La séance est ouverte à seize heures.
La commission auditionne Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur les rapports sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants pour l'exercice 2022 et sur le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale
Je souhaite la bienvenue aux magistrats de la sixième chambre de la Cour des comptes venus présenter deux rapports qui viennent d'être publiés : un premier sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants pour l'exercice 2022 ; un second sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Ce dernier rapport, jusqu'alors présenté au début de l'automne avant l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), obéit désormais à un nouveau calendrier. En effet, avec l'entrée en vigueur de la réforme organique du 14 mars 2022, le Parlement est désormais saisi annuellement d'un projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (PLACSS). Ce projet de loi a été présenté en Conseil des ministres ce matin. Il sera examiné en commission mercredi prochain puis, en séance publique, le mardi 6 juin.
Dans cette perspective, les travaux de la Cour des comptes seront plus encore qu'à l'habitude utiles au Parlement. Madame la présidente, je vous remercie de venir les présenter aujourd'hui puis de répondre aux questions des commissaires.
Je vous remercie de votre invitation. Le premier président aurait souhaité présenter ces deux rapports lui-même mais il en a été empêché. Je suis accompagnée de Nicolas Fourrier, rapporteur général, Jean-Luc Fulachier, président de la première section et Thibault Perrin, rapporteur général adjoint.
Ce rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission constitutionnelle d'assistance de la Cour des comptes au Parlement. C'est une grande première : il accompagne désormais le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, présenté et discuté au Parlement au mois de juin, et non plus le projet de loi de financement de la sécurité sociale à l'automne. Il s'agit d'une avancée importante en matière de gouvernance des finances sociales, d'une réforme que la Cour des comptes a souhaitée. Nous nous réjouissons que le Parlement ait à connaître dorénavant de l'exécution des recettes et des dépenses, comme moment d'évaluation et de bilan des politiques publiques conduites par la sécurité sociale.
Ce rapport restera un exercice annuel et traditionnel pour la Cour des comptes. Il intervient toutefois dans un contexte quelque peu particulier : d'une part, la fin de l'urgence sanitaire liée à la covid-19, déclarée par l'Organisation mondiale de la santé et, d'autre part, l'affaiblissement sensible de la croissance en raison du choc d'inflation et des conséquences de l'invasion russe en Ukraine. Plus généralement, une forte incertitude prévaut sur l'évolution des paramètres macroéconomiques.
La première partie du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (RALFSS) analyse les comptes 2022 de la sécurité sociale et leurs perspectives pour les quelques années à venir. Ils resteront durablement dégradés malgré une amélioration temporaire en 2023. Un effort de redressement durable des finances de la sécurité sociale est donc absolument nécessaire. Sans lui, nous manquerons des marges de manœuvre nécessaires pour investir dans l'avenir. Nous devons également faire face aux coûts associés à l'augmentation rapide, ces prochaines années, du nombre de personnes âgées dépendantes dans des conditions permettant de vivre dignement. Il est enfin impératif de ne pas transférer aux générations futures le financement de nos dépenses courantes. Cette responsabilité collective, ce contrat entre les générations, nous oblige.
Nous devons être attentifs à la qualité de la dépense sociale comme, d'ailleurs, de toute dépense publique. Le RALFSS trace des pistes pour améliorer l'utilité, l'efficacité des dépenses de sécurité sociale ; en résumé, le service rendu aux citoyens. Il faudrait plusieurs illustrations de ce qui pourrait être amélioré à travers un bilan des réformes inscrites dans les récentes lois de financement de la sécurité sociale, objet de la deuxième partie du rapport, en s'intéressant à des domaines ou à des sujets qui n'ont pas, à notre sens, bénéficié d'une attention suffisante, objet de la troisième partie du rapport. Ces deux préoccupations à la fois financières et qualitatives sont, cette année encore, au cœur de notre analyse.
Plutôt que d'en étaler les chapitres successifs, je souhaiterais souligner cinq enjeux principaux. Le premier enjeu a trait aux conditions de certification des comptes des caisses et des branches du régime général de la sécurité sociale par la Cour des comptes. Le deuxième enjeu est relatif à la situation financière actuelle et future de la sécurité sociale. Le troisième enjeu est lié à la réforme de notre système de santé. Le quatrième enjeu concerne l'amélioration du service rendu aux usagers. Enfin, le cinquième enjeu consiste dans la lutte contre la fraude aux prestations sociales.
Concernant les comptes de la sécurité sociale et leur certification, nous attirons cette année l'attention sur quatre points.
En premier lieu, la comparabilité des produits et du résultat entre les années 2022 et 2021 n'est pas assurée. Des produits de prélèvements sociaux sur les travailleurs indépendants qui auraient dû être comptabilisés en 2020 l'ont été en 2021. Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, le Parlement, contre l'avis du Gouvernement, a pris en compte la correction demandée par la Cour des comptes ; il a en conséquence approuvé pour 2021 un montant de recettes de 100 milliards d'euros inférieur à celui qui ressort des comptes approuvés par les branches du régime général. Les organismes nationaux du régime général et leur tutelle ont toutefois refusé à la Cour des comptes d'établir des comptes pro forma de l'exercice 2021. Il existe donc un écart constant de 5 milliards d'euros entre les comptes 2021 approuvés par les caisses nationales et les tableaux d'équilibre approuvés par le Parlement.
En deuxième lieu, nous avons refusé de certifier les comptes de la branche famille en raison, pour l'essentiel, des insuffisances du contrôle interne de celle-ci. En effet, les erreurs qui affectent les prestations neuf mois après leur mise en paiement représentent près d'un quart des montants versés de primes d'activité, un sixième des montants versés de revenus de solidarité active et un huitième des aides au logement. De plus, l'indicateur de risque financier résiduel à vingt-quatre mois indique que les rappels et les indus, soit les montants dus à des bénéficiaires ou montants versés indument, se montent à 5,8 milliards d'euros et ne seront jamais corrigés. Ce montant a doublé en seulement quatre ans. La Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) met en œuvre des contrôles insuffisants. Elle ne s'est pas dotée d'une stratégie de redressement à court terme. Pour ces raisons, nous avons refusé de certifier.
