Sous-amendements associés : CE3699 (Adopté)
Publié le 15 avril 2024 par : Mme Blin, M. Brigand, Mme Corneloup, M. Descoeur, M. Dubois, Mme Duby-Muller, M. Hetzel, Mme Louwagie, Mme Périgault, M. Taite, M. Viry.
Le chapitre III du titre II du livre Ier du code des relations entre le public et l’administration est complété par un article L. 123‑3 ainsi rédigé :
« Art. L. 123‑3. – Lors d’un contrôle opéré dans les exploitations agricoles, la bonne foi de l’exploitant est présumée.
« Si un manquement est constaté pour la première fois, l’exploitant peut régulariser sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invité à le faire par l’administration dans le délai indiqué par celle-ci.
« Lorsqu’il est supposé un manquement reposant sur une norme qui entre en contradiction avec une autre norme, l’exploitant agricole ne peut être sanctionné.
En 2018, le Parlement a adopté le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC). Ce projet de loi faisait suite à l’engagement du Président de la République de rapprocher administration, citoyens et les entreprises. L’ambition affichée était de changer de paradigme en cela que l’État ne devrait plus être seulement là pour contrôler et sanctionner, mais davantage accompagner.
Ainsi, le texte a introduit la notion de droit à l’erreur. Dans l’exposé des motifs, il était indiqué qu’ : « il ne s’agit pas seulement d’admettre la bonne foi du citoyen essayant d’assumer la complexité des normes et des procédures mais, plus généralement, de construire un État conscient de son coût, usant à bon escient de ses prérogatives, et œuvrant tout entier à seconder la vie sociale et favoriser son épanouissement : un État au service d’une société de confiance ».
Dès lors, l’article 2 de la loi ESSOC du 10 août 2018 prévoyait qu’ « une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l’objet, de la part de l’administration, d’une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d’une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’administration dans le délai que celle‑ci lui a indiqué. »
Si l’intention était louable, des limites ont cependant été fixées en réduisant considérablement sa portée. En effet, le droit à l’erreur ne s’applique pas en ce qui concerne le droit européen (« Aux sanctions requises pour la mise en œuvre du droit de l’Union européenne ») et en ce qui concerne la santé ou l’environnement (« Aux sanctions prononcées en cas de méconnaissance des règles préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement »).
De fait, une notion qui devait s’appliquer à tous les Français a exclu certaines professions et notamment les agriculteurs.
Pour autant, quelques évolutions au niveau européen ont conduit dans la « nouvelle PAC » pour la période 2023‑2027 à intégrer un « droit à l’erreur » donnant possibilité aux exploitant agricoles de corriger leur déclaration PAC, sans conséquence financière pour eux, directement sur l’outil TELEPAC sur une période donnée.
Si cela a créé d’importants retards incompréhensibles dans les versements des aides, cette faculté de pouvoir corriger anomalies ou oublis dans les déclarations PAC était réclamée de longue date.
En revanche, c’est en matière environnementale (exclue du dispositif législatif de la loi ESSOC) que les incidences sont les plus importantes pour les agriculteurs.
La réglementation applicable en ce domaine aux agriculteurs renvoie à de nombreux cadres législatifs différents et parfois même contradictoires.
Les législations et les réglementations ne poursuivant pas nécessairement les mêmes objectifs, ni ne fixant les mêmes impératifs.
C’est ainsi que des contrôles opérés dans les exploitations agricoles - souvent sans concession pour les pratiques agricoles - sur des fondements juridiques distincts peuvent conduire à apprécier de manière radicalement différente la conformité d’une même situation ou d’un même acte.
Et les retours du terrain démontrent à l’évidence que les agriculteurs sont sans cesse stigmatisés comme des délinquants de l’environnement alors même qu’ils en sont les premiers protecteurs mais sont dans une véritable insécurité juridique.
A titre d’exemple : la gestion des haies. Actuellement, la gestion des haies est soumise à 14 réglementations différentes, à la fois européenne et nationale. En fonction d’où se situe la haie, un code différent s’applique.
Si une haie constitue la berge d’un cours d’eau, elle est régie par le code de l’environnement, alors que si elle se situe dans un périmètre de protection de captage d’eau potable, la législation renvoie au code de santé publique.
Dans le cas où la haie se situe dans une réserve naturelle, sur un site Natura 2000, le code de l’environnement doit s’appliquer. En revanche, le code du patrimoine intervient si la haie est positionnée à proximité ou dans le périmètre d’un monument historique ou sur un site patrimonial remarquable.
Une haie positionnée dans un secteur couvert par un document d’urbanisme ou dans un secteur dans lequel une délibération spécifique du conseil municipal protège les haies, les règles ressortent du code de l’urbanisme. Dans le cas où la haie se situe dans le secteur d’un aménagement foncier ou si elle est exploitée à bail à clause environnementale le code rural et de la pêche maritime intervient.
Par ailleurs, l’entretien des haies est également particulièrement encadré. Pour préserver la nidification des oiseaux, la PAC interdit aux agriculteurs de tailler leurs haies sur une période qui s’étend du 16 mars au 15 août. Un manquement au respect du maintien d’une haie peut entraîner des pénalités pour les agriculteurs ce qui signifie une réduction des aides PAC en fonction du pourcentage de haie détruite sur l’exploitation.
En outre, si les règles de la PAC autorisent bien leur déplacement ou leur remplacement moyennant le dépôt d’une demande auprès des DDT, les agriculteurs n’en courent pas moins le risque de poursuites judiciaires.
En vertu de la législation sur les espèces protégées, les agents de l’OFB peuvent en effet être fondés à constater des manquements dès lors que l’opération se solde par la destruction d’un habitat naturel.
Il en est de même pour la gestion des cours d’eau qui représente une autre source de litiges. En effet, les aménagements et interventions ponctuelles sur les drains et fossés peuvent donner lieu à des appréciations diverses.
En réalité, les exemples sont très nombreux comme l’a mis en évidence le rapport BLIN‑MARTINEAU sur les contrôles opérés dans les exploitations agricoles.
Face à une telle boulimie technocratique et bureaucratique, il est impératif d’inverser la charge de la preuve et de reconnaître aux agriculteurs un véritable « droit à l’erreur » dont le principe est clairement posé et la bonne foi s’impose aux services des administrations.
Pour tisser un lien de confiance indispensable entre les Français et l’administration, il convient véritablement de donner les moyens à tous les Français de ne pas être suspectés par avance pour des raisons souvent idéologiques.
La récente mobilisation agricole démontre combien nos agriculteurs souffrent de ne pas être considérés à leur juste valeur et comme les premiers acteurs de la protection de notre biodiversité.
C’est donc en suivant un constat partagé dans le monde agricole, et parfois même par certains services déconcentrés de l’État de la complexité des normes, qu’il convient d’élargir le principe du droit à l’erreur aux exploitations agricoles et de le rendre opérationnel et protecteur.
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