Mercredi 18 janvier 2023
La séance est ouverte à 17 heures 30
(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)
Nous recevons aujourd'hui Antoine Pellion à l'occasion des travaux de la commission d'enquête chargée d'établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France. Ces travaux se tiennent en présentiel pour assurer leur qualité. Toutefois, compte tenu du contexte social en France et des difficultés de transport, et à titre exceptionnel, les membres de notre commission pourront être connectés aujourd'hui et demain par visioconférence et interagir en distanciel, selon le terme désormais consacré.
Monsieur Pellion, vous avez été désigné en juillet dernier secrétaire général de la planification écologique. Au cours des huit dernières années, vous avez exercé diverses responsabilités dans les cabinets des ministres, du président de la République et dans le domaine de l'énergie. Vous avez notamment été à la Direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie de 2009 à 2012. En 2012, vous êtes devenu chef du bureau de la production électrique à la Direction générale de l'énergie et du climat. En 2014, vous étiez conseiller technique énergie de Ségolène Royal, aux côtés de sa directrice de cabinet qui était alors Elisabeth Borne. En 2016, vous travailliez chez Enedis. De 2017 à 2019, vous avez été conseiller environnement, énergie et transports du président de la République. Depuis quelques mois, vous êtes secrétaire général à la planification écologique. Nous vous remercions d'avoir accepté de venir devant notre commission d'enquête, au vu des responsabilités que vous avez exercées successivement.
Notre commission a poursuivi un certain nombre de travaux et nous nous intéressons notamment aux conditions dans lesquelles les décisions ont pu être prises, susceptibles d'expliquer les difficultés que traverse la France actuellement et auxquelles la population française est habituée, ou du moins qu'elle a comprises. Au cours des précédentes auditions ont ainsi été évoquées les conditions dans lesquelles les scénarios et les objectifs ont été élaborés. L'appréciation de leur évolution, de la consommation énergétique et en particulier électrique, la fixation d'un plafond de production d'électricité d'origine nucléaire, la détermination d'un mix énergétique à des horizons variables ont déjà suscité beaucoup d'interrogations de la part de notre commission. L'abandon d'outils de recherche, les décisions visant à fermer certaines installations de production, alors que les solutions de relais n'étaient pas encore assurées, la survenance d'événements sanitaires ou techniques non programmés car largement imprévisibles donnent une vision assez désorganisée du secteur énergétique, même si certaines décisions récentes semblent vouloir y restaurer de l'ordre.
La création d'un secrétariat général de la planification écologique permettra peut-être d'éviter certaines erreurs commises précédemment, puisqu'il a vocation à coordonner « l'élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d'énergie, de biodiversité et d'économie circulaire » tout en veillant à « à la soutenabilité de ces stratégies et à leur diversification », pour reprendre les termes du décret du 7 juillet 2022 portant création de cette structure directement rattachée à la Première ministre. En qualité de secrétaire général de la planification écologique, vous assurez le secrétariat du Conseil de défense écologique créé par un décret du 15 mai 2019 et présidé par le président de la République, la participation du ministre chargé de l'énergie à ce conseil n'étant pas explicitement prévue. Telles sont les subtilités de législations qui semblent se chevaucher.
Au-delà des outils de programmation et des structures mises en place dans le domaine qui intéresse la commission d'enquête se pose la question des financements mobilisés, des crédits, des prélèvements, du rôle des marchés, des investissements nécessaires et des hommes et des femmes, entrepreneurs ou salariés, sur lesquels il est possible de compter. Voilà quelques premiers éléments de contexte.
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Antoine Pellion prête serment.)
Je me propose de repartir sur des éléments qu'il me semble important de partager en matière de situation du pays sur les sujets de souveraineté énergétique, telle qu'on la vit aujourd'hui. Je reviendrai davantage au cours des questions sur les processus décisionnels, sur tel ou tel point que vous souhaiteriez pouvoir approfondir.
Le point d'entrée qui me semble le plus important est notre dépendance aux énergies fossiles, en particulier pour les carburants. La souveraineté énergétique consiste à disposer des leviers qui nous permettent de garantir le mieux possible l'atteinte de nos objectifs de sécurité d'approvisionnement, en ayant la liberté des dispositifs qui nous permettent de les atteindre. De ce fait, ils nous permettent de remplir nos objectifs de compétitivité ou environnementaux. Il est donc important de savoir si nous détenons les leviers de cette politique, sujet par sujet.
Force est de constater que les deux tiers de l'énergie que nous consommons sont d'origine fossile, notamment les carburants. Le premier point de préoccupation est à mon sens celui de notre dépendance aux importations de carburants de source fossile. Cet élément est l'un de ceux qui ont le plus de conséquences sur notre économie et notre société. Je pense bien sûr à la crise pétrolière des années 1970, ainsi qu'à des événements plus récents, qui ont montré à chaque fois l'extrême sensibilité que peut avoir ce sujet et son impact immédiat sur nos concitoyens, notamment sur leur pouvoir d'achat.
Nous n'avons pas en France de capacité de production d'hydrocarbures. Nous sommes donc totalement dépendants des importations. Le sujet est double. Le premier, récurrent et de long terme, est celui du prix : nous subissons des augmentations de prix au gré des marchés mondiaux de pétrole, ce qui a un impact très fort sur le prix à la pompe. Depuis la guerre en Ukraine se pose également l'enjeu des volumes, c'est-à-dire de la disponibilité des carburants, compte tenu notamment des sanctions émises à l'encontre de la Russie et donc des conséquences de l'embargo sur les produits pétroliers. Je pense en particulier au fait qu'à partir du 1er février prochain entre en vigueur l'embargo sur les produits raffinés en provenance de Russie. Du fait de choix passés, qui étaient de souveraineté industrielle à l'époque, notamment sur la voiture privilégiant le diesel, nous sommes importateurs nets de gazole. De ce fait, nous dépendons de l'équilibre des flux mondiaux pour sécuriser notre approvisionnement.
Concrètement, nos raffineries sont approvisionnées en brut, disponible malgré les sanctions du fait de la reconfiguration des chaînes pétrolières, mais un point de vigilance important porte sur la question du gazole. De ce fait, le gouvernement, que j'ai l'occasion de conseiller à la fois comme secrétaire général et au cabinet de la Première ministre, a pris un certain nombre d'actions pour sécuriser des volumes. En revanche, le sujet du prix se pose, sur lequel les voies et moyens sont plus limités et sur lequel le Parlement a voté un bouclier tarifaire.
Les carburants sont donc un sujet de premier ordre en matière de souveraineté énergétique. Il est également très lié aux enjeux environnementaux, puisque la combustion d'énergies fossiles est à l'origine d'une grande partie de nos émissions de gaz à effet de serre. Si entre les années 1990 et 2010 nous avons plutôt gagné en souveraineté industrielle, au sens où le moteur diesel nous offrait un avantage eu égard aux importations, nous avons perdu en souveraineté énergétique, car nous dépendons énormément des importations de gazole. Depuis les années 2010, nous sommes entrés dans une phase de dé-dieselisation, qui pose question en matière industrielle, sur la fabrication de voitures, mais nous permet de gagner en souveraineté énergétique. Quand l'Union européenne décide l'arrêt de la vente de véhicules thermiques en 2035, soit une sortie des carburants vers 2050, nous avons la perspective d'un regain de notre souveraineté énergétique avec des actions très structurantes et de long terme. La question se pose en matière de matériaux notamment, mais l'avantage est très net sous l'angle purement énergétique.
La souveraineté énergétique pose aussi la question de nos importations de gaz. Comme pour les hydrocarbures, nous sommes intégralement importateurs de cette énergie. Nous avons compté par le passé des gisements de production, comme celui de Lacq, mais qui est aujourd'hui épuisé. La situation française est favorable par rapport à d'autres pays européens dans la mesure où, du fait de choix judicieux au cours des dernières décennies, des infrastructures de terminaux méthaniers ont été construites. Nous sommes donc bien dotés en capacités d'importation de GNL (gaz naturel liquéfié). Nous possédons également des interconnexions, notamment avec l'Espagne et le Portugal, deuxièmes pays les mieux équipés en terminaux. La loi votée en 2015 nous confère par ailleurs une avance sur le stockage de gaz : la France possède non seulement des capacités physiques de stockage, mais aussi des mécanismes de régulation qui permettent de les remplir correctement. Nous sommes ainsi passés d'une situation où nous étions fortement importateurs en provenance des gazoducs des pays de l'Est à l'une des principales portes d'entrée du gaz en Europe. La France détient donc les leviers de la sécurisation de son approvisionnement. Elle est toutefois confrontée au caractère limité des capacités de production mondiale et à la réaugmentation de la consommation chinoise, ce qui pose des enjeux importants de concurrence des ressources.
Là encore, des dispositions conjoncturelles ont été prises pour améliorer notre souveraineté. Plus structurellement, la réponse passe par la sortie des énergies fossiles aussi sur le gaz. Tel est le travail de décarbonation de notre industrie mené au titre de la planification écologique, pour passer à l'hydrogène, l'électrique ou la biomasse, de sorte à ne plus dépendre du gaz naturel. Les actions portent également sur le chauffage, sur lequel les changements structurels vers la pompe à chaleur ou autres permettent de sortir de ces énergies et, encore une fois, de gagner en matière de souveraineté énergétique, même si cela pose d'autres questions, notamment sur les équipements.
Le troisième sujet est celui de la biomasse, source importante d'énergie dans la mesure où une partie importante de l'énergie consommée se fait sous forme de chaleur. La décarboner nous conduit à utiliser davantage de biomasse. Nous avons un enjeu de sécurisation de notre approvisionnement en biomasse. La France est globalement plutôt productrice de la biomasse consommée sur le territoire. Des importations existent, mais nous en sommes au stade où nous devons faire les bons choix pour ne pas nous créer une dépendance. La biomasse est appelée à monter en puissance, avec le biogaz, la biomasse forestière ou toute autre biomasse agricole qui permettra une substitution aux énergies fossiles. Ce vecteur de souveraineté énergétique est amené à monter en puissance très fortement.
Je termine par l'électricité. Je distinguerais plusieurs éléments, du plus conjoncturel au plus structurel. Nous partons d'un actif de production d'électricité qui est de qualité, sous l'angle du volume de production, de la décarbonation et de la compétitivité prix. Malgré la crise conjoncturelle que nous vivons, les sous-jacents de ce système restent les bons : le coût de production n'est que peu dégradé et les volumes le sont conjoncturellement. Ce système est confronté à des enjeux d'évolution très clairs pour l'avenir, notamment des incertitudes pesant sur l'évolution de la consommation. A ces fondamentaux robustes s'ajoutent plusieurs types de crises. La première est une crise de disponibilité de notre parc existant. Je pense en particulier au parc nucléaire, frappé par une conjonction de problèmes de maintenance et de corrosion sous contrainte, qui ont conduit à une dégradation de la production au cours des derniers mois. Je pense également aux chocs de prix sur les marchés induits par la guerre en Ukraine, distincts de la réalité des coûts de production, et qui nécessitent des actions immédiates. Elles sont engagées, de sorte que nos consommateurs continuent à payer quelque chose qui ressemble aux coûts de production de l'électricité plutôt qu'à des prix de marché volatils.
Merci. J'ai plusieurs questions. A la demande du rapporteur, nous éviterons la période où vous étiez à l'Elysée, en vertu du principe de séparation des pouvoirs.
Vous avez beaucoup parlé dans votre propos liminaire des 63 % de consommation énergétique qui relèvent du fossile et qui sont parfois ceux les moins présents dans le débat public et notamment politique, qui s'est largement concentré sur la question électrique, et notamment celle du nucléaire. A quoi attribuez-vous cette focalisation sur le nucléaire depuis longtemps, mais plus particulièrement depuis une dizaine d'années ? Comment expliquez-vous l'absolue nécessité qui s'est installée dans le débat public de remplacer le nucléaire par des énergies renouvelables, alors que 63 % de l'énergie consommée en France est d'origine fossile ?
Le nucléaire est une énergie atypique, à laquelle sont associés des risques. Il entraîne un clivage assez fort dans l'acceptabilité publique entre ceux qui considèrent qu'on doit l'utiliser pour ses atouts – notamment la décarbonation, la production stable d'électricité et la souveraineté – et ceux qui craignent les risques associés. Il est important de rappeler ici que 2011 est une année particulière en matière de nucléaire : l'accident de Fukushima a entraîné des choix assez radicaux dans plusieurs pays du monde, notamment d'Europe. A cet égard, la France se manifeste plutôt par une très grande continuité dans le soutien au nucléaire.