En troisième lieu, la Cour des comptes réitère ses critiques sur l'absence de combinaison des comptes de la branche vieillesse avec ceux du fonds de solidarité vieillesse et sur l'absence d'engagement hors bilan pour les retraites futures, comme le fait par exemple l'État. Nous l'avons déjà mentionné et nous alertons de nouveau cette année.
En quatrième lieu, le dernier point d'alerte porte sur la gestion de l'indemnité inflation exceptionnelle, d'un montant de 100 euros, versée par les organismes de sécurité sociale à 38 millions de Français. Ce n'est pas tant sur les montants que nous attirons l'attention, puisque ceux-ci se chiffrent à 170 millions d'euros. Au regard des 3,8 milliards d'euros engagés, la somme est relativement faible. Pour autant, la récupération des indus est non seulement incertaine, mais quasiment impossible du fait même de la conception de cette prime inflation et de ce qui a été prévu – ou plutôt non prévu –au moment de sa création.
L'ensemble des travaux de certification des comptes de la sécurité sociale a contribué à alimenter la première partie du RALFSS, à savoir la partie financière. J'aborderai à présent le deuxième enjeu souligné par notre rapport, à savoir la situation financière actuelle de la sécurité sociale ainsi que ses perspectives pour les prochaines années.
Le déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale s'établit en 2022 à un niveau élevé, à savoir 19,6 milliards d'euros. Il devrait néanmoins s'améliorer substantiellement en 2023, à 8,2 milliards d'euros, sous l'effet d'un reflux de la crise sanitaire et d'une vive progression de la masse salariale. Cette tendance favorable devrait toutefois s'interrompre dès 2024 et le déficit de la sécurité sociale recommencer à augmenter. En effet, si la réforme des retraites promulguée le 14 avril 2023 aura des effets favorables sur les soldes de la branche vieillesse, il est avéré qu'elle ne devrait pas permettre à elle seule de rétablir les comptes à l'horizon 2030. Le régime général, et plus encore celui géré par la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) pour les agents de la fonction publique locale et de la fonction publique hospitalière, resterait structurellement déficitaire.
Dans ces conditions, la question du financement des déficits sociaux se posera dès l'exercice 2024. L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) ne sera pas en mesure de prendre en charge ces déficits. Quant à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), elle ne le ferait qu'au prix d'une nouvelle prolongation de sa durée, au-delà de 2033, dont la contrepartie, si elle était décidée, devrait être un programme de réformes structurelles.
Intéressons-nous maintenant à l'assurance maladie. Le respect de la trajectoire générale suppose que l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), qui en représente une bonne partie, soit respecté. Or, les dépenses d'assurance maladie progressent à vive allure depuis 2021 en raison des charges exceptionnelles liées à la crise sanitaire et des mesures décidées dans le Ségur de la santé, mais aussi du fait d'une forte croissance de la dépense, notamment pour les indemnités journalières et les produits de santé – médicaments et dispositifs médicaux. L'objectif 2023 et la prévision pour les années ultérieures marquent sans doute la volonté des pouvoirs publics de donner un coup d'arrêt à cette progression, avec une hypothèse de progression de l'Ondam particulièrement volontariste, inférieure à la prévision de l'inflation pour 2023 et 2024. Nous recommandons que des mesures correctrices soient déclenchées en cas de dérapage, quelle qu'en soit la cause, et que les dispositifs de régulation soient mis en œuvre pour l'ensemble des secteurs qui n'en disposent pas encore, notamment les soins de vie et les indemnités journalières.
Un point de fragilité particulier est l'évolution des déficits et de la dette de l'hôpital public qui n'entre pas dans le champ dans de l'Ondam. La loi organique du 14 mars 2020 a créé une nouvelle annexe – numéro 6 – aux lois de financement de la sécurité sociale qui permet de s'assurer que les recettes des hôpitaux sont suffisantes pour investir dans leur modernisation sans augmenter leur dette. Elle est déjà considérable puisqu'elle s'élève à 30 milliards d'euros. Pour un réel suivi de la situation financière des établissements de santé, nous recommandons d'accélérer le versement des dotations de fin d'exercice aux hôpitaux publics, actuellement opéré à la mi-mars de l'année suivante, soit trop tardivement. Nous recommandons également d'accélérer le calendrier d'établissement de leurs comptes, actuellement bouclés en juillet de l'année N+1. Il faut par ailleurs homogénéiser les informations financières entre hôpitaux publics et cliniques privées, qu'elles soient à but lucratif ou non lucratif.
Le troisième enjeu est central pour l'avenir de l'assurance maladie : l'efficience du système de santé et notamment des soins de vie. Ce chantier doit être envisagé avec clarté, détermination et constance dans le temps. Nous l'illustrons à travers trois exemples qui portent sur les expérimentations engagées par la loi de financement de la sécurité sociale de 2018, dites « article 51 ». Nous évoquons ensuite la situation des services d'aide médicale d'urgence (Samu) et des structures mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) ainsi que les actions de maîtrise médicalisée des dépenses de santé.
Nous avons examiné d'abord le cadre dans lequel environ cent vingt expérimentations ont été engagées depuis 2018 pour tester de nouveaux modes de tarification ou d'organisation des soins. Il n'est pas simple de réformer notre système de santé. L'expérimentation est utile pour adapter la réforme aux besoins, mais aussi démontrer par l'exemple en laissant les professionnels de santé s'approprier de nouveaux modes de travail, de nouveaux modes d'organisation plus collaboratifs et coordonnés. Or, nous constatons que, jusqu'ici, rien n'a été fait pour préparer la généralisation des règles après expérimentation. Par conséquent, la Cour des comptes rappelle que, lorsque les doutes sont levés sur l'utilité de certaines évolutions, il faut mettre en œuvre ces dispositifs dès que possible. La technique de l'expérimentation ne doit pas devenir un moyen dilatoire pour repousser l'engagement de réformes utiles à nos concitoyens qui permettraient des soins plus efficaces, de meilleure qualité et de moindre coût.
