Publié le 7 décembre 2023 par : M. Julien-Laferrière.
Supprimer cet article.
Le nouvel article 19 bis C apporte des restrictions notables à la réunification familiale des bénéficiaires de la protection internationale.
L’amendement du Gouvernement ayant amené cette modification, votée en séance publique au Sénat alors qu’elle ne figurait pas dans le projet de loi initial, est sommairement justifié par « une augmentation exponentielle des demandes de visas déposées au titre de la réunification familiale » qui sont passées de « 5 761 en 2015 à 6 700 en 2016, 6 857 en 2017, 7 950 en 2018, 10 719 en 2019, 15 841 en 2021 et 20 897 en 2022 ».
Il convient tout d’abord de préciser cette analyse statistique sur deux aspects. D’une part, les chiffres du Gouvernement ne portent que sur les « demandes de visas » et pas sur les visas accordés, dont le nombre est bien plus limité : le dernier rapport annuel au parlement sur « les étrangers en France » indique ainsi que la France a délivré 3 780 visas au titre de la réunification familiale en 2017, 3 818 en 2018, 5 401 en 2019, 2 396 en 2020, et 10 556 en 2021. Par ailleurs, cette évolution s’inscrit dans un contexte de forte augmentation du nombre de personnes protégées au titre de l’asile en France : entre 2014 et 2021, le nombre de personne protégées annuellement a quasiment été multiplié par trois, augmentant de fait le nombre de personnes éligibles à la réunification familiale.
L’argument selon lequel « le contexte géopolitique » et la « crise sanitaire » auraient affecté « la capacité de nos postes diplomatiques et consulaires à prendre en charge les demandes de visas présentées par les membres de famille de réfugiés et à statuer sur ces demandes dans les délais réglementaires » ne semble pas pertinent pour justifier une limitation au droit à la réunification familiale, corollaire du droit fondamental à une vie privée et familiale consacré par de nombreuses normes supra législatives. La capacité à traiter les demandes relève de choix budgétaires et organisationnels qui peuvent notamment être ajustés à travers la loi de finances, sans affecter la possibilité pour les réfugiés d’être rejoints par leur famille.
Plus généralement, cet article pose quelques restrictions qui concernent a priori peu de situations (bien que l’absence d’étude d’impact sur ces ajouts gouvernementaux hors projet de loi ne permette pas de mesure précisément l’ampleur du sujet) – modification de l’âge pris en compte pour les enfants rejoignants (§3 de l’article), exclusion de la réunification familiale pour les frères et sœurs mineurs du réfugié qui fait venir ses parents (§6 de l’article) – et auront donc peu d’impact sur les statistiques des visas accordés mais un impact important pour chaque situation individuelle concernée.
Il laisserait par ailleurs une marge de manœuvre trop importante aux représentations diplomatiques pour refuser les demandes de visa au titre de la réunification familiale, en consacrant par exemple la possibilité de refuser la réunification lors que les personnes restées au pays ont cessé d’entretenir avec le réfugié des « relations suffisamment stables et continues pour former une famille ». Cette modification omet la réalité des parcours migratoires, qui rendent parfois difficile le maintien de telles relations. L’absence de prise en compte des difficultés de certains parcours d’intégration, une fois la protection obtenue, semble également imprégner la disposition limitant la demande de réunification familiale dans un délai de 18 mois suivant l’octroi de la protection (§11 de l’article).
Plus généralement, la réunification familiale est un facteur important d’intégration des réfugiés, qui serait ainsi freinée avec l’adoption de cet article. Une étude de l’OCDE publiée en 2019 (« Perspectives des migrations internationales ») souligne notamment que « les délais préalables au regroupement familial peuvent avoir des conséquences négatives sur l’intégration à long terme des immigrés ».
Cette disposition entre ainsi en contradiction avec les orientations politiques dans ce domaine marquées par l’ambitieuse Stratégie nationale pour l’intégration adoptée en juin 2018 et déclinée depuis cette date à travers plusieurs mesures intéressantes en faveur de l’intégration des réfugiés dont cette loi devait être un prolongement si l’on en croit son intitulé (projet de loi pour contrôler l’immigration et… améliorer l’intégration). L’axe 3 de la Stratégie nationale de 2018 s’intitule d’ailleurs « simplifier la réunion de la cellule familiale » et comporte une « action 53 » visant à « fluidifier la procédure de réunification familiale » : cet article qui aura pour objet de la complexifier devrait donc être supprimé.
Cet amendement a été rédigé avec Forum Réfugiés.
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