Intervention de Gérard Leseul

Séance en hémicycle du lundi 8 avril 2024 à 16h00
Adaptation du droit de la responsabilité civile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Leseul :

Les troubles de voisinage sont parfois nombreux. La cohabitation entre voisins, que ce soit en ville ou à la campagne, nécessite des accommodements et la conciliation de modes de vie différents et d'activités humaines variées – économiques, commerciales, agricoles, mais aussi jouissance de son domicile. Bien souvent, il faut le noter, le bon sens et le dialogue permettent de régler les différends et de restaurer les conditions du vivre-ensemble, ce qui est heureux. Toutefois, il est parfois nécessaire de recourir à une médiation ou à la justice. Ce texte a pour ambition de contribuer à apaiser les cohabitations difficiles. Si cette intention est louable et mérite d'être soutenue, nous nous interrogeons toujours sur l'utilité et l'efficacité de la proposition de loi au terme du processus législatif.

Depuis de nombreuses années, la Cour de cassation défend le principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Il s'agit d'un régime de responsabilité objective, c'est-à-dire qu'il ne dépend pas de la manifestation d'un comportement fautif, mais appelle la démonstration d'un trouble excédant la gêne potentiellement acceptable dans le cadre des relations de voisinage, gêne évaluée par le juge en tenant compte des circonstances spécifiques dans lesquelles se trouve le plaignant.

Ainsi, l'absence de faute ne constitue pas un moyen d'échapper à une condamnation et, inversement, la simple existence d'une faute ne suffit pas à caractériser un trouble anormal du voisinage. La jurisprudence a élargi la notion de voisinage au-delà des immeubles contigus englobant une aire de proximité dans laquelle vivent plusieurs personnes, en ville comme à la campagne.

Enfin, pour qu'un trouble soit reconnu, il doit excéder les inconvénients normaux du voisinage et présenter un caractère continu et permanent.

Cette proposition de loi a pour objet de consacrer tous ces éléments jurisprudentiels en introduisant un nouvel article dans le code civil, qui comprendrait à la fois le principe de responsabilité civile fondé sur les troubles anormaux de voisinage et son exception liée à l'antériorité du trouble constaté, décrite à l'article L 113-8 du code de la construction et de l'habitation.

Si nous saluons l'ouverture d'une discussion sur les conflits de voisinage et les troubles du quotidien, nous regrettons qu'elle ne s'accompagne pas d'un débat plus large sur les solutions de médiation à instaurer afin de régler les différends ou les nuisances, ou sur les moyens possibles de limiter les nuisances liées à des activités spécifiques. De toute évidence, cette proposition de loi est un peu bavarde et ne fait rien de plus qu'introduire dans nos textes des principes déjà établis et appliqués.

Cependant, le code civil comme les autres codes n'ont pas besoin d'être exhaustifs. S'agissant de troubles complexes à évaluer, l'appréciation du juge est nécessaire. Il est tout à fait louable de vouloir rendre le droit plus lisible, mais il peut être dommageable de l'enfermer dans des dispositions strictes.

Au cours de la navette parlementaire, le texte a évolué dans le bon sens. La proposition de loi initiale se contentait de codifier la jurisprudence relative aux troubles anormaux de voisinage sans intégrer un régime adapté pour les activités agricoles. À l'issue de nos discussions, le texte prévoit la création d'une exception relative aux activités agricoles qui ne peuvent faire l'objet d'un trouble anormal de voisinage lorsqu'elles existaient « antérieurement à l'acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien, ou, à défaut d'acte, à la date d'entrée en possession du bien de la personne lésée ».

Cette précision était nécessaire pour apaiser les relations entre les exploitants agricoles et certains néoruraux. Si notre campagne est belle et apaisante, elle est parfois perçue, à tort, par certains urbains qui souhaitent quitter le tumulte des villes, comme un espace vide de toute nuisance. Nous devons prendre conscience collectivement qu'il existe des nuisances à la campagne comme en ville. Le coq chante à l'aurore, la vache beugle, le canard cancane et le tracteur sillonne les chemins et les champs. Ce rappel peut faire sourire les élus des territoires ruraux, mais nous rencontrons tous des maires qui sont placés en position de médiateurs et obligés d'arbitrer des litiges liés au chant du coq, au bruit des tracteurs ou simplement à leur circulation sur les routes.

Je salue l'ensemble des élus des communes rurales pour leur travail quotidien en faveur du vivre-ensemble. Nous aurions pu parler de cela aussi, ainsi que des moyens que nous pourrions leur donner pour les accompagner dans cette mission. Bien qu'il ne change pas grand-chose, le groupe Socialistes et apparentés votera en faveur de ce texte.

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