Nous avons également souhaité examiner la régulation médicale autour des Samu et des Smur ainsi que les nouveaux services d'accès aux soins (SAS) censés apporter une solution aux demandes de soins restées sans réponse de la médecine de ville. Nous avons constaté que, depuis 2014, le nombre d'appels reçus par les Samu a augmenté de près de 22 %. Nous constatons dans le même temps que, du fait d'un rattrapage nécessaire puis de la création des SAS, le coût total des dispositifs concourant à la régulation médicale a augmenté de 46 % entre 2016 et 2022, augmentation qui pourrait atteindre 62 % en 2023. S'il était normal que Samu et Smur bénéficient d'un rattrapage moyen, le succès des investissements dans les SAS dépendra en grande partie de la capacité de la médecine libérale à se mobiliser et à s'organiser afin que toute personne ayant besoin d'un examen par un généraliste puisse bénéficier d'une consultation en ville dans les 48 heures. La Cour des comptes sera attentive à ce que cet objectif fixé aux SAS soit atteint et mesuré.
Enfin, dans le cadre de la revue des dépenses publiques, la Cour des comptes aura l'occasion de revenir fin juin sur les enjeux déficients des soins de ville qui représenteraient la moitié de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie. En attendant, nous avons porté un regard critique sur les économies figurant en annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale au titre de la « maîtrise médicalisée des dépenses de santé ». Nous démontrons le caractère artificiel des économies présentées et notre démonstration n'est contestée ni par l'administration ni par l'assurance maladie. En outre, force est de constater que les actions de l'assurance maladie pour rendre efficientes les dépenses de prescription des médecins de ville n'ont pas été efficaces. Si l'on étudie la consommation de médicaments génériques, par exemple, la France reste dans une situation peu favorable. Nous privilégions le médicament « princeps » et notre consommation de générique est deux fois plus faible qu'en Allemagne.
Le quatrième enjeu est la qualité du service rendu aux usagers. Nous l'illustrons par quatre exemples qui montrent à divers degrés l'importance des efforts à consentir pour justifier de l'usage pertinent de sommes consacrées à notre système de sécurité sociale.
Tout d'abord, nous nous sommes intéressés à l'objectif de parité des pensions servies aux hommes et aux femmes. Prévu par le code de la sécurité sociale, il est loin d'être atteint. Les femmes perçoivent en moyenne une pension de retraite inférieure de 28 % à celle des hommes en 2020. L'écart est plus important encore hors réversion, soit 40 %. Sans les dispositifs de solidarité et sans réversion, la pension moyenne de droits directs des femmes serait inférieure de 50 % à celle des hommes. Ces écarts ne seront pas substantiellement modifiés par la réforme des retraites. Environ 50 milliards d'euros sont dépensés chaque année à travers des mécanismes complexes, des droits familiaux de retraite et des dispositifs de réversion. Nous sommes convaincus que repenser ces dispositifs permettrait de les rendre plus efficaces, avec un moindre coût pour la collectivité.
Nous avons également examiné les règles et la gestion d'indemnisation des congés de maternité et de paternité. Nous constations les limites des politiques d'alignement des règles applicables aux non-salariés sur celles applicables aux salariés. Même avec des droits quasi identiques, les indépendantes et les exploitantes agricoles prennent moins de congés maternité que les mères salariées. Par ailleurs, la gestion des indemnités par les caisses de sécurité sociale est d'une qualité insuffisante, avec des délais de versement anormalement longs qui pénalisent les assurés concernés. Le caractère perfectible de la gestion de la sécurité sociale apparaît aussi à travers les litiges qui opposent assurés et organismes. Chaque année, les assurés sociaux déposent près de 70 000 recours devant les tribunaux. Plus de 100 000 dossiers sont auparavant soumis aux instances précontentieuses des caisses. Une intervention accrue de médiateurs doit être favorisée pour éviter que les litiges ne se terminent devant les tribunaux. Par ailleurs, des simplifications sont à apporter pour éviter que les assurés ne soient contraints, dans certains cas, à saisir deux juges différents pour les mêmes motifs.
Sur ces enjeux d'efficacité et de qualité de service public de la sécurité sociale, nous avons enfin souhaité donner un coup de projecteur sur le régime social des marins et les difficultés majeures qu'il rencontre depuis plusieurs années. Les conditions d'une gestion efficace de la sécurité sociale n'y sont absolument plus garanties et une évolution en profondeur est indispensable. Elle passe notamment par un alignement progressif sur le régime général.
Le dernier enjeu concerne la lutte contre les fraudes aux prestations sociales. Le sujet ne laisse personne indifférent. Il est au cœur du plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques dévoilé en mai par le Gouvernement. Au-delà des dommages financiers considérables qu'elle entraîne, la fraude constitue une atteinte au principe de solidarité et donc au pacte républicain qui fonde depuis 1945 la sécurité sociale. La lutte contre la fraude est donc à la fois un impératif d'efficacité économique et de justice sociale. Nous avons une idée qui se précise de son coût, entre 6 et 8 milliards d'euros, hors erreurs fautives des assurés. C'est beaucoup trop. L'administration et les caisses de sécurité sociale ont manifestement la volonté d'agir et nous avons constaté des progrès, mais trop peu de moyens sont consacrés aux contrôles. La coopération entre administrations ne progresse pas assez rapidement et les fraudeurs ne sont pas sanctionnés de façon suffisamment ferme et systématique. La lutte contre la fraude doit devenir une priorité de premier plan, qui oblige responsables et gestionnaires de la sécurité sociale, mais aussi l'ensemble des assurés sociaux.
