La réunion

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La mission d'information de la conférence des présidents sur l'accès des Français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable a auditionné M. Jean-Claude Driant, professeur émérite à l'École d'urbanisme de Paris (Université Paris Est Créteil).

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La mission d'information sur l'accès des Français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable s'apprête à achever ses travaux, puisque nous espérons rendre notre rapport début mars. Nous avons déjà entendu M. Patrice Vergriete, ministre délégué chargé du logement du précédent gouvernement ; s'il n'est pas reconduit, nous auditionnerons sans doute son successeur pour conclure nos travaux.

Cette mission d'information créée par la conférence des présidents – ce qui lui donne une dimension transversale – porte sur un thème assez large. Lorsque nous avons entamé nos travaux, plusieurs textes législatifs étaient « dans les tuyaux ». Le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement a été adopté en première lecture la semaine dernière. La proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue, qui concerne notamment la régulation des meublés touristiques de type Airbnb, l'a été avant-hier. Nous examinerons demain, en séance publique, une proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements. Outre ces textes portant sur des sujets particuliers, le Président de la République avait annoncé l'été dernier une grande loi plus générale, ce qu'avait confirmé M. Vergriete en évoquant une loi d'orientation et de décentralisation des politiques du logement. Notre mission d'information s'est insérée dans ce calendrier afin d'éclairer les débats législatifs, de faire un diagnostic de la crise du logement, d'en analyser les causes et les conséquences et de formuler un certain nombre de propositions.

Nous recevons aujourd'hui le professeur Jean-Claude Driant, auteur de nombreux ouvrages et études sur la question du logement.

Notre mission aimerait être éclairée par votre expérience, votre analyse et les nombreuses données chiffrées que vous citez régulièrement – j'avais trouvé très intéressante la communication que vous aviez présentée lors du Sommet de la construction organisé par la Fédération française du bâtiment (FFB). Notre rapport devant éclairer la représentation nationale quant à la nature de la crise du logement et déterminer le nombre de personnes en difficulté ainsi que de logements à produire, mieux vaut s'entendre sur le diagnostic avant de formuler des propositions !

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Jean-Claude Driant, professeur émérite à l'École d'urbanisme de Paris

Je ne suis pas sûr que toutes mes réponses soient très précises cet après-midi, mais je vous communiquerai les données qui manqueraient dès mon retour.

Au risque d'être un peu banal, je considère que la crise du logement résulte de la superposition de deux phénomènes.

Faut-il d'ailleurs employer le mot « crise » ? Je l'ai moi-même beaucoup fait, notamment dans le livre que j'ai coécrit avec l'économiste Pierre Madec et intitulé Les crises du logement (2018). En réalité, la situation actuelle résulte d'abord d'un problème structurel qui s'est développé au cours des vingt-cinq dernières années, dès lors que les prix du logement ont commencé à augmenter plus vite que les revenus et l'indice des prix à la consommation.

Il faut distinguer deux périodes. Entre 1998 et 2008, les prix de l'ancien – ceux que l'on mesure le plus facilement, avec les données des transactions réalisées par les notaires – ont doublé partout. Je ne parle pas des loyers, qui ont évolué de façon beaucoup plus modérée. Il peut sembler étrange que les prix de vente doublent aussi bien à Saint-Étienne qu'à Paris ou à Nevers. Dans cette dernière ville, où j'ai travaillé avec les élus il y a quelques années, le marché immobilier est pourtant l'un des plus détendus de France – ce qui ne va d'ailleurs pas sans difficultés : on peut s'y loger assez facilement, mais le centre est vide !

Pendant cette période, les écarts territoriaux se sont donc considérablement creusés : si l'on a constaté un doublement partout, le prix du mètre carré est passé de 4 000 à 8 000 € à Paris, mais de 500 à 1 000 € à Saint-Étienne. Cela joue sur la capacité même des ménages à accéder au marché du logement : à revenu égal (ou quasi égal), les difficultés se sont davantage accrues à certains endroits qu'à d'autres. J'ai cité deux cas extrêmes, entre lesquels il existe une multiplicité de situations ; il n'empêche que les prix ont doublé partout.

La deuxième période commence en 2008, avec la crise financière, qui a entraîné un petit choc sur le marché immobilier. Je parle d'un « petit » choc, car la France a pris des mesures contracycliques très puissantes : je pense notamment à l'ouverture généralisée du prêt à taux zéro, sans plafond de ressources, dans le neuf comme dans l'ancien, ainsi qu'à la création du dispositif Scellier, qui est allé bien plus loin que les mesures de défiscalisation de l'investissement locatif existantes. En dépit de la fin du plan de cohésion sociale, les pouvoirs publics ont injecté de l'argent dans le logement social. Ce faisant, on a évité la crise : la courbe des prix de l'immobilier a marqué un petit creux, mais elle est très vite repartie à la hausse. Durant cette deuxième période, cependant, les évolutions se sont davantage différenciées : dans le Grand Paris et la plupart des métropoles, les prix ont repris leur hausse à pleine allure, tandis que dans d'autres territoires, comme à Nevers ou Saint-Étienne, ils se sont plutôt stabilisés – quand ils n'ont pas légèrement baissé. Les écarts ont donc continué à se creuser.

