COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Jeudi 28 mars 2024
Présidence de M. Jean-Pierre Pont, Vice-Président de la Commission et de M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
La séance est ouverte à 17 heures.
Il est rare de réunir ensemble les commissions des affaires européennes et les commissions de l'aménagement du territoire et du développement durable des deux chambres du Parlement français. Mais il s'agit d'une occasion unique d'entendre, avant les élections européennes du 9 juin prochain, le commissaire en charge d'une priorité européenne majeure : l'adaptation au changement climatique. Nous le remercions d'être venu jusqu'à nous aujourd'hui.
Monsieur le commissaire, vous avez succédé à Frans Timmermans, dont vous ne partagez pas exactement la ligne politique… Il incarne le pacte vert, cette réponse volontariste que l'Union européenne a apportée au défi climatique et dont la mise en œuvre fait grand bruit. Il s'agit d'un engagement politique majeur pris en 2019 : avec le pacte vert, l'Union européenne vise la neutralité climatique à l'horizon 2050, dans le droit fil de l'Accord de Paris de 2015. La loi européenne sur le climat est venue ensuite, en 2021, transformer cet engagement politique en obligation contraignante. Sa déclinaison concrète a pris la forme du paquet législatif « Ajustement à l'objectif 55 », qui implique une transformation profonde de nos économies et de nos sociétés : le Sénat s'est positionné à ce sujet par une résolution en avril 2022, élaborée à plusieurs commissions. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette déclinaison des objectifs climatiques de l'Union ne s'est pas faite sans heurts ni critiques.
Les critiques ont porté sur la manière dont la Commission européenne entendait conduire le pilotage de la trajectoire menant vers cette neutralité climatique à l'horizon 2050. Je rappelle ainsi que le Sénat, à l'initiative de sa commission des affaires européennes, avait adopté en 2020 un avis motivé sur la proposition de loi européenne sur le climat, afin de dénoncer sa non-conformité au principe de subsidiarité : par cet avis, le Sénat s'opposait à ce que la Commission européenne puisse recourir à des actes délégués pour définir la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre en vue d'atteindre la neutralité carbone entre 2030 et 2050, alors même qu'aucun objectif intermédiaire à l'horizon 2040 n'était alors envisagé. Déterminer la trajectoire n'a rien de technique ni de mécanique. Les débats sont éminemment politiques, y compris dans la manière d'apprécier la capacité d'absorption par les États membres et les secteurs économiques des mesures envisagées.
Les critiques ont également porté sur la faiblesse, voire l'absence d'études d'impact circonstanciées sur des politiques pourtant essentielles. Je pense évidemment à l'agriculture. Même si le Sénat a sonné l'alarme à plusieurs reprises, les conséquences du pacte vert en ce domaine n'ont pas été correctement évaluées ni anticipées : rien d'étonnant à ce que les agriculteurs manifestent depuis plusieurs mois dans une grande partie de l'Europe.
Je pense également aux débats compliqués que nous avons eus, lors de l'examen du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », sur la fin du moteur thermique à l'horizon 2035, mais aussi sur les imperfections regrettables du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.
Je pense enfin, de manière plus générale, à la manière dont la Commission européenne a abordé la question de la neutralité technologique. Il a fallu une crise énergétique majeure pour qu'elle assouplisse, non sans mal, sa position sur la place du nucléaire, y compris dans le domaine de l'hydrogène vert. Or, nous aurons besoin de toute l'énergie décarbonée pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 et nous défaire de nos dépendances, sans en créer de nouvelles.
L'Union européenne doit être plus attentive à l'impact social, économique et territorial des mesures qu'elle adopte, sans quoi la transition climatique se heurtera à des oppositions croissantes. Cette audition nous offre l'occasion de dresser, avec vous, un bilan critique de la mise en œuvre de ce pacte vert. Selon vous, qu'est-ce qui a bien fonctionné ? A contrario, qu'est-ce qui doit être revu ou amélioré, sur la méthode aussi bien que sur le fond ? Enfin, quel avenir lui promettez-vous après les élections européennes ?
Au nom de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale et de son président, Pieyre-Alexandre Anglade, qui regrette de ne pouvoir participer à cette réunion et m'a demandé de le suppléer, je vous souhaite à mon tour la bienvenue.