Je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
Je tiens à vous remercier pour la présentation de ce rapport qui intervient pour la première fois au printemps en application de la loi organique du 14 mars 2022, dite « loi Mesnier ». Je salue la qualité de vos travaux alors que la période de transition issue de cette loi vous a contraint à fournir deux rapports d'application des lois de financement en peu de temps. J'apprécie également l'attention de la Cour des comptes quant à la qualité des annexes fournies. L'enjeu de ce projet de loi, outre l'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'exercice 2022, est en effet la pleine appréhension des dispositions adoptées dans les précédentes lois de financement. Ce faisant, nous poursuivons le travail effectué au cours du Printemps social de l'évaluation. Nous tâchons également d'avoir une vision plus concrète de la situation des comptes sociaux, tant à l'échelle des établissements et des opérateurs que pour l'ensemble de la sécurité sociale.
S'agissant des établissements de santé, vous soulignez que l'information du Parlement, telle qu'elle devrait ressortir de l'annexe 6 au projet de loi de financement de la sécurité sociale, demeure insuffisante. Cette annexe, qui constitue également une nouveauté issue de la loi Mesnier, est incomplète sur la question des dotations dont bénéficient les établissements. Cette information expressément mentionnée dans la loi organique sera naturellement précieuse pour que les parlementaires comprennent notamment comment se décline le plan décennal d'investissement en faveur des établissements publics de santé dans le cadre du Ségur. La première annexe à la loi de financement de la sécurité sociale de 2022 avait un caractère pionnier qui peut expliquer ces carences. Elles devront être rattrapées dès le prochain exercice.
Outre la nécessité d'anticiper l'arrêt des comptes, vous avez identifié un certain nombre d'éléments complémentaires qui permettraient de respecter l'intention du législateur et de répondre au besoin d'information du Parlement. Pouvez-vous revenir sur les fondements de l'opinion de la Cour des comptes à ce sujet et sur la nature des échanges pour déterminer ces éléments ? Certains parlementaires vous ont-ils alertée ?
J'en viens aux principaux points qui ressortent de vos analyses par branche. En premier lieu, la Cour des comptes indique de manière inédite ne pas être en mesure de certifier les comptes de la branche famille, arguant de carences dans le contrôle interne des erreurs déclaratives à échéances neuf et vingt-quatre mois. Pourriez-vous revenir sur les principales raisons qui ont mené à cette décision ? Pourriez-vous expliquer les conséquences d'un tel refus de certification ?
S'agissant de la branche maladie, vous abordez la question qui me tient à cœur de la transformation, du financement et de l'organisation des soins. Au cours du Printemps social de l'évaluation, j'ai mené une mission sur les innovations en matière de financement de la santé qui m'a conduite à analyser les réformes récentes et les expérimentations diligentées dans le cadre de l'article 51. Certaines donnent des résultats intéressants en termes de qualité et de pertinence des soins, de motivation des professionnels de santé. Vous soulignez que le dispositif d'évaluation n'est pas armé pour apporter tous les résultats attendus en temps et en heure ni pour anticiper une bascule dans le droit commun. Pouvez-vous donner une idée plus précise de l'accompagnement nécessaire pour tirer parti de ces organisations innovantes dans les meilleurs délais ? Ne faudrait-il pas que le Parlement soit associé en amont à ces travaux dans la mesure où ils devront faire l'objet de mesures législatives ? Vous préconisez par ailleurs une priorisation des futures expérimentations pour répondre à des orientations privilégiées. Avez-vous une idée des problématiques sur lesquelles il serait intéressant de mettre l'accent au regard des 122 projets déjà sélectionnés ?
Vous consacrez un chapitre à la lutte contre la fraude aux prestations sociales en soulignant les avancées permises par les dernières lois de financement. Les enjeux restent toutefois importants, en particulier au sein des établissements de santé. Vous estimez notamment que les fraudes et fautes à l'assurance maladie représentent près de 1,3 milliard d'euros de prestations légales. Outre la nécessité de mieux évaluer cette fraude, que proposez-vous pour y remédier ? Vous demandez aussi de mieux contrôler les départs à l'étranger non déclarés qui pourraient être à la source de fraudes importantes. Le seul accès au registre national des Français établis à l'étranger suffira-t-il pour tarir cette fraude ?
Les travaux de la Cour des comptes sont essentiels pour le législateur et vos observations rendent compte des vérifications effectuées en vue de certifier la régularité et la sincérité sur la situation financière du régime général de sécurité sociale pour l'exercice 2022.
Cet exercice demeure affecté par la crise sanitaire, avec la suspension de certains dispositifs, mais également compte tenu de la faiblesse persistante de contrôle interne. Cela affecte la représentation des droits et obligations des états financiers, mais se traduit aussi par le versement indu de prestations aux assurés, allocataires, acteurs de santé, non mis en recouvrement ou par des erreurs à leur détriment. Comment améliorer cette situation et limiter ces incidents ? Quelles mesures préconisez-vous ? Notez-vous une évolution dans sa prise en compte par les organismes ?
Vos réserves sont nombreuses sur la branche famille. La Cour des comptes a refusé de certifier ses comptes. Vous soulignez que la situation a peu évolué en 2022. Vous notez des erreurs liées à des données déclaratives non corrigées pour les aides personnalisées au logement et le revenu de solidarité active plusieurs mois après la mise en paiement, des contrôles à un niveau inférieur à la situation antérieure à la crise et un modèle d'exploration de données non évalué.
Les aides aux logements sont-elles affectées par le processus de contemporanéité instauré début 2021 alors qu'elles se référaient auparavant à des déclarations N-2 ? Les modifications de paramètre apportées à la prime d'activité semblent augmenter les erreurs en lien avec la déclaration des allocataires. Le directeur général de la Cnaf a précisé que ce taux d'erreur ne se justifiait plus après deux années de pandémie et il témoigne d'une qualité des données entrantes, dégradée depuis 2019. Pouvez-vous le confirmer ? Quelles seraient les adaptations pour inverser cette tendance ?