L'électricité a la particularité de se manifester par des objets très visibles dans nos territoires : centrales, moyens de production d'énergies renouvelables, éoliennes en particulier. Ils provoquent un débat public assez fort. Il s'y ajoute les fermetures de centrale au fioul ou à charbon, qui sont des sujets territoriaux très forts. Inversement, les énergies fossiles du quotidien, que ce soit la voiture ou le chauffage, sont beaucoup plus banalisées dans le débat public. Elles apparaissent comme plus naturelles, alors même qu'elles ont été à la source des plus grands chocs de pouvoir d'achat, notamment des ménages, et qu'elles sont la principale cause de nos émissions de gaz à effet de serre, avec toutes les conséquences du changement climatique que nous observons désormais quotidiennement. Le lien entre ces deux sujets est moins visible.
Le rôle du politique est aussi d'amener le débat public sur les sujets vers lesquels il ne se porte pas de manière naturelle. Avez-vous formulé des alertes, dans votre rôle de conseiller, pour dire qu'il ne faut pas seulement parler du nucléaire ? Comment ont-elles été reçues ?
Mon parcours plus politique commence en 2014, quand je rejoins le cabinet de Ségolène Royal. Les engagements pris par le président Hollande portaient pour partie sur des sujets non électriques, notamment en matière de gaz à effet de serre, mais aussi avec l'abaissement de la part du nucléaire à 50 % à l'horizon 2025 et la fermeture de Fessenheim.
Quand j'arrive en avril 2014, nous avons trois mois pour mettre sur la table un projet de loi. Ce dernier avait connu beaucoup d'itérations et la mission de Ségolène Royal était de le sortir rapidement pour engager le débat politique au Parlement. Dès le début, nous avons le souci de poser le débat beaucoup plus largement que la question de l'électricité et de le décentrer de la question purement nucléaire pour mener un véritable débat, notamment sur les énergies fossiles.
Ce projet est donc assez nourri : il compte plus de 200 articles. Des sections sont liées au bâtiment, aux transports, c'est-à-dire autant de sujets qui ne sont pas liés au nucléaire. Cette tentative de décentrage se heurte assez rapidement à une attente très forte des personnes que nous avions alors dans la discussion sur la question du nucléaire. Néanmoins, un soin très particulier a été apporté à ce que les sujets soient traités.
Cette loi est bien souvent résumée aux 50 %, mais elle contient par exemple la création du chèque énergie pour les ménages les plus modestes. Elle réforme la régulation des stockages de gaz et pose les fondements de notre sécurité actuelle. Plus généralement, elle pose les outils de planification énergétique : elle crée la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas carbone comme outils de pilotage de l'évolution du mix électrique. Elle porte également sur les concessions hydroélectriques : elle a permis d'éviter ce qui était présenté comme la mise en concurrence inexorable des concessions et d'y proposer des solutions alternatives. Cette loi contient également des outils pour les énergo-intensifs, notamment les consommateurs de gaz, pour améliorer la compétitivité. Elle embarque l'obligation de travaux de rénovation énergétique à l'occasion des ravalements de façade. Ce sujet peut paraître anecdotique, mais il est très structurant pour la décarbonation, au sens d'une baisse de consommations de gaz et de carburant. Cette loi a également posé les premiers objectifs de véhicules électriques : celui de 7 millions de bornes électriques en 2030 figurait déjà dans la loi de 2015, alors que la voiture électrique n'était pas du tout au niveau de maturité actuel et que ses perspectives paraissaient moins claires.
Le projet politique de cette loi va donc bien au-delà du nucléaire et du mix électrique.
Les auditions que nous avons menées montrent que les scénarios de RTE étaient peu prospectifs jusque récemment et ne donnaient pas forcément de perspective claire sur l'évolution des consommations, notamment d'électricité. Sur quelle base avez-vous pu consolider les scénarios de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, loi TEPCV, pour les adeptes des acronymes ? Comment avez-vous déterminé le seuil de 50 % en 2025 pour le nucléaire et la fermeture de Fessenheim ? La question de la sécurité d'approvisionnement a-t-elle bien été posée dans les travaux préparatoires de cette loi, qui conduit à la fermeture de 12 GW de capacités de production pilotables ? Nous avons échangé hier avec le comité social et économique central (CSEC) d'EDF, qui déclare que de nombreuses alertes sont déjà émises à l'époque sur la sécurité d'approvisionnement, le calendrier prévisionnel de maintenance, etc. Comment ces enjeux sont-ils pris en compte en 2015 ?
A mon arrivée en avril 2014 auprès de Ségolène Royal, les 50 % en 2025 et la fermeture de Fessenheim étaient deux éléments de choix politique posés d'entrée de jeu par le président Hollande. Ils faisaient partie de ses engagements de campagne et il a été élu aussi sur cette base.
La loi distingue deux sujets bien différents, notamment en matière de portée normative : la fermeture de Fessenheim et les 50 %. Elle fixe un élément « mordant » en droit, au sens où l'autorisation de la centrale dépend du respect du plafonnement à 63,2 GW : le jour où un nouveau réacteur est mis sur le réseau, il doit entraîner l'arrêt d'une puissance équivalente. Ce sujet conduit à un véritable questionnement en matière de sécurité d'approvisionnement à l'époque.
Les 50 % à l'horizon 2025 s'appliquent sur des documents de programmation du mix énergétique prévus par cette même loi, mais qui sont à construire. Concrètement, le texte de 2015 impose l'élaboration d'une programmation pluriannuelle de l'énergie qui doit viser cet objectif, mais aussi respecter un certain nombre de critères, dont celui de la sécurité d'approvisionnement. Il ne fournit pas de base légale pour fermer les centrales à l'époque, mais cadre ce que seront les exercices de programmation ultérieurs que sont les PPE.
Les éléments dont nous disposons à l'époque, notamment en matière de sécurité d'approvisionnement, sont essentiellement irrigués par les exercices menés par RTE. La loi lui confie en effet le soin de prévoir l'évolution de la consommation. Le bilan prévisionnel de 2015 montre que tous les scénarios tablent globalement sur une stabilité, voire une baisse de la consommation d'électricité. A cette époque, la France exporte massivement l'électricité, de l'ordre de 50 TWh, vers les autres pays européens. Elle n'a donc pas de problème de volumes de production.
L'analyse est conditionnée : la centrale ne ferme que le jour où une autre est mise sur le réseau. En l'occurrence, le chantier de Flamanville est engagé depuis plusieurs années et les éléments de calendrier conduisent à une ouverture dans des délais à l'époque beaucoup plus raisonnables qu'aujourd'hui. Il existe par ailleurs un sujet historique de pointe de consommation très fort dans les années 2008-2010. Les éléments dont nous disposons en 2014, c'est-à-dire les prévisions de RTE, nous disent que le problème de la pointe est en cours de résorption et que le plafonnement à 63,2 GW ne remet pas en cause la sécurité d'approvisionnement.
De fermer une centrale.
Pour avoir suivi les débats à l'époque, je connais l'impossibilité juridique de mentionner Fessenheim dans la loi et la nécessité de trouver une parade, avec un délégué interministériel spécialement chargé de la trouver.
Le plafonnement de 63,2 MW a donc pour objectif de conduire à la fermeture de Fessenheim. Nous avons bien compris qu'il s'agit d'un choix politique. Il ne s'agit toutefois pas de figer à 63,2 MW les capacités de production nucléaires disponibles en France, puisque l'objectif est de passer à 50 % à l'horizon 2025 et donc de fermer une vingtaine de réacteurs. Au vu des auditions déjà menées, il semblerait que celles et ceux faisant la promotion des 50 % ne s'étaient pas rendu compte que cela impliquait plus de vingt réacteurs à fermer et qu'ils se sont effrayés en le découvrant. Toutefois, je ne comprends pas comment on peut fixer dans une loi deux objectifs qui finalement se contredisent : ramener à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique à l'horizon 2025 et assurer la sécurité d'approvisionnement, alors qu'on sait à l'époque que les deux sont techniquement incompatibles. Si j'ai mal compris, il faut me l'expliquer.
Nous avons à l'époque des capacités d'export déjà importantes, avec des marges supplémentaires. La mise en œuvre de ces 50 % repose donc sur deux éléments. Le premier est la possibilité d'augmenter rapidement les énergies renouvelables, pour parvenir à parité en volumes entre la production nucléaire et la production renouvelable. La production hydroélectrique étant comptée dans cette dernière, la France ne partait pas de zéro. Le second élément est notre capacité d'export : des besoins de consommation d'énergie se font alors sentir dans les autres pays européens. Les hypothèses mises sur la table font apparaître des volumes d'export très importants. Dans tous les cas, les analyses menées montrent que cette décision ne remet pas en cause les critères de sécurité d'approvisionnement.
S'agissant de la fermeture de réacteurs, deux sujets différents se posent : d'une part, le vieillissement du parc existant et d'autre part, la durée de vie du parc nucléaire. Les expressions publiques sont toujours ambiguës sur les raisons de l'arrêt des réacteurs : sont-ils arrêtés parce qu'ils parviennent en fin de vie ou parce qu'une décision externe a imposé qu'ils le soient, compte tenu d'autres paramètres sans rapport ?
En 2014-2015, les scénarios n'embarquent pas de décision sur la possibilité de prolonger de façon générique les réacteurs existants au-delà de quarante ans. A ce jour, nous n'avons pas de certitude sur les durées de vie au-delà de cinquante ou soixante ans. Je pense à titre personnel qu'il est important de prolonger les centrales le plus longtemps possible, tant que les critères de sûreté restent respectés, parce que ce sont des actifs importants, à la fois décarbonés et compétitifs.
Les scénarios sous-jacents comportent d'ailleurs des hypothèses implicites sur le nombre de centrales à fermer à quarante ans ou cinquante ans. Nous sommes donc partis à l'époque de la possibilité d'en prolonger au moins certaines jusqu'à cinquante ans. Les scénarios d'évolution du parc dépendent étroitement de l'hypothèse retenue sur la durée de vie des réacteurs existants.
Il appartient aussi au politique et à ses conseillers d'essayer d'anticiper les situations où nous ne serions pas capables de prolonger les réacteurs au-delà de quarante ans, ou uniquement certains. Dès lors, il est absolument indispensable d'envisager les voies et moyens alternatifs de production d'électricité pour sécuriser l'approvisionnement.
Or, il existe à l'époque un impensé assez fort chez les acteurs du système électrique, qui est de dire : cette situation ne peut pas exister. On refuse donc d'étudier en profondeur les solutions alternatives au cas où il faudrait fermer le parc, pour partie à quarante ans et pour partie à cinquante ans, pour des motifs de sûreté. L'expérience de la corrosion sous contrainte montre que des incidents non planifiés dus au vieillissement ne sont pas improbables. Il faut donc se préparer à ce que pourrait être une alternative, au cas où.
Enfin, le dimensionnement du système électrique est aussi un optimum économique. Surdimensionner le réseau amènerait le consommateur à payer très cher sa facture d'électricité. Il faut donc en permanence trouver un équilibre, c'est-à-dire une taille du parc de production qui permette de sécuriser la production, tout en étant acceptable et soutenable pour l'ensemble des consommateurs. On ne peut se permettre d'avoir deux parcs de production, au cas où l'un d'entre eux tombe en panne pour une raison inconnue et prolongée.
Tous ces éléments doivent être pris en compte. Les scénarios sur les dix ou quatorze réacteurs nucléaires correspondent dans la quasi-totalité des cas à des hypothèses sur la durée de vie des réacteurs. Ce point me paraissait important à partager avec votre commission. Cela n'implique pas une fermeture administrative : la seule base légale pour une telle décision est le plafonnement à 63,2 GW, qui s'est appliqué à deux tranches de 900 MW.
Avec des impensés qui nous ont été soulignés et semblent avoir surpris les analystes à l'époque, notamment sur la question du cycle du combustible et de la fermeture par le palier des 900 MW, le plus ancien, et donc l'absence d'outils pour la consommation des combustibles moxés retraités. Comment cet enjeu a-t-il été pris en compte dans ces stratégies, à l'époque où elles ont été pensées ?
D'abord, les EPR sont dits « moxables » par conception et pouvaient donc constituer le relais des tranches de 900 MW qui pourraient être fermés. Une réflexion porte également à l'époque sur le moxage des tranches 1300 MW, qui ne sont pour l'instant pas moxées, de sorte à garder la possibilité du cycle MOX dans le cycle aval. Les décisions de l'époque garantissent qu'un chemin existe et est toujours possible pour la pérennisation de la fermeture du cycle et notamment la question du moxage.
Dès cette époque et de manière constante dans les différentes responsabilités que j'ai exercées, la fermeture du cycle restait un objectif important. Il fallait donc garder les matières disponibles pour le moment où le cycle pourrait évoluer. Plusieurs options existent.
