Publié le 9 mars 2023 par : Mme Pompili, Mme Clapot, Mme Dupont, Mme Rilhac, M. Causse, M. Studer.
Supprimer cet article.
Cet amendement a pour objet la suppression du nouvel article 11 bis, fusionnant l’ASN et l’IRSN, inscrit dans la loi par amendement gouvernemental.
L’inscription de cette disposition majeure et lourde de conséquences pose en premier lieu un réel problème de méthode. Cette disposition n’était pas inscrite texte initial. Elle n’a donc pas pu faire l’objet d’une étude d’impact, et passe outre l’avis du Conseil d’État. Le Parlement n’a à sa disposition aucun élément tangible, réfléchi et concret sur les conséquences réelles d’une telle disposition et sur ses avantages et ses inconvénients, sur ses finalités, modalités, et son intérêt réel.
Par ailleurs, cette disposition n’a donc pas non plus pu être discutée par le Sénat, et se fait ainsi dans la précipitation la plus incompréhensible. Incompréhension partagée aussi bien par de nombreux élus, anciens élus, experts, représentants de la société civile - quel que soit leur positionnement en faveur ou opposé au nucléaire -, que par le conseil d’administration, le comité d’orientation des recherches et les salariés de l’IRSN.
Poser la question de la fusion ASN-IRSN dans ce texte de loi semble en outre totalement inapproprié. L’objet de ce texte, comme soutenu par le gouvernement lui-même, est bien de permettre une accélération des procédures, dans le sens urbanistique, réglementaire et environnemental. Il a été avancé, pour justifier cette décision imposée et brutale, que la fusion des deux instances permettait de gagner en efficacité et en fluidité. Mais aucun élément concret n’est avancé pour le justifier, alors même que le fonctionnement actuel de ces deux instances est reconnu mondialement comme un modèle d’efficacité et de confiance.
Trois anciens présidents de l’OPECST, Claude Birraux, Jean-Yves Le Déaut et Cédric Villani ont dénoncé dans une tribune parue dans le journal Le Monde le 6 mars dernier, une décision brutale, « sans la moindre étude et en contradiction avec toutes les évaluations sérieuses de ces vingt-cinq dernières années », constituant « une dérive technocratique dangereuse ».
Il est par ailleurs particulièrement inconfortable pour des parlementaires d’avoir à se prononcer sur une réforme qui va à l’encontre de tous les travaux de contrôle réalisés ces dernières années par l’OPECST ou dans le cadre de commissions d’enquête parlementaires, dont une spécifiquement consacrée à la sûreté et la sécurité nucléaire, qui n’ont jamais soulevé la nécessité de revoir le système dual ASN/IRSN et qui se sont au contraire félicités de la qualité du travail commun réalisé par ces deux instances. Ces nombreux travaux n’ont manifestement tout simplement pas été pris en compte.
La Cour des comptes elle-même s’est opposée à un tel projet de fusion, comme en témoigne son avis paru en 2014 : "la fusion des deux organismes constituerait une réponse inappropriée et inefficace, notamment en raison des multiples difficultés juridiques, sociales, budgétaires et matérielles qu’elle soulèverait", et le fait que « les gains en efficiences seraient probables mais dans des proportions limitées » Elle a ajouté : « L’organisation duale décideur-expert (ASN et DSND-IRSN) offre de nombreuses garanties en dissociant les composantes qui participent aux décisions prises. Et on ne saurait ignorer les conséquences à long terme qu’entraînerait la concentration de la quasi-totalité des moyens publics de sûreté nucléaire sous la responsabilité d’une autorité indépendante dont la décision est souveraine ». Dans un référé de juin 2021, la Cour des comptes a pris à nouveau position contre la remise en cause de l’organisation duale du contrôle de la sûreté nucléaire.
A l’heure où nos enjeux énergétiques et climatiques nous amènent à considérer nécessaire une relance du nucléaire dans notre pays, et un rallongement de la durée de vie de réacteurs vieillissants, il est plus que jamais indispensable de garantir la confiance des acteurs et du public dans notre système d’expertise et de contrôle en termes de sûreté et de sécurité nucléaire. On peut d’ailleurs noter, et se féliciter, du fait que l’organisation actuelle de la sûreté nucléaire est saluée tant par les acteurs pronucléaires que par les antinucléaires.
Cette fusion démonte ainsi 40 ans d’un fonctionnement reconnu par tous comme performant, démonte la confiance citoyenne et collective sur nos organismes de sûreté et de sécurité nucléaire, alors même que la dualité entre ces deux instances est une conséquence directe de la catastrophe de Tchernobyl, au moment même où le gouvernement essayait de restaurer la confiance du public dans le système de gestion des risques nucléaires.
Nous avons plus que jamais besoin de confiance et de transparence.
Nous avons besoin de préserver l’indispensable dualité entre expertise et prise de décision.
Nous avons besoin de protéger le lien indissociable entre recherche et expertise.
Il est toujours souhaitable de réfléchir collectivement et régulièrement à l’amélioration de notre système de sûreté et de sécurité nucléaire. Mais des décisions aussi importantes doivent se prendre avec responsabilité et sérénité, et en permettant au Parlement d’avoir en mains tous les éléments nécessaires pour éclairer sa décision. Une feuille de route détaillée de la mise en œuvre de ce projet est attendue d’ici fin juin 2023, en vue de la loi de finances 2024. Il apparait donc évident que rien ne justifie son inscription dans la loi de manière aussi précipitée.
L’examen de la prochaine loi de programmation énergie climat, qui interviendra prochainement au Parlement, pourrait être un vecteur législatif portant cette réflexion, permettant au Parlement de disposer de plus d’éléments. En commission des affaires économiques, le gouvernement a lui-même reconnu que « pour apporter des éléments un peu consolidés concernant la réforme du dispositif de contrôle de la sûreté et de la radioprotection, il est préférable que les travaux de l’ASN et de l’IRSN sur sa préparation aient pu avancer suffisamment ». L’expertise doit précéder la décision, que ce soit en matière de sûreté et de sécurité nucléaire, qu’en matière de choix politiques.
L’article 11bis préempte un choix qui en soi est discutable. Cet amendement demande donc la suppression de cet article.
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