La mise en œuvre de la solidarité à la source au bénéfice des citoyens va supprimer la plupart des obligations déclaratives et diminuer les erreurs. Elle sera mise en place après expérimentation et généralisée en 2025. Ce processus vous semble-t-il adapté ? Est-il utile de renforcer le dispositif interne ou d'envisager des moyens supplémentaires ?
Sur la forme, la loi organique de 2022 permet enfin une vue synoptique cohérente associant au même moment la certification des comptes N-1 et l'application des lois de financement de la sécurité sociale de la même année. C'est un outil indispensable pour y voir clair car, depuis le premier rapport d'application en 1996 et de certification en 2006, les comptes étaient frappés d'erreurs et malfaçons internes tout autant que leur synthèse était compliquée.
Sur le fond, malheureusement, rien ne change. Concernant l'application des lois, vous formulez quarante-deux recommandations tous azimuts : certaines sont novatrices et d'autres désespérément redondantes à propos d'organismes qui ont droit de vie ou de mort sur les entreprises, qui contraignent les Français et les professionnels de santé jusqu'à l'épuisement. En particulier, vous faites apparaître la nécessité d'une refonte de la maîtrise médicalisée. Nous en sommes d'accord. Depuis mai 1980, son intérêt reste entier tout comme son inefficacité.
Concernant la certification, celle des indépendants retrouve trois anomalies significatives, entre autres sur la comparabilité 2022-2021, sept insuffisances d'éléments probants concernant entre autres les 4 milliards d'euros de créances des entrepreneurs, prouvant ainsi leur grande fragilité. Pour le régime général, vous retenez la certification avec réserve des quatre branches en dehors de branche famille, au prix de 54 observations, 11 anomalies comptables et significatives et 43 insuffisances d'éléments probants. Vous relevez un taux d'erreur dans la gestion des dossiers de 15 % dans les dossiers vieillesse et de 10 % dans la gestion des maladies et indemnités journalières en maladie, qui représentent un montant de 3,4 milliards d'euros a minima. Ces erreurs seront rapidement prescrites pour certaines. Vous refusez donc la certification de la branche famille pour 6 milliards d'erreurs, alors même que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 la prévoyait excédentaire.
Enfin, la lutte contre la fraude est toujours aussi indigente, avec un montant récupéré estimé à moins de 10 %.
Il est urgent que les organismes de sécurité sociale entendent la Cour et que l'État fasse les comptes plutôt que d'augmenter les prélèvements et d'imposer le report de l'âge de la retraite. Quelle marge avez-vous pour contraindre les différents organismes que vous contrôlez directement et indirectement ?
La Cour des comptes met en évidence de nombreuses lacunes dans des actions de contrôle interne de la branche accidents du travail et maladie professionnelle, comme la prise en compte insuffisante des risques de fraude, les erreurs affectant la détermination des taux de cotisation des indemnités journalières ou encore des rentes pour incapacité permanente. Comment résorber ces erreurs ? Dans quelle mesure une persistance de ces défauts de contrôle serait-elle de nature à porter atteinte à la fidélité des comptes ?
S'agissant des dépenses croissantes liées à la perte d'autonomie des personnes âgées, dont le nombre augmente chaque année, le Gouvernement a créé une cinquième branche dédiée à l'autonomie au sein du régime général de la sécurité sociale. Cette création devait permettre d'identifier des recettes et des dépenses afin de mettre en évidence l'effort national à consentir pour le grand âge et le handicap. Au titre de l'exercice 2022, la branche autonomie a comptabilisé 36 milliards d'euros de charges et dégagé un excédent de 240 millions d'euros. La Cour des comptes a certifié ses comptes avec quelques réserves. Malgré cet excédent, nous sommes toujours dans l'attente d'une véritable loi « grand âge et autonomie ». La proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France ne correspond absolument pas à ce qu'attendent les professionnels de santé du domicile, les personnes âgées et leur famille, surtout sans moyen supplémentaire. Selon vous, renoncer à une véritable loi est-il un choix purement financier en vue de baisser la dépense publique ?
Le rapport portant sur l'exécution des lois de financement de la sécurité sociale met en évidence la nécessité de renforcer la lutte contre la fraude aux prestations sociales. En septembre 2020, la Cour des comptes a formulé une série de recommandations visant à combattre plus efficacement ce fléau. Ce rapport analyse les progrès réalisés suite à ces recommandations et offre une évaluation actualisée des actions entreprises, tout en soulignant la nécessité de renforcer ces mesures. Parmi ces recommandations figurent le renforcement des contrôles et des sanctions, l'amélioration de la coordination entre les différents organismes ainsi que le recours accru aux nouvelles technologies. Le Gouvernement a déjà fait plusieurs annonces comme la fin du versement d'allocations sociales sur ces comptes bancaires extra-européens.
Par ailleurs, le rapport souligne les défis auxquels est confrontée la lutte contre la fraude aux prestations sociales en raison de la crise sanitaire. En effet, elle a entraîné une augmentation du nombre de demandeurs d'aides sociales en rendant plus difficile le contrôle des bénéficiaires. Par conséquent, le rapport met en avant l'importance d'une vigilance accrue et de poursuivre les efforts déployés.
Dans cette problématique, comment la Cour des comptes étudie-t-elle l'engagement du Gouvernement de mettre en place un versement automatique des prestations sociales à la source, qui sera expérimenté dans plusieurs territoires ? Pouvez-vous nous dire si les prévisions quant à l'impact de ces mesures sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales et ses conséquences sur les comptes de la sécurité sociale sont étudiées en amont de ces expérimentations ?
Je tiens à vous remercier pour ces travaux, incluant la tant attendue étude d'impact précise sur la réforme des retraites. Il est enfin écrit noir sur blanc que les effets de la réforme des retraites sur le déficit de la branche vieillesse sont limités : le choix a donc été fait de faire travailler les gens plus longtemps pour une économie dont le solde net serait de 7 milliards d'euros d'ici 2030. C'est sans compter sur le fait que ces estimations sont faites sur des hypothèses favorables de productivité et d'un chômage en baisse, dont la traduction se fera dans les réformes à venir – travailler encore plus et moins bien, le tout quand la société appelle à la réduction du temps de travail et à travailler mieux.
