Nos collègues sénateurs du Maine-et-Loire et de la Corrèze ont fait adopter une proposition de loi permettant l'ouverture, dans leurs départements et dans seulement deux communes, de nouveaux casinos. Vouloir réduire des inégalités territoriales, comme l'annonce le titre du texte, en étendant le régime d'autorisation à 0,006 % des communes, si mes calculs sont bons, interroge sur les motivations réelles de ce texte.
Ces motivations seraient d'abord économiques, à en croire un exposé des motifs largement centré sur la création d'emplois. Pourtant, une étude très intéressante sur le secteur de jeux publiée en 2022 dans la Revue d'économie politique bat en brèche cet argumentaire. En effet, l'analyse macroéconomique de l'emploi tend à démontrer que la dépense de consommation dans les jeux génère significativement moins d'emplois dans l'économie que la dépense de consommation dans les autres secteurs domestiques. À niveau égal, le secteur génère deux fois moins d'emplois directs que le reste de l'économie et, même si certaines collectivités locales auraient tout intérêt à l'ouverture de casinos, chaque unité de dépenses des ménages dans les autres secteurs domestiques génère significativement plus d'emplois que la même dépense dans le secteur des jeux. C'est donc finalement l'un des secteurs les moins intéressants dans lesquels investir si l'objectif réel est la création d'emplois.
La même étude démontre que ce secteur crée plus d'emplois indirects non locaux que d'emplois directs en lien avec les territoires ainsi défendus. La motivation de ce texte est donc peut-être plutôt du côté des retombées fiscales locales que généreraient de tels projets – mais avec très peu de bénéficiaires.
Surtout, le texte fait totalement abstraction de l'impact social de tels projets. Il y a dix ans, la première évaluation de l'impact socio-économique des jeux d'argent et de hasard en France estimait le nombre de chômeurs lié aux jeux problématiques à 39 342, soit à peu près 6,5 % des joueurs problématiques, ce qui induirait un coût de 2,6 milliards pour les comptes sociaux. Dix ans après, et alors que ce nombre a sans doute explosé du fait du développement des jeux en ligne, le secteur ne compte qu'un peu plus de 46 000 emplois directs et indirects. Il est donc fort probable que ce secteur détruise plus d'emplois qu'il n'en crée.
Enfin, cette activité engendre de nombreux autres coûts pour la société. Ainsi, les dépenses sociales liées à la prise en charge du surendettement, d'éventuelles violences domestiques, une moindre productivité professionnelle et scolaire, un déséquilibre du sommeil et de l'alimentation ou d'autres souffrances psychiques peuvent prendre des proportions considérables. De même, la lutte contre les activités de blanchiment et de fraude fiscale liées à la nature du secteur présente un coût élevé.
Selon nous, cette proposition de loi ne réduira aucune inégalité territoriale et a plus de chances de détruire des emplois que d'en créer. Les territoires concernés pourraient créer plus d'emplois au moyen de n'importe quelle autre activité économique domestique. Elle ne ferait qu'accroître le nombre de nos concitoyens concernés par les addictions aux jeux, qui détruisent les familles. Le groupe Socialistes votera donc ce texte.