À cette dimension territoriale s'ajoute un deuxième élément, longtemps masqué par l'euphorie immobilière qui a duré jusqu'à la crise sanitaire – pendant cette période, on a vu des logements vendus en une journée. Dans la plupart des régions, on a beaucoup construit : on a compté près de 450 000 mises en chantier par an en 2017 et 2018, on a même approché la barre des 500 000 autorisations annuelles, on est monté à des sommets qui n'avaient pas été atteints depuis les années 1970. On a dépassé le million de transactions dans l'ancien en une année, ce qui n'était jamais arrivé. Les promoteurs ont vendu leur production sans aucune difficulté, ce qui leur permettait de balayer les critiques du rapport de François Leclercq et Laurent Girometti, publié en 2021 et mettant en cause la qualité des logements neufs. Cette euphorie masquait non seulement les disparités territoriales que j'ai évoquées, mais également l'éviction progressive d'une partie des ménages, notamment de ceux que l'on regroupe sous le terme très vague de « classe moyenne ».

Le doublement des prix partout – même à Nevers, donc ! – a été rendu possible par l'amélioration des conditions du crédit, les prix s'alignant sur la solvabilité des acquéreurs. Cependant, ces derniers, bien que toujours nombreux, se sont progressivement limités aux revenus les plus élevés et aux classes d'âge supérieures. Ainsi, l'âge moyen du primo-accédant à la propriété a augmenté de près d'une dizaine d'années en vingt ans. Les ménages déjà propriétaires ont contribué à alimenter le marché en vendant des biens, en rachetant, en investissant – c'est à ce moment-là que des patrimoines locatifs avec plusieurs propriétés se sont constitués. Le marché fonctionnait donc très bien, mais en évinçant une partie des ménages. C'est ce que j'ai contribué à qualifier de « crise », même si le terme n'est probablement pas le bon, puisqu'il désigne habituellement un phénomène brusque, violent, de courte durée et facteur de transformations – tel n'est pas le cas en matière de logement, c'est le moins qu'on puisse dire !

On a donc observé la montée structurelle de certaines inégalités liées au logement. Mais si l'on met de côté les locataires, qui n'arrivent plus à accéder à la propriété, cette situation profite à tout le monde : les ménages déjà propriétaires s'enrichissent et les collectivités voient leurs recettes fiscales augmenter, entre l'impôt sur la fortune immobilière et les droits de mutation. En somme, les prix élevés satisfont de nombreux intérêts convergents et ne nuisent qu'à ceux qui ne peuvent pas acquérir de logement.

Il faut bien réaliser que ces derniers sont désormais minoritaires dans notre pays. On cite assez peu un chiffre qui explique en partie les difficultés que l'on a eues à parler de crise du logement. Depuis une bonne quinzaine d'années, le taux de ménages propriétaires de leur résidence principale est très stable, à 58 % – il aurait peut-être tendance à baisser légèrement, à 57 %, mais on reste là dans l'épaisseur du trait. Ce qu'on dit peu, c'est que le taux des ménages « propriétaires non-accédants », c'est-à-dire qui possèdent leur résidence principale sans avoir d'emprunt en cours, est de 40 % – les deux tiers des propriétaires occupants. Autrement dit, 40 % des ménages français ne paient ni loyer ni mensualité pour leur résidence principale, ce qui ne les empêche pas de rembourser par ailleurs un crédit éventuellement souscrit dans le cadre d'un investissement locatif.

Propriétaire non-accédant est le statut d'occupation le plus courant dans notre pays, plus fréquent que celui de propriétaire accédant, de locataire du parc privé ou de locataire du parc social. Les propriétaires non-accédants sont en moyenne de vingt ans plus âgés que les propriétaires accédants, car beaucoup ont eu un crédit qu'ils ont fini de rembourser. Quoi qu'il en soit, pour eux, le fait que le logement soit cher n'est pas tellement un problème ! Voilà aussi pourquoi la question de la crise du logement a eu, jusqu'à présent, du mal à s'imposer dans le débat politique.

On voyait pourtant qu'une partie des ménages se faisaient évincer du marché immobilier. L'un des indicateurs majeurs pour suivre cette évolution est la mobilité dans les parcs locatifs, en particulier dans le parc social, où l'on trouve logiquement les locataires dont les revenus sont les plus bas. À ce propos, on dit souvent qu'il y a autant de pauvres dans le parc privé que dans le parc social. C'est statistiquement vrai, mais les locataires à faibles revenus logés dans le parc privé ont des profils sociaux et démographiques un peu différents : ils sont généralement jeunes, avec une perspective d'évolution de leurs revenus. Les ménages susceptibles de quitter le parc locatif pour accéder à la propriété sont principalement les locataires du parc social. Or, depuis vingt à vingt-cinq ans, les taux de rotation dans le parc social, surtout dans les zones les plus tendues comme l'agglomération parisienne, n'ont cessé de baisser. Autrement dit, les perspectives de sortie du logement social ont beaucoup reculé.

L'exemple de l'Île-de-France est particulièrement frappant. Selon les statistiques publiées il y a quelques jours par l'Agence nationale du contrôle du logement social (Ancols), le nombre d'attributions de logements sociaux en région parisienne est au plus bas – de l'ordre de 75 000 en 2022 contre 80 000 il y a encore quelques années. Ainsi, bien que le stock de logements sociaux ait considérablement augmenté en Île-de-France au cours des vingt à vingt-cinq dernières années – dans les années 2000 et 2010, le logement social était le moteur de la production de logements neufs – l'offre de logements à attribuer n'a cessé de baisser. Voilà un signe de l'éviction progressive des ménages du marché immobilier.