Le groupe écologiste se réjouit également que votre juridiction s'attache à souligner les facteurs structurels des inégalités de pension entre les femmes et les hommes que nous avons dénoncées sans succès. Puisque nous semblons précurseurs, nous soulignons, dans la perspective de vos futurs travaux sur l'application de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, qu'il serait intéressant de bénéficier d'une étude sur les coûts réels induits par le report de l'âge légal, notamment sur la hausse des dépenses sociales.
Mon groupe souhaite également exprimer sa vive inquiétude sur la progression de l'Ondam très en deçà de l'inflation attendue. Pour nous, cette perspective trop contrainte ne doit pas conduire à rechercher des économies d'efficience du système de soins, mais à rectifier l'Ondam à la hausse pour tenir compte de l'inflation. N'ajoutons pas de la crise sur la crise !
Si la Cour des comptes a certifié avec réserve les comptes de la sécurité sociale, à l'exception de la branche famille, cette situation aboutit de manière systématique à la qualification d'anomalie significative, ce qui nous préoccupe fortement.
Vous avez évoqué le déséquilibre à venir des comptes de la sécurité sociale, ce qui plaide pour discuter des exonérations massives votées à chaque loi de financement de la sécurité sociale, qui concourent à assécher les financements dont elle aurait besoin. Dans votre rapport, vous notez les effets comptables, qui ne sont pas à la hauteur de ceux annoncés, du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Les effets réels seront bien au rendez-vous. Certains diront que cette réforme était nécessaire et qu'il en faudra d'autres ; d'autres, au contraire, que ce n'est pas le bon levier.
Sur l'article 51 et les expérimentations, vous appelez à une évaluation et à des prises de décision plus structurées. En effet, certaines dispositions méritent sans doute d'être mises en œuvre, d'autres pas. Un tri est nécessaire afin de ne pas considérer qu'une expérimentation doit nécessairement être menée à terme.
Enfin, les sommes relevant d'erreurs que vous pointez du doigt, soit 5,8 milliards d'euros, sont conséquentes. Nous souhaiterions que vous puissiez préciser la composition de cette somme et notamment la part estimée de la fraude sociale, car nous avons constaté une forme de mélange dans le débat public. Comment calculez-vous l'estimation de la fraude sociale ?
Je souhaitais vous interroger sur l'efficacité de la réforme des retraites. Nous avons à ce stade une seule certitude : l'importance du coût social qu'elle va engendrer. Même si elle a été conçue pour des motifs comptables et budgétaires, pour autant, elle ne semble pas remplir ses objectifs. Vous le dites dans votre rapport. Vous écrivez que, dans le champ des régimes de base de la sécurité sociale, la réforme n'aura d'effets financiers favorables que progressivement et que son gain net resterait limité à 1 milliard d'euros en 2025 et à 2 milliards d'euros pour 2026.
Le Gouvernement a fourni une étude d'impact lacunaire et sans chiffrage sur les effets indirects de la réforme. Les études montrent qu'ils amoindrissent tout de même sa portée d'au moins 25 à 30 %, ce qui est considérable. Nous souhaiterions une estimation réelle de l'ampleur du déficit à venir et du véritable impact de la réforme dans sa version amendée.
Je voudrais également réagir à propos des économies possibles sur les médicaments génériques. En Allemagne, le problème est réglé depuis 1989 : un médicament générique est remboursé sur la base du générique. Il s'agit d'une solution équitable pour tous. Pour régler le problème, il suffit de transposer le modèle allemand. Je ne comprends pas pourquoi ce n'est pas déjà le cas.
Votre présentation et vos travaux viennent utilement éclairer l'évaluation des lois de financement de la sécurité sociale, même si nous ne pouvons que regretter l'absence de certification de certains comptes.
J'aimerais revenir sur les questions relatives à la branche autonomie, mise en place en 2020. Vous pointez des erreurs affectant le financement des établissements et services médico-sociaux, notamment dues à la coexistence de plusieurs bases de données sans interface, à la faiblesse des contrôles a priori et a posteriori sur les règlements de dotation et forfaits de ces établissements, ainsi qu'au contrôle interne des prix de journée. Quelles actions recommandez-vous eu égard à ces dysfonctionnements et quels sont les impacts directs sur les établissements à l'heure où ils connaissent des difficultés financières notables ?
Je tiens à vous remercier pour ces données intéressantes. La fraude aux prestations sociales serait de 6 à 8 milliards d'euros, chiffre considérable puisque c'est l'équivalent d'un budget comme celui de la justice dans notre pays. Si on y ajoute certaines fraudes, comme l'aide médicale de l'État dont certains clandestins font usage abusif, les chiffres sont encore supérieurs. Cette situation est inacceptable. Notre système social est très généreux ; il est financé par des taxes et des prélèvements élevés sur les ménages et sur les entreprises ; souvent, ces fraudes ne bénéficient pas aux plus modestes mais à des personnes qui en font une activité lucrative et illégale.
Quelle est l'évolution des chiffres de cette fraude aux prestations sociales ? Décèle-t-on une efficacité des contrôles ? Quel est le niveau de rentabilité des fraudes que les contrôleurs arrivent à détecter et à empêcher ? Voyez-vous, pour juguler ces pratiques, des leviers supplémentaires sur les conditions d'accès aux prestations, les contrôles a posteriori, avec davantage d'effectifs ?
Enfin, quelles sont, selon vous, les principales conséquences des évolutions démographiques, comme la chute de la natalité, sur les principaux comptes sociaux, alors que les déséquilibres de la pyramide des âges vont s'accentuer dans les années à venir ? À quoi doit-on se préparer pour adapter notre modèle social ?
