Publié le 7 décembre 2023 par : M. Julien-Laferrière.
Supprimer cet article.
Le nouvel article 12 bis A, adopté par le Sénat alors qu’il ne figurait pas dans la version initiale du texte, permettrait tout d’abord de placer en rétention un demandeur d’asile qui enregistre sa demande auprès des autorités compétentes (aujourd’hui le guichet unique pour demandeurs d’asile, que la loi devrait transformer en pôle France Asile) dès lors que son « comportement constitue une menace à l’ordre public » (§6 de l’article). Alors qu’aucun décret d’application n’est prévu pour l’application de cet article et à défaut de précisions dans la loi elle-même sur les modalités de mise en œuvre de cette disposition (quels éléments peuvent caractériser un comportement constituant une menace à l’ordre public ? qui pourra les apprécier et les faire remonter aux autorités en charge du placement en rétention ou de l’assignation à résidence ?), elle laisse une grande marge d’appréciation aux autorités administratives dont les initiatives en ce sens entraîneront une augmentation du contentieux visant à contester ces mesures coercitives devant les tribunaux administratifs – sur qui reposera in fine l’appréciation de la légalité des situations soumises.
Dans son amendement visant à ajouter cette proposition lors de l’examen en séance publique au Sénat, le Gouvernement n’a pas fourni d’éléments permettant d’apprécier la nécessité d’une telle disposition et d’évaluer son impact en cas d’adoption. L’absence d’étude d’impact sur ce thème est également regrettable concernant l’autre partie de cet article, que nous proposons également de supprimer. Celle-ci ajoute une possibilité d’assignation à résidence et de placement en rétention pour les demandeurs d’asile qui présentent une demande d’asile en dehors des pôles France Asile, notamment lors d’une interpellation par les services de police, « afin de déterminer les éléments sur lesquels se fonde sa demande d’asile » en précisant que le placement en rétention « ne peut être justifié que s’il présente un risque de fuite » qui est ensuite défini dans l’article.
Un tel article ne peut être adopté par la représentation nationale sans disposer de données sur son impact. En effet, aucune donnée publique ne permet de savoir combien de demandes d’asile sont actuellement présentées en dehors des guichets uniques pour demandeurs d’asile, notamment lors des interpellations par les services de police (qui recueillent par exemple de nombreuses expressions de demandes d’asile formulées par des personnes interpellées aux frontières franco-espagnole ou franco-italienne). Sans ces éléments, le législateur ne peut mesurer la pertinence de cette disposition et son impact pour le système de rétention : alors que le ministère de l’Intérieur estime déjà qu’il n’y a pas suffisamment de places en centre de rétention comme en témoigne le plan d’augmentation des capacités à l’horizon 2027, et qu’il souhaite y orienter quasi exclusivement des personnes représentant une menace à l’ordre public, pourquoi ajouter un nouveau public (potentiellement nombreux) qui serait potentiellement concerné par un placement dans ces lieux ?
Concernant le « risque de fuite », il conviendrait a minima d’en revoir la définition pour se conformer à l’esprit de la directive Accueil qui pose comme principe que « les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur » (article 8) ce qui exige de ne réserver la rétention qu’à des situations exceptionnelles qui révèlent une volonté évidente du demandeur de ne pas poursuivre son parcours d’asile après avoir entamé ces démarches. Or cette volonté de fuite ne semble pas caractérisée par le seul fait qu’une personne demande l’asile, notamment lors d’une interpellation, après un délai de plus de 90 jours suivant son entrée en France (§9 de l’article), après avoir renoncé à une demande d’asile dans un autre État membre (§10 de l’article), ou après être passé dans un autre Etat membre dans lequel il s’est maintenu irrégulièrement ou n’a pas « déposé sa demande d’asile dans les délais les plus brefs ».
Cet article doit plus généralement être supprimé en ce qu’il entraînera, pour de nombreux demandeurs d’asile, une procédure dégradée dans le cadre de la rétention. Il aura pour conséquence de rendre notre système d’asile moins efficace en ce qu’il ne sera pas capacité d’identifier correctement les craintes en cas de retour et pourrait donc débouter de leur demande des personnes pouvant subir des persécutions suite à leur éloignement.
En effet, le système d’asile en rétention, mené dans un cadre privatif de liberté où les conditions de vie quotidienne sont souvent difficiles (voir le rapport inter-associatif annuel sur les centres de rétention administrative) s’appuie aujourd’hui sur des garanties procédurales limitées et un accompagnement restreint qui ne permettent pas d’apprécier les motifs d’asile de façon adéquate. Une fois placé en rétention, l’étranger ne dispose que de 5 jours pour introduire sa demande auprès de l’OFPRA et ce dernier doit statuer dans un délai de 96 heures. L’Office entend le récit des étrangers retenus à travers un dispositif de visio-conférence, qui complique souvent la communication et pose des enjeux de confidentialité dans certains CRA. Privés de liberté, les demandeurs d’asile en CRA peuvent par ailleurs rencontrer des difficultés pour préparer leur entretien. Une autre difficulté repose sur l’absence de caractère suspensif du recours dans ces lieux. En effet, si un recours peut être formé devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) comme sur le territoire, cette démarche ne suspend pas automatiquement la mise en œuvre de l’éloignement. Cette situation n’est pas de nature à garantir l’effectivité des recours pourtant requise par la jurisprudence européenne en la matière, impliquant des exigences de qualité, de rapidité et de suspensivité telles qu’exigées par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt de 2012 condamnant la France pour l’absence d’effectivité du recours en rétention.
En orientant une partie des demandes d’asile actuellement instruites dans le cadre habituel vers une procédure en rétention, cette disposition s’inscrit par ailleurs en contradiction avec les « principes directeurs » du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) publiés en 2012 à ce sujet et qui précisent que « la détention de demandeurs d’asile devrait normalement être évitée et ne constituer qu’une mesure de dernier ressort » car « le respect du droit de demander l’asile implique l’instauration de dispositifs d’accueil ouverts et humains pour les demandeurs d’asile ».
Cet amendement a été rédigé avec Forum Réfugiés.
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