J'aimerais devancer une question souvent posée sur Astrid. Ces éléments ont déjà été avancés par un certain nombre de personnes que vous avez pu auditionner, en particulier François Jacq, Pierre-Marie Badiou ou Daniel Verwaerde. La loi Bataille impose d'étudier plusieurs pistes, notamment la transmutation. Un certain nombre de recherches aboutissent à des avancées dans le domaine. Assez rapidement, il s'avère possible de poursuivre la recherche sur le multirecyclage en REP.
Le sujet de la fermeture du cycle ne se résume pas au réacteur Astrid : de la recherche complémentaire est nécessaire. En revanche, Astrid implique, pour être utile, un déploiement industriel ultérieur. Astrid seul ne sert à rien : il faut une génération entière de réacteurs à neutrons rapides, permettant de traiter suffisamment de flux. Dès lors, la question est : peut-on ne pas faire la génération EPR et basculer directement sur une génération de réacteurs à neutrons rapides en grandeur réelle ?
Les éléments dont nous disposons à l'époque montrent que cette solution est extrêmement chère et conduit à une augmentation très forte du prix de l'électricité. Si elle se fait, elle doit arriver après la génération EPR, c'est-à-dire dans soixante-dix ans au moins. Est-ce le bon moment pour construire un démonstrateur qui conduira à figer le design ? Il a été décidé que ce n'était pas le meilleur choix à court terme. Pour autant, nous ne renoncions pas à la recherche sur la fermeture du cycle, qui reste active, notamment au CEA. Nous ne nous fermons pas cette piste, mais nous ne retenons pas l'option d'un démonstrateur, car le bon moment n'est pas venu.
Je reviens sur le cycle du combustible. Quand en 2015 la décision est prise d'engager une trajectoire qui conduit à fermer les moyens de production à l'horizon 2025, c'est-à-dire à dix ans, des difficultés industrielles existent déjà, notamment autour de Flamanville 3. Elles n'ont pas dérapé comme on le voit aujourd'hui, mais il apparaît déjà en 2015 que le chantier Flamanville est plus compliqué que prévu. Pourquoi aucune réflexion concrète d'envergure industrielle n'est-elle lancée sur la montée en moxage des 1300 MW, sur l'usine Melox, etc. ? On voit bien aujourd'hui que la filière MOX dans son ensemble est complètement fragilisée. Il manque une décision opérationnelle en 2015.
La loi 2015 impose une analyse des enjeux de l'évolution du mix énergétique dans toutes ses dimensions, incluant celle du cycle, au travers la programmation pluriannuelle de l'énergie. La première doit être faite sur une période de trois ans, puis par période de cinq ans. Le texte ne traite donc pas un certain nombre de sujets, renvoyant aux travaux de planification fine leur coordination. Cet état de fait est en quelque sorte le revers de la médaille de ce que l'objectif de 50 % en 2025 n'est pas normatif et n'implique pas des fermetures de centrale : il doit simplement encadrer les scénarios réalisés.
En d'autres termes, on ne prend pas toutes les décisions en 2015, mais on pose un certain nombre de sujets sur la table et l'on renvoie à la PPE les chemins pour les organiser, sachant que la PPE doit garantir un certain nombre d'éléments, notamment la sécurité d'approvisionnement, une énergie compétitive et des enjeux de cycle.
Par ailleurs, les hypothèses de fermeture des réacteurs en 2025 sont liées au fait que l'on ne peut prolonger leur durée de vie, compte tenu du vieillissement des matériaux et de l'absence d'autorisation générique de l'ASN de passer à la VD4. La question ne porte donc pas sur le moxage ou non, mais la fin de vie des centrales.
Enfin, les études techniques intègrent le moxage des 1300 MW, notamment, de sorte que lors des premières PPE, les informations soient disponibles pour assembler les différentes briques et prendre la décision en connaissance de cause. Vous interrogerez, je crois, demain mes anciens collègues sur les décisions prises en 2017-2019, conduisant notamment au moxage des 1300 MW et à la préservation du cycle. Depuis mon retour à Matignon, cette position est constante de maintenir opérationnelle la filière MOX dans l'aval du cycle, ce qui pose d'ailleurs des questions sur la perspective d'évolution de l'infrastructure, le « revamping », les évolutions, etc.
Vous avez dans vos fonctions successives vu passer le rapport dit « d'Escatha-Collet-Billon ». Ce qui a filtré dans la presse et les échanges que nous avons pu avoir avec l'un des auteurs montrent qu'elle contient la préconisation de lancer six EPR, solution au cycle, à l'effet falaise et à un certain nombre d'autres points. Nul n'aura lu ce rapport, dont les préconisations arrivent dans le débat public quatre à cinq ans plus tard. A quoi attribuez-vous cette lenteur ? Je pense également aux déclarations de Bruno Lemaire sur le fait qu'un rapport ne fait pas une politique énergétique. Qu'est-ce que ces éléments vous inspirent ?
J'étais à l'Elysée en 2017-2019. Je ne peux donc pas m'exprimer sur le rapport et la prise de décision et je me limiterai aux éléments publics.
Dès le début du quinquennat, la loi Hulot repousse l'échéance du 50 % de 2025 à 2035, pour se donner le temps de la réflexion. Ensuite, une étude de très grande ampleur est également commandée à RTE pour se projeter à très long terme. La conséquence du manque de visibilité sur l'évolution du mix énergétique, une fois le parc actuel en fin de vie, est en effet qu'il faut se projeter sur le très long terme. La commande est donc passée sur un horizon long, qui est celui de 2050.
Enfin, il est important de rappeler qu'en 2015, le projet EPR est en dérive de coûts et de délais. Il faut donc avoir des éléments d'appréciation de ce qui fonctionne ou non dans l'EPR, ce qui implique une séquence de retour d'expérience et des propositions de l'industriel sur les évolutions souhaitées, notamment en matière de design. Il s'ensuit la proposition de l'EPR2 par l'entreprise, maître du calendrier d'avancement de ce nouveau projet. Je constate que le detailed design n'est pas fini et qu'il reste des millions d'heures d'ingénieur pour achever de définir un EPR2, avant même de commencer à le construire. Il me paraît assez raisonnable d'attendre la maturité industrielle du design et du projet avant de s'engager sur des investissements pesant des milliards d'euros.
L'augmentation du niveau d'exigence de sûreté et la stratégie française en la matière entraînent des conséquences sur le calendrier des opérations, notamment de maintenance, qui connaissent un glissement progressif. Il s'avère compliqué de les conjuguer avec les ressources humaines disponibles en France. Ces éléments ont-ils été anticipés ? Nous voyons bien que l'enjeu pour le passage de cet hiver et des suivants porte sur la disponibilité des compétences.
La maintenance du parc existant est pour moi le principal enjeu à gérer pour ce qui est du nucléaire, car il entraîne l'impact le plus important sur notre mix de production. Cet élément est connu de très longue date : l'industriel devait monter en compétences des entreprises de la filière pour être capable de passer cette phase de maintenance lourde des quarante ans. L'entreprise s'y prépare depuis le début des années 2010. Tous les sujets que nous avons abordés précédemment, comme l'évolution de la part du mix, ont en réalité très peu d'impact opérationnel sur la certitude que l'enjeu des quarante ans arrive, qu'il s'étale entre 2018 et une bonne partie de la décennie 2020-2030 et qu'il nécessitera de former beaucoup de personnes et de monter en compétences. Ce champ était, il me semble, extrêmement clair et prédictible.
Les équipes gouvernementales que j'ai eu l'occasion de servir ont prêté à ce point une attention particulière et rappelé à l'entreprise l'importance de s'y préparer. Il appartient à l'industriel d'évaluer la bonne adéquation entre ce niveau de maintenance et la réalité. Des événements externes s'y sont ajoutés. Le Covid a clairement perturbé la maintenance, en allongeant les durées, et ce pendant une période assez longue : les règles prévues initialement n'ont pas pu s'appliquer, ce qui a conduit à des décalages importants. D'autres raisons externes, comme la corrosion sous contrainte, sont venues ajouter une difficulté supplémentaire, en mettant sous contrainte les capacités d'expertise et les compétences, notamment de soudure.
Cette montée en puissance programmée de très longue date et intégrée dans les exercices de planification sous la forme d'une moindre disponibilité a donc été perturbée par les événements exceptionnels que sont le Covid et la corrosion sous contrainte.
J'ai rejoint le cabinet de Jean Castex lors de sa nomination, à la fin de la période Covid. J'ai pu voir ses incidences opérationnelles.
Vous pouvez avoir des éléments de l'ordre de la culture générale, du réseau ou par la bande.
Les centrales nucléaires sont des organes vitaux de la nation. A ce titre, elles auraient pu échapper aux règles sanitaires applicables, au-delà de la nécessité de protéger les travailleurs et de faire preuve de bon sens. Le fait est que les travailleurs du nucléaire sont habitués aux mesures de protection. Une mesure de protection sanitaire supplémentaire n'était pas forcément compliquée à mettre en œuvre dans une centrale nucléaire. Pourtant, le parti-pris pendant le Covid est de ne quasiment pas réaliser de maintenance, ce qui conduit au décalage actuel. Des alertes avaient pourtant été émises à ce sujet. Pourquoi cet arbitrage ?
Je n'étais pas à l'époque à Matignon, mais à la République en marche. Je n'ai pas eu à vivre ces décisions et ne peux donc pas vous répondre sur ce point. J'en ai vu les conséquences, c'est-à-dire le retard de maintenance qui s'est trouvé accumulé en sortie de période. Je connais également la situation actuelle et les demandes faites à l'entreprise d'énumérer toutes les évolutions nécessaires pour réduire les phases d'indisponibilité, compte tenu de la nécessité absolue de réaugmenter la production, notamment au cours de l'hiver que nous sommes en train de vivre. On parvient assez vite à des sujets techniques de rechargement de combustible ou d'usure de certains équipements importants, comme des échangeurs, qui nécessitent des réparations ou des échanges. De ce qui nous a été remonté, des éléments techniques empêchent de lisser davantage les phases de maintenance.
Mes deux dernières questions s'éloignent du nucléaire pour revenir plus généralement aux enjeux de mix.
Notre parti-pris technologique porte sur le véhicule électrique. La question des matériaux critiques a-t-elle été suffisamment prise en compte ? D'autres solutions alternatives ont-elles été étudiées ? Un parti-pris est toujours risqué en matière politique.
Vous ouvrez un champ très vaste. Je tenterai de répondre en quelques mots.
Le sujet porte sur le transport de personnes en général, puisque les travaux de planification portent non seulement sur l'évolution de la voiture, mais aussi l'évolution des usages alternatifs à son usage individuel : les transports en commun, le vélo en milieu urbain dense, la marche à pied, le train sur les longues distances. La quasi-totalité des émissions de gaz à effet de serre liées au transport de personnes concerne la voiture.
L'enjeu est donc double : décarboner les voitures et basculer au maximum vers d'autres moyens les usages qui peuvent l'être. Il faut jouer sur les deux leviers, mais celui qui présente les résultats les plus efficaces à court terme est celui de la décarbonation de la voiture. Dès lors, il existe peu de pistes alternatives : l'électricité, les biocarburants ou l'hydrogène.
L'hydrogène est une énergie qui reste très chère à l'acquisition et qui conduit à des coûts d'usage très élevés, à part sur des usages spécifiques, notamment de flotte, car il faut une rotation très forte du véhicule. Les personnes qui veulent ou peuvent se le payer ne constituent qu'une très faible partie de notre population. L'alternative se pose ensuite entre la voiture électrique et les biocarburants. Ces dernières posent d'autres questions d'usage des ressources, notamment en matière d'utilisation de la biomasse et d'usage des sols.
Notre point de vue est qu'il faut prioriser l'usage de ces biocarburants sur des moyens plus difficiles à décarboner, comme l'aviation, les transports lourds, le transport routier ou les navires. L'électrification des véhicules est donc une solution importante. Le second sujet est celui de politique industrielle : pouvons-nous investir dans les constructeurs pour électrifier fortement les véhicules et faire autre chose en parallèle ? Il nous semble que les capacités de R&D de nos acteurs sont plus efficacement utilisées si elles sont focalisées sur l'un des sujets. Enfin, un sujet de bouclage matières se pose. Nous sommes en cours d'évaluation, mais il est d'ores et déjà certain que le parc électrifié français ne pourra pas être composé uniquement de voitures très haut de gamme et très lourdes, dont la seule particularité est qu'elles aient basculé à l'électricité. Nous avons besoin d'une gamme variée. Des évolutions restent donc à faire dans le mix voitures de demain. Les pistes existent, mais la mise en œuvre n'est pas encore totalement réalisée.