À cela s'ajoute, depuis dix-huit mois, une crise immobilière. Le déclencheur en a été la hausse des taux d'intérêt, qui ont quadruplé en un an et demi. Cependant, ces taux, aujourd'hui de l'ordre de 4 % ou 4,2 %, restent relativement bas dans la mesure où ils sont inférieurs à l'inflation. La véritable raison de la crise immobilière est le niveau des prix, qui demeurent adaptés à des taux d'intérêt de 1 %. Ainsi, la cause du problème conjoncturel est la même que celle du problème structurel des vingt dernières années : les prix sont trop élevés.

Les acteurs de l'immobilier parlent d'une crise de la demande, qui diffère un peu selon que l'on considère le marché du neuf ou celui de l'ancien, beaucoup plus volumineux. Sur le marché du neuf, on observe principalement une crise de solvabilité des ménages, lesquels n'arrivent pas à obtenir les crédits qui leur permettraient d'acquérir ces logements. Dans l'ancien, ce problème de solvabilité s'ajoute à l'attentisme des acquéreurs, qui espèrent une baisse des prix et considèrent donc, sauf urgence, que le moment n'est pas venu d'acheter.

Ainsi, les logements neufs ne se vendent pas. Des opérations sont abandonnées, tandis que celles qui ont été lancées laissent des invendus qui représentent, pour les promoteurs concernés, des problèmes majeurs. Contrairement à ce qui s'est passé en 2008 avec l'élargissement du prêt à taux zéro et la création du dispositif Scellier, la seule véritable mesure contracyclique constatée est la revente de 47 000 logements neufs à des bailleurs sociaux.

L'échec de ces opérations peut avoir des conséquences sur la construction de logements sociaux : c'est l'une des causes du recul de la production que l'on observe. Depuis une vingtaine d'années s'est développée la pratique de la vente en l'état futur d'achèvement (Vefa) pour les organismes HLM : en quinze ans, le taux de logements HLM produits en Vefa est ainsi passé de 20 % à 49 % l'année dernière. Cette évolution est à l'origine d'une dépendance réciproque entre les promoteurs et les bailleurs sociaux. Les seconds dépendent évidemment des opérations menées par les premiers : si elles sont abandonnées, c'est autant de logements sociaux en moins. Mais il y a aussi une dépendance des promoteurs à l'égard des opérations de logement social : pour équilibrer leurs comptes, ils ont en effet tendance à tirer le prix des logements libres vers le haut, ce qui réduit le nombre de leurs clients compte tenu des problèmes actuels de solvabilité. Il ne fait aucun doute que la Vefa-HLM a été un moteur de la production de logements sociaux, notamment dans les communes qui en comptaient peu et qui se sont engagées dans des opérations mixtes, et qu'elle a contribué à la mixité sociale : cette pratique comporte donc des aspects positifs. Elle n'en fait pas moins peser des risques sur l'activité.

Face à la crise de la demande, dans l'ancien, la solution est assez simple : les vendeurs vont finir par baisser leurs prix. Il est certes difficile de convaincre les particuliers, mais les agents immobiliers incitent les vendeurs à la modération. Le mouvement est d'ailleurs un peu amorcé, même si cela n'est pas encore flagrant.

Dans le neuf, la situation est beaucoup plus compliquée. Les coûts de construction ont subi une inflation significative. Les bailleurs sociaux et les promoteurs me disent, certes de plus en plus souvent, que les offres des constructeurs commencent à s'orienter à la baisse, mais je crains que cela ne résulte davantage de soldes que d'une baisse réelle des coûts, avec un risque in fine pour la santé de l'entreprise. Mais la véritable variable d'ajustement est le foncier. Dans une logique de marché libérale, il devrait se passer la même chose que dans l'ancien : les prix du foncier devraient finir par baisser. Cependant, cette évolution est beaucoup moins évidente et prendra beaucoup plus de temps : pour les logements qui sortiront de terre dans deux ou trois ans, la plupart des opérations sont déjà engagées et les transactions sont en cours, voire finalisées. Il faudra donc sans doute attendre plusieurs années avant qu'une éventuelle baisse des prix du foncier se fasse réellement sentir. À mon sens, le neuf aura donc beaucoup plus de mal à se remettre de la crise de la demande.

Cette crise de la demande entraîne, mécaniquement, une crise de l'offre, notamment dans le secteur locatif. Dans un contexte de marchés tendus, le secteur social a rarement connu des taux de rotation aussi bas, ce qui explique le recul du nombre d'attributions – je vous ai cité un chiffre de l'Ancols tout à l'heure. S'agissant du secteur locatif privé, je n'ai aucun moyen de mesurer la baisse, mais je me fie aux enquêtes effectuées l'année dernière par la Fédération nationale de l'immobilier auprès de ses membres et qui font ressortir un recul du nombre d'offres de 34 %, ce qui est énorme.

Les causes de cette baisse, dans le secteur locatif privé, sont multiples. Outre l'impossibilité, pour les locataires, d'accéder à la propriété, la réglementation relative aux passoires énergétiques dissuade probablement les propriétaires bailleurs de mettre leur bien en location – cet impact n'est pas mesuré, mais il suffit de regarder les vitrines des agents immobiliers pour s'en convaincre. À Paris et en région parisienne, le problème se révélera surtout après les Jeux olympiques : pour le moment, les propriétaires de passoires thermiques ne mettent pas leur bien en vente, car ils espèrent faire de beaux profits dans les mois qui viennent, dans le cadre de la location touristique.

