…plus de 70 milliards de photos sont publiées annuellement ; à 13 ans, âge à partir duquel l'enfant a le droit, avec l'autorisation de ses parents, de s'inscrire sur un ou plusieurs réseaux sociaux – je salue le travail mené la semaine dernière par Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons, et l'ensemble de la majorité sur la question de la majorité numérique, une vraie avancée –, il apparaît déjà sur 1 300 photographies publiées en ligne, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches ; un tiers des enfants ont une existence numérique avant même d'être nés, par la diffusion de leur échographie.
Ces chiffres colossaux et quelque peu déroutants – ils le seraient plus encore si j'avais commencé mon propos en évoquant le « caca Nutella challenge », le « cheese challenge » ou la police des enfants – révèlent des enfants exposés non seulement parce qu'ils utilisent les réseaux sociaux sans toujours en mesurer les dangers, mais aussi parce que leurs parents appartiennent de plus en plus à une génération qui a connu ce phénomène dès l'adolescence.
Le droit à l'image des enfants occupe une place singulière dans le droit civil français car ce sont les parents, et non l'intéressé lui-même, qui consentent ou non à ce que l'image de leur enfant soit publiée ou diffusée. Ainsi, tout journaliste souhaitant filmer le visage d'un enfant doit auparavant avoir recueilli le consentement de ses parents sous peine de poursuites pénales. Mais que reste-t-il de cette règle à l'heure où des mineurs utilisent seuls les réseaux sociaux et où leurs parents publient des photos d'eux sans leur avoir demandé leur avis, puisque rien ne les y oblige, sur des plateformes dont ils ne mesurent pas toujours l'audience ?
La diffusion de photographies de famille sur les réseaux sociaux – le « sharenting » – n'obéit pas à un cadre juridique précis et présente plusieurs risques, leur détournement et leur mésusage pouvant avoir de graves conséquences pour l'enfant au présent comme au futur : usurpation d'identité, chantage, cyberharcèlement, pédopornographie, etc. Encore un chiffre, mes chers collègues : 50 % des images circulant sur les réseaux pédopornographiques ont été initialement publiées par des parents sans aucune mauvaise intention.
Qui aujourd'hui est capable de prévoir ce que deviendront les images publiées, et si ce qui est acceptable à notre époque le sera encore dans quelques années ? De surcroît, les progrès des nouvelles technologies de reconnaissance faciale pourraient permettre de faire ressurgir en quelques clics toutes les photos oubliées, avec les conséquences que l'on peut imaginer sur la réputation et l'intimité des personnes concernées : je pense bien sûr aux photos impliquant la nudité, mais aussi aux nouvelles tendances telles que les vlogs – abréviation de « blogs vidéo » –, sur lesquels des familles publient des vidéos de leur vie quotidienne, ou encore aux « pranks », ces canulars consistant à jouer de la crédulité des enfants pour les effrayer ou les ridiculiser, ce qui peut faire rire au premier abord – et encore… – mais peut aussi dissimuler ce que l'on appelle désormais des violences éducatives ordinaires.
Au-delà de la somme des données personnelles ainsi partagées, il faut rappeler que le droit à l'image de l'enfant ne concerne pas seulement son visage mais aussi tout son environnement, du surnom de son doudou à ses habitudes, à son adresse, à ses caractéristiques physiques et morales, à sa santé.
Il me paraissait donc urgent de rappeler que les titulaires de l'autorité parentale ont la responsabilité de protéger leur enfant en contrôlant l'usage qu'il fait de son image, tout en respectant sa vie privée à travers leurs propres comportements numériques. Voilà ce qui implique aujourd'hui une modification du droit existant.
Cette actualisation à l'aune de l'émergence des nouvelles technologies préoccupe le législateur depuis de nombreuses années : il est intervenu à plusieurs reprises pour favoriser la protection des mineurs sur internet – la semaine dernière encore, comme je l'ai rappelé. Ainsi, dès 2016, il a amélioré le droit à l'oubli pour les plus jeunes ; en 2020, il a proposé une protection juridique spécifique pour les enfants influenceurs et permis aux mineurs de demander l'effacement des images les concernant sans l'accord de leurs parents ; en 2022, il a renforcé le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet tout en développant une nouvelle plateforme de prévention, jeprotegemonenfant.gouv.fr, sur laquelle nous devrons prévoir un espace dédié à l'exercice du droit à l'image.
La présente proposition de loi n'est pas une initiative isolée : elle s'inscrit aux côtés de deux autres propositions de loi, l'une concernant la prévention de l'exposition excessive des enfants aux écrans, déposée par Caroline Janvier, et l'autre concernant l'instauration d'une majorité numérique, déposée par Laurent Marcangeli. Ces trois propositions de loi constituent le pendant législatif d'une stratégie de grande ampleur engagée depuis le début de l'année par le Gouvernement pour mieux protéger nos enfants sur internet.