Nous sommes donc dans une conjugaison de l'objectif de moyens et de l'objectif de résultats, ce qui conduit rarement à de francs succès.
Nous avons l'impératif du résultat : la question des émissions de gaz à effet de serre est aujourd'hui largement documentée comme ayant des conséquences massives. Le coût des dommages est largement supérieur au coût de l'inaction. La question est donc de sécuriser des trajectoires qui nous permettent de réduire suffisamment ces émissions. Les analyses que nous menons montrent que le chemin existe et que des adaptations des politiques publiques sont à faire. Un grand nombre de ces adaptations a été engagé et il reste des questions de déploiement. A chaque fois, nous pouvons documenter des trajectoires qui montrent comment concrètement y parvenir.
Sans pour autant avoir une analyse fine de l'enjeu des matériaux, comme vous venez de le dire.
Les ordres de grandeur des matériaux nous laissent à penser que le chemin est conforme. Pour aller jusqu'au bout de l'analyse, il faut aussi regarder les flux : par quels pays ils passent, quels sont les concurrents sur la ressource, etc. Nous avons les fondamentaux qui nous permettent de dire que les volumes existants suffisent et des techniques de recyclage, s'agissant des batteries, qui nous permettent de dire que nous pouvons équiper le parc électrique français sans nous exposer en matière de souveraineté. En revanche, je ne prétends pas que nous ayons réglé tous les sujets pour une électrification totale du parc, parce que nous n'avons pas encore vu bien des éléments. Ces changements drastiques nécessiteront certainement des ajustements en cours de route.
Merci pour ces premiers éléments. Une question préliminaire, à la fois pour notre commission et pour ses auditeurs ou spectateurs : pouvez-vous préciser le rôle d'un conseiller en cabinet ministériel, comme vous l'avez occupé auprès de Ségolène Royal, puis d'un conseiller interministériel auprès d'un Premier ministre ? Ma question porte sur le rôle, les fonctions, la marge de décision dont vous disposez ou non.
Il faut effectivement distinguer les deux natures de postes : d'une part, conseiller ministériel et d'autre part, conseiller à Matignon. Le point commun aux deux rôles est que nous sommes auprès d'un ministre ou Premier ministre, décideur et autorité politique, qui prend la décision et l'assume. Nous produisons des éléments d'analyse qui permettent de faire le lien entre une très grande volumétrie de sujets techniques émergeant des différents services, le calendrier des enjeux qui se présentent et le calendrier politique, de sorte à décanter ces analyses techniques. Nous proposons des éléments de positionnement au ministre.
Cette description est très vraie pour les ministres que j'ai eu l'occasion de servir. Le conseiller en cabinet n'est pas le super-directeur d'administration centrale. La ministre, en l'occurrence Ségolène Royal, exerce une autorité immédiate sur l'ensemble des directeurs d'administration centrale. Ces derniers sont responsables des différents sujets et lui remontent directement un certain nombre de notes d'analyse. Comme conseillers, nous l'éclairons sur les points de coordination et de compréhension, pour faciliter la digestion de cette production des directions générales, afin qu'elle soit utilisable directement par une seule personne en bout de chaîne.
Je ne commenterai pas mon rôle à la présidence, mais le rôle est pour partie semblable auprès des Premiers ministres successifs, Jean Castex et Elisabeth Borne. Ce rôle se complète d'une mission de coordination et d'arbitrage interministériel. L'objectif est de s'assurer que tous les ministères aient bien été sollicités sur un sujet donné touchant plusieurs compétences ministérielles et de mettre en évidence les éventuels points de divergence entre ces ministères, de sorte que l'autorité politique, le Premier ministre en l'occurrence, puisse arbitrer.
Vous recevez donc des éléments techniques et de fond de la part des administrations centrales, que vous synthétisez, examinez, analysez et critiquez, et que vous soumettez ensuite à l'arbitrage de la ministre.
Absolument.
Vous avez exposé l'objectif politique des 50 % et d'une diversification du mix électrique. De 2012 à 2014, vous êtes chez du bureau de la production électrique au ministère chargé de l'énergie. J'imagine que le cabinet, auquel vous n'êtes pas encore, vous passe des commandes pour expertiser la faisabilité de cet objectif. Est-ce le cas ? Comment abordez-vous ce sujet ? Sous quels angles ? Quels éléments d'appréciation et d'analyse soumettez-vous aux autorités politiques ?
Même si l'intitulé peut paraître large, le poste ne concernait pas l'ensemble de la production d'électricité. En particulier, tous les sujets nucléaires sont traités par une sous-direction dédiée. Comme chef de bureau à la DGEC, je ne m'occupais pas du sujet nucléaire. J'avais dans mon portefeuille d'autres éléments, notamment le sujet des concessions hydroélectriques, dans lequel je me suis beaucoup impliqué, ce qui m'a conduit à être auditionné à de multiples reprises par madame Battistel, ici présente. Je m'occupais aussi de l'évolution des tarifs d'achat d'un certain nombre d'énergies, renouvelables ou non : il fallait renouveler alors un certain nombre de contrats de cogénération.
A cette époque, en 2012-2014, un grand débat sur l'énergie avait été lancé par des ministres antérieurs, Delphine Batho puis Philippe Martin. Les services s'étaient vu demander d'être à l'écoute des expertises apportées dans ce débat public. De ce fait, nous attendions plutôt les éléments et nous expertisions tel ou tel point à la demande.
Comme chef de bureau, je n'ai pas eu la charge de refaire un scénario complet de mix. Cet exercice n'existait d'ailleurs pas à l'époque : cette notion de programmation pluriannuelle de l'énergie n'a été crantée que par la loi de transition énergétique de 2015.
J'en viens à la période où vous arrivez comme conseiller chargé notamment de l'énergie auprès de Ségolène Royal. Pouvez-vous dire un mot sur l'état de la situation à votre arrivée ? Je pense à l'objectif politique des 50 % et à la préparation de la loi TEPCV qui, j'imagine, est largement engagée. Je pense aussi à l'état du parc et au chantier de l'EPR, qui commence à accuser des retards et des surcoûts significatifs.
La disponibilité du parc était plutôt correcte à l'époque, ce qui constituait une bonne nouvelle, car nous sortions d'une période difficile : les années 2000-2010 avaient connu une forte dégradation de la disponibilité du parc. En effet, le début de la période a été marqué par un sous-investissement très largement documenté par la Cour des comptes. Le débat et les textes, notamment la loi NOME, se sont focalisés sur l'évolution de la tarification pour qu'EDF puisse vendre correctement son électricité et dégager suffisamment de ressources pour engager les travaux de maintenance.
J'arrive donc à la fin d'une période où des ajustements importants ont été faits sur la méthode tarifaire. L'une de mes missions au cabinet de Ségolène Royal est de sortir de cette phase sans fin de contentieux sur les tarifs. La loi de transition énergétique comporte d'ailleurs des dispositions en la matière, pour sécuriser les ressources financières nécessaires au bon état du parc. Dans cette même période, avant mon arrivée, des décisions sont prises d'investissement à l'étranger, notamment le projet britannique. Encore une fois, le sujet porte sur les ressources disponibles pour investir correctement dans le parc.
A l'époque, les incertitudes sont fortes sur l'âge auquel on peut prolonger le parc existant. Nous avons alors des phases préparatoires aux visites décennales, mais pas encore de certitude sur le coût définitif, le temps nécessaire et l'intensité des travaux. Le projet de Flamanville était déjà largement engagé. Je précise au reste qu'antérieurement au parcours que vous avez cité, j'ai passé un an sur le chantier de l'EPR à Olkiluoto pour le compte d'Areva, avant d'entrer dans l'administration. Flamanville est donc en phase de chantier et des annonces successives portent sur des dérapages de coûts et de délais, les dires de l'entreprise étant difficiles à soumettre à tierce expertise. Le retour d'expérience manquait pour savoir comment traiter d'autres réacteurs.
Cette situation se reproduit-elle aujourd'hui ? Tout au long de vos fonctions, d'abord sous le mandat 2012-2017, puis par la suite, les discussions qui portent sur l'EPR avec EDF font état de reports ou de surcoûts toujours incrémentaux : le décalage est sans cesse de six mois ou d'un an. La discussion est un peu myope, c'est-à-dire qu'EDF ne parvient pas à anticiper la bonne date, qui est toujours décalée de peu.
Plusieurs éléments se cumulent. Il s'agit d'abord de problèmes de production, éléments exogènes qui conduisent à un report et un surcoût importants, compte tenu de l'ampleur des réparations. Je pense ici aux soudures. Pour le reste, il s'agit d'une série de reports plus incrémentaux et qui tiennent à un affinage progressif de l'analyse des risques et probablement une enveloppe initiale d'aléas estimée trop chichement. Les éléments dont je disposais à l'époque ne me permettaient pas de mener une analyse de premier niveau. Ceux fournis par les services et par l'entreprise nous ont permis d'évaluer ce point.
J'en viens à la loi de 2015 à proprement parler, évoquée par plusieurs de nos interlocuteurs sous des angles différents. Le premier angle, dans lequel vous vous inscrivez, est l'idée que les 50 % étaient un objectif politique, porté par le candidat François Hollande et repris par son gouvernement et ses Premiers ministres.
L'ex-directeur général de l'énergie nous a dit que des alertes avaient été remontées au cabinet de la ministre, et donc à la ministre elle-même, sur la faisabilité non pas des 50 %, mais de l'horizon temporel de 2025. A l'inverse, l'ex-DGEC a déclaré que les 50 % en 2025 étaient « réalistes ». Il s'agit donc d'une légère discordance.
Pouvez-vous confirmer que des alertes vous ont été remontées sur ce point et que vous avez pu les expliciter à la ministre ? Quelles ont été les discussions au sein du cabinet, à la fois sur les 50 % et sur les 50 % en 2025 ? Quelles ont été les raisons de l'arbitrage ?
Des analyses ont été remontées sur les scénarios susceptibles d'aboutir à cet objectif. Ce dernier reposait sur des hypothèses très ambitieuses en matière d'export d'électricité et de rythme de montée en puissance des énergies renouvelables. Le fait que leur atteinte n'était pas absolument certaine a été clairement écrit. Néanmoins, le chemin existait techniquement. Vous avez évoqué le directeur général de l'énergie précédant Laurent Michel. Il ne s'agissait donc pas de Ségolène Royal puisque, de mémoire, Laurent Michel arrive en poste en 2012.
Ces éléments sont donc remontés. La loi impose avant tout un document de programmation, la PPE, qui rassemble tous les ingrédients pour fiabiliser un certain nombre d'éléments. Elle se double de commandes techniques, notamment à RTE, de façon à établir des variantes de ces scénarios pour tester les différentes hypothèses. Les sujets de la PPE sont donc assortis d'une clause de rendez-vous et de revoyure.
La difficulté de ce scénario est clairement établie. Il n'est pas totalement impossible, mais il dépend d'hypothèses assez volontaristes. Le chemin existe. Il n'est pas mordant du fait de la loi, dans la mesure où il est indicatif et renvoie au dispositif de planification de la PPE, qui doit ensuite créer le chemin pour y parvenir.
A l'issue de ces travaux, notamment ceux menés par RTE, le premier acte du quinquennat suivant, sous l'égide de Nicolas Hulot, a été de décaler de dix ans l'échéance et de commander un travail de beaucoup plus long terme pour voir l'ensemble des effets engagés.
Je reviens sur vos propos pour être sûr de bien comprendre. Les administrations vous font remonter une difficulté technique, mais une faisabilité. J'ai d'ailleurs posé la question à monsieur Abadie, sur le ton non pas de la boutade, mais de l'exagération, en demandant : était-ce suffisamment grave pour entraîner votre démission ? Il a répondu par la négative, sinon j'imagine qu'il aurait démissionné. Il fait donc remonter des alertes qu'il qualifie, je crois, de sérieuses.
Même si une partie de l'arbitrage renvoie formellement à la PPE, j'imagine que vous soumettez la panoplie de scénarios à la ministre, qui arbitre en faveur du scénario de 50 % de nucléaire à l'horizon 2025. Est-ce bien cela ?
La question qui m'est posée à l'époque est : existe-t-il un chemin qui permette d'atteindre cet objectif, objectif politique fixé par le président de la République de l'époque ? Cette réponse est positive, compte tenu des éléments que je vous ai indiqués. Cela permet de renvoyer au débat parlementaire. Le Parlement se saisit ensuite de la question et vote cet objectif.
