérieur. Ils sont étudiés. Nous aimerions voir nos propositions concrétisées rapidement. Il n'est pas impossible que, dans ces prochains mois, de nouveaux mouvements sociaux interviennent. J'espère que ce ne sera pas le cas pour mes collègues, déjà mis à contribution plus souvent qu'à leur tour. Mais nous sommes aussi syndicalistes et nous devons nous saisir de ces sujets. Les mouvements sociaux font partie de l'expression démocratique de notre pays et il faut la saluer. Il serait souhaitable que nos propositions puissent trouver des réponses. Un effort considérable a été consenti par le ministère de l'intérieur ces dernières années, permettant l'acquisition de 30 000 caméras-piétons. Je rappelle que nous sommes 117 000 gradés et gardiens : il reste beaucoup à faire.
S'agissant du maintien de l'ordre, nous aurions intérêt à généraliser le port individuel de la caméra-piéton, justement pour avoir la matérialisation de la preuve et mieux cerner une situation. Le but est d'éviter qu'un extrait de quelques secondes montre une personne recevant un coup sans qu'on ne sache ce qui précède, le comportement de cette personne et les modalités de l'interpellation. La généralisation des caméras-piétons et des marqueurs permettrait de travailler après les faits dans le cadre d'enquêtes judiciaires.
Je ne veux surtout pas vous mettre en difficulté, M. Jacob. Mais vous avez invoqué tout à l'heure votre devoir de réserve en tant que fonctionnaire. Or, dès lors que vous avez prêté serment devant une commission d'enquête, vous êtes dans un contexte particulier.
Je vais donner un exemple. Lorsqu'un élu de la République dit que la police tue, c'est un discours qui nous fait bondir et qui attise la haine contre les forces de sécurité. C'est inacceptable en démocratie, surtout de la part d'un élu.
Je pense que c'est très clair. Ce point mérite effectivement une attention toute particulière.
Le maintien de l'ordre s'entoure d'une connotation forcément politique puisque les décisions sont prises par les préfets. Il est demandé aux collègues de faire preuve de beaucoup de résilience, alors qu'en face la violence est extrême. Je dirais même que l'on a un peu inversé les rôles : depuis des années, on a préféré suréquiper les fonctionnaires de police en protection corporelle, ce qui est une bonne chose, plutôt que de leur donner les moyens d'agir. Par exemple, on a diminué le pourcentage de chlorobenzylidène malonitrile, au gaz CS, des aérosols ou baissé le grammage de détonation des grenades, avec un effet divisé par deux. Seules neuf grenades assourdissantes sont distribuées à chaque compagnie, en raison du retard pris dans les marchés publics.
On préfère aujourd'hui des policiers blessés. Un individu violent ne se laissera pas faire lors de son interpellation et l'image choquera, alors que le policier n'aura fait que son travail en faisant un usage proportionné de la force. Tout le monde a été choqué par les collègues brûlés par des coquetels Molotov. On leur interdit pourtant de porter la cagoule anti-feu dont ils sont dotés au motif qu'ils doivent rester identifiables. Cette cagoule est pourtant un équipement de protection individuelle et les policiers restent par ailleurs toujours identifiables. On sait très bien où se trouve telle compagnie. Il faut que les collègues puissent intervenir en toute sécurité. L'épisode de Sainte-Soline est symptomatique de ce que les manifestants peuvent inventer pour mutiler ou tuer les forces de l'ordre.
Vos collègues gendarmes nous ont indiqué ne pas disposer de cagoules anti-feu. À l'inverse, les compagnies républicaines de sécurité les ont reçues, mais elles auraient l'instruction de ne pas les porter ?
Nous disposons de ces cagoules depuis 2017, car des collègues avaient été brûlés place de la République à Paris en 2016. Une note indique que cette cagoule doit être portée au niveau du cou et être enfilée si l'on reçoit un coquetel Molotov, alors que le policier porte déjà son casque. Je rappelle qu'il s'agit d'un équipement de protection individuelle. On interdit formellement de le porter pour que les fonctionnaires soient identifiables.
La semaine dernière encore, nous avons évoqué dans les instances de concertation ce sujet des cagoules de moyenne protection, que les pompiers utilisent en intervention. Elle se porte jusqu'au niveau du nez. Notre ministère de tutelle considère que nous devons rester identifiables, alors qu'il existe de nombreux moyens d'identification des membres des compagnies républicaines de sécurité. Leur tenue comporte des bandes jaunes avec leur numéro de compagnie. Leur gilet tactique d'intervention affiche aussi un numéro. Je mentionne enfin le port du numéro référentiel des identités et de l'organisation (RIO) sur leurs manches. Pourtant, on nous interdit de porter cet équipement de protection individuelle, fourni en dotation, comme il doit l'être. À ma connaissance, les gendarmes utilisent leur masque à gaz quand ils estiment être exposés à un danger de cette nature.
Enfin, il ne faut plus seulement parler de coquetels Molotov, puisque nous recevons désormais des excréments. Nous demandons que les forces de l'ordre puissent se protéger, ce qui n'empêchera pas de les identifier.
Vous avez tout notre soutien. Vous exercez un métier difficile, et de plus en plus difficile. Le maintien de l'ordre suppose d'être efficace pour lutter contre les groupuscules violents. On parle d'effectifs de maintien de l'ordre, avec la volonté d'atteindre les quatre sections. Pensez-vous qu'à travers le recrutement et les sorties d'école, nous parviendrons à cet objectif en fin d'année avant les jeux Olympiques ?
Concernant l'harmonisation des techniques avec notamment les unités parisiennes, la directrice centrale de la sécurité publique a dit que des exercices communs étaient organisés avec les compagnies républicaines de sécurité. Estimez-vous cette complémentarité utile et efficace sur le terrain ?
S'agissant des moyens intermédiaires, nous avons auditionné la semaine dernière le groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie. Ses membres tiennent le même discours relatif à une violence de plus en plus importante et à une baisse des moyens. À Sainte-Soline, on parle de cinq mille grenades lacrymogènes lancées pour 80 grenades de désencerclement, alors qu'il y avait en face des meuleuses et des chalumeaux. Pensez-vous qu'il devrait y avoir une réflexion sur l'attribution et le développement de moyens intermédiaires, justement pour garder la distance ? Comme vous l'avez dit, dans les autres pays, les forces de l'ordre vont au contact ou les manifestants se font tirer dessus.
Vous avez parlé des effectifs blessés. D'ailleurs, je pense aux deux policiers qui se sont donné la mort ce matin à Toulon et hier à l'école de police de Nîmes. Il y a également une vague de démissions. Estimez-vous que la violence exercée sur les effectifs et les différents discours hostiles à la police provoquent cette vague de démissions, parfaitement identifiée par la Cour des comptes ? À la police nationale, le nombre s'établit à 10 000 postes.
En ce qui concerne les caméras individuelles, permettez-moi de sortir un instant du contexte parlementaire. Il y a trois ou quatre ans, lors des manifestations à Rennes et à Nantes, des caméras de surveillance attachées aux casques avaient été utilisées, permettant une extraction vidéo précise et une qualité très nette. Où en ce dispositif aujourd'hui ? Avez-vous interrogé la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité ou la direction générale de la police nationale ?
Enfin, percevez-vous aujourd'hui une fébrilité par rapport au pouvoir politique ?
Je pense utopique l'objectif des quatre sections : cela reviendrait à créer 800 emplois à temps plein. Nous ne les aurons pas. On cherche un peu à maquiller les effectifs. Si vous regardez le référentiel des compagnies républicaines de sécurité, les effectifs peuvent varier de centre trente-cinq à cent trente-deux le mois suivant. Quand on diminue de trois le nombre de collègues par compagnie multiplié par soixante, vous gagnez tout de suite deux cents effectifs. Le vrai chiffre dans une compagnie est celui de cent quarante ou cent quarante-cinq.
Les caméras ont en effet été expérimentées. Elles ont donné de bons résultats. Cependant, dans le cadre des marchés publics, le dispositif n'a pas suivi.
Oui, il existe en effet une fébrilité face à la hiérarchie. Certains personnels et officiers ne font qu'un passage dans les compagnies, c'est un sujet de recrutement. Il faut aussi écouter le terrain. Les caméras de surveillance ou les drones doivent constituer un appui au dispositif de terrain.
En matière de formation, nous constatons un suremploi des compagnies républicaines de sécurité alors qu'il ne se passe rien. On est en train de mettre en danger l'institution. On ne peut plus se former et c'est dangereux. On arrive à un point où il faut vite rétablir l'équilibre.
Concernant l'harmonisation des techniques, il est vrai que des formations communes devaient être mises en place au sein de la police nationale dans le cadre du schéma national du maintien de l'ordre. Pour autant, depuis trois ans et demi, les compagnies républicaines de sécurité sont à un niveau de haute intensité qui ne permet pas de former au maintien de l'ordre comme on le devrait. En France, nous comptons soixante-et-une compagnies républicaines de sécurité et nous employons quarante-trois unités chaque jour, ce qui ne permet pas de rendre les repos gagnés par les fonctionnaires. On ampute donc sur les formations des collègues, mais aussi sur leur neutralisation. Cette situation sape fortement le moral des troupes. Elle conduit sans doute à des démissions. De plus, le salaire des fonctionnaires de police n'est pas en adéquation avec les risques pris sur le terrain. Enfin, la campagne de dénigrement permanent et les propos de certains élus atteignent fortement les fonctionnaires. Nous sommes là pour que les gens manifestent librement et qu'ils soient protégés des violences éventuelles, dans notre rôle de garant de la paix publique.
Pour ce qui est des moyens intermédiaires, j'ai fait des propositions sur lesquelles je ne reviens pas. Je pense que des réflexions urgentes doivent être conduites.
La fébrilité ne concerne pas le pouvoir politique, mais le politique en général. Aujourd'hui, au moindre problème, la responsabilité incombe à la police. La hiérarchie se montre prudente sur les consignes et les ordres qu'elle donne face à un rodéo urbain ou à un refus d'obtempérer. Nous ne sommes pas là pour tuer. Nous ne sommes pas non plus là pour nous faire tuer. Des individus ont pour objectif de blesser, voire tuer des policiers. On n'hésite plus à traîner des fonctionnaires sur plusieurs mètres lors d'un refus d'obtempérer.
Les gens ont-ils conscience de l'impact psychologique sur un policier mis en cause dans une affaire ? Il est immédiatement suspendu à titre conservatoire pendant l'enquête. Il est placé en garde à vue. Qu'en est-il de sa famille en cas de médiatisation ? La fébrilité est compréhensible de la part d'une hiérarchie particulièrement prudente à laisser les policiers aller jusqu'au bout de leur mission quand il s'agit d'interpeller un individu délinquant. Elle est due aux politiques en général et aux médias, qui vont un peu vite en besogne pour évoquer les affaires impliquant la police. J'ai en mémoire l'affaire Théo, où une minute à peine de vidéo a suffi à incriminer des policiers et à les menacer des assises. Il y avait en réalité onze minutes de vidéo, permettant finalement de passer des assises à une affaire correctionnelle.
On s'en prend à nous pour s'en prendre à l'État. Il convient de renforcer ce respect de l'autorité qui est dû à tous les représentants de l'État.
Vous avez raison sur un point : quand vous êtes attaqués, c'est l'ordre républicain qui est attaqué. C'est parfois même le gouvernement dont on veut la fin. Certains partis politiques l'assument pleinement pour changer de système et faire tomber la République. Nous avons vu des députés et des élus locaux présents dans des manifestations interdites alors qu'ils devraient montrer l'exemple et être garants des lois républicaines. Avez-vous eu connaissance de noms, de preuves d'accointances de certaines associations, partis politiques et syndicats ? Notre responsabilité est de démontrer que certains individus jettent de l'huile sur le feu pour vous mettre en danger. On a vu, pendant les Gilets jaunes, défendre l'agresseur du policier ou du gendarme plutôt que le policier ou le gendarme. La commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre, dont Jean-Michel Fauvergue était le rapporteur, avait d'ailleurs montré les différences qui prévalaient entre Paris et le reste du pays.
Que pouvez-vous nous préconiser en complément pour protéger le système républicain ? Comment pourrions-nous vous accompagner ? Auriez-vous des noms de personnes présentes dans des manifestations et qui auraient eu des comportements interdits ?
Nous n'avons aucune remontée de personnalité en particulier. C'est plutôt l'ambiance générale que nous dénonçons. Nous pouvons citer des slogans utilisés, tels que « La police tue ! » ou « Suicidez-vous ! ». Nous n'avons pas entendu de personnalités publiques tenir de tels propos explicitement. Mais le message politique de certains y contribue malheureusement, dans le cadre du débat public relatif à la sécurité.
Il vous suffit de consulter certaines vidéos sur des plateformes en ligne pour voir certaines personnalités politiques porter un message antirépublicain ou hostile aux forces de l'ordre.
Lors de la première manifestation de Sainte-Soline, le président du Parti communiste français s'est fait rabrouer par les écologistes présents sur place. Ces gens font la différence entre écologistes politiques et écologistes de terrain. Ce président de parti a été molesté par ces individus.
Il existe, à l'Assemblée nationale, un parti qui attise la haine anti-flic. Chacun le sait. Ce sont des petits mots, des sous-entendus. Ils existent. Nos collègues les écoutent. Au niveau syndical, nous nous interrogeons sur ces messages consacrés à la police et nous essayons de jouer les bons offices. Des dépôts de plaintes ont déjà été effectués par les syndicats policiers envers des élus politiques. Vous pouvez également voir, sur des vidéos, des responsables politiques s'interposer aux interpellations.
S'interposer au cours d'une interpellation est une entrave à l'action judiciaire. Nous sommes clairement dans un délit.
Oui, tout à fait. Lorsqu'un élu de la République porte une écharpe tricolore au cours d'une manifestation, les policiers essaient de l'éviter lors d'une charge. Cette écharpe tricolore crée un sentiment d'impunité, car les manifestants à sa proximité pensent ne pas pouvoir être interpellés de ce seul fait. Nous avons vu, aussi, des élus s'interposer lors de la préparation d'une charge.
Notre ministre de tutelle avait tenté de nous permettre de distinguer les journalistes, ce qui n'est pas toujours facile lors des interpellations car ils ne portent pas de brassard. C'est très gênant.
L'intervention en manifestation peut être à la source d'un « effet tunnel » qui rend difficile de percevoir le contexte environnant. Il peut y avoir des violences illégitimes commises par les forces de l'ordre, mais elles sont lourdement sanctionnées par notre hiérarchie. Aujourd'hui, seule une enquête est ouverte à l'encontre d'un policier d'une compagnie républicaine de sécurité par l'inspection générale de la police judiciaire.
Au-delà des affaires particulières, il est particulièrement malsain de remettre systématiquement en cause l'action de police, en la traitant de violence illégitime sans aucune réflexion. De ce fait, le recrutement devient difficile. Aujourd'hui, les policiers doivent se cacher et les enfants ne doivent pas dire que leurs parents sont policiers.
Nous avons un code de déontologie. Au-delà des élus, le syndicat de la magistrature envoie aussi des contre-circulaires pour traiter les violences policières ; ce n'est pas non plus un bon signal.
Je ne crois pas que la place d'un élu soit dans une manifestation interdite. Je vais vous dire aussi que je suis choqué d'entendre que des élus s'interposent ou empêchent des interpellations. Les élus ne sont pas au-dessus des lois et, au contraire, ils sont particulièrement soumis aux lois. Ils doivent être respectueux des lois.
Je relisais les propos d'une élue qui déclarait : « Les forces de l'ordre ne sont plus au profit du maintien de la paix, mais sont en défense d'un projet politique. » Quel est votre sentiment sur cette phrase qui me choque beaucoup ?
Lors d'auditions précédentes, il a été expliqué que la technique de maintien de l'ordre visait plutôt à tenir à distance les manifestants et non à aller au contact. Or, parfois, on entend que les policiers chercheraient des incidents, des contacts pour commettre des violences. Je voudrais connaître votre avis. Les gendarmes nous avaient expliqué que la priorité était bien de maintenir à distance pour éviter justement des incidents.
Nous ne sommes pas en phase avec la déclaration que vous avez citée. Les policiers agissent seulement dans le respect de la loi et sur la base de la loi.
Effectivement, nous maintenons à distance et, lorsque nous allons au contact, c'est à destination des casseurs. Pour nous, une bonne manifestation se résume à l'absence d'intervention policière. Le maintien à distance reste l'objectif des forces de l'ordre. Nous intervenons seulement lorsque des exactions sont commises, lorsque des agressions ont lieu.
Les policiers sont au service de la République et non d'un pouvoir. Pour ma part, j'ai vu passer de nombreux ministres de l'intérieur et je n'ai jamais changé ma façon d'être sur le terrain. Le politique passe, la police reste et elle continuera d'effectuer son travail pour défendre la démocratie et la République. La priorité pour nous, c'est le maintien à distance pour éviter toute confrontation.
Je vous remercie vivement d'avoir contribué aux travaux de la commission d'enquête. Nous attendons avec impatience vos réponses écrites et nous reviendrons vers vous si des précisions s'avèrent nécessaires.
La réunion se termine à vingt heures dix.
Présences en réunion
Présents. – M. Florent Boudié, Mme Edwige Diaz, Mme Félicie Gérard, M. Philippe Guillemard, M. Patrick Hetzel, Mme Patricia Lemoine, M. Emmanuel Mandon, Mme Sandra Marsaud, Mme Marianne Maximi, M. Ludovic Mendes, M. Michaël Taverne, M. Alexandre Vincendet
Excusées. – Mme Aurore Bergé, Mme Emeline K/Bidi