Publié le 1er novembre 2023 par : M. Nadeau, Mme Bourouaha, M. Castor, M. Chailloux, M. Chassaigne, M. Dharréville, Mme Faucillon, M. Jumel, Mme K/Bidi, M. Le Gayic, Mme Lebon, M. Lecoq, M. Maillot, M. Monnet, M. Peu, Mme Reid Arbelot, M. Rimane, M. Roussel, M. Sansu, M. Tellier, M. William, M. Wulfranc, M. Nilor.
I. – Il est créé un établissement public à caractère administratif indépendant dénommé « institut de recherche et d’indemnisation des victimes du chlordécone », doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, chargé de l’étude et de la recherche scientifique et médicale, de la cartographie complète et de l’observation du phénomène, de l’information et de la communication transparente scientifique et publique, enfin de l’indemnisation des victimes du phénomène systématiquement détectées et de l’évaluation de leur préjudice.
II. – Il agit en lien avec le délégué interministériel pour la mise en œuvre d’une politique unifiée et transparente dans le cadre des plans chlordécone.
III. – Présidé par un magistrat de la Cour des comptes, et intégrant en son sein un comité médical ainsi qu’un comité scientifique, sa composition, sa localisation, ses modalités d’organisation et d’intervention, son financement, sont déterminées par un décret pris en Conseil d’État.
IV. – L’établissement public peut requérir de tout service de l’État, des collectivités publiques, des organismes assurant la gestion des prestations sociales, des organismes assureurs tous moyens d’information et d’actions nécessaires à la réalisation de sa mission d’intérêt général. Chaque année, il rend au Parlement un rapport de situation du phénomène et de bilan de son action publique.
V. – L’établissement public, outre sa mission d’étude du phénomène, de communication, de certification du lien entre la maladie et l’exposition au chlordécone et de l’indemnisation des victimes, veille à ce que les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accordent à la pollution environnementale et à l’empoisonnement humain causés par le chlordécone dans l’agriculture en Guadeloupe et en Martinique la place conséquente qu’ils méritent. Il pourra aider des agriculteurs et des pêcheurs dont l’activité aura directement été impactée par le phénomène, soit par des aides matérielles ou publiques, soit en finançant la cartographie intégrale des sols et leurs dépollutions.
VI. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
VII. – La perte de recettes pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
VIII. – La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
IX. – La perte de recettes pour l’État est compensée par le reversement de 1 % du chiffre d’affaires annuel global de l’Union générale des producteurs de bananes des Antilles au profit de l’établissement public. »
L’utilisation du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe, utilisé pendant près de vingt années dans ces régions d’Outre-Mer, a fait l’objet d’une longue procédure judiciaire pour des faits « d’empoisonnement », « de mise en danger de la vie d’autrui », « d’administration de substance nuisible », et « de tromperie sur les risques inhérents à l’utilisation des marchandises ».
Ce scandale, dont l’État a reconnu sa responsabilité, a engendré beaucoup d’attentes, à la suite notamment de la déclaration du Chef de l’État, par les populations des Antilles contaminées à près de 90 %.
Contre toute attente, les magistrats du pôle santé publique du tribunal judicaire de Paris, tout en constatant « le scandale sanitaire » sous la forme d’une «atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants » de Martinique et de Guadeloupe, ont cependant rendu une ordonnance de non-lieu dans cette affaire, le 2 janvier 2023, pointant la difficulté de rapporter la preuve des faits dénoncés 15 ou 20 ans après leurs perpétuations. La première plainte avait été déposée en 2006.
Nous sommes face à un phénomène de l'ampleur de ceux du sang contaminé, de l'amiante ou des conséquences des essais nucléaires en Polynésie. Il faut prendre la mesure du phénomène.
Reçue aux Antilles comme un déni de justice, l'ordonnance de non-lieu de janvier 2023, si elle devait être confirmée en appel et en cassation, cristalliserait encore la défiance des populations dites d'outre-mer vis-à-vis d'un État et de ses institutions, perçu de plus en plus dans sa résurgence de colonialité par n os peuples. Ce serait un grave risque de rupture du Pacte républicain qui les lie à la France. Cette attitude de déni et de non prise en considération explique en partie la vigueur et la gravité de la réaction des populations antillaises lors de la crise du covid. La parole de l’État est dangereusement dépréciée.