En tant que commissaire européen à l'action pour le climat, vous avez la charge de mener les réformes dont l'Union européenne a besoin pour réussir sa transition énergétique. Vous êtes membre d'une Commission européenne qui, depuis 2019, porte un projet ambitieux en faveur de la transition écologique au bénéfice des citoyens européens, de la planète et de l'humanité.
Cette volonté politique d'une Europe neutre sur le plan climatique pour 2050 a été portée par votre prédécesseur, Frans Timmermans, à travers le pacte vert européen. L'action européenne, menée depuis le début de la législature, entend faire de l'Union européenne le premier continent climatiquement neutre. Vous êtes chargé d'impulser des réformes visant à engager la mutation de notre système agricole, énergétique, industriel. Vous êtes aussi responsable de l'action internationale de l'Union dans ce domaine comme en témoigne votre participation à la récente COP28 et la diplomatie active des vingt-sept en faveur de la sortie des énergies fossiles.
Vous avez également eu la mission, à la demande d'Ursula von der Leyen, de réaliser une évaluation des plans nationaux énergétiques et climatiques des États de l'Union. Cette évaluation s'inscrit dans le cadre de la loi européenne pour le climat, adoptée en juillet 2021, qui instaure, pour les États membres, le respect des objectifs climatiques à horizon 2030 et 2050.
Enfin, vous avez joué un rôle majeur, ces derniers mois, dans la négociation et l'adoption par les co-législateurs, d'un certain nombre de textes européens faisant l'objet de négociations importantes. Avant la fin de cette législature, nous pouvons nous féliciter que le Parlement ainsi que le Conseil se soient mis d'accord sur des textes dont l'importance revêt un caractère stratégique pour notre santé, nos habitats et notre environnement. Je pense notamment au règlement sur la certification de l'élimination permanente du carbone, adopté le 20 février 2024.
Monsieur le commissaire européen à l'action pour le climat, je vous remercie d'avoir accepté de venir vous exprimer devant les commissions permanentes compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
En tant que président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, j'aurai plusieurs questions à vous adresser.
La première concerne le mauvais état de santé de nos forêts. Selon les estimations du Gouvernement français, notre pays pourrait atteindre son objectif de réduction des émissions sectorielles de gaz à effet de serre mais manquerait sa cible climatique en 2030 en raison d'une dégradation de ses puits de carbone. Cette tendance particulièrement alarmante, qui est également observée dans les autres États membres de l'Union européenne, compromet-elle le respect de l'objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 ? L'Union européenne s'est donné pour cible une augmentation de la capacité d'absorption par ses puits de carbone naturels de 15 % d'ici 2030…
Ma deuxième question porte sur l'objectif climatique à l'horizon 2040. Dans une communication du 6 février dernier, la Commission européenne a proposé un objectif de réduction nette des émissions de gaz à effet de serre de 90 %. En réponse à cette communication, la France a fait certaines propositions, notamment l'idée d'une fourchette d'objectifs ou encore de distinguer un objectif brut et un objectif net, afin de tenir compte de l'évolution des puits de carbone. Notre pays a également suggéré d'étendre plus largement le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, pour protéger nos industries face aux risques de fuite carbone. Quel regard la Commission européenne porte-t-elle sur ces pistes ?
Monsieur le commissaire, vous avez récemment déclaré, en usant d'une comparaison sportive, que nous en étions, en matière de transition écologique, à la mi-temps.
L'Europe a concilié politique climatique et politique de croissance. Les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 32 % depuis 1990, tandis que le PIB augmentait de 60 %. Mais le match est loin d'être gagné. L'Europe est le continent qui se réchauffe le plus rapidement, deux fois plus vite que la planète, depuis les années 1980.
L'Agence européenne de l'environnement vient de publier sa première évaluation des risques climatiques en Europe. Elle conclut que l'ensemble des politiques existantes au niveau de l'UE ne progresse pas suffisamment pour gérer la plupart de ces risques. Quelles actions faudrait-il conduire en priorité pour renforcer notre adaptation au changement climatique ?
Vous défendez une stratégie offensive, qui s'articule autour du triptyque : réduction des émissions, compétitivité industrielle et action pour une transition juste. Un élément important de cette stratégie est la prévisibilité de la trajectoire qui doit conduire à la neutralité climatique en 2050.