Ce phénomène de la location touristique joue aussi un rôle : il fait partie de ce faisceau de facteurs qui provoquent une crise de l'offre, particulièrement dans le secteur locatif privé – élément clef du fonctionnement du système, parfois négligé, voire maltraité politiquement car vu comme un repaire de rentiers et de multipropriétaires. Or nous connaissons tous des gens qui n'ont les moyens ni d'accéder à la propriété, ni d'attendre un logement social, dont ils ne sont d'ailleurs pas forcément demandeurs : ce sont eux, les ménages les plus mobiles, qui ont besoin de ce parc privé locatif qui connaît actuellement une crise grave.

Quant aux chiffres que j'ai donnés à la FFB, Monsieur le président, je les avais calculés sur un coin de table ; je pourrai vous en transmettre une version un peu plus raffinée. Dans un échantillon de villes donné, j'ai calculé ce que pouvait louer ou acheter un couple avec un enfant à la recherche d'un T3, doté d'un revenu médian et appartenant à la tranche de revenu du troisième décile, en fournissant un taux d'effort de 30 % – j'ai été plus exigeant que la Banque de France. En juin 2022, avant la hausse des taux d'intérêt, notre ménage de référence pouvait se loger dans un appartement de plus de 64 mètres carrés dans des villes comme Saint-Étienne, Mende, Rodez ou Limoges, mais pas dans des villes comme Rennes ou Nantes, pour reprendre le rapport de MM. Girometti et Leclercq. Notre ménage se trouvait à peu près dans la même situation sur le marché locatif, pouvant s'offrir ce type d'appartement à Grenoble, par exemple, mais pas à Nantes. Il ne lui reste plus alors qu'à viser plus petit, à partir en périphérie de ville ou à demander un logement social – nous parlons du revenu médian, je le répète.

J'ai refait le calcul en décembre dernier, après la hausse des taux : notre ménage avait perdu environ 20 % de surface. En dix-huit mois…

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Quittons l'analyse des mécanismes de l'offre et venons-en aux caractéristiques et au volume de la demande car, d'un interlocuteur à l'autre, nous obtenons des évaluations très variables à ce sujet. J'ai ainsi été surpris d'entendre Damien Botteghi, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), nous dire que les chiffres qui circulent sont très exagérés.

Ce sont les territoires, par le biais des établissements publics de coopération intercommunale, qui effectuent la programmation des logements, privés ou sociaux, dans le cadre de programmes locaux de l'habitat (PLH) obligatoires et contractualisés. Tous les PLH additionnés représentent une production de quelque 500 000 logements par an. Or nos interlocuteurs ministériels avancent un chiffre bien inférieur et nous constatons que le nombre de demandeurs de logement atteint un niveau record, qui ne cesse d'augmenter. Nous ne pouvons d'ailleurs ignorer les évolutions sociologiques intervenues au cours des vingt ou trente dernières années, qui s'ajoutent aux effets de la croissance démographique : les ménages ne fonctionnent plus comme par le passé et les modes de vie évoluent, ce qui accroît les besoins ainsi que les difficultés de la planification.

Quelle analyse faites-vous de la demande actuelle ? En ces temps de crise, comment faire en sorte que l'offre se rapproche le plus possible de cette demande ? Pour ma part, je suis très surpris de l'engouement, qu'on entend s'exprimer à longueur de discours, pour le logement locatif intermédiaire (LLI), dont je ne vois pas bien à quel public il est destiné – sauf de façon marginale. Pour que la crise prenne fin, il va pourtant falloir que l'offre et la demande se rencontrent, ce qui oblige à affiner l'analyse.

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Jean-Claude Driant, professeur émérite à l'École d'urbanisme de Paris

La réponse à votre question n'est pas simple – sinon, cela se saurait !

Commençons par la demande de logement social, qui est en constante augmentation : environ 2,4 millions de personnes – pas de « ménages », car le nombre inclut, par exemple, de jeunes cohabitants – sont inscrites dans le système national d'enregistrement de la demande. Ces demandeurs ont globalement des revenus très inférieurs aux plafonds de ressources réglementaires des trois niveaux du logement social : prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), prêt locatif à usage social (Plus) et prêt locatif social (PLS). Dans leur majorité, ils ont des revenus proches du plafond fixé pour les PLAI, voire inférieurs.

Cela indique que les plafonds de ressources actuels sont devenus assez largement fictifs. La demande et les attributions réelles de logements sociaux se font aujourd'hui à des niveaux nettement inférieurs aux plafonds, pour diverses raisons : à la fois parce que la demande est ainsi faite et pour répondre à des politiques publiques parfaitement légitimes, qui donnent la priorité aux personnes les plus en difficulté, en application du droit au logement opposable ou comme issue à l'hébergement d'urgence, par exemple. Les plafonds actuels couvrent pourtant très largement les classes dites « moyennes » dans le langage courant : 65 % des ménages sont éligibles au Plus, et environ 75 % le sont au PLS. Bref, d'un point de vue théorique et juridique, seules les classes supérieures ne sont pas éligibles au logement social. Il faut donc s'interroger sur l'utilité d'un autre produit pour le logement des classes moyennes.

