Enfin, cette proposition de loi a trouvé son chemin pour parvenir à forcer la porte de l'ordre du jour de notre Assemblée ! Ainsi, nous allons faire œuvre utile dans ce qui doit toujours guider nos travaux : mieux répondre à l'exigence de transparence de notre vie publique, donc être garants de l'intérêt général.
En effet, les vicissitudes – c'est un euphémisme – de quelques-uns risquent toujours de jeter l'opprobre sur tout le monde. La pente dangereuse empruntée depuis des années, celle consistant, non pas à faire appel aux cabinets de conseil, mais à multiplier les recours et à mélanger les genres, doit être stoppée et inversée, pour deux raisons essentielles. D'une part, pour que la démocratie fonctionne, il faut s'abstenir de livrer du carburant à ses ennemis en circonscrivant et en interdisant les conflits d'intérêts. D'autre part, notre État a des compétences remarquables, qui ne demandent qu'à être valorisées dans une vision de service public qui ne singe pas systématiquement les méthodes du privé, avec l'intervention des cabinets de conseil comme cheval de Troie.
Disant cela, je tiens juste à souligner que les objectifs ne sont pas les mêmes, entre le privé et le public. Les indicateurs ne sauraient être identiques. En clair, pour reprendre un concept qui parlera à nos collègues de la majorité présidentielle, l'État a participé à son propre désarmement. Il était donc plus que temps que nous prenions en main cette proposition de loi adoptée par le Sénat, à une très large majorité – et aucun vote contre –, en octobre 2022, et qui était sur le Bureau de notre Assemblée depuis près de quatorze mois. Elle résulte non pas d'une lubie de nos collègues sénateurs, mais de l'aboutissement des travaux d'une commission d'enquête sénatoriale remarquable, conduite par la rapporteure Éliane Assassi et le président Arnaud Bazin, sur l'influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques – une question qui avait fait grand bruit au printemps 2022.
Ce sujet a d'ailleurs donné lieu à une profusion de travaux – Bruno Millienne en dressera la liste –, démontrant, si besoin était, qu'il n'est plus possible que l'État s'affranchisse de règles de transparence, de déontologie et de maîtrise publique, dans le cadre de son recours aux prestations intellectuelles.
Au-delà même du montant d'1 milliard d'euros de dépenses de conseil couvertes par l'article 1er, le Sénat a surtout documenté la dynamique inquiétante de ce recours et a réalisé un constat très tranché, en identifiant quatre difficultés principales : l'opacité, le foisonnement incontrôlé, la dépossession de l'État et les risques déontologiques non maîtrisés. Ce sont ces difficultés que la proposition de loi transpartisane du Sénat – encore une fois, adoptée sans aucun vote contre – permet de dépasser.
Bien sûr, le vent du boulet n'étant pas passé trop loin, des mesures correctrices et régulatrices ont été instaurées par les précédents Gouvernements : mise en place d'un jaune budgétaire, règles plus restrictives pour les accords-cadres de marchés publics de conseil de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), extension des codes de conduite dans les administrations centrales.
Si tout cela a eu des effets, la question majeure de l'influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques n'en demeure pas moins posée. Au regard des dérives qui ont existé et de celles qui se font jour dans d'autres grands pays occidentaux – mis en lumière par des ouvrages comme McKinsey pour le meilleur et pour le pire ou The Big Con, sorti fin 2023 –, le travail que nous allons conduire me semble essentiel.
Notre objectif est de nous assurer que les cabinets de conseil aident à la décision publique, sans s'y substituer. C'est pourquoi la proposition de loi n'interdit pas le recours aux cabinets de conseil, mais l'assortit de trois grands principes. Tout d'abord, en vertu du principe de transparence, la liste exhaustive des prestations de conseil listées à l'article 1er et les montants budgétaires afférents seraient publiés chaque année. Le respect de règles déontologiques serait également renforcé, avec l'interdiction du pro bono et le suivi des données collectées. Enfin, les conflits d'intérêts seraient mieux prévenus et sanctionnés.
Toutes les auditions que nous avons conduites ont été assorties de la volonté de rechercher le meilleur équilibre entre ces principes et la portée opérationnelle des dispositions. Je veux au passage remercier sincèrement Bruno Millienne pour sa bonne humeur et l'esprit d'ouverture qui l'a animé.
Avant de conclure, j'évoquerai deux points portant sur le champ d'application de la proposition de loi. À l'article 1er, le Sénat a déterminé les prestations concernées et précisé leur champ d'application – professions réglementées ou non, type de prestations informatiques. Le débat reste ouvert. Veillons toutefois à ne pas vider le texte de sa portée.
Bruno Millienne indiquera les raisons pour lesquelles nous avons mieux ciblé les établissements publics nationaux concernés en prévoyant un seuil.
S'agissant enfin des collectivités locales, le sujet avait déjà fait l'objet d'une mission flash, au printemps dernier. Nous avons longuement cherché comment intégrer le champ des administrations publiques locales dans la présente proposition de loi : aucune solution ne nous a semblé satisfaisante. Il faut prendre en compte les spécificités du marché local du conseil, très atomisé, et des collectivités locales, dans le respect du principe de libre administration. Les intégrer sans effectuer un travail préalable d'évaluation aurait pour conséquence de ruiner l'ensemble des dispositions de la proposition de loi. Il nous faudra revenir très vite sur ce point, en lien avec les associations d'élus. Tel a été le choix qui s'est imposé à nous et dont nous voulions vous faire part.