Publié le 17 novembre 2022 par : M. Potier, M. Delautrette, Mme Jourdan, M. Hajjar, M. Leseul, M. Naillet, M. Bertrand Petit, Mme Battistel, M. Garot, les membres du groupe Socialistes et apparentés.
I. – À titre expérimental, pour une durée de trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, l’État peut mettre en œuvre sur des territoires couvrant chacun tout ou partie de la superficie d’une ou plusieurs collectivités territoriales, établissements publics de coopération intercommunale ou groupes de collectivités territoriales volontaires, une certification attribuée à des installations et projets d’installation de méthanisation répondant à des critères environnementaux, économiques et sociaux liés notamment à l’impact agronomique et écologique de ces installations et projets d’installation.
II. – Un décret détermine les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation mentionnée au I du présent article. La liste des territoires participant à cette expérimentation est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de l’énergie et de l’agriculture.
III. – Dans un délai de six mois avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation qui se prononce notamment sur la pertinence d’une généralisation.
Cet amendement du Groupe Socialistes et apparentés vise à instaurer, à titre expérimental, une certification garantie par l’autorité publique des installations et projets d'installation de méthanisation.
La dérive que nous observons actuellement dans le développement de la méthanisation est un cas d’école de l’absence d’une ligne claire en matière de déploiement des énergies renouvelables dans notre pays. Elle illustre plus largement et de façon caricaturale le risque d’une incohérence entre les fins et les moyens dans l’action publique.
Portée par des pionniers aussi passionnés d’innovation que soucieux d’éthique, la méthanisation a été initialement pensée en vue de la valorisation énergétique de la biomasse issue notamment des effluents d’élevage, des déchets organiques de l’agroalimentaire, de la part fermentescible des déchets ménagers et des stations d’épuration, et de façon plus marginale de l’entretien des espaces verts et des accotements routiers.
Or, et de façon paradoxale, la géographie actuelle des méthaniseurs est relativement indifférente à celle de ces ressources, mais correspond largement à celle des entreprises disposant des capacités financières les plus importantes et à celle des réseaux de transport d’énergéticiens devant souscrire à l’obligation d’intégrer du gaz « vert ».
Les conséquences sur nos territoires sont facilement observables :
- une prédation de ressources qui fragilise au long cours notre sécurité alimentaire commune ;
- une concurrence déloyale qui accélère le phénomène d’accaparement des terres par l’usage ou la propriété au détriment des systèmes de polyculture-élevage et du renouvellement des générations d’agriculteurs ;
- un désordre écologique avec des effets incalculables sur la santé des sols, de l’eau, la biodiversité et enfin une inquiétude grandissante quant à l’impact logistique sur les infrastructures rurales.
Cette situation ubuesque est le fruit d’un déphasage absurde entre un niveau d’aide publique élevé (aide à l’investissement, tarif de rachat) et l’absence de contrôles effectifs des installations. L’État délivre des autorisations sans disposer ni des ressources humaines ni des instruments permettant de vérifier la réalité des intrants (ce qui entre dans le méthaniseur) et de l’épandage des digestats (ce qui sort du méthaniseur).
Le temps est venu, au nom de l’intérêt général, de stopper cette dérive. En premier lieu, un éclairage est attendu de la science sur deux points : d’une part, évaluer si la jauge actuelle de 15 % de ressources alimentaires méthanisable est globalement soutenable et, d’autre part, quels sont les effets du développement exponentiel des cultures intermédiaires à vocation énergétique [les cultures que l’on peut mettre dans les méthaniseurs pour produire de l’énergie] sur les cycles de fertilité.
Deux voies complémentaires doivent ensuite être explorées afin que la biomasse agricole contribue de façon efficace, économe et écologique aux objectifs de mix énergétique de notre pays.
La première voie vise une normalisation des pratiques. Cela passe notamment par une certification garantie par l’autorité publique telle que proposée par le biais de cet amendement, ainsi que par un niveau d’exigence des autorisations administratives afin que les installations soient proportionnées aux enjeux environnementaux. Il conviendra également d'envisager une politique tarifaire sélective en faveur des projets les plus vertueux, et enfin un minimum de planification à l’échelle, par exemple, des intercommunalités (SCOT).
Une seconde voie, plus radicale, mérite également d’être explorée. 70 000 unités de stockage des effluents d’élevage (fosses à lisier) ont été bâties à partir des années 1990 en application de la directive nitrate. C’est, à l’échelle nationale, une immense ressource quasiment inexploitée de 13,7 millions de tonnes de CO2 qui pourraient être valorisées en énergie.
Même à technologie constante, les retours d’expérience dont nous disposons nous enseignent que pour une part des élevages bovins et porcins, une équation économique est possible, permettant de consolider le revenu des agriculteurs, dès lors que l’énergie produite peut être valorisée. En effet, si ces effluents produisent moins d’énergie que certaines cultures, les investissements à réaliser sont en contrepartie sans commune mesure avec ceux du modèle actuellement dominant.
Sur le plan écologique, le bénéfice de cette économie circulaire et totalement décarbonée dans sa mise en œuvre permettrait d’atteindre un objectif majeur en matière de réduction des gaz à effet de serre en captant un méthane (CH4) dont les scientifiques du Giec et de l’Inrae nous rappellent son pouvoir de réchauffement vingt-cinq fois supérieur à celui du CO2.
Produire de l’énergie par la valorisation du méthane disponible, avec un meilleur partage de la valeur et en préservant intégralement notre sécurité alimentaire, serait de nature à sortir des controverses actuelles.
Un effort de recherche inédit devra, demain, viser une performance accrue de tels systèmes. Mais dès aujourd’hui, il est essentiel pour le débat démocratique de mesurer le bénéfice social, économique et environnemental de la réorientation des crédits publics actuellement consacrés à la méthanisation vers une vision renouvelée de celle-ci.
Dans le cas de la méthanisation, comme pour toutes les autres énergies renouvelables, la construction d’une doctrine claire et une puissance publique jouant pleinement sa fonction régulatrice et d’aménagement du territoire seraient de loin les meilleures alliées de l’entrepreneuriat et de l’initiative locale au service du bien commun.
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