Le statut actuel du LLI a été créé par une ordonnance de 2014, à la demande d'opérateurs tels que CDC Habitat ou Action logement et sa filiale In'li. Ce n'est pas qu'il manquait un « produit » : en théorie, la population concernée était déjà couverte par les dispositifs existants. Mais le fait est que nombre de gens qui auraient besoin d'un logement locatif à un loyer un peu inférieur au niveau du marché n'accèdent pas au logement social, en raison de son image, de son statut ou de ses procédures d'attribution. Il faut notamment être inscrit dans un fichier de demande de « HLM » – j'emploie ce terme à dessein, pour souligner la perception péjorative souvent associée à ce type de logements. Ces personnes potentiellement éligibles n'obtiendront jamais de logement social compte tenu de la lourdeur du système, par ailleurs justifiée par la nécessité de cotation de la demande et de transparence de l'attribution. Le système privilégie mécaniquement les ménages aux revenus les plus faibles, et ce, je le répète, pour de bonnes raisons.

Les bailleurs sociaux, tels que CDC Habitat ou Action logement, ont constaté qu'ils avaient du mal à louer les PLS, notamment à Paris. Pourtant, ces derniers sont proposés à 13 € le mètre carré, soit moitié moins cher que le loyer du marché ! Mais même à ce tarif attractif, ils ne trouvent pas preneurs, au point que Paris Habitat, ainsi que la presse l'a relaté, en a été réduit à passer des annonces sur Leboncoin… à Paris ! Les taux de refus sont de l'ordre de 60 % pour des PLS pourtant proposés à des ménages qui correspondent à la cible. Le problème n'est donc pas à chercher dans le niveau de loyer et le plafond de ressources : c'est la commercialisation qui n'est pas bonne.

C'est ainsi qu'est née l'idée de développer un autre produit, le LLI, non comptabilisé dans les obligations de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), donc décliné de façon beaucoup plus libre dans les territoires et commercialisé comme un logement privé – il est soumis aux mêmes plafonds de ressources que le Pinel. Le LLI offre l'avantage d'être géré par des professionnels, alors que le Pinel l'est par des particuliers dont on ne sait pas, faute de contrôle, s'ils appliquent vraiment les plafonds dans la durée.

Il y a deux ans, j'ai travaillé avec la direction de la clientèle de CDC Habitat, qui s'interrogeait sur le public du LLI. Il apparaît que ce public se distingue clairement des demandeurs de logements sociaux. Il s'agit essentiellement de jeunes couples, n'ayant pas encore d'enfants, à la recherche d'un appartement de deux ou trois pièces maximum, où ils resteront quatre ou cinq ans. Il y a vraiment un public, même s'il n'est pas massif et que son importance n'a pas été mesurée. Ces jeunes, en début de vie professionnelle et familiale, sont probablement appelés à sortir assez rapidement du plafond de ressources.

La demande de logement locatif social est-elle surestimée, comme l'indique le DHUP ? Je ne sais pas, mais deux facteurs incitent à analyser les chiffres avec une certaine prudence. Tout d'abord, les demandes ont très fortement augmenté dès lors qu'il a été possible de remplir son dossier sur internet. Il est devenu très facile de déposer une demande de logement social, sans se déplacer dans les services idoines…

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Jean-Claude Driant, professeur émérite à l'École d'urbanisme de Paris

En effet – et c'était mon deuxième facteur incitant à la prudence – la demande doit être renouvelée tous les ans. Il y a quatre ans, avant la crise sanitaire, j'avais effectué un travail avec l'Ancols montrant qu'un tiers des demandeurs ne renouvelaient pas leur demande, ce qui est considérable. Ce n'est d'ailleurs pas pour cela que la courbe baisse : les sortants sont remplacés par de nouveaux venus, ce qui provoque une sorte de sédimentation. Il serait intéressant de savoir pourquoi tous ces gens n'ont pas renouvelé leur demande, mais une telle étude est difficile à faire : on ne sait pas où ils sont partis. Peut-être que certains avaient déposé une demande un peu opportuniste et que leur vie a changé, peut-être ont-ils juste « loupé » la procédure de renouvellement ? À Paris, avec toutes ses spécificités, l'étude effectuée tous les ans par l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur) sur la demande et les attributions de logements sociaux montre que le taux d'abandon est le même qu'ailleurs.

Qu'en est-il du rapport entre la demande et le besoin de construction, le premier concept étant beaucoup plus vaste que le second ? La demande est constituée par tous les gens qui, à un moment donné, se positionnent dans le système pour acheter un logement ou en louer un, que ce soit dans le parc privé ou dans le parc social. On peut l'estimer à 2,5 millions, soit le nombre de ménages qui s'installent dans un nouveau logement chaque année – un chiffre bien supérieur aux 350 000 à 380 000 logements neufs construits tous les ans au cours des vingt-cinq dernières années.

Ce que l'on cherche à mesurer, c'est la demande potentielle de logements neufs, longtemps appelée « besoin de constructions neuves » : il s'agit de l'accroissement de la demande dans l'année ; autrement dit, les nouveaux ménages qui entrent dans le système. Cette croissance est liée à des facteurs purement démographiques, mais aussi à des évolutions sociologiques, comme la décohabitation, qui font que le nombre de ménages augmente plus vite que la population elle-même et que le nombre moyen de personnes par ménage diminue.