Il s'agit donc bien d'une décision politique. Les différents interlocuteurs, partisans ou non de l'ex-candidat et président Hollande, nous ont indiqué qu'il n'existait pas de sous-jacent très précis des 50 %. Vous le découvrez à l'époque, en arrivant au cabinet. Vous l'expertisez et vous l'indiquez à la ministre, Ségolène Royal.
Absolument.
Je ne comprends pas une déclaration de Ségolène Royal en janvier 2015. Je vous la soumets, mais nous lui poserons évidemment la question.
En mettant de côté la part politique ou de déclaration, la ministre exprime trois éléments : « Si j'ai réussi à faire voter à l'Assemblée la loi de transition énergétique, c'est parce que j'ai choisi trois options. La première a été de ne pas opposer les énergies les unes aux autres et d'affirmer dès le départ, malgré les réticences de certains, que l'histoire et le savoir-faire dans le nucléaire font partie de nos atouts. Deuxièmement, sans opposer les énergies, il faut malgré tout sortir du “tout nucléaire”, car c'est notre intérêt national. La montée en puissance des ENR doit s'accélérer et c'est une des missions d'EDF et des grands énergéticiens. Troisièmement, la loi plafonne la puissance nucléaire à 63,2 GW. »
Je reprends les trois points l'un après l'autre pour être sûr de bien comprendre. Vous me direz que le bilan prévisionnel de RTE 2015 est publié trop tard pour la préparation de la loi, mais ce document marque une relative stabilité à moyen terme de la demande prévisionnelle en électricité et de la consommation. Il comporte ensuite plusieurs scénarios assez divergents. Cette incertitude est assez impressionnante, puisque certains scénarios tablent sur une baisse très forte et d'autres sur une hausse. Nous avons l'impression, pour autant, que le 50 % est un choix de compromis, qui permet de ne pas condamner le nucléaire au profit des énergies renouvelables. Pourtant, étant donné le nombre de scénarios de RTE prévoyant à moyen terme une augmentation de la consommation électrique, la prudence aurait pu vouloir qu'on sécurise nos options et qu'on ne réduise pas très vite ni très fort la production d'origine nucléaire. Ces questions se sont-elles posées ?
Le même jour, la ministre déclare : « Je n'ai pas mis dans la loi une limitation à quarante ans, comme le voulaient les écologistes. » Pouvez-vous nous retracer les discussions politiques qui ont eu lieu au sein du Gouvernement ? Les écologistes en place au sein du Gouvernement demandaient-ils davantage ? Des pressions se sont-elles exercées pour que plus de quatorze réacteurs nucléaires soient fermés ou que la production d'énergie soit davantage plafonnée ?
Je commencerai par le dernier point pour remonter le fil des questions. Un débat porte à l'époque sur les voies et moyens pour fermer cette centrale nucléaire. Deux familles d'idées s'affrontent : d'une part, le plafonnement de la puissance installée à 63,2 GW, dont l'application conduit de fait à ne fermer qu'une paire de réacteurs en face de Flamanville, et d'autre part la limitation de la limite d'âge, par laquelle tous les réacteurs de plus de n années seraient amenés à fermer.
La ministre donne alors l'orientation très claire de privilégier la première option et de ne pas entrer dans la seconde. Ce débat se retrouve ensuite au Parlement : une tentative est faite de réintégrer cette logique, qui est de durcir au maximum les conditions de prolongation de la durée de vie des réacteurs au-delà de quarante ans. Pour le coup, la ministre de l'époque conserve une position constante, qui est de ne pas rentrer dans cette logique, mais de trouver un équilibre. En effet, les réacteurs ont été construits, dans leur dossier de demande initiale, pour une durée de quarante ans. Leur prolongation nécessite une forme de débat, d'où l'enquête publique. Pour autant, il ne s'agit pas d'en faire un point bloquant.
Sur la non-opposition des énergies les unes aux autres, les propos de la ministre contiennent plusieurs points. D'abord, une manière de réduire la part du nucléaire est d'augmenter la production des énergies renouvelables. Ensuite, dans tous les scénarios de RTE, la production nucléaire maximum est de l'ordre de 50 % et la puissance installée se situe en deçà des 63,2 GW dans les perspectives 2050.
Le diable étant dans les détails, il faut regarder les programmations fines : RTE ne se prononce pas sur le chemin pour y parvenir, sur un cumul ou non du parc existant et du nouveau nucléaire qui ferait dépasser les 63,2 GW. Pour cette raison, le Gouvernement n'a pas cherché, en début de semaine, lors du débat au Sénat, à revenir sur l'amendement de monsieur Gremillet qui supprime le plafonnement à 63,2 GW. Dans la logique de prolonger le parc existant, on n'exclut pas un dépassement temporaire de ce plafonnement.
Si l'on se replace dans la logique de l'époque, on n'avait aucune certitude sur la prolongation au-delà de quarante ans, qui plus est au-delà de cinquante ans. Les scénarios de référence mis sur la table portent sur des questions de fin de vie et de fermeture d'un certain nombre de réacteurs, qui s'échelonneront dans le temps et qui expliquent que le plafonnement de 63,2 GW n'est pas mordant.
Il existe par ailleurs depuis cette période une véritable réflexion industrielle pour éviter l'effet falaise, qui consiste à devoir renouveler l'intégralité du parc de production sur une durée courte, qui est la durée sur laquelle il a été construit, d'où la nécessité d'essayer d'échelonner. L'entreprise, c'est-à-dire l'EDF de l'époque, ne considère pas que cet échelonnement soit un problème industriel en tant que tel. Le souhait politique a donc été de trouver les voies et moyens pour pousser les acteurs à entrer dans une logique d'échelonnement.
Ma dernière question sur la loi de 2015 porte sur les 50 % d'énergies renouvelables. En 2015, on essaie depuis une dizaine d'années de développer les énergies renouvelables en France et on commence depuis trois ou quatre ans à constater un écart entre les objectifs français et leur réalisation, pour les raisons que nous analysons aujourd'hui : difficulté industrielle, difficulté d'acceptabilité sociale et d'implantation notamment et, à l'époque, problème de prix.
Quelles sont les analyses ayant permis à la ministre de trancher en faveur d'un arbitrage optimiste, voire très optimiste, puisqu'il vise à atteindre un objectif supérieur à ceux fixés jusqu'alors, alors que le rythme réel est moins important que toutes les prévisions ?
Les analyses qui remontent à l'époque pointent les difficultés d'accélérer aussi vite, mais la ministre fait preuve d'un volontarisme politique très fort pour aller dans cette direction. Il lui paraît important de cranter cette ambition pour que la filière accélère réellement : des objectifs faibles entraînent une réalisation faible, presque par autoréalisation. Le souhait était donc de tirer le plus possible la filière. Des analyses menées par l'ADEME ou la DGEC à l'époque montrent par ailleurs qu'il existe des voies pour accélérer, même si cette accélération n'est pas garantie à l'époque.
Inversement, la totalité des acteurs de la filière nucléaire que nous avons auditionnés estime que la loi de 2015 a entraîné une démotivation des acteurs au sein de la filière et une très grande baisse de l'attractivité de ces métiers. L'avez-vous constaté ? Vous a-t-on fait remonter des alertes de ce type ?
Il est important de dissocier l'exploitation du parc existant de la construction de nouveaux réacteurs. Indépendamment de cette loi, EDF est et reste l'exploitant de référence et l'un des premiers acteurs en matière d'exploitation de parc nucléaire dans le monde. Cette compétence est reconnue et la fermeture de deux réacteurs de 900 MW ne change pas cet état de fait. La base industrielle reste robuste et pérenne dans le temps, avec une visibilité qui lui a été donnée.
L'attractivité de la filière relève de plusieurs facteurs combinés. L'accident de Fukushima, en 2011, réduit l'attrait du nucléaire et son acceptabilité. On constate de fait une baisse de l'attractivité des métiers. Des chiffres existent en la matière : là où un poste attirait vingt candidats, il n'en attire plus que trois ou quatre. Ces éléments, très factuels, traduisent une problématique réelle. En revanche, je ne sais pas pondérer entre eux les facteurs : retards dans la construction des EPR, Fukushima et une loi qui donne des signaux de rééquilibrage du mix électrique et donc qui entraîne des fermetures de centrale. Enfin, la filière a beaucoup évolué depuis, notamment par les nombreux signaux donnés très rapidement.
Si j'ai bien compris votre propos précédent, la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim n'avait pas d'impact, au vu des données disponibles, sur la sécurité d'approvisionnement. Elle était conditionnée à l'ouverture de l'EPR, mais ne tablait pas sur la fermeture qui est intervenue ensuite des capacités pilotables thermiques. Est-ce bien ce que vous vouliez dire ?
A l'époque, les bilans prévisionnels intègrent l'information à date sur l'évolution des capacités, capacités thermiques incluses. J'avoue ne plus me souvenir exactement des variables de l'époque, mais des éléments du bilan global national d'équilibre offre-demande nous montrent alors que cette décision ne remet pas en cause la sécurité d'approvisionnement.
Il existe par ailleurs des considérations d'ordre local sur l'état du réseau dans des zones données, sur la topologie du réseau des points de production, pour savoir si la tenue de tension est suffisante ou non. RTE identifie à l'époque des lignes électriques à développer de sorte à garantir la sécurité. Nous nous assurons alors que ces travaux sont programmés et engagés, de façon à sécuriser au maximum l'approvisionnement. Ces éléments seront vérifiés en exécution par la suite et seront sécurisés avant que les décisions finales ne soient prises.
J'en viens à la période suivante. Vous quittez vos fonctions auprès de la ministre, Ségolène Royale, en février 2016, et vous revenez aux responsabilités auprès de Jean Castex, Premier ministre, en juillet 2020.
Ma question sera simple, mais large : qu'est-ce qui a changé ? Entre-temps, la centrale de Fessenheim a été fermée, sans que l'EPR ait été ouvert. La maintenance des réacteurs a connu des désorganisations et potentiellement des retards du fait du Covid. Les visites décennales s'organisent, mais un certain embouteillage est anticipé. RTE commence à alerter de manière un peu plus ferme, dans ses bilans prévisionnels, sur les hivers à venir. Le rapport d'Escatha-Collet-Billon, dont nous aurons une connaissance au moins partielle, a dressé un état du parc nucléaire existant et des recommandations pour l'avenir.
Ma première question sera générale et portera sur l'ambiance politique : a-t-elle radicalement changé sur le nucléaire et les énergies renouvelables ? La vision sur la diversification du mix a-t-elle été bouleversée ?
Elle a effectivement beaucoup changé. Les principaux éléments de changement portent sur le consensus concernant les évolutions de la consommation d'une part et sur la nécessité de renforcer à la fois notre base nucléaire et notre production d'énergies renouvelables d'autre part. L'opposition entre ces deux énergies est donc moindre, compte tenu des travaux très importants mis sur la table par RTE. La disponibilité a par ailleurs radicalement évolué, en raison de chocs non prévus à l'époque. Enfin, les politiques publiques ont changé avec, au début du quinquennat, le report en 2035 des 50 %. J'arrive au moment où des décisions ont été prises, notamment sur les EPR2, donnant de la perspective au secteur, bien avant le discours de Belfort.
J'ai peine à comprendre un élément qui se situe entre 2016 et 2020, hors de la période où vous étiez aux fonctions, mais vous en aurez peut-être entendu parler par la bande. Nicolas Hulot, ministre chargé de l'énergie, s'exprime pour la première fois à l'automne 2017 sur un report à 2030 ou 2035, option qui sera finalement retenue. Tout se passe comme si, très peu de temps après l'arrivée aux responsabilités, le constat de ce décalage était évident, immédiat et urgent. La loi n'avait été votée que deux ans plus tôt.
Avez-vous connaissance du ou des éléments qui ont permis à un ministre, pourtant réputé pour son amour modéré du nucléaire, d'avoir cette alerte responsable et réaliste ?
Elle découle des éléments que j'indiquais précédemment : la loi de 2015 prévoit une méthode pour analyser correctement la situation et définir des trajectoires. La grande différence est que nous sommes passés d'une logique où l'on fixait des objectifs a priori, en définissant ensuite les voies et moyens de les atteindre, à une vision radicalement différente, puisque nous sommes désormais capables de documenter le chemin et la trajectoire pour y parvenir. Le travail de fond de réajustement de la trajectoire a été réalisé par la première PPE, entre la loi et le début du quinquennat. Il a abouti à des conclusions qui conduisent rapidement à dire qu'il faut faire évoluer les paramètres, et notamment l'horizon des objectifs. Ce point est conforté par des analyses de RTE. En particulier, Nicolas Hulot s'exprime après une nouvelle analyse de RTE qui redonne du champ sur l'évolution des trajectoires.
