La moitié de la vie d'une femme ou d'un homme – quarante-trois ans – nous sépare d'un temps où les amours et le désir homosexuels étaient regardés comme dangereux pour l'ordre social et envisagés de façon discriminatoire par le droit de notre pays.
Il s'agissait en réalité d'une triple discrimination : discrimination par l'établissement, en 1942, d'une majorité sexuelle différente de celle retenue pour les amours et le désir hétérosexuels, renvoyant implicitement à cet atroce poncif homophobe qui associe homosexualité et pédophilie ; distinction par l'établissement, en 1960, d'une circonstance aggravante en cas de relation homosexuelle pour les outrages publics à la pudeur ; discrimination par l'assimilation officielle de l'homosexualité à un fléau social – qu'on devait alors traiter – comparable à l'alcoolisme, à la tuberculose ou à la prostitution.
Ce temps-là a donc pris fin il y a quarante-deux ans à peine, grâce à l'obstination de pionniers comme le sénateur radical Henri Caillavet dès 1978, puis les socialistes Gisèle Halimi, Raymond Forni et Robert Badinter, infatigables combattants de l'égalité des droits en 1981-1982.
Le combat n'est hélas pas achevé, et nous sommes nombreux à pouvoir témoigner, y compris dans cet hémicycle, qu'être homosexuel en France, c'est encore courir le risque accru du harcèlement à l'école, au collège, au lycée, c'est encore courir le risque du harcèlement au travail, dans la vie publique ou familiale.
La proposition de loi que nous examinons propose de reconnaître la responsabilité de la nation dans la discrimination à base légale qu'eurent à subir les homosexuels en France de 1942 à 1982, et à réparer l'épreuve traversée par ceux qui furent arrêtés, emprisonnés et condamnés pour cela.
Le groupe Renaissance salue l'engagement du sénateur socialiste Hussein Bourgi, à l'initiative du texte. Les débats au Sénat puis en commission des lois à l'Assemblée nationale ont d'ores et déjà permis d'ouvrir un chemin vers une heureuse issue pour la navette parlementaire. En tout cas, je veux le croire.
Le Sénat comme l'Assemblée nationale sont ainsi parvenus à un accord sur l'inopportunité de définir un nouveau délit de négationnisme ou de minoration de la déportation des homosexuels pendant la seconde guerre mondiale – la contestation de crimes contre l'humanité étant déjà embrassée par l'article 24 bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
En revanche, la commission des lois a adopté l'amendement de réécriture proposé par mes soins pour considérer l'année 1942 comme le point de départ de la période couverte par la reconnaissance de la responsabilité de la nation dans les discriminations à base légale subies par les homosexuels. La responsabilité de la nation, c'est-à-dire la responsabilité d'un ordre juridique correspondant à un ordre social, remonte bien à l'adoption de la loi du 6 août 1942, qui fut malheureusement confirmée, à la Libération, par l'ordonnance du 8 février 1945.
Les commissaires aux lois, attachés au principe d'une réparation financière, ont en outre rétabli les articles 3 et 4 supprimés par le Sénat. Le groupe Renaissance a initié ou soutenu ces évolutions bienvenues, comme le rapporteur Hervé Saulignac, dont je tiens à saluer le travail.