Cette demande potentielle n'avait pas été mesurée depuis 2012, ce qui était un peu préoccupant. Il y a quelques semaines, le ministère en charge du logement a publié une étude montrant que l'accroissement serait de l'ordre de 215 000 à 220 000 ménages par an d'ici à 2030, avant une baisse très forte. Ces projections sont en phase avec les projections démographiques de l'Insee : la croissance de la population devrait ralentir à partir de 2030 et surtout 2040, et se stabiliser, voire régresser, à l'échéance de 2070 – selon des hypothèses migratoires qui mériteraient d'être revues. Selon un scénario central, le nombre de ménages augmenterait de 85 000 par an entre 2040 et 2050, ce qui marquerait un ralentissement très fort.

Pour connaître le besoin de constructions neuves, il faut additionner le nombre de ménages supplémentaires et les pertes de logements dues au renouvellement du parc. Selon l'hypothèse qui circule depuis vingt-cinq ans, cinquante mille logements disparaissent chaque année – c'est un solde, qui prend en compte à la fois les pertes dues aux démolitions et aux changements d'usage et les gains liés aux subdivisions pavillonnaires ou aux transformations de bureaux en logements, par exemple. Le service des données et études statistiques conduit actuellement une étude sur ce total des logements qui disparaissent chaque année, dont le nombre serait largement surestimé. Enfin, il faut aussi tenir compte des résidences secondaires : si 10 % des ménages en possèdent une et que l'accroissement est de 250 000 ménages par an, il faut 25 000 logements supplémentaires pour intégrer cette demande considérée comme inévitable.

C'est ainsi que l'on arrive au chiffre de 350 000 logements à construire tous les ans au niveau national. Dans cette logique de calcul, il manque une déclinaison territoriale et aussi la prise en compte d'autres raisons de construire, c'est-à-dire des estimations locales du nombre de logements à construire pour couvrir les besoins. Un élu local peut être tenté de faire des projections démographiques optimistes, même si la population stagne ou baisse, ce qui conduira à des objectifs de production supérieurs à la simple déclinaison du chiffre national à l'échelle territoriale. Il y a aussi des enjeux de politique urbaine : une ville, y compris si sa population stagne, peut se donner l'objectif de refaire le quartier de la gare ou de privilégier la construction interne au détriment du périurbain. Il est donc normal que la somme des besoins locaux ne soit pas égale aux besoins nationaux – c'est même l'inverse qui ne serait pas normal.

Pendant longtemps, le besoin annuel a été estimé à cinq cent mille logements. Ce chiffre, qui n'est plus guère repris dans les discours politiques ni même par la Fondation Abbé Pierre, reposait sur l'idée qu'il fallait combler un déficit accumulé. Membre du comité de pilotage du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre pendant plus de quinze ans et resté proche de l'organisation, il me semble que j'ai contribué à la faire évoluer sur ce point : certes, il faut continuer à dire qu'il faut construire beaucoup de logements, mais en insistant plutôt sur leurs caractéristiques que sur leur nombre. Cela renvoie à la question des prix et à la notion de « logement abordable » dans tous les segments – y compris le logement intermédiaire, même s'il n'est pas équivalent à un logement social.

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Vous avez posé le diagnostic. Notre rôle est désormais de rédiger l'ordonnance, afin d'atteindre non pas un simple chiffre de constructions mais une production adaptée aux besoins identifiés ainsi qu'aux spécificités des territoires. Il est parfois nécessaire de soumettre le malade à un électrochoc pour le réanimer. Selon vous, quelles sont les mesures à prendre d'urgence ? Vous avez indiqué que 40 % des ménages étaient propriétaires non-accédants, c'est-à-dire n'ayant plus de prêt immobilier à rembourser. Que faudrait-il faire pour les impliquer dans la résolution de la crise, pour les inciter à mettre des logements intermédiaires sur le marché par exemple ? Qu'en est-il de la hausse des taux des emprunts ? Que feriez-vous si l'on vous confiait une mission pour dégripper la machine ?

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Jean-Claude Driant, professeur émérite à l'École d'urbanisme de Paris

Je suis un universitaire : j'analyse, mais je formule peu de recommandations…

Il n'y a pas de solution miracle. En particulier, l'idée d'un « choc de l'offre » me semble relever de la pensée magique. Construire beaucoup plus, pourquoi pas ? Mais cela ne fera pas baisser les prix, les exemples de Lyon, de Nantes ou de Bordeaux le montrent bien : on y a beaucoup construit, mais les prix ont augmenté. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas construire ; mais il faut se demander de quels types de logement nous avons besoin.

Il est également illusoire d'espérer des effets massifs et rapides sur notre système : les inerties sont fortes – je l'évoquais à propos du marché foncier.

Il y a bien des décisions politiques qui pourraient être prises, mais elles ne seraient sans doute pas simples.

Ainsi, la capacité d'investissement et de production du monde du logement social est extrêmement fragilisée par des phénomènes liés à notre situation macroéconomique – hausse du taux du livret A et des taux d'intérêt, problèmes de la Vefa-HLM –, mais aussi par les coupes imposées aux organismes de logement social – réduction de loyer de solidarité (RLS), hausse de la TVA. La Caisse des dépôts a bien montré, dans son étude annuelle sur la capacité d'investissement du monde du logement social, que lier les enjeux de la rénovation et ceux de la production n'était pas tenable. J'ai demandé aux auteurs de l'étude ce qu'il en serait si on « rendait » la RLS aux bailleurs sociaux : cela fonctionnerait ! L'effet ne serait pas immédiat, puisqu'il faut au moins quatre ans entre la décision de construire un logement social et le moment où les clés sont remises à un locataire ; mais il serait possible de relancer la machine du logement social, qui dispose d'équipes professionnelles et de l'ingénierie nécessaire pour agir. Bien sûr, il faut aussi que les maires délivrent des permis de construire, ce qui n'est pas toujours facile – il y a des résistances. Mais redonner les moyens serait un pas dans la bonne direction.