Pardonnez la boutade, mais vous nous dites que la loi de 2015 a eu le mérite de créer la PPE et que la PPE a eu le mérite de défaire une partie de la loi de 2015.
J'aurai trois questions prospectives, sur trois moyens de réduire notre dépendance actuelle. La première porte sur la sobriété et s'adresse au secrétaire général à la planification écologique. Nos objectifs de baisse de la consommation énergétique sont extrêmement ambitieux, y compris à l'aune de ce que nous avons été capables de faire, de manière urgente, à l'automne et à l'hiver derniers. Pouvez-vous nous indiquer vos pistes de travail sur les gisements de sobriété, qu'il s'agisse du bâtiment, de l'industrie ou des transports ?
Ma deuxième question porte sur la capacité à atteindre cette indépendance. Vous avez évoqué notre dépendance aux deux tiers aux énergies fossiles. Avec votre double casquette industrielle et environnementale, êtes-vous optimiste quant à notre capacité à convertir rapidement et efficacement notre parc de véhicules thermiques, y compris les véhicules utilitaires et les poids lourds, en véhicules électriques ou en véhicules n'émettant pas de gaz à effet de serre ? N'avez-vous pas l'impression que l'échéance que l'on se donne pour la sortie des véhicules thermiques ressemble à celle qu'on s'est donnée pour le mix énergétique, c'est-à-dire un objectif politique qui n'est pas encore réalisable, d'un point de vue technique et industriel, à l'échelle ?
Enfin, des annonces récentes ont été faites sur la relance d'un programme de nouveau nucléaire et de six EPR. Au-delà des autorisations, qui seront traitées dans le cadre d'un prochain projet de loi présenté au Parlement, quelles sont, selon vous, les conditions de possibilité pour éviter le fiasco de l'EPR et réussir six fois en vingt ans ce qu'on n'a pas su réussir en vingt-cinq ?
S'agissant des voitures, l'échéance de 2035 fixée au niveau européen porte sur la fin de vente des véhicules neufs. La conversion du parc sera beaucoup plus lente et l'objectif concernant la totalité du parc est fixé en 2050. Si l'on transpose sur des échéances plus récentes, les modèles nous disent que de l'ordre de 20 % du parc sera converti en électrique à l'horizon 2030. Nous disposons de trajectoires laissant penser que l'échéance de 2035 est accessible et nous avons explicitement prévu une clause de revoyure à mi-parcours pour la réajuster, le cas échéant, compte tenu de la montée en puissance réelle. Nous ne sommes donc pas dans une configuration où l'on fixe d'abord l'objectif, avant d'examiner la trajectoire. Tout le sens de la planification écologique est de dessiner précisément, étape par étape et année par année, le chemin qui nous permet d'atteindre l'objectif. Il s'agit pour moi d'un point très fort de la méthode employée au cours des deux quinquennats par le président de la République.
S'agissant de la sobriété, les études montrent qu'il faut systématiquement trouver un équilibre entre des mesures de changement technologique – voiture, pompe à chaleur, etc. – et des mesures de baisse de consommation, d'efficacité et de sobriété, pour être capables d'atteindre nos objectifs de gaz à effet de serre, tout en préservant nos ressources naturelles. Des scénarios purement technologiques, sans sobriété, nous conduisent en effet souvent à consommer beaucoup de ressources, ce qui pose des questions de bouclage matières et de souveraineté liée à la disponibilité de ces matières.
En matière de bâtiments, les premiers résultats sont assez notables. Le plan de sobriété a montré que nous étions capables de baisser assez structurellement nos consommations. Indépendamment de cela, les chiffres des émissions sur les trois premiers trimestres 2022 sont disponibles. Ils montrent une baisse de 11 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment, mélange entre décarbonation et sobriété. Ce résultat très concret intervient avant que le plan de sobriété n'arrive au quatrième trimestre. Une dynamique est donc engagée, avec des résultats concrets. Nous avons lancé plusieurs chantiers pour l'accélérer et la renforcer, en particulier sur la rénovation des bâtiments publics. L'Assemblée discute actuellement de la PPL Cazenave qui porte sur son tiers financement. Il s'agit d'une manière de mobiliser les crédits d'intervention pour accélérer en la matière. Nous travaillons également à accélérer la rénovation des bâtiments de l'Etat. Le plan de relance a affecté plusieurs milliards d'euros sur la rénovation énergétique des bâtiments. Nous avons renforcé MaPrimeRénov' et surtout Mon Accompagnateur Rénov', un accompagnateur personnalisé, se déploiera au premier semestre et montera en puissance sur les gisements de rénovation des logements.
S'agissant de la mise sous contrôle du programme de nouveau nucléaire, le sujet nous préoccupe bien sûr beaucoup. Il recouvre plusieurs éléments. D'abord, nous avons mis en place un délégué interministériel au programme de nouveau nucléaire, Joël Barre, qui par ses compétences et son expérience en matière de gestion de grands programmes, apporte une expertise très forte sur la MOA (maîtrise d'ouvrage) du programme. Deuxièmement, il reste encore quelques millions d'heures ingénieur côté EDF et côté entreprise pour finaliser le design de l'EPR2. Il convient également de sécuriser les financements. Notre objectif est l'électricité la plus compétitive possible, or l'élément le plus important, presque plus que le coût à terminaison, est le coût de financement du projet, d'où des réflexions très structurantes sur les contrats du long terme et la régulation du marché de l'électricité. Enfin, les acteurs de la filière industrielle montent en compétences et en puissance. La coordination est ici primordiale. EDF a pris des engagements au Royaume-Uni et candidate en République tchèque. L'une des missions confiées à monsieur Barre est de vérifier la capacité à mener de front l'intégralité de ces projets.
Vous avez souligné l'importance des compétences. Ces dernières années montrent plutôt un reflux de la quantité de main d'œuvre et de sa qualité. Je ne parle pas des personnes, mais de l'ensemble du système et notamment de la sous-traitance. Etes-vous inquiet quant à la capacité du pays à recruter et former cette main-d'œuvre pour construire autant de réacteurs en aussi peu de temps ?
Je n'ai pas d'inquiétude majeure quant aux capacités de formation. La filière a mené un important travail de documentation sur les modalités de la montée en puissance. Le chemin a été décrit. Il reste désormais à suivre très attentivement son exécution. Je suis prudent et vigilant en la matière, mais je pense qu'il est possible. Par ailleurs, ce programme vise les premières mises en service en 2035. Nous nous inscrivons dans un temps long de structuration. Nous avons les bons ingrédients pour ce faire, mais cela représente un souci d'exécution très important.
Monsieur le secrétaire général à la planification écologique, avant d'occuper votre fonction actuelle, on l'a dit, vous avez été conseiller énergie de Ségolène Royal, Jean Castex, puis Emmanuel Macron à l'Elysée.
Nous constatons, au gré des auditions de cette commission d'enquête, que les différentes politiques énergétiques, notamment de François Hollande, puis Emmanuel Macron, mais aussi auparavant, ont en quelque sorte planifié des pénuries d'électricité, en réduisant la part du nucléaire au profit d'énergies renouvelables. Cela nous conduit aujourd'hui à adopter une stratégie digne du Tiers Monde, qui est celle de la sobriété, et qui vise tout simplement à répondre à une pénurie d'électricité et non à réduire des émissions carbone. Ces mauvaises politiques nous ont conduits à planifier une hausse des émissions des gaz à effet de serre de notre mix électrique. J'en suis témoin, pour la simple et bonne raison que l'on a rallumé une centrale à charbon dans ma circonscription de Moselle, à Saint-Avold. Ces mauvaises politiques ont également planifié une explosion des prix qui pouvait être anticipée. Marine Le Pen l'avait fait en septembre dernier, bien avant de se douter qu'un conflit éclaterait aux portes de l'Europe, du fait du système de l'ARENH, mais aussi du marché européen de l'énergie.
Ma question est donc la suivante. Vous qui avez été conseiller énergie de nos dirigeants depuis presque une dizaine d'années, à quoi sont dus ces mauvais choix énergétiques de nos dirigeants ? Qu'est-ce qui les pousse à prendre d'aussi mauvaises décisions ? En vous écoutant, j'ai l'impression que les causes de ces mauvaises politiques sont complètement exogènes : chocs, conflit, etc. En fin de compte, aucun responsable politique n'est vraiment responsable de ses actions. On ne peut tout de même pas accuser les scénarios de RTE d'être responsables de tous les maux. Les objectifs intenables de la PPE ont tout de même été adoptés par décret par le Gouvernement. Comment ces mauvaises décisions ont-elles été prises ? Surtout, comment être rassuré sur le bon sens de la planification écologique qui sera menée dans les années à venir et dont vous avez la charge ?
Nous sommes en commission d'enquête sur les raisons de la perte d'indépendance énergétique du pays. Au fil des auditions que nous menons, je suis convaincu que ses véritables raisons sont l'absence de vision, l'incompétence et probablement aussi le clientélisme électoral de nos dirigeants.
Je rappelle que nous sommes en commission d'enquête. Si les tribunes politiques ont leur place dans l'hémicycle et les médias, les questions peuvent être posées de manière pondérée et claire.
Je ne partage pas un certain nombre de vos constats sur l'organisation de pénuries d'électricité. Les analyses que nous avions à notre disposition et la réalité de notre parc nous conduisent à un constat assez factuel : la base française de production d'électricité est largement exportatrice en temps normal, hors aléa exceptionnel. Elle produit suffisamment pour nos concitoyens, à un prix bas et de manière décarbonée.
Les tensions actuelles sur le système électrique et le risque sur l'équilibre offre-demande sont très directement liés aux désorganisations de maintenance liées à la période Covid et aux pannes exceptionnelles liées à la corrosion sous contrainte, qui ont conduit à l'arrêt de douze réacteurs nucléaires. La bonne nouvelle est que les diagnostics ont été réalisés et que le plan de réparation, validé par l'ASN, a été mis en place. Nous sommes donc en phase de sortie de crise, ce qui nous conduit à être beaucoup plus optimistes pour la suite. Nous n'avons donc pas organisé de pénurie d'électricité.
Le débat se porte souvent sur l'ARENH et le prix de l'électricité. Je souhaite redonner ici quelques éléments. Le premier est qu'il existe depuis le début une forme de pacte national autour du sujet du nucléaire, selon lequel les Français soutiennent la création du parc et en subissent les coûts, avec en retour l'engagement de l'entreprise nationale de vendre l'électricité à quelque chose qui ressemble aux coûts réels de production. Le coût de production a été établi et tierce-expertisé autour de 50 euros du MWh, légèrement au-dessus de la valeur de l'ARENH, mais bien en deçà des prix de marché au cours de ces derniers mois.
Qu'un dispositif permette de garantir que les Français bénéficient d'un prix qui n'excède pas les coûts de production de l'électricité me semble être une bonne chose. Il a d'ailleurs été imaginé à la suite d'une première hausse de prix très importante, dans les années 2005 à 2010 – des dispositifs transitoires ont été mis en place, comme le tarif réglementé et transitoire d'ajustement au marché (TaRTAM). Encore une fois, l'idée était de dire qu'un Français qui a contribué au programme nucléaire doit pouvoir en tirer les bénéfices. Un débat a porté sur le canal qui permet d'apporter l'électricité vendue par EDF, à 42 euros en l'occurrence, au consommateur final. Les pertes en ligne sont faibles, ce qui permet au consommateur de retrouver cet avantage compétitif.
Tels sont les fondamentaux de cette électricité régulée qu'est l'ARENH et qui me semble être une très bonne chose. Sans ARENH, les prix auraient véritablement explosé. Ce mécanisme a non seulement été très efficace, mais nous est envié par bon nombre de voisins. Les Allemands ont ainsi essayé de le répliquer en pratiquant un prélèvement massif de la rente inframarginale pour redonner des subventions à l'ensemble des consommateurs.
Monsieur le secrétaire général, vous avez précisé que vous étiez arrivé dans les ministères lors de la loi TEPCV. Vous avez rappelé que cette loi possédait un champ très vaste et que la question du nucléaire n'était pas centrale, même si la médiatisation a pu le laisser penser. Aujourd'hui, nous voyons bien que les enjeux liés à la question énergétique vont bien au-delà de la question nucléaire.
J'évoquerai rapidement deux sujets et tout d'abord votre période à la DGEC. Sur la question des concessions hydroélectriques, les positions étaient assez fatalistes pour certains et convaincues de la pertinence de la mise en concurrence pour d'autres. Un lent renversement des positions s'est ensuite opéré pour parvenir à une volonté plus affichée de s'emparer de ce dossier et d'argumenter auprès de la commission européenne sur l'absence de bien-fondé de la mise en demeure.
