Dimanche prochain, deux jours après la fête nationale, le pays commémorera non seulement les rafles du Vel' d'Hiv', mais aussi la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux Justes de France.
Je salue avec solennité le courage des Justes de France, ces femmes et ces hommes ordinaires qui, avec courage et au péril de leur vie, ont sauvé celle des deux tiers des Juifs de notre pays. Ils furent l'honneur de la France. En sauvant une vie, ils sauvèrent l'humanité tout entière. Pour ma famille, ils prirent le visage d'un policier français et d'une famille catholique de la banlieue de Lyon. Ma dette à leur endroit est infinie.
Dans le cadre des cérémonies prochaines, nous pourrons annoncer à nos concitoyens que l'Assemblée nationale s'est honorée en adoptant un texte symbolique, qui porte sur une composante de l'horreur de la Shoah : les spoliations des biens juifs. En effet, madame la ministre, le projet de loi que vous défendez et qui arrive au terme de son parcours démocratique et législatif représente une nouvelle étape cruciale dans la reconnaissance des crimes antisémites perpétrés entre 1933 et 1945, et de notre responsabilité historique vis-à-vis des survivants et de leurs descendants. Ce texte est l'aboutissement d'un travail de longue haleine au service de la justice et de la mémoire, mémoire de l'aryanisation, des ventes forcées, des pillages, des confiscations et des vols.
Bien avant les camps, l'exil et la spirale de folie qui ont conduit au massacre de plus de 6 millions de Juifs, les spoliations furent le premier palier de l'horreur des persécutions nazies. Au même titre que les autres persécutions, elles portent la marque indélébile de l'infamie du régime hitlérien et de ses complices. Pour notre seul pays, les chiffres, déjà rappelés, donnent le tournis : 40 000 foyers de familles juives pillés, 100 000 œuvres et plus de 5 millions de livres spoliés – et encore, ces deux derniers chiffres, qui reposent sur les déclarations effectuées après la seconde guerre mondiale, sont probablement sous-estimés.
La restitution des biens culturels spoliés est un enjeu central de l'œuvre de justice et de reconnaissance mémorielle dans laquelle nous nous sommes engagés. Dans ce domaine, il nous reste un long chemin à parcourir. À ce jour, près de la moitié des œuvres n'ont toujours pas retrouvé leurs propriétaires légitimes. De la première restitution d'une œuvre figurant à l'inventaire Musées nationaux Récupération (MNR) en 1950, à la loi du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, qui a permis la restitution de quinze œuvres des collections publiques, l'histoire des restitutions témoigne du rapport de notre pays à cette part sombre de son histoire.
D'abord le désintérêt et le silence, puis la libération de la parole des rescapés, grâce au travail d'historiens et d'artistes. Je tiens à saluer notamment le travail remarquable de Beate et Serge Klarsfeld et de Claude Lanzmann – j'ai eu l'immense honneur de connaître ce dernier, dont le film Shoah vient d'être inscrit au registre international « Mémoire du monde » de l'Unesco. Enfin, la reconnaissance des crimes de l'État français, grâce au discours fondateur de Jacques Chirac en 1995, il y a vingt-huit ans, lors de la commémoration de la rafle du Vel' d'Hiv'. Cette reconnaissance s'est accompagnée du renforcement des moyens consacrés aux restitutions, ce dont je me réjouis.
L'adoption du projet de loi dans quelques instants nous permettra de faire plus vite et de faire mieux dans la restitution des œuvres. Ce texte, indispensable pour adapter le cadre législatif au travail d'ampleur qui reste à accomplir, accélérera le rythme des restitutions.
Je salue ceux qui ont pris part à ce travail essentiel de mémoire et de réparation : madame la ministre, madame la rapporteure, les services du ministère – notamment David Zivie, ici présent parmi les collaborateurs de la ministre –, les parlementaires de tous bords politiques – notre collègue Sophie Mette, du groupe Dem, a rappelé qu'ils ont travaillé de manière transpartisane –, enfin les administrateurs de l'Assemblée.
Ce texte est essentiel parce que chaque restitution est un nouvel acte de justice et une forme de reconnaissance des douleurs endurées ; essentiel pour reconnaître la spécificité de la spoliation des Juifs par l'Allemagne nazie et les autorités complices ; essentiel pour regarder avec exigence et lucidité notre passé ; essentiel enfin pour faciliter la restitution des biens spoliés aux familles des victimes et à leurs ayants droit.
Si je porte au plus profond de moi cette histoire personnelle, la France tout entière est dépositaire de l'histoire de la Shoah et de la mémoire de ces femmes et de ces hommes assassinés parce que nés Juifs. Alors que les voix des derniers rescapés s'éteignent, alors que les discours et les actes antisémites continuent de ronger notre société, alors que des torrents de racisme, de xénophobie et de haine se déversent sur les réseaux sociaux et dans certains médias, alors que les négationnistes continuent de nier la Shoah, que les falsificateurs de l'histoire prospèrent et qu'un candidat à l'élection présidentielle a pu tenir, l'an dernier, des propos révisionnistes, la France s'honore aujourd'hui de graver dans la pierre de son histoire nationale une partie de l'histoire de la Shoah. Car la mémoire, ce n'est pas un simple souvenir, c'est une vigilance permanente, transmise de génération en génération.
Vous l'avez compris, c'est avec fierté que le groupe Horizons et apparentés votera en faveur du projet de loi, et avec la conscience que ce texte va marquer d'une nouvelle pierre blanche le chemin de la reconnaissance et de la justice pour les victimes de la Shoah.
Je terminerai en faisant entendre la voix de Jacques Chirac : « Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays. […] Certes, il y a aussi les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. » C'est cette France-là qui s'honore aujourd'hui en soutenant le projet de loi.
Le 10/08/2023 à 13:09, Aristide a dit :
" Enfin, la reconnaissance des crimes de l'État français, grâce au discours fondateur de Jacques Chirac en 1995"
On peut reconnaître des crimes sans les légitimer...
Le 06/08/2023 à 09:20, Aristide a dit :
"Dimanche prochain, deux jours après la fête nationale, le pays commémorera non seulement les rafles du Vel' d'Hiv', mais aussi la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux Justes de France."
Et le 9 décembre, c'est la journée de la laïcité, journée noire de la honte, vu comment elle est comprise et appliquée.
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