J'évoquais le secteur locatif privé : c'est une banalité aujourd'hui, mais l'idée de donner un statut économique et fiscal au bailleur privé personne physique me paraît également pertinente.

On ne peut pas compter sur les institutionnels pour redynamiser le marché : ils y étaient un peu revenus avant la crise actuelle, mais les statistiques pour 2022 et 2023 montrent qu'ils sont déjà en train de se retirer. C'est peut-être purement conjoncturel – la situation de l'immobilier de bureaux n'est pas excellente, c'est le moins que l'on puisse dire –, mais il n'y a pas grand-chose aujourd'hui qui leur donne envie d'investir dans l'immobilier.

Le marché locatif est et restera donc, très majoritairement, un marché de particuliers. Dès lors, on pourrait imaginer de leur donner un statut fiscal.

Il faudrait qu'il concerne l'ancien aussi bien que le neuf : les systèmes d'aides mis en place depuis une vingtaine d'années ont toujours été centrés sur le neuf, comme le Pinel ou, à quelques exceptions près, le prêt à taux zéro. Or si l'on veut provoquer une reprise de l'offre, il ne faut pas en rester là : sinon, l'impact ne sera visible que dans vingt ans.

À ce statut s'attacheraient naturellement des contreparties. Celles-ci pourraient porter sur le montant du loyer ou le niveau des ressources, à l'instar de ce qui existe pour le LLI et le Pinel ; elles pourraient aussi concerner la qualité du logement, avec un critère de performance énergétique, par exemple.

Il faudrait naturellement mesurer le coût d'une telle mesure, mais il me semble qu'elle pourrait être efficace.

Il y a une autre idée qui se trouvait déjà dans les cartons du ministre précédent. Ayant animé un groupe de travail du Conseil national de l'habitat sur la décentralisation de la politique du logement, qui a tenu sa dernière réunion hier, nous avons constaté qu'il existe de vraies velléités locales de prise en charge de la politique de l'habitat, de façon bien plus forte que cela n'existe aujourd'hui.

Une telle mesure devrait-elle être automatique ? Toutes les métropoles, toutes les communautés urbaines, toutes les communautés d'agglomération, voire certaines communautés de communes pourraient-elles être concernées ? Il y a un débat. C'est une perspective qui m'inquiéterait plutôt. Je citais Nevers : voilà une communauté d'agglomération qui ne remplit aucun des critères pour devenir autorité organisatrice de l'habitat (AOH). Elle n'est pas délégataire des aides à la pierre, par exemple. Elle n'en a pas les moyens : l'ingénierie en la matière, c'est une seule personne… Le volontariat et la fixation d'un certain nombre de critères en matière d'ingénierie me sembleraient donc bien préférables à une généralisation automatique.

Le potentiel de l'action locale, si elle était un peu plus libre qu'elle ne l'est aujourd'hui, me semble intéressant. Je pense par exemple au cadre normatif : une AOH ne devrait pas avoir besoin de l'autorisation de l'État pour imposer un encadrement des loyers. On peut penser à Grenoble, qui a été « recalée » : c'est vrai que les loyers n'y sont pas très élevés, mais une collectivité doit pouvoir prendre ses responsabilités ! Il en va de même pour la réglementation de la location touristique de courte durée, pour la taxe sur les logements vacants, pour les permis de louer… Il doit être possible d'agir au niveau local sans demander l'autorisation du préfet. C'est là que le statut d'AOH aurait un sens.

Les associations d'élus demandent aussi que les collectivités qui le souhaitent – et qu'elles estiment nombreuses – puissent prendre la main sur MaPrimeRénov'. Cela doit être mis en balance avec l'enjeu national de rénovation énergétique. Certes, MaPrimeRénov' ne fonctionne pas aussi bien qu'on le voudrait, mais on voit quand même une montée en puissance. Comment imaginer une articulation entre des AOH responsables de ce dispositif et l'agence nationale qu'est l'Anah ? Je suis perplexe, je l'avoue. Mais la force de cette demande m'a surpris.

On peut ensuite penser à une série de petites mesures. Parmi celles-ci, je compte le LLI : je continue de penser que ce produit a sa place sur le marché.

On peut aussi penser au bail réel solidaire (BRS), ce qui pose la question du foncier. Je n'ai pas les connaissances techniques pour dégager des mesures précises, notamment fiscales. Mais j'ai compris des travaux du CNR Logement – le volet « Logement » du Conseil national de la refondation a eu au moins la vertu de réunir l'ensemble des acteurs – qu'un consensus se dégageait en faveur d'une plus forte régulation du foncier, avec un encadrement, davantage de droits de préemption ou encore un plafonnement des prix. Ce consensus n'aurait pas existé il y a quinze ans : c'est peut-être le moment d'agir ! Je sais que le ministre Patrice Vergriete y pensait.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous parlez de relance du logement social. Si l'on regarde ce qu'a produit le logement social, on voit qu'il abrite peu de jeunes et beaucoup de personnes âgées. On constate aussi que plus on construit, plus on a de demandes : grâce à la loi SRU, le nombre de logements sociaux a augmenté de 30 %, mais le nombre de demandeurs a doublé. En outre, les prix sont complètement décorrélés du marché privé ; des gens restent dans de grands logements, parce qu'il serait plus coûteux pour eux d'en prendre un plus petit. Faut-il vraiment remettre de l'argent dans un système qui a produit de tels résultats ?