A votre avis, cette décision, prise par monsieur Borloo en 2008-2009, je pense avec l'aval de madame Kosciusko-Morizet – mais ils nous le diront, puisque nous les auditionnerons – l'a-t-elle été parce qu'il fallait lâcher du lest sur les discussions en cours, notamment l'ARENH, ou parce que l'hydraulique n'était pas considérée comme un enjeu très important ?
Ensuite, qu'est-ce qui explique que l'on fasse preuve d'autant d'inertie depuis la loi de 2019 sur les augmentations de puissance, qui sont non négligeables et pourraient être opérationnelles très rapidement ? Il a fallu trois ans pour solder la question, au reste légitime, de la redevance qui n'était pas adaptée. Ce point étant réglé, ces dossiers sont-ils prioritaires pour vous et pour les différents cabinets, à un moment où chaque GW compte ?
Le projet de nationalisation d'EDF écarte-t-il le projet de la quasi-régie ou celui-ci est-il toujours d'actualité ? D'autres solutions sont-elles sur la table ? Quel est le calendrier de ces décisions ?
Ma dernière question porte sur l'ARENH. J'ignore si vous étiez en responsabilité lors de la prise de décision, qui affecte l'entreprise EDF depuis plusieurs années, sans pour autant que les fournisseurs alternatifs ne se soient engagés dans l'outil de production. Beaucoup des personnes auditionnées sont allées dans le sens de cette analyse – on a longtemps vanté les mérites de ce système sans pour autant se mobiliser sur ses effets négatifs : la non-indexation, l'asymétrie, le plafond qui n'intègre pas les véritables volumes produits par EDF. Vous étiez probablement présent pour l'augmentation du plafond. Pourquoi d'autres solutions n'ont-elles pas été étudiées ? Les recettes de complément de rémunération des productions d'énergies renouvelables auraient par exemple pu être employées à compenser le consommateur.
L'ARENH parvient en fin de vie. Il faudra caler un nouveau dispositif pour 2024. Y travaillez-vous déjà, notamment auprès de la Commission européenne ? A défaut, le risque est de devoir prolonger ce dispositif qui limite assez fortement les capacités d'investissement d'EDF. La question se pose au reste : faut-il toujours l'ARENH, à un moment où les énergies renouvelables sont totalement matures et où des productions à moins de 50 euros peuvent se trouver sur le marché ? Je souhaitais donc savoir si les discussions sont en cours et si la Commission européenne est plus ouverte sur le sujet qu'il y a plus de dix ans.
La décorrélation du prix du gaz et de celui de l'électricité est-elle véritablement portée à la Commission européenne et écoutée, alors que nous avons l'ambition forte de décarboner notre énergie ? Qu'en est-il de la sortie du marché de l'électricité, demandée par beaucoup d'acteurs ? Nous pourrions par exemple revenir au tarif réglementé de vente (TRV) et au tarif réglementé pour les collectivités et les entreprises, comme par le passé, sans pour autant supprimer les interconnexions.
Enfin, s'agissant du nouveau nucléaire, quel est votre espoir de voir l'autorisation de prolongation des centrales existantes acceptée par l'ASN et dans quelles proportions ?
Je prendrai les questions par la fin. Sur la prolongation des tranches existantes, des travaux sont en cours, menés notamment par l'entreprise et avec l'ASN, dont nous ne connaissons pas encore les résultats. Je ne peux donc pas anticiper les conclusions. Je constate néanmoins que la technologie Westinghouse a été importée des Etats-Unis et francisée. Il faut donc analyser soigneusement les écarts. Des prolongations de réacteurs ont été possibles aux Etats-Unis. De ce fait, les fondamentaux techniques nous laissent entrevoir des possibilités. Dans quelles proportions, dans quel calendrier et sous quelles conditions ? Quelle sera la disponibilité effective de tranches ayant plus de quarante, cinquante ou soixante ans ? Je ne sais pas répondre à ces questions à ce stade.
S'agissant de l'ARENH, la question essentielle est d'avoir un dispositif qui protège le consommateur, lequel doit payer in fine un coût de l'électricité approchant du coût de production. Des réflexions portent notamment sur le sujet du niveau et se centrent sur les travaux menés par la Commission de régulation de l'énergie. Ils mériteraient d'ailleurs d'être réactualisés, compte tenu de l'inflation que nous connaissons, pour intégrer l'ensemble des coûts. Des réflexions visent à rendre le dispositif plus symétrique, de sorte qu'en période de prix de marché très bas, l'entreprise puisse continuer d'avoir des revenus et maintenir ses investissements. L'ensemble est très lié aux travaux sur la régulation du marché de l'électricité. La Commission a mis sur la table des propositions en tout début d'année. Un cycle de discussions est engagé qui, je l'espère, pourra se conclure avant la fin de cette Commission européenne, de façon à mettre tout cela en œuvre.
Vous évoquez des solutions alternatives utilisant les rentes inframarginales des énergies renouvelables. Ce n'est pas tout à fait le cas, dans la mesure où, pour financer et garantir le bouclier, il faut à la fois l'ARENH et l'intégralité des recettes de la rente inframarginale des énergies renouvelables, des centrales gaz et autres. Ainsi, le solde est plus équilibré et minimise l'impact budgétaire pour l'Etat et pour nos concitoyens.
S'agissant des concessions hydroélectriques, nous échangeons de longue date sur le sujet, depuis 2012, quand j'étais au bureau de la production d'électricité. Je n'étais pas en cabinet lors des décisions prises par monsieur Borloo ou madame Kosciusko-Morizet. En revanche, il me semble assez évident que les objectifs formulés à l'époque portaient sur le développement des énergies renouvelables, dans la suite du Grenelle de l'Environnement, et parmi lesquelles l'énergie hydroélectrique. Une décision a ensuite porté sur les modalités.
La mise en concurrence n'est absolument pas un objectif en soi, mais un moyen. Faute d'analyse suffisante à l'époque, je pense, le débat s'est focalisé sur une solution, sans suffisamment regarder les autres. Vous-même rédigiez à l'époque un rapport pour proposer des solutions alternatives. Ces travaux ont conduit à ce qu'on commence à en proposer dans la loi de transition énergétique de 2015. Vous avez vous-même rapporté ce titre.
Par la suite, des travaux ont été menés, rendus possibles par le fait qu'EDF est à 100 % publique. Le scénario que vous évoquez de la quasi-régie est un scénario dont les conditions de réussite nécessitent que l'entreprise soit 100 % publique, de sorte à obtenir le classement juridique de la quasi-régie et ne pas passer par la mise en concurrence pour les attributions des nouveaux contrats. De ce fait, je ne suis pas en mesure de donner de calendrier précis tant que l'opération de nationalisation n'est pas totalement terminée. Elle le sera dans les prochaines semaines.
L'objectif de tirer le meilleur profit de notre hydroélectricité est tout à fait partagé par ce Gouvernement. Nous avons pu débloquer les seuils d'augmentation de puissance et le sujet de la redevance. Parvenir à réinvestir dans nos ouvrages hydroélectriques est un sujet prioritaire, de sorte à accroître le potentiel. Au-delà, ces sujets exigent du temps, notamment pour ce qui est des travaux et des autorisations. Nous nous mettons en ordre de marche pour pouvoir en bénéficier le plus rapidement possible.
L'augmentation de puissance ne pouvait effectivement se faire d'un claquement de doigts, mais il faut avouer que nous avons perdu trois ans, alors que les enjeux de souveraineté sont importants. La question de la non-concordance avec l'esprit de la loi de la redevance, qui n'était pas adaptée à ces augmentations de puissance, ont été changées cette année seulement. J'ose espérer qu'une fois cela réglé, les dossiers sur la table pourront être débloqués rapidement, dont certains que je connais bien et qui sont consécutifs au grand chantier de Romanche Gavet. Ils sont extrêmement attendus et nous seront extrêmement utiles dans les mois et les années à venir.
S'agissant des filières, nous avons depuis de nombreuses années pris le parti d'aider massivement les producteurs d'énergie, par le biais de subventions, de tarifs réglementés et de compléments de rémunération. Ces mesures étaient alors une très bonne chose, car il fallait rendre matures les différentes filières. Elles sont quasiment toutes à maturité, avec des prix de production extrêmement faibles. Ne devrait-on pas inverser la machine et porter notre financement et notre appui aux filières en amont ?
Je pense aux panneaux photovoltaïques, par exemple : toutes nos centrales photovoltaïques pourraient être équipées de panneaux français dans les années à venir. Il s'agirait de faire monter en puissance les entreprises comme Photowatt, dont nous avons beaucoup parlé dans les auditions et qu'EDF a reprise il y a quelques années. Elle doit atteindre le stade de la massification pour répondre aux différentes demandes, ce qu'elle ne peut pas faire aujourd'hui.
Je prends bonne note de vos points sur les projets, notamment Romanche Gavet. Nous leur donnerons une suite attentive. Nous partageons l'objectif ; la question est de voir comment tout cela avance et de faire en sorte que cela s'accélère.
Sur la filière, je partage totalement votre point de vue. Il est important de noter que les énergies renouvelables sont de plus en plus compétitives. Nous basculons d'un moment où nous les subventionnions massivement à une période où elles rapportent massivement à la collectivité. Au-delà des prix élevés, la baisse des coûts de production est très importante. De ce fait, les moyens déployés le sont en soutien à la filière. Je pense par exemple à ce qui est mobilisé dans le cadre de France 2030, sur l'innovation en matière de production d'énergie, qui permettra également de renforcer le tissu industriel, le tissu d'innovation et le tissu d'acteurs français. Cela doit se coupler avec de l'intégration, notamment dans les cahiers des charges des différents appels d'offres, de critères visant à la qualité environnementale des infrastructures déployées. Je pense aux panneaux et à leur contenu en CO2. Notre tissu productif français a des atouts très différenciants en matière d'empreinte carbone et d'impact environnemental. Il serait important de le mettre en avant et de le développer, pour le bien collectif.
Dans le cadre de votre secrétariat général à la planification écologique, quel est votre champ d'action pour relancer les filières de formation, étant donné qu'il nous faut construire de nouveaux réacteurs nucléaires ? Votre optique et celle du Gouvernement est-elle de laisser agir les acteurs privés, ou en tout cas EDF ? Considérez-vous au contraire que le législateur doit agir ?
La filière nucléaire est aujourd'hui en difficulté, comme l'a malheureusement démontré l'EPR de Flamanville. L'objectif de réduction de 50 % de la part du nucléaire à l'horizon 2025, puis 2035, a complètement pénalisé la filière. Malgré tout, je ne pense pas que les quelques mois de Covid soient à l'origine de la désorganisation de la maintenance des réacteurs nucléaires. Comme l'a dit Jean-Bernard Lévy lors d'une conférence au Medef, les objectifs de réduction de la part du nucléaire ont conduit à perdre toutes ces compétences.
Joël Barre, le délégué interministériel pour le nouveau nucléaire, a dans sa feuille de route de suivre ce chantier de structuration de la filière. EDF, entreprise prochainement nationalisée, est chef de file de l'équipe de France du nucléaire et joue un rôle structurant pour développer cette filière. L'action conjointe d'EDF, des autres acteurs de la filière et du délégué interministériel doit nous aider à piloter la structuration de la filière et la montée en compétences.
Sur votre dernier point, je suis en désaccord avec les propos de Jean-Bernard Lévy. L'ampleur du programme de maintenance est connue depuis plus de dix ans. Tous les paramètres étaient sur la table pour préparer la montée en compétences de la filière de maintenance et donc pour se structurer en réponse. Nous aurions pu avoir la chance de compter un certain nombre de réacteurs en construction : en cas de problème, nous aurions pu envisager de réaffecter des moyens de la construction à la maintenance. Toutefois, les compétences ne sont pas les mêmes. Un chantier neuf est une zone non nucléaire, en l'absence de combustible et de matière irradiée. Les formations, les qualifications et les compétences pour intervenir sur un réacteur en fonctionnement sont tout à fait différentes. Le passage de l'un à l'autre me paraît être un raccourci assez fort. Pour la pérennité de la filière, il est important de pouvoir dissocier les deux sujets.
Les réacteurs ayant tous été construits dans un délai très serré, il existe des moments de forte mobilisation pour la construction neuve et des moments où il ne se passe plus rien. Pour la pérennité de l'ensemble, la solidité de l'exploitation et de la maintenance, il est important d'avoir en parallèle des capacités bien dimensionnées pour faire correctement la maintenance du parc existant.