La question du droit à l'image des enfants présente une certaine complexité juridique puisqu'elle se trouve à l'intersection entre la liberté d'expression des parents et l'intérêt supérieur de l'enfant. Il faut donc être très précis lorsqu'on fait évoluer le cadre d'exercice de l'autorité parentale. Dans la majorité des cas, les intentions des parents sont bonnes. C'est pourquoi le texte que je propose vise avant tout à sensibiliser et à responsabiliser ces derniers, afin que la sanction n'intervienne qu'en dernier recours. Mais le législateur doit tout de même tracer des lignes rouges et élaborer des mesures juridiques contraignantes pour les cas où les parents portent atteinte aux droits de leur enfant, poussés par la rémunération de la viralité ou par les injonctions au narcissisme des réseaux sociaux.
Cette proposition de loi s'adresse aussi aux mineurs qui, trop souvent, n'ont pas conscience de leurs droits et pensent que leurs parents disposent d'un droit absolu sur leur image. Certes, ce sont bien les parents qui exercent le droit à l'image pour le compte de leur enfant et expriment ainsi son consentement ; mais si le droit, en l'état, protège bien les mineurs contre les atteintes à leur vie privée venant de l'extérieur de sa famille, il n'encadre pas clairement l'intervention des parents dans la vie privée de l'enfant ni l'usage que ceux-ci peuvent faire de son image. Le présent texte complète donc les dispositions du code civil afin de moderniser la définition de l'exercice de l'autorité parentale et de la mettre à jour au vu des nouveaux défis auxquels sont confrontés les parents.
Les quatre articles du texte énoncent des principes et définissent des règles et des limites relatives à l'exercice, par les parents, du droit à l'image de leur enfant, et créent des outils juridiques contraignants qui élargissent les moyens dont dispose le juge pour, au besoin, le protéger.
L'article 1er introduit la notion de vie privée de l'enfant dans la définition de l'autorité parentale, à l'article 371-1 du code civil, afin de souligner l'importance que les parents doivent accorder à cet enjeu, auquel ils doivent veiller tout comme à la sécurité, à la santé et à la moralité de leur enfant. Être parent au XXI
L'article 2 rétablit l'article 372-1 du code civil pour rappeler que le droit à l'image de l'enfant est exercé en commun par les parents dans le respect de la vie privée de ce dernier, qui doit être associé aux décisions concernant son image selon son âge et son degré de maturité, comme l'exige la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989. Le message est très clair : demandez à votre enfant s'il accepte de partager des photos de lui sur les réseaux sociaux et, s'il n'a pas l'âge d'exprimer un consentement éclairé, abstenez-vous. Car ces images peuvent faire l'objet de véritables mésusages dont nous redoutons tous aujourd'hui la portée.
L'article 3 complète l'article 373-2-6 du code civil pour prévoir une mesure spécifique d'interdiction de publication à l'encontre d'un parent qui diffuse des photos de son enfant contre l'avis de l'autre parent. Cette mesure pourrait être prononcée par le juge et compléterait des dispositions spécifiques déjà existantes. Le droit à l'image des enfants n'est pas un acte usuel.
Enfin, l'article 4 complète l'article 377 du code civil qui fixe les conditions dans lesquelles l'autorité parentale peut faire l'objet d'une délégation totale ou partielle. Actuellement, la délégation forcée a lieu en cas de désintérêt pour l'enfant, de crimes d'un parent sur l'autre parent ou d'impossibilité d'exercer toute ou partie de l'autorité parentale : il serait aussi dorénavant prévu qu'une délégation partielle pourrait être prononcée lorsque la diffusion de l'image de l'enfant porte gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale. Le juge pourra ainsi se saisir de ce nouvel outil. À la suite des débats en commission – je veux, à ce propos, remercier les députés de chacun des groupes pour les interventions équilibrées et constructives qui ont été les leurs –, certains se sont inquiétés du caractère disproportionné de cette mesure et je vous proposerai une nouvelle rédaction afin de ne permettre que la délégation du seul droit à l'image – à moins bien sûr que les critères de délégation totale ne soient remplis.
L'élaboration de cette proposition de loi est le fruit de la recherche d'un point d'équilibre entre la liberté d'expression des parents et l'intérêt supérieur des enfants, entre l'importance de la sensibilisation et la nécessité de tracer des lignes rouges, entre la pédagogie et la répression. C'est ainsi que notre droit pourra faire évoluer les comportements et les mentalités tout en régulant juridiquement notre société de l'image et du numérique.
Permettez-moi pour conclure, monsieur le président, de remercier celles et ceux qui m'ont accompagné, pour certains depuis six ans, dans ce travail sur la protection du droit à l'image des enfants – je pense en premier lieu à mon collaborateur parlementaire Quentin Ehrmann-Curat. Monsieur le ministre de la justice, madame la secrétaire d'État chargée de l'enfance, je vous remercie pour votre soutien et j'y associe, pour leur qualité et leur engagement, les fonctionnaires du ministère de la justice et les membres de vos cabinets respectifs, qui m'ont particulièrement aidé. Et bien sûr, comme d'habitude, j'adresse aussi mes remerciements à l'administrateur François Joly et, à travers lui, à toutes les personnes qui font fonctionner cette belle maison qu'est l'Assemblée nationale.