CDC Habitat, bras armé de l'État pour produire du logement social, préfère aujourd'hui se tourner vers le logement locatif intermédiaire – ou, en tout cas, le développer en parallèle. Le LLI lui sert finalement à contourner le carcan du logement social.

Je vois aussi que l'on produit du logement social là où c'est possible, et pas forcément là où on en a besoin – toujours la question du foncier.

Ne faut-il donc pas plutôt repenser tout ce système ? Quel logement social produire ?

Et quid de l'accession à la propriété ? Le logement social a-t-il vocation à loger les deux tiers de la population française ? On en est très loin, au demeurant, puisque le parc existant ne suffit même pas à loger les plus modestes.

Permalien
Jean-Claude Driant, professeur émérite à l'École d'urbanisme de Paris

Mon propos sur la crise du logement était très centré sur l'accession à la propriété. Une partie croissante des ménages à revenus moyens, voire inférieurs à la moyenne, pouvaient accéder à la propriété à la fin des années 1990 – période assez florissante de détente du marché – et donc libérer des logements sociaux, rendant ainsi le système plus fluide. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Vous avez raison de souligner qu'il faut trouver les moyens d'une accession à la propriété abordable. Mais l'accession très sociale à la propriété, dont il a pu être question, est une zone de fort risque, notamment en raison des risques d'endettement. Les ensembles immobiliers dans lesquels les problèmes sont les plus graves ne sont pas des ensembles de logements sociaux, mais des copropriétés ! Amener à la propriété des ménages qui n'en ont pas les moyens, c'est prendre un grand risque – on l'a vu à l'étranger. C'est une des grandes vertus du système français que d'être, jusqu'à aujourd'hui et pour l'essentiel, resté prudent.

Un des moyens de rendre un peu de fluidité au logement social est effectivement de développer des formes d'accession sociale à la propriété. Le BRS est une des formules possibles.

Cela ne fait pas disparaître le besoin de construire des logements sociaux. C'est d'ailleurs une autre vertu du système français : ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier et continuer à développer les trois grands secteurs du logement (accession à la propriété, logement social et logement locatif privé) grâce aux systèmes de défiscalisation que j'évoquais.

La demande de logement social reste forte. Ce n'est pas parce qu'on en a construit qu'il y a davantage de demandes, mais parce qu'il y a plus de ménages qui ont du mal à se loger sur le marché privé.

Vous évoquez la question de la sous-occupation. Le problème est réel – avec d'immenses disparités territoriales. À Nevers, ce n'est pas un problème : au contraire, on est plutôt content d'avoir des locataires ! Mais là où le marché est très tendu, il faut effectivement s'en préoccuper. C'est de la technique : il faut faire en sorte qu'un locataire ne paye pas plus cher un T3 qu'un T4 – c'est la moindre des choses. Il ne faut pas non plus penser qu'une veuve seule dans un T4 va déménager dans un studio : elle a des meubles, elle veut recevoir ses petits-enfants et c'est légitime.

Il faut donc développer des mesures techniques, et mener un travail de conviction. Certains organismes de logement social le font, mais les résultats demeurent modestes.

Faut-il réfléchir au droit au maintien dans les lieux ? Est-ce justifié partout, pour tous les ménages ? Je n'ai pas la réponse, c'est un problème qu'il faut mettre sur la table. Mais je suis inquiet : comment dire à un ménage qu'il doit partir parce qu'il a dépassé un plafond de ressources, alors que cela signifie pour lui une explosion des temps de trajet, par exemple ? Ce n'est pas simple.

Le problème, encore une fois, est que même si l'on construit, l'offre recule. Pour seulement rester au niveau d'offre d'il y a vingt ans – sans parler d'un niveau optimal, que l'Île-de-France n'a jamais connu – il faut construire davantage et des logements de qualité.

Je disais que 65 % des ménages sont éligibles au logement social : c'est vrai si l'on s'en tient au critère des revenus, mais c'est en réalité la moitié, car la moitié de ces ménages sont propriétaires et ne sont donc pas éligibles. Le chiffre réel est d'un peu plus de 30 %, davantage dans la métropole parisienne où les locataires sont plus nombreux.

La majorité de la demande est composée de personnes seules – jeunes, séparées ou divorcées, âgées… Or l'offre de logement de deux pièces est insuffisante. Les studios ne conviennent pas vraiment, car une personne seule ne le reste souvent pas. Mais le logement social est aujourd'hui majoritairement composé de logements de trois ou quatre pièces. Il faut donc compléter la production avec les logements petits qui manquent aujourd'hui.

Les raisons de produire sont donc nombreuses, d'autant qu'il faut oublier l'image des HLM des années 1960 et 1970, celle des tours et des barres – même si elles rendent encore bien des services. Les logements sociaux construits aujourd'hui sont beaux, de qualité. Leur gestion est professionnelle et, là aussi, globalement plutôt de qualité.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 31 janvier 2024 à 16 h 30

Présents. – M. Mickaël Cosson, M. Dominique Da Silva, M. Stéphane Peu.