La principale échéance intermédiaire était celle de 2030, avec le paquet « Fit for 55 ». La Commission européenne a recommandé, début février, de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre de 90 % d'ici à 2040 par rapport aux niveaux de 1990, conformément aux engagements pris par l'UE dans le cadre de l'accord de Paris.
Il reviendra à la prochaine Commission de présenter une proposition détaillée en ce sens. Alors que certains des objectifs actuels continuent de faire débat, par exemple la fin programmée des ventes de voitures thermiques neuves en 2035, quels sont les leviers les plus stratégiques pour atteindre ce nouvel objectif intermédiaire ?
Enfin, une des priorités de la COP 29 sera d'approfondir la question du financement de l'adaptation au changement climatique et de la transition écologique. Le marché européen des quotas carbone, qui y joue un grand rôle, doit être complété d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Comment la Commission se mobilise-t-elle pour convaincre d'autres pays de développer une tarification du CO2 ?
Merci pour votre invitation. C'est un honneur pour moi de parler devant vos commissions parlementaires. La France tient une place particulière dans mon cœur. J'ai de très beaux souvenirs de mes nombreux voyages dans votre pays avec mes parents et, ensuite, avec mon épouse et mes enfants. J'ai également étudié et habité à Fontainebleau. J'admire la France pour beaucoup de raisons, y compris sa langue malgré mes difficultés à progresser en ce domaine !
J'admire la France pour son leadership, pour son histoire, son patrimoine et ses valeurs européennes et universelles – et c'est à cette aune que je me réjouis de débattre avec vous, d'entendre votre vision et vos idées pour l'avenir. Où en sommes-nous et vers où allons-nous ensemble sur le plan climatique ? Les changements climatiques sont bien réels : les scientifiques sont unanimes sur ce constat. 2023 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée. L'Europe est le continent qui se réchauffe le plus vite, deux fois plus vite que les autres. Les conséquences sont considérables à tous les niveaux. Sur le plan économique, le changement climatique pourrait réduire le produit intérieur brut européen d'environ 7 % d'ici la fin de ce siècle. Un exemple parmi d'autres : le coût des inondations de 2022, en Slovénie, s'est élevé à 16 % du PIB slovène. Il nous faut donc agir ; nous n'avons guère le choix et nous savons aussi que la situation va empirer avant de s'améliorer.
Merci pour vos questions. Vous avez rappelé nos objectifs d'ensemble, la neutralité carbone en 2050, et les objectifs intermédiaires pour 2030 et 2040 – nous sommes cette année sur une trajectoire qui permet raisonnablement d'espérer les atteindre aux échéances fixées. Cependant, notre succès tient à plusieurs facteurs. Nous avons besoin, d'abord, d'une politique climatique ambitieuse ; c'est la raison pour laquelle nous nous concertons aujourd'hui. Dans le même temps, nous devons maintenir la compétitivité européenne, qui n'est pas toujours celle que nous voudrions et qui est confrontée à une concurrence déloyale de l'extérieur. Enfin, nous devons assurer que la transition énergétique soit juste et équitable. Voilà donc les trois piliers de notre action, qui sont nécessaires pour réussir.
Où en sommes-nous à présent ? Nous avons adopté une loi européenne sur le climat. Nous disposons d'une série de mesures dans le cadre du paquet « Fit for 55 ». Nous avons mis en place un système d'échange de quotas d'émissions, ainsi que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui constituera une source de financement très importante pour les politiques climatiques européennes. En 2022, 30 milliards d'euros ont été collectés pour financer les dépenses d'adaptation au changement climatique des États membres et investir dans les technologies vertes. Autre innovation, nous avons communiqué sur la gestion des risques climatiques. Nous savons désormais que face à l'ampleur du changement climatique, nous devons nous adapter à l'échelle de l'Union et du continent – même si nous devons faire davantage en ce sens. Les 27 États membres y travaillent et la Commission européenne les aide à élaborer leurs plans énergétiques ; la France déploie beaucoup d'efforts en ce sens et chacun des gouvernements des ving-sept présentera ses objectifs le mois prochain.
Beaucoup a déjà été fait, mais beaucoup reste à faire au niveau européen. Ce qui est essentiel, c'est que notre action climatique ambitieuse soit conduite aux échelles continentale aussi bien que nationale et locale, avec ces trois principes à concilier que sont l'ambition climatique, la préservation de notre compétitivité et le caractère juste et équitable de la transition.
