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Intervention de Benjamin Lucas-Lundy

Séance en hémicycle du mardi 13 février 2024 à 15h00
Lutte contre les dérives sectaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBenjamin Lucas-Lundy :

Il m'est impossible de monter à cette tribune sans saluer la mémoire de Robert Badinter qui fit régner le verbe fort et beau des convictions humanistes. Avec sa disparition, nous perdons un héros de la République et un géant de la justice.

Nous discutons aujourd'hui d'un texte relatif à la lutte contre les dérives sectaires. Il s'agit là, je crois, d'un objectif que nous partageons toutes et tous ici, quelles que soient nos convictions politiques. L'outil le plus précieux dont nous disposons pour faire face à ce phénomène est la Miviludes. Je tiens aujourd'hui à saluer son action essentielle, celle de l'ensemble des personnes qui y travaillent et qui œuvrent quotidiennement au service des Françaises et des Français, malgré une réduction de ses effectifs.

Instituée auprès du Premier ministre en 2002, elle passe dans le giron du seul ministère de l'intérieur le 15 juillet 2020, par un rattachement au secrétaire général du comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR). La Miviludes a été considérablement affaiblie par la majorité présidentielle au moment même où, avec la crise du covid, elle voit exploser le nombre de signalements, soit une hausse de 33 % entre 2020 et 2021 et une augmentation de 86 % depuis 2015.

Outre la croissance des signalements, la Miviludes enregistre des demandes aux formes nouvelles, liées notamment à l'usage du numérique et des réseaux sociaux. Je veux saluer ici le travail de mon collègue Arthur Delaporte pour lutter contre les dérives des influenceurs. Compte tenu de la croissance rapide et continue des signalements et des nouvelles formes de dérives observables depuis quelques années, il est utile de légiférer en la matière : c'est une question de santé publique et de sécurité de nos concitoyens.

Toutefois, quand on examine ce texte, force est de constater que le compte n'y est pas. Le rattachement de la Miviludes à la seule place Beauvau est délétère. Le projet de loi se limite à une augmentation des sanctions pénales qui, à elles seules, ne parviendront jamais à endiguer le phénomène. Nous l'affirmons pour tous les sujets et cela vaut aussi pour celui-ci : aucun problème ne peut se réduire à sa seule facette pénale. C'est aborder la question par le petit bout de lorgnette. Avec vous, nous en avons malheureusement pris l'habitude.

Je pense que le Gouvernement n'a pas bien lu le rapport d'activité de la Miviludes de 2021. Alors permettez-moi, chers collègues, d'en citer simplement le titre de la troisième partie : « Prévenir et combattre le phénomène sectaire : la coordination de l'action préventive et répressive des pouvoirs publics ». Dans une période de réarmement tous azimuts, le Gouvernement ne retient que le volet « combattre ». Exit la prévention, dont la nécessité est pourtant rappelée régulièrement depuis la loi About-Picard de 2001.

S'il faut effectivement combattre les dérives sectaires, il faut aussi les prévenir. Or vous avez scindé en deux ces principes qui doivent aller de pair. Il faut une vision globale du phénomène, associer divers partenaires, notamment les acteurs de la santé, puisque la Miviludes alerte de plus en plus sur les dérives relatives aux questions de santé et de bien-être. Mais non : rien ou presque rien ! Pourquoi, dans le cadre des lectures de ce texte au Parlement, une place plus importante n'est-elle pas accordée au ministère de la santé ?

Que dit l'augmentation des signalements des dérives sectaires liées à la santé et au bien-être ? Que les Françaises et les Français sont préoccupés par la protection de leur santé et qu'il existe des manques en la matière. Cela traduit également, après une période de pandémie mondiale, une perte de confiance de nos concitoyens dans la parole scientifique et la médecine. La seule réponse pénale aux abus ne parviendra pas à répondre au problème de fond : c'est traiter uniquement les conséquences d'un phénomène, plutôt que de traiter la cause à la racine.

Prévenir, c'est aussi accorder une part importante à la santé dans le parcours de vie des Françaises et des Français. Il faut accompagner nos concitoyens pour leur éviter de tomber sous l'emprise d'individus non professionnels, qui abusent d'une perte de confiance dans la médecine conventionnelle et d'une offre de soins insuffisante. Prévenir, c'est aussi mettre l'école au cœur de la réflexion sur les dérives sectaires. Pourtant, le Gouvernement n'a engagé aucune réflexion sur la prise en charge des enfants et la prévention des dérives sectaires au sein des établissements scolaires.

Nous regrettons aussi, à la lecture de ce texte, l'absence de dispositions relatives à la formation des professionnels amenés à prendre en charge les victimes de dérives sectaires, je pense notamment aux magistrates et aux magistrats.

Malgré tout, ce texte n'est pas inutile. Il réaffirme l'urgence qu'il y a à légiférer en matière de dérives sectaires pour la protection de nos concitoyens. Il va dans le sens d'une prise en compte des nouvelles évolutions des phénomènes sectaires, avec notamment ce qu'on nomme parfois les gourous 2.0. Enfin, il intègre une réflexion sur la définition de la dérive sectaire avec une précision qui empêche toute confusion avec l'abus de faiblesse.

Ce texte n'est pas complètement satisfaisant, pour de nombreuses raisons. Si le groupe Écologiste souhaite le voter, il faudrait néanmoins que le secret médical soit protégé, que l'article 4 ne soit pas amoindri, par exemple par l'amendement n° 152 de la rapporteure, et enfin, il faudrait ne pas empêcher l'action salutaire des lanceurs d'alerte – ainsi, je vous invite à voter l'amendement n° 41 de M. Delaporte.

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