La réponse à votre question n'est pas simple – sinon, cela se saurait !
Commençons par la demande de logement social, qui est en constante augmentation : environ 2,4 millions de personnes – pas de « ménages », car le nombre inclut, par exemple, de jeunes cohabitants – sont inscrites dans le système national d'enregistrement de la demande. Ces demandeurs ont globalement des revenus très inférieurs aux plafonds de ressources réglementaires des trois niveaux du logement social : prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), prêt locatif à usage social (Plus) et prêt locatif social (PLS). Dans leur majorité, ils ont des revenus proches du plafond fixé pour les PLAI, voire inférieurs.
Cela indique que les plafonds de ressources actuels sont devenus assez largement fictifs. La demande et les attributions réelles de logements sociaux se font aujourd'hui à des niveaux nettement inférieurs aux plafonds, pour diverses raisons : à la fois parce que la demande est ainsi faite et pour répondre à des politiques publiques parfaitement légitimes, qui donnent la priorité aux personnes les plus en difficulté, en application du droit au logement opposable ou comme issue à l'hébergement d'urgence, par exemple. Les plafonds actuels couvrent pourtant très largement les classes dites « moyennes » dans le langage courant : 65 % des ménages sont éligibles au Plus, et environ 75 % le sont au PLS. Bref, d'un point de vue théorique et juridique, seules les classes supérieures ne sont pas éligibles au logement social. Il faut donc s'interroger sur l'utilité d'un autre produit pour le logement des classes moyennes.
Le statut actuel du LLI a été créé par une ordonnance de 2014, à la demande d'opérateurs tels que CDC Habitat ou Action logement et sa filiale In'li. Ce n'est pas qu'il manquait un « produit » : en théorie, la population concernée était déjà couverte par les dispositifs existants. Mais le fait est que nombre de gens qui auraient besoin d'un logement locatif à un loyer un peu inférieur au niveau du marché n'accèdent pas au logement social, en raison de son image, de son statut ou de ses procédures d'attribution. Il faut notamment être inscrit dans un fichier de demande de « HLM » – j'emploie ce terme à dessein, pour souligner la perception péjorative souvent associée à ce type de logements. Ces personnes potentiellement éligibles n'obtiendront jamais de logement social compte tenu de la lourdeur du système, par ailleurs justifiée par la nécessité de cotation de la demande et de transparence de l'attribution. Le système privilégie mécaniquement les ménages aux revenus les plus faibles, et ce, je le répète, pour de bonnes raisons.
Les bailleurs sociaux, tels que CDC Habitat ou Action logement, ont constaté qu'ils avaient du mal à louer les PLS, notamment à Paris. Pourtant, ces derniers sont proposés à 13 € le mètre carré, soit moitié moins cher que le loyer du marché ! Mais même à ce tarif attractif, ils ne trouvent pas preneurs, au point que Paris Habitat, ainsi que la presse l'a relaté, en a été réduit à passer des annonces sur Leboncoin… à Paris ! Les taux de refus sont de l'ordre de 60 % pour des PLS pourtant proposés à des ménages qui correspondent à la cible. Le problème n'est donc pas à chercher dans le niveau de loyer et le plafond de ressources : c'est la commercialisation qui n'est pas bonne.
C'est ainsi qu'est née l'idée de développer un autre produit, le LLI, non comptabilisé dans les obligations de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), donc décliné de façon beaucoup plus libre dans les territoires et commercialisé comme un logement privé – il est soumis aux mêmes plafonds de ressources que le Pinel. Le LLI offre l'avantage d'être géré par des professionnels, alors que le Pinel l'est par des particuliers dont on ne sait pas, faute de contrôle, s'ils appliquent vraiment les plafonds dans la durée.
Il y a deux ans, j'ai travaillé avec la direction de la clientèle de CDC Habitat, qui s'interrogeait sur le public du LLI. Il apparaît que ce public se distingue clairement des demandeurs de logements sociaux. Il s'agit essentiellement de jeunes couples, n'ayant pas encore d'enfants, à la recherche d'un appartement de deux ou trois pièces maximum, où ils resteront quatre ou cinq ans. Il y a vraiment un public, même s'il n'est pas massif et que son importance n'a pas été mesurée. Ces jeunes, en début de vie professionnelle et familiale, sont probablement appelés à sortir assez rapidement du plafond de ressources.
La demande de logement locatif social est-elle surestimée, comme l'indique le DHUP ? Je ne sais pas, mais deux facteurs incitent à analyser les chiffres avec une certaine prudence. Tout d'abord, les demandes ont très fortement augmenté dès lors qu'il a été possible de remplir son dossier sur internet. Il est devenu très facile de déposer une demande de logement social, sans se déplacer dans les services idoines…