La situation financière de la France en 2023 reste parmi les pires de la zone euro. La Cour des comptes estime impossible de repousser le redressement des finances publiques. Le rapport indique que, malgré la réforme des retraites, le déficit devrait continuer de se dégrader pour ce qui est de la sécurité sociale. Bien que le déficit se soit amélioré en 2023, ceci ne devrait être que temporaire et un effet négatif est attendu dès 2024. Des mesures sont à prendre et des évolutions sont certainement nécessaires.
La Cour des comptes indique qu'il faudrait des actions à grande échelle qui auraient pour but de mieux détecter les fraudes dans un premier temps, puis de les prévenir et de les sanctionner dans un second temps. Des solutions sont proposées telles que l'augmentation du nombre de contrôleurs ou encore l'application réelle des textes réglementaires. En effet, une ordonnance du 18 novembre 2020 oblige par exemple les établissements de santé ainsi que les soignants à rédiger des ordonnances au format numérique et non plus au format papier. Pourtant, en septembre 2022, seulement 259 médecins utilisaient le service d'ordonnances numériques. Ces chiffres montrent que nous pouvons espérer d'importantes améliorations. La marge de manœuvre est importante.
Au regard de la nécessité de redresser les finances publiques, avez-vous une connaissance précise des délais dans lesquels nous pourrions constater des améliorations ? Enfin, auriez-vous également des préconisations quant à d'autres mesures à mettre en place qui participeraient à rendre plus efficace la lutte contre les fraudes à la sécurité sociale ?
La nouvelle annexe 6 pourrait être améliorée pour donner des éléments sur la formation du résultat des hôpitaux, c'est-à-dire la dynamique des ressources et des dépenses et la manière dont se forme le résultat par type d'hôpital. C'est ce découpage fin que nous appelons de nos vœux. Nous estimons également indispensable d'enrichir cette annexe avec des explications sur la distribution des dotations versées aux établissements hospitaliers. Enfin, nous souhaitons que cette annexe puisse éclairer sur les conséquences des plans d'investissement et des aides à la restauration des moyens financiers consenties aux hôpitaux sur l'évolution de la dette de ces établissements. Il faudrait les mettre en parallèle pour éclairer parfaitement le Parlement.
La Cour des comptes a déjà refusé de certifier les comptes de la branche famille par le passé, tout comme elle a déjà refusé de certifier d'autres branches. Les trois raisons principales qui ont fondé notre refus de certification ont été citées dans mon propos liminaire.
La première raison est une dégradation des indicateurs de risque financier résiduel après contrôle interne dont la Cour des comptes examine le périmètre, la fiabilité et le niveau. En effet, les indicateurs menés après neuf mois puis après vingt-quatre mois de contrôle montrent des erreurs importantes estimées à 5,8 milliards d'euros, pour 80 % de montants indument versés et pour 20 % de rappels.
La seconde raison est que la branche famille a maintenu ses contrôles à un niveau inférieur à la situation antérieure à la crise sanitaire, en réduisant les opérations de supervision desdits contrôles au sein des caisses d'allocations familiales. Par ailleurs, elle utilise des outils inadaptés aux nouveaux risques. La Cnaf fait valoir que le rendement de ces contrôles a été amélioré d'environ 21 % depuis 2017. Certes mais les erreurs ont augmenté plus rapidement, puisqu'elles ont doublé en quatre ans !
La troisième raison est l'absence de perspectives de redressement rapide de la situation. La branche a renvoyé la constatation de progrès à l'utilisation du dispositif de ressources mensuelles (DRM) et aux évolutions des systèmes d'information, qui devraient contribuer à améliorer les risques résiduels. Pour autant, nous n'avons pas senti de volonté de modification de la politique de contrôle interne, hormis attendre les résultats de l'utilisation du DRM et les évolutions des systèmes d'information en 2025.
Les conséquences du refus de certifier sont surtout réputationnelles. Elles pourraient être de convaincre la Cnaf elle-même de ne pas approuver les comptes qui lui sont soumis. Or, le conseil de la Cnaf a approuvé ces comptes le 23 mai dernier en dépit de la non-certification. Ce risque réputationnel va obliger la Cnaf et sa tutelle à améliorer le contrôle interne. C'est ce qui s'était passé en 2011 avec une prise de conscience de la Cnaf suite à la non-certification de ses comptes. Après plusieurs années de progression indéniable, une dégradation très sensible a amené la Cour à ne pas certifier. Nous espérons que la Cnaf saura se ressaisir comme elle l'avait fait en 2011.
Sur les expérimentations de l'article 51, nous ne recommandons pas particulièrement un accompagnement car nous n'avons pas évalué les expérimentations elles-mêmes, mais le dispositif autour d'elles. Il est un peu tôt pour évaluer les expérimentations elles-mêmes. Nous avons soulevé différents problèmes que sont l'absence de pilotage et surtout d'arbitrage. C'est sur ce point que nous alertons. Rien ne serait pire que de ne pas prendre de décision et de laisser les choses flotter, avec une impression de manœuvre dilatoire pour éviter de prendre les décisions ou les mesures qui s'imposent.
Sur la lutte contre la fraude, des progrès importants restent à faire à plusieurs niveaux même si nous constatons une réelle prise de conscience – notamment de la part de l'assurance maladie. Nous préconisons depuis plusieurs années un changement d'échelle. Nous commençons à être entendus. Il faut accorder davantage de moyens humains, mais d'abord informatiques. Les caisses doivent doter leur système d'information de moyens d'identifier les fraudes a priori en créant des systèmes bloquants. La Caisse nationale de l'assurance maladie attend la refonte totale de son système d'information pour mettre en place ces outils. Aussi, nous ne désespérons pas. Nous comptons beaucoup sur les systèmes d'information et sur d'autres systèmes impliquant la numérisation. La prescription médicale électronique sera l'un des outils de lutte évidents pour éradiquer la fraude a priori.
Nous insistons pour qu'un certain nombre de décrets d'application nécessaires pour lutter contre la fraude soient pris. Sans ces décrets, les mesures législatives restent vaines. Nous invitons également à ce que la lutte contre la fraude ait des objectifs ambitieux qui figurent dans les conventions d'objectifs et de gestion.