Beaucoup doit être réalisé, également, en dehors de l'Union, : notre continent ne représente en effet que 7 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Le changement climatique ne connaissant pas de frontière, il faut agir aussi sur les 93 % d'émissions qui se situent hors d'Europe, ou bien nous connaîtrons toujours plus de dérèglements climatiques. C'est pourquoi, vous l'avez dit, nous avons besoin de davantage de diplomatie climatique. Nous avons besoin de travailler aux côtés de nos partenaires pour améliorer la situation d'ensemble. Nous pouvons chercher à obtenir, par exemple, que la taxe carbone s'applique hors de l'Union : il s'agit d'un outil très efficace pour diminuer les émissions et sa généralisation éviterait qu'on ne fasse qu'exporter nos émissions carbone hors d'Europe. Nous avons besoin également que les règles du jeu soient équitables entre les acteurs économiques : c'est à ce prix que nous conserverons notre compétitivité. Il faut tirer les enseignements de ce qui s'est passé dans le secteur de l'énergie solaire. Les règles doivent être les mêmes pour tous et nous devons y veiller plus que nous ne l'avons fait par le passé.
Autre échéance importante, les prochaines COP. L'an passé, la COP de Dubaï s'est bien passée. Elle a été une réussite diplomatique, en particulier parce que nous avons su y agir en tant qu'Européens, et parce que nous sommes parvenus à faire partager notre vision ambitieuse pour le climat, avec des avancées qui vont dans le sens de nos intérêts, et de celui des industries européennes. La prochaine COP se tiendra, à l'automne, en Azerbaïdjan, et se concentrera sur les questions financières, avant la COP plus générale qui se tiendra, l'an prochain, au Brésil.
En résumé, beaucoup a été fait à l'échelle européenne et internationale ; beaucoup reste encore à faire Je me réjouis d'échanger à ce propos avec vous.
L'atténuation du changement climatique et l'adaptation à ses conséquences sont des priorités que plus personne ou presque ne conteste en Europe. L'Europe doit accélérer sa décarbonation, pour des raisons aussi bien environnementales que stratégiques, économiques ou encore sanitaires. Le Green Deal est ambitieux, mais il a été conçu avant la crise sanitaire et le déclenchement de la guerre en Ukraine, avant les perturbations croissantes sur les chaînes de valeurs mondiales, avant l'augmentation des taux d'intérêt, de l'inflation et de l'endettement public. Ajoutez à ce panorama, la pénurie de matériaux, de technologies ou de compétences essentielles et vous comprenez aussitôt que la mise en œuvre du Green Deal sera bien plus complexe qu'anticipée. Ses défis structurels et son coût économique se précisent, tandis que son acceptabilité s'amenuise. N'oublions pas les craintes toujours vives de nombre de secteurs industriels quant aux modalités finalement retenues pour le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, entré dans sa phase expérimentale il y a six mois. Rappelons-nous aussi l'exaspération exprimée, il y a quelques semaines, par les agriculteurs de toute l'Europe quant aux charges et aux contraintes supplémentaires induites par le Green Deal, tant dans ses volets biodiversité que climat. Et n'évacuons pas les sérieux doutes émis, il y a quelques jours, par la Cour des comptes européenne sur la faisabilité de l'interdiction des véhicules thermiques à partir de 2035. Alors que les efforts de décarbonation entrepris par nos principaux partenaires et concurrents internationaux restent parfois très largement en-deçà des nôtres et que nos concurrents mènent des politiques industrielles, commerciales, technologiques ou fiscales agressives sans se préoccuper de l'environnement, la transition écologique de l'Europe semble au milieu du gué. Une réévaluation stratégique du Green Deal et de plusieurs politiques européennes parait donc inévitable. Monsieur le commissaire, la Commission a-t-elle d'ores et déjà engagé une réflexion dans ce sens, en préparation de la nouvelle législature ? Quels seraient les grands axes d'inflexion ou d'action complémentaires pour mieux concilier la haute ambition environnementale avec la performance comme avec la souveraineté économiques, que nous devons impérativement renforcer ?