Désormais, les populations ne sauraient plus se satisfaire d’une situation qui piétine la vérité, absout les coupables et méprise surtout les victimes. L’empoisonnement au chlordécone s’inscrit dans la liste des affaires d’État, complexes et longues, mêlant responsabilités publiques et privées, pouvoir oligarchiques et coloniaux, recherche de la vérité et quête absolue de réparation pour les victimes. Cette quête ne sera apaisée que si l’État prend ses responsabilités et assume dans la transparence ses erreurs et la nécessité de faire droit aux victimes, en tentant de réparer le préjudice.
Le dispositif de la présente proposition de loi lui permet d’entrer dans cette démarche par le haut, en restaurant la confiance avec les populations, en procédant à l’étude objective du phénomène et de ses conséquences environnementales, sanitaires et économiques, d’entrer dans une procédure ouverte et claire d’indemnisation des victimes, de réparations des sols et des eaux. Il érige le traitement du préjudice en cause et priorité nationales stratégiques, ce qu’il est devenu du fait d’errements technocratiques répétés et d’impacts écologiques durables. Il l’est d’autant plus qu’il est apparu dans des milieux insulaires fragiles et sur une population fortement paupérisée.
Rappelons cependant les faits et l’importance du sujet. Le chlordécone est un insecticide breveté aux États-Unis en 1952, utilisé pour les cultures des bananes, du tabac et des agrumes.
Il est ensuite interdit dans ce pays dès l’année 1977 suite au constat de défaillances dans le dispositif de production et à l’observation d’une importante pollution à proximité de l’usine, et d’effets toxiques sur les personnes employées à sa production.
La même année, dès 1977, le rapport Snegaroff, publié à la suite d’une mission de l’INRA, établit en Guadeloupe « l’existence d’une pollution des sols des bananeraies et des milieux aquatiques environnants par les organochlorées ».
Mais contre toutes attentes, son utilisation est autorisée dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe à partir de 1981. L’objectif poursuivi par les autorités de l’époque motivé par les planteurs était de lutter contre le charançon du bananier.
Ce n’est que le 1er février 1990 qu’une décision retire finalement l’autorisation de vente du chlordécone sur le territoire hexagonal de la France.
Pourtant, à la demande des planteurs de bananes encore une fois, la vente et l’utilisation du chlordécone continue pendant deux ans, conformément à une disposition prévue par la loi.
En effet, les Guadeloupéens et les Martiniquais sont massivement victimes de l’intoxication au chlordécone. De sorte que si l’action des pouvoirs publics, notamment au travers des plans chlordécone, et maintenant du Plan Chlordécone IV, est d’abord et prioritairement orientée vers la sensibilisation et la protection, elle ne peut ignorer l’obligation de reconnaître la violation de droits humains élémentaires.
Par ailleurs, les dotations de ces plans sont insignifiantes aux regards du phénomène.
À ce propos, il faut donc réaffirmer que la République doit assumer les valeurs qui la fondent. En particulier, l’article 1er de la Charte de l’environnement, qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité, prévoit que : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » tandis que l’article 3 de cette même charte dispose que : « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ».
Enfin, cette charte dispose dans son article 4 que « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi ».
Par ailleurs, la négligence fautive qui a contribué à un usage massif du produit dans un contexte international où la prohibition devenait la norme, confine à l’évidence à une véritable intention de détruire, en tout ou en partie, les populations résidant en Guadeloupe ou en Martinique, dans la mesure où ces populations sont soumises à des conditions d’existence qui entraînent de facto leur destruction physique et à des mesures qui entravent les naissances au sein du groupe.
Dès lors, il y a une responsabilité à assumer au sens où Paul Valéry définissait la responsabilité : comme un « engagement en retour ». Et cet engagement doit être la prise en compte d’une véritable politique publique en la matière de la part de l’État.
C’est pourquoi, compte tenu de l’attente des populations, de leurs aspirations à la justice et à la vérité, cet amendement vise à proposer un ensemble de mesures simples, concrètes, directes, et minimales, pour jeter les bases d’une vraie politique visant à la reconnaissance, à l’étude, à l’information et à la réparation du préjudice érigé en cause nationale.
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