Les deux sujets ne peuvent pas être totalement dissociés, mais les deux problématiques restent fondamentalement assez différentes. Le sujet de la maintenance peut s'anticiper, puisque l'on peut d'ores et déjà dires que des investissements importants porteront dans dix ans sur les VD5. Surtout, si l'on peut démontrer que les réacteurs peuvent dépasser soixante ans, des investissements très massifs sont à planifier. Tout cela se prépare. Le sujet est assez disjoint du sujet du nouveau nucléaire.
Quand le principe des VD4 apparaît-il et s'accentue-t-il, sachant que leurs exigences se sont accrues au fur et à mesure ?
Le principe des visites décennales existe depuis la construction des réacteurs nucléaires. Nous avons donc depuis le début la perspective d'investissements lourds à la 40e année, pour remplacer un certain nombre de composants. De la même façon, nous savons que la VD5 est un peu moins intensive en travaux, car de gros composants ont été remplacés à la VD4 et possèdent une durée de vie suffisamment longue pour enjamber la VD5. Nous nous doutons que la VD6, si nous allons au-delà, impliquera certainement de nouveau des investissements très lourds, dans la mesure où l'on dépasse la plage de fonctionnement initialement conçue.
Mes propos sont très prospectifs et nécessitent d'être complétés et étayés par les études commandées à EDF, sous l'égide de l'ASN, pour définir ce référentiel. Ces études sont très importantes pour améliorer notre visibilité sur l'évolution du mix et pour donner de la visibilité à la filière, afin de garantir que la montée en compétences puisse perdurer jusqu'à cette période.
J'ai besoin d'une clarification de la différence entre les trois notions suivantes. Le post-Fukushima est une montée en niveau de sûreté et notamment en redondance d'un certain nombre d'éléments. Le grand carénage vise à remplacer les grands composants initiaux, afin de poursuivre la durée de vie des réacteurs ; il survient au seuil des quarante ans. Enfin, les VD4 sont une mise à niveau de sûreté au regard des standards actuels. Le post-Fukushima est une action coup-de-poing sur l'ensemble du parc. Le grand carénage était prévisible ; il est prévu et ne semble pas poser de difficulté particulière. La VD4 pose la question des standards actuels, eu égard à des réacteurs conçus il y a cinquante ans.
J'ai le sentiment que l'on mélange parfois un peu les problématiques dans les explications au grand public, alors que certains éléments sont indiscutables : pour le grand carénage, il faut bien que les composants tiennent. En revanche, pour la VD4, le niveau de sûreté attendu reste une commande, relative.
Vos propos relèvent de deux dimensions. La première porte sur le référentiel : la configuration du réacteur est-elle la bonne ? Dans ce cadre, nous pouvons être amenés à opérer des évolutions au titre de Fukushima, du remplacement d'équipements qui ont vieilli ou de l'évolution du référentiel de sûreté. Ces trois types de travaux sont effectués lors des visites décennales. Ceux qui ont été lancés récemment l'ont été dans le cadre de la quatrième visite décennale. Certains travaux de grand carénage ou de remplacement peuvent être échelonnés : une partie sur la VD4 et une partie avant ou après.
Vous mentionnez une part d'exigence variable dans la visite décennale, ce qui est l'objet de ma question. Certains éléments sont prévus, comme le remplacement des grands composants. D'autres sont imprévus, donc plus difficiles à anticiper. Or, j'ai l'impression que les VD4 comportent une part importante d'imprévu, qui ne pouvaient être planifiés il y a dix ans parce que le référentiel de sûreté a beaucoup évolué en dix ans.
Je ne saurais qualifier la part de chacun de ces enjeux. J'ai le sentiment que le remplacement de grands composants et donc le vieillissement programmé des centrales occupent une place importante des travaux nécessaires à l'occasion des quatrièmes visites décennales. La difficulté de la coordination des métiers et autres enjeux d'exécution expliquent les problèmes pour tenir les délais. Je ne peux en dire beaucoup plus.
Je mesure la complexité du sujet et donc la difficulté à dresser des généralités, mais est-ce à dire que certains de ces travaux auraient pu être réalisés lors d'une précédente visite décennale, si l'anticipation avait été mieux faite ? Je ne parle pas du post-Fukushima, mais des travaux nécessaires à l'entretien et à l'amélioration.
Je ne suis pas très à l'aise pour entrer dans le détail de ces éléments, car les situations peuvent être assez contrastées. Globalement, nous nous attendions, au moins depuis que je suis le sujet, c'est-à-dire depuis 2014-2015, à des remplacements de grands composants et à des évolutions liées au nouveau référentiel de sûreté, dont nous connaissions un certain nombre de paramètres. En revanche, des changements sont intervenus entre temps. Je ne suis pas capable d'évaluer leur poids relatif : sont-ils majeurs au point de bouleverser l'équilibre technico-économique de ces opérations ou non ? Sous toutes réserves, j'ai plutôt le sentiment que nous étions plutôt sur des éléments pouvant être anticipés.
Vous avez donné des éléments de temporalité intéressants : 2014-2015, c'est-à-dire une petite dizaine d'années avant l'exécution des VD4, mais aussi concomitamment à la fin des travaux post-Fukushima.
Plus précisément, le terme « grand carénage » visait à empaqueter l'ensemble de ces évolutions. Il faudrait vérifier dans les archives quand elle émerge, mais cette notion est mise sur la table avant le quinquennat Hollande.
Un élément est assez marquant au cours de la dizaine d'années qui vient de s'écouler : la fermeture de 12 GW de capacités de production pilotables. En comparaison, nos voisins, y compris allemands, conservent leurs moyens de production, à l'exception du nucléaire en Allemagne qui représente une part marginale de la production. Comment l'expliquer ?
Hors élément exceptionnel, comme le Covid et la corrosion sous contrainte, la France est exportatrice nette d'électricité et de façon massive vers les autres pays européens. Notre capacité de production nous différencie très nettement des pays voisins, à commencer par l'Allemagne, qui rencontre plutôt des difficultés en matière d'équilibre d'offre-demande. La question ne s'est pas du tout posée dans les mêmes termes. Fermer une centrale pour des raisons environnementales, parce qu'elle est à charbon, n'a pas du tout les mêmes incidences quand on possède un solde exportateur ou quand on court après les alternatives.
Deuxièmement, nous avons développé en parallèle les interconnexions. La solidarité européenne est réelle.
Troisièmement, un moyen de production sous cocon a un coût important. Des considérations de compétitivité et de prix de l'électricité entrent en compte. Se payer des réserves, comme le fait l'Allemagne, peut avoir un coût important. Dès lors que nous avons sécurisé les volumes et que nous sommes un pays très producteur et même exportateur, l'argument du prix intervient pour savoir si nous devons nous constituer des réserves.
Enfin, nous devions réduire les énergies fossiles et les émissions, à un moment où les éléments dont nous disposions nous conduisaient à penser que nous n'avions pas d'enjeu de sécurité d'approvisionnement. Saint-Avold a effectué un rattrapage au cours des derniers mois, de sorte à garantir la pointe au cours des deux prochaines saisons.
Vous venez de déclarer que l'enjeu du grand carénage était identifié depuis un certain temps. Dès lors, il existait un risque de baisse de la disponibilité. Ensuite, le lien avec les interconnexions me surprend. Nous tablons pour la fermeture de 12 GW sur la réduction de nos exportations, tout en sachant que nos voisins comptent sur ces importations pour se sécuriser. Vous venez de citer l'Allemagne. Le tout se fait alors que le développement des interconnexions est un moyen de sécuriser notre propre système énergétique. Il existe là une forme d'entourloupe. Où les sujets d'interconnexion sont-ils discutés ?
RTE et les gestionnaires de réseau effectuent une analyse très approfondie et détaillée, au pas de temps du quart d'heure, pour examiner les complémentarités, la robustesse des scénarios et les flux. Le fait est que les pointes de consommation des différents pays ne surviennent pas au même moment dans la journée. Les réseaux sont physiquement complémentaires, d'où l'intérêt de la solidarité européenne sur ce point.
RTE est l'un des meilleurs gestionnaires de réseau sur ce point, car il teste l'ensemble des configurations possibles en fonction du vent, de la température et du type de consommation. Vous avez eu des échanges, je crois, avec Xavier Piechaczyk à ce sujet. Le tout est résumé dans le critère des trois heures de défaillance en moyenne. Ce critère est sans doute améliorable, car il ne considère pas la profondeur de la défaillance. Il permet néanmoins de sécuriser le bouclage physique du système et de répondre, je pense, au point que vous soulevez.
L'ENTSO-E (European association for the cooperation of transmission system operators for electricity), association des gestionnaires de réseau européens, est mandatée pour réaliser les études de rebouclage des prévisions des opérateurs. Nous, Français, avons demandé à RTE de les tierce-expertiser, c'est-à-dire d'avoir son propre modèle, simulant aussi les autres pays. Nous disposons donc de deux visions : celle de RTE, que nous maîtrisons totalement dans ses paramètres, et celle de l'ENSOE, qui nous prémunit des erreurs d'analyse.
La France reste l'une des grandes puissances nucléaires mondiales : elle compte 10 à 15 % du parc nucléaire mondial et dispose de la maîtrise complète du cycle du combustible. En ce sens, elle est l'un des rares pays à pouvoir jouer le match avec les Russes, les Américains et peut-être demain les Chinois.
Pour autant, j'ai le sentiment qu'en matière de projection dans le temps de la filière nucléaire, nous sommes en plein tâtonnement. Le pari d'Astrid est en partie abandonné. Vous en avez expliqué les raisons, que l'on peut ou non partager. Quelle est, de votre point de vue, la perspective à donner à la recherche et à la filière électronucléaire française, qu'elle soit autour du REP, peut-être du RNR ou d'autre chose ? Quelles sont les briques à acquérir pour que notre grande industrie le demeure et se projette à l'horizon du siècle prochain ? Nous avons entendu des points de vue assez divergents sur le pas de temps réel. Le gap technologique arrive-t-il à la fin du siècle, parce que la disponibilité de l'uranium est suffisante, ou bien avant, parce qu'un renouveau nucléaire mondial pourrait accélérer la consommation d'une ressource finie ?
Nous sommes l'un des rares pays à construire de nouveaux réacteurs, sur un design qui a beaucoup évolué. Nos difficultés peuvent nous conduire à nous démoraliser, mais une comparaison avec les autres pays du monde montre que le maintien de notre puissance nucléaire se joue là. Nous disposons d'un réacteur français nouveau modèle, l'EPR, qui est en fonctionnement à Taishan. Il l'est quasiment à Olkiluoto et presque à Flamanville. Des chantiers sont également en cours. Tout cela nous confère une très nette longueur d'avance par rapport à bon nombre d'autres pays et d'autres configurations.
Nous sommes également le pays qui abrite la recherche sur la fusion nucléaire, avec ITER. Il s'agit d'un élément de projection important, notamment en matière de compétences. Nous sommes actifs sur les SMR, avec un projet français. Nous avons lancé dans France 2030 un certain nombre de fonds pour financer de l'innovation en matière de nucléaire, avec des pistes intéressantes de rupture technologique.
Tout cela me porte à penser que nous disposons d'une forte capacité de projection vers l'avenir, qui se renforce et se déploie. Je ne suis pas capable de prédire ce qui l'emportera sur le plan technique et de la compétitivité prix, importante pour que la solution puisse être déployée largement sans exposer nos concitoyens à un choc de facturation. Nous sommes bien positionnés pour faire partie de la solution et pour capter les autres solutions existantes pour les déployer chez nous.
Quand le président de la République parle de 6+8, il dresse un scénario au plus tôt : nous devons être prêts, au cas où il faille accélérer, d'où cet objectif ambitieux. Le rythme réel dépendra beaucoup de la possibilité de prolonger le parc existant et de l'arbitrage entre ce que nous pouvons nous permettre d'attendre, en matière de maturité technologique et ce que nous pouvons mettre en œuvre immédiatement au titre de nouvelles capacités. L'important est de garder des options ouvertes, d'être très actifs dans la montée en compétences et de nous tenir prêts à capitaliser sur chaque moment de maturité technologique, pour les appliquer à notre parc existant. Voici quelques éléments de réponse et de projection.
Je vous remercie pour votre disponibilité et la clarté de vos propos.
Je donne rendez-vous aux membres de la commission demain pour trois auditions successives, en espérant que les mouvements sociaux permettent à chacun d'être présent. Je rappelle à nos membres que les auditions pourront être suivies par visioconférence, pour celles qui ceux qui rencontreraient des difficultés de transport demain.
La séance s'achève à 20 heures 07. ———
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Antoine Armand, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Alexandre Loubet, M. Raphaël Schellenberger, M. Lionel Vuibert.
Excusée – Mme Valérie Rabault.