Au nom des députés Renaissance de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui afin de discuter des politiques environnementales européennes. L'action européenne est essentielle pour atteindre la neutralité carbone. Notre continent a une responsabilité particulière en étant le troisième plus grand responsable des émissions de gaz à effet de serre en cumul depuis la révolution industrielle, juste derrière les États-Unis et la Chine. Si nous sommes le troisième contributeur, notre continent est aussi le plus engagé pour résorber les effets de notre développement économique passé sur le climat. En effet, l'Union européenne a fixé une trajectoire ambitieuse avec une réduction des émissions de 55 % d'ici 2030, 90 % d'ici 2040 et la neutralité carbone en 2050. Agir pour baisser nos émissions et limiter les effets du réchauffement climatique est un devoir. Depuis les années 1980, l'Europe se réchauffe deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale : nous sommes le continent qui se réchauffe le plus vite sur Terre. Cela engendre de nombreux risques que nous subissons avec une occurrence et une gravité de plus en plus fortes. Ce sont des canicules et des extrêmes chauds qui impactent l'état des écosystèmes et la santé humaine, des pénuries d'eau qui ont des conséquences néfastes pour l'agriculture et l'économie, ainsi que des pluies extrêmes, des débordements de cours d'eau ou des submersions littorales. Pour répondre à ces défis et atteindre ses objectifs, l'Union européenne a adopté le pacte vert durant cette mandature 2019-2024, qui vise à faire de l'Union européenne le premier continent neutre pour le climat. Pour suivre nos objectifs climatiques et mettre en place un plan cohérent ainsi que pour assurer sa mise en œuvre sans oublier la question des ressources et de la biodiversité, la France s'est dotée d'un secrétariat général à la planification écologique. À l'heure où nous devons entrer dans la mise en œuvre du pacte vert et du « Fit for 55 », ne pensez-vous pas qu'il serait utile que l'Europe s'inspire de cette initiative française ? Quels sont les chantiers de la prochaine mandature pour atteindre nos objectifs climatiques ?
Le pacte vert est assailli de toute part. L'ambition climatique et environnementale européenne est largement remise en cause par les plus conservateurs. Les extrêmes droites, dont les sondages prévoient la montée en force, vont tout faire pour détruire le pacte vert, qui est devenu l'objet politique à abattre. Au regard des négociations des derniers mois, nous ne pouvons que nous inquiéter du sort réservé aux textes en matière d'environnement et de climat. La présidente de la Commission a pourtant annoncé l'objectif ambitieux d'une baisse de 90 % des émissions d'ici 2040. Cependant, le rapport de force ne semble pas jouer en faveur d'un renoncement programmé des investissements dans les énergies fossiles et la réduction drastique de leurs usages.
Les demandes d'une pause réglementaire surgissent de toutes parts, mais combien de temps la « pause » peut-elle durer sans mettre en péril l'objectif de neutralité carbone en 2050 et l'avenir même du pacte ? À quoi ressemblera donc l'acte II du pacte vert ? Ne sera-t-il pas vidé de sa substance pour répondre à la peur des industriels d'une perte de compétitivité ou à la fronde d'une partie du monde agricole contre les normes environnementales ?
Le pacte vert souligne aussi l'enjeu crucial de la transition juste. Quel accompagnement social garantit-il pour permettre la décarbonation de l'économie ? La montée en puissance des marchés carbone sur les énergies fossiles risque de faire augmenter les prix des énergies et de provoquer des troubles sociaux si elle n'est pas doublée d'un accompagnement social à la hauteur. Quels sont les outils qui seront déployés pour assurer une transition socialement équitable, en d'autres termes, peut-on compter sur un pilier social du pacte vert ?
Une révision de la directive européenne « poids et dimensions des camions de marchandises » autorise, depuis mars dernier, la circulation transfrontalière des méga-camions de marchandises. Ces véhicules, pouvant atteindre jusqu'à 25 mètres de long et peser 60 tonnes, posent de sérieuses questions en matière de sécurité routière, d'impact sur les infrastructures et de conséquences écologiques. Ces méga-camions, par leur taille démesurée, compromettent la sécurité sur nos routes. Ils représentent un danger pour les usagers, notamment dans les zones urbaines et périurbaines où les infrastructures ne sont pas conçues pour accueillir de tels mastodontes. Leur difficulté de manœuvre comporte un risque inacceptable d'accident et l'impact de ces véhicules sur les infrastructures routières ne peut être ignoré. Leur poids et leur taille exacerbent l'usure des chaussées, des ponts et des tunnels. Ils nécessitent des investissements publics conséquents pour la réparation et l'entretien des routes à un moment où les ressources financières doivent être orientées vers le transport durable comme le fret ferroviaire, par exemple – or le fret ferroviaire public français a été démantelé par la « Macronie » à la demande de la Commission européenne. L'argument selon lequel les méga-camions réduiraient les émissions de CO2 par l'optimisation des chargements est une vision à court terme qui occulte la menace réelle pour la stratégie européenne de décarbonation des transports. Encourager le transport routier de marchandises au détriment du fret ferroviaire et fluvial va à l'encontre total des engagements de l'Union européenne en faveur de la transition écologique. Le développement du fret ferroviaire représente une alternative durable et écologiquement responsable au transport de marchandises. En conséquence, avez-vous l'intention de soutenir le fret ferroviaire et de laisser aux États qui le souhaitent la possibilité de le faire ?