Sur le recouvrement des indus, d'importants progrès restent à faire. En effet, les indus recouvrés représentent 1 à 10 % des montants fraudés. Les sanctions doivent être appliquées de manière beaucoup plus ferme. Il convient toutefois de distinguer la fraude aux prestations sociales servies par la branche famille, qui émane de particuliers, et la fraude à la branche maladie, dont 80 % sont le fait de professionnels de santé et non de patients.
Sur le point particulier de la fraude à la résidence, des progrès importants restent à faire qui nécessitent l'accès à des fichiers de personnes résidant à l'étranger. Aujourd'hui, les croisements de fichiers ne sont pas automatiques. Des progrès ont été réalisés entre la sphère fiscale et la sphère sociale. S'agissant du DRM et de la solidarité à la source, nous attendons les résultats pour 2025, qui devraient aboutir à diminuer sensiblement un certain nombre de fraudes aux prestations.
La réforme des retraites ne suffit pas à elle seule à rétablir l'équilibre des comptes sociaux, même si elle y contribue. Nous ne connaissons pas le coût réel induit par la réforme des retraites, simplement le coût des mesures votées par le Parlement et le coût net de 7 milliards d'euros d'amélioration, qui ne portent que sur les régimes de base. Ce montant est doublé si l'on inclut l'État et les régimes complémentaires.
Nous avons attiré l'attention sur le fait que les effets financiers des mesures sociales compensatoires sont plus rapides que ceux des mesures de report d'âge, avec un décalage des premières années. La réforme aura des effets réduits pendant ces deux premières années de mise en route, jusqu'à l'horizon fin 2026. C'est à cet horizon que les déficits sociaux vont se creuser. Par ailleurs, nous avons attiré l'attention sur l'augmentation préoccupante du déficit de la CNRACL qui atteint près de 2 milliards d'euros en 2022 et qui devrait atteindre 6,6 milliards d'euros en 2030, malgré le relèvement d'un point du taux de cotisations patronales en 2024.
S'agissant de l'Ondam, nous sommes également préoccupés. Nous estimons les hypothèses du Gouvernement particulièrement optimistes. Nous n'avons jamais vu l'Ondam évoluer de manière sensiblement inférieure à l'inflation et nous restons dubitatifs.
Le Premier président a annoncé ce matin que la Cour des comptes rendrait publiques au mois de juin neuf notes structurelles thématiques comme exercice d'accompagnement de la réflexion du Gouvernement sur la revue des dépenses publiques. En matière de santé, elle remettra notamment une note thématique sur les soins de ville en proposant un certain nombre de pistes. La régulation sur les soins de ville nous paraît effectivement insuffisante. Cette note sera la somme d'un certain nombre de contrôles de la Cour des comptes depuis cinq ans alors que des outils de régulation existent dans certains domaines et fonctionnent. Nous invitons les pouvoirs publics à les étendre à d'autres domaines.
Sur les médicaments génériques, commençons par appliquer le modèle français avant d'évoquer le modèle allemand. S'il était fait appel systématiquement au générique équivalent, lorsqu'il existe, nous aurions réalisé un progrès. Le médicament pose d'autres problèmes que celui-ci, et notamment la fixation du prix. La Cour des comptes s'est déjà exprimée sur le sujet dans le RALFSS et le fera à nouveau dans la note thématique sur les soins de ville.
Nous certifions les comptes de la branche autonomie pour la deuxième année. Les anomalies constatées ne sont pas suffisamment significatives pour aller au-delà. Nous donnons à la branche le temps de se doter des outils et des moyens humains nécessaires à l'amélioration de ses comptes et de sa gestion. Nous avions tout de même relevé une anomalie significative : la suppression d'écritures comptables liée à un défaut intrinsèque du logiciel comptable utilisé par la branche autonomie et bien d'autres établissements ou collectivités publiques. Nous avons alerté le ministre des finances sur ce point.
S'agissant des délais nécessaires pour permettre de constater une amélioration, je n'ai pas la réponse. Nous souhaitons que cette amélioration intervienne avec célérité. Si toutes les mesures que nous préconisons sont mises en œuvre à brève échéance, l'amélioration peut être rapide. J'invite les opérateurs à s'inspirer de nos recommandations dans les meilleurs délais.
Je cède la parole à Arthur Delaporte, arrivé tardivement, en lui demandant d'éviter une question redondante.
Je vous prie d'excuser mon absence due à une préparation de commission mixte paritaire. J'ai entendu vos réponses, notamment sur la réforme des retraites qui n'a pas suffi à rétablir les comptes. Le gain net à horizon 2030 de 7,1 milliards d'euros par an tient-il compte des 5 milliards d'euros de dépenses sociales induites par la réforme ? Si tel est le cas, le gain net approcherait 3 milliards d'euros. Mes calculs sont-ils exacts ?
Je ne suis pas en mesure de répondre, cet exercice à spectre large n'ayant pas été réalisé. Nous nous en sommes tenus au strict périmètre de la réforme des retraites.
La séance est levée à dix-sept heures vingt.
Présences en réunion
Présents. – M. Éric Alauzet, M. Thibault Bazin, M. Victor Catteau, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, M. Arthur Delaporte, M. Pierre Dharréville, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, Mme Justine Gruet, Mme Fadila Khattabi, Mme Joëlle Mélin, M. Serge Muller, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, M. Sébastien Peytavie, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset, Mme Isabelle Valentin, Mme Annie Vidal
Excusés. – Mme Fanta Berete, M. Elie Califer, Mme Julie Delpech, Mme Caroline Fiat, Mme Caroline Janvier, Mme Élise Leboucher, M. Matthieu Marchio, M. Yannick Monnet, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon
Assistaient également à la réunion. – M. Fabien Di Filippo, Mme Claire Guichard, M. Michel Lauzzana, Mme Michèle Peyron