Ma question porte sur le transport aérien, un domaine déterminant pour la souveraineté européenne. Le règlement « ReFuel EU Aviation » prévoit une augmentation exponentielle de la proportion des carburants d'aviation durables (CAD) dans les avions, qui passerait de 6 % en 2024 à 70 % en 2050. Pour atteindre un tel objectif, il faudrait créer de toutes pièces une filière de production de tels carburants, car nous n'en possédons pas, ni nos voisins européens. Même avec toute la bonne volonté du monde, nous ne sommes pas en mesure de respecter ces normes d'incorporation, contrairement aux États-Unis par exemple, où se développe une filière très forte, avec des mesures de soutien à l'amont, au niveau de la production, et à l'aval, pour réduire la différence de prix entre les carburants durables et le kérosène traditionnel.
Quelles mesures européennes faudrait-il prendre pour soutenir le développement d'une filière de carburants durables en France et de façon générale, dans nos États membres ?
Ma seconde question concerne la compétitivité des compagnies européennes par rapport à la concurrence des compagnies du Golfe ou de la Turquie. Ces compagnies n'ont pas les mêmes obligations en matière de carburants durables et bénéficient d'un soutien public très puissant. On observe déjà des abandons importants de parts de marché des compagnies européennes en faveur de ces compagnies étrangères. C'est un réel détournement de trafic qui provoque des « fuites de carbone », car ces vols se détournent des grands « hubs » européens en passant par Dubaï ou le Qatar, des destinations qui ne respectent pas nos règles européennes de décarbonation.
Il faut également appeler à la plus grande vigilance concernant l'accord de ciel ouvert entre l'Union européenne et le Qatar, qui n'a pas encore été ratifié par les États membres, trois ans après sa signature. La taille des deux marchés n'ayant rien de comparable, donner un plein accès aux aéroports européens à Qatar Airways n'est pas équitable.
Monsieur le commissaire, quelles mesures européennes devraient être prises pour protéger les compagnies européennes de la concurrence déloyale ?
Merci pour ces questions et ces idées.
Madame de Cidrac, vous avez tout à fait raison de souligner l'incidence des questions stratégiques. Effectivement, notre sécurité n'est jamais garantie, ni gratuite, et nous devons faire davantage pour que notre continent dispose d'un accès aux matières premières critiques et essentielles qui est essentiel pour son autonomie stratégique. Nous avons encore beaucoup à faire pour être indépendants. C'est le cas pour les Pays-Bas par exemple, qui est un pays très dépendant de l'extérieur, mais aussi de l'Union européenne Vous avez aussi souligné les critiques qui sont faites aux politiques de transition. Comment les prendre en compte ? En démocratie, les solutions ne sont jamais unidimensionnelles. Notre obligation consiste à définir la meilleure des trajectoires, mais aussi à la faire accepter. Or, nous savons que si 4 Européens sur 5 veulent plus d'actions climatiques, ils sont aussi nombreux à s'inquiéter des effets de la transition sur leur emploi et sur leurs ressources. C'est à nous de résoudre ces contradictions.
Monsieur Weber a évoqué le programme de travail de la prochaine mandature. Je crois qu'il importera de continuer l'action climatique et qu'il faudra la concilier avec le développement de nos industries - ce qui suppose que nous aidions financièrement les secteurs industriels à décarboner, au premier chef les secteurs en difficulté. Les entreprises minières, par exemple, devront changer de business model. Je crois, ensuite, qu'il faudra renforcer notre diplomatie climatique au service de la planète – de même qu'il faudra agir pour défendre la démocratie, l'État de droit et les institutions créées au lendemain de la deuxième guerre mondiale qui sont critiquées et même menacées. Comment assurer que la transition soit équitable ? Nous avons déjà des outils allant dans ce sens : le fonds innovation, pour financer des emplois, le fonds transition juste. Ces outils sont-ils suffisants ? C'est difficile à dire. Il faut être souple et prêt à changer de rythme si c'est nécessaire.
Je suis sensible à la question de la sécurité routière, Monsieur Marchio, même si je n'en suis pas un spécialiste. Je ne connais pas l'ampleur du problème que vous soulevez et ne sais pas à quelle échelle ces camions produisent les effets que vous indiquez. Cependant, je constate que si les frontières sont ouvertes à l'intérieur de notre continent, les déplacements ne s'y font pas avec la même facilité selon les modes de transports. Le train, en particulier, peut être bien plus long que la route, et le service ferroviaire varie fortement selon les destinations. Ainsi, aller de Paris à Amsterdam prend trois heures en train, mais il faut six heures entre Amsterdam et Berlin, alors que la distance est équivalente. Nous avons donc besoin de plus d'interconnexions au sein de l'UE.
Enfin, Monsieur Demilly, vous posez une très bonne question sur l'aviation. En ce domaine, je crois qu'il faut mobiliser trois principes : en application du principe pollueur-payeur, il faut faire payer les passagers pour faciliter la transition ; il faut plus d'équité dans les règles du jeu et dans les contraintes imposées aux entreprises - les compagnies aériennes nous le demandent à raison ; enfin, nous devons aider le secteur du transport aérien à faire sa transition, notamment en recourant à des combustibles durables.
Selon une étude récente de l'Institut Rousseau, nous avons besoin d'investir 40 milliards d'euros d'ici 2050 pour décarboner l'économie de l'Union européenne. Les trois quarts de ces fonds peuvent être sécurisés en réaffectant des dépenses courantes, soit superflues, soit préjudiciables, au processus de transition. Ainsi, la somme à trouver serait de 10 milliards d'euros, soit environ la moitié de ce que l'Union européenne a dépensé en importation de combustibles fossiles en 2022. Il faudrait également doubler les dépenses publiques, de 250 à 510 milliards d'euros, pour catalyser l'investissement privé et financier dans des solutions de décarbonation non rentables. Cet investissement est bien moindre que les subventions des vingt-sept aux combustibles fossiles. Monsieur le commissaire, vous avez dit que la fin des subventions aux énergies fossiles était un des grands chantiers de votre mandat. Comment, concrètement, comptez-vous atteindre cet objectif, le plus tôt possible ?
Le doublement des dépenses publiques, de 250 à 510 milliards d'euros par an, nécessaire face au changement climatique, se heurte directement au pacte de stabilité, qui renforce l'austérité en imposant deux contraintes budgétaires qui n'ont aucun fondement sérieux : la règle du déficit public annuel inférieur à 3 % du PIB et celle de la dette inférieure à 60 % du PIB. Ces deux règles limitent grandement la capacité d'action des États et donc cet investissement public pourtant nécessaire. À la France Insoumise, nous dénonçons ces règles budgétaires qui ont été fixées de manière arbitraire et nous pensons qu'il faut, à minima, en exclure les dépenses écologiques et sociales, voire les abroger : qu'en pensez-vous ? Les années à venir seront décisives., L'Union européenne devrait être à la pointe de la lutte pour la sauvegarde des écosystèmes et la transition écologique. Elle en a les moyens financiers, techniques et humains. Il manque, depuis trop longtemps, la volonté politique : cette volonté est nécessaire et plus urgente que jamais.
Quelles ont été les impulsions données à l'échelle continentale pour soutenir les avancées environnementales des 27 États membres ? Vous avez cité la taxe carbone aux frontières, la redéfinition de la taxonomie européenne… Sur le fondement du pacte vert, de nombreuses législations nationales ont vu le jour pour viser la neutralité carbone en 2050. En France, nous avons connu, l'an passé, une baisse record des émissions de CO2 de près de 5 % : c'est autant qu'entre 2012 et 2017. Les explications sont, en partie, structurelles et, en partie, liées aux effets méconnus du plan de relance européen de 750 milliards d'euros. Du fait de la guerre d'agression russe en Ukraine, de la situation dramatique du Proche-Orient et de la baisse du pouvoir d'achat, nous avons mis de côté l'analyse des bienfaits de ce plan de relance, pourtant historique. La part revenant à la France et qui est de plus de 40 milliards se décline en de nombreux projets, tout comme les budgets alloués à l'Italie ou à l'Espagne. Il faut souligner que ce plan de relance européen oblige de dédier au moins le tiers des dépenses des plans de résilience nationaux à l'action climatique et au moins 20 % à la transition numérique. Grâce à ce plan, l'Espagne devrait accéder, en 2026, à 80 milliards d'euros de fonds non remboursables et autant en prêts. Cela avait fait dire à la gauche espagnole, il y a trois ans, que cet engagement marquait la fin d'une logique néolibérale.
Monsieur le commissaire, mesure-t-on déjà les effets de ce plan d'inspiration keynésienne sur les politiques nationales environnementales ? Avez-vous des exemples concrets à citer dans plusieurs pays ?
L'avenir du pacte vert – ou Green Deal – se joue en partie lors des élections européennes. Les manifestations des agriculteurs, en début d'année, l'ont montré : les Européens sont prêts à faire des efforts pour le climat, à condition que ceux-ci soient justifiés. Au cours du dernier mandat, notre famille politique a défendu les mesures du pacte vert qui fixait un cap utile et raisonnable, telle la taxe carbone aux frontières, pour lutter contre la concurrence déloyale de certains produits importés. En revanche, nous nous sommes opposés aux textes qui prêchaient la décroissance en Europe sans résoudre le problème environnemental. La stratégie du Farm to Fork, ou la loi de restauration de la nature, sont une catastrophe pour nos agriculteurs. L'interdiction du moteur thermique en 2035 est une absurdité pour nos constructeurs et le soutien aux énergies renouvelables, un accélérateur de notre dépendance à la Chine. Dans le cadre des élections européennes, nous dénonçons cette écologie de la décroissance, bureaucratique et punitive, qui crée de plus en plus de normes et dicte de plus en plus d'objectifs, sans se préoccuper des moyens de les atteindre. L'Union européenne ne pourra pas sortir seule le monde du marasme climatique. Les buts et les contraintes qu'elle se fixe ont-ils seulement encore valeur d'exemple ? Aujourd'hui, l'Europe prescrit et les États subissent. Beaucoup d'idées que nous portons depuis des années ont ainsi soudainement été reprises par nos adversaires par pur électoralisme. Tout d'abord, sur la nécessité d'un pacte vert moins complexe et mieux adapté aux réalités des entreprises et des ménages, qui laisse le temps de digérer les normes existantes avant d'en créer de nouvelles. Cessons de multiplier les règlements qui nourrissent un sentiment d'insécurité administratif pour nos forces productives. Ensuite, sur l'investissement en faveur de la réindustrialisation et de la souveraineté – en mobilisant l'épargne des Européens, comme le propose notre candidat. Ce n'est qu'en renforçant son économie que l'Europe réussira sa transition écologique : elle doit s'appuyer davantage sur les entreprises, la recherche et l'innovation. Enfin, sur le volet social, où il faudra des financements pour aider les ménages et les petites entreprises, si nous voulons éviter une crise des gilets jaunes européenne. Avec la Commission, vous avez proposé une baisse de 90 % des émissions en 2040. Attention aux objectifs irréalistes et injustes qui nous dirigent vers un décrochage durable vis-à-vis des États-Unis ou encore de la Chine. L'objectif de neutralité carbone est déjà complexe et ambitieux, ne l'alourdissons pas par du fardeau supplémentaire.
Je repose une question qui vient de vous être posée, parce qu'il me semble, Monsieur le commissaire, que vous n'y avez pas répondu. Le pacte vert vise à réduire les émissions nettes d'au moins 55 % en Europe d'ici 2030 afin que celle-ci devienne le premier continent neutre pour le climat d'ici 2050. La décarbonation du transport en est l'un des grands chantiers. Il est essentiel de travailler à une meilleure complémentarité des différents modes de transport, à savoir le ferroviaire, le fluvial et la route. Chaque mode a sa pertinence et c'est l'intérêt du transport combiné que de les articuler. Il semble pourtant que l'Europe ait décidé de défendre un choix inverse. En effet, en imposant, avec l'aval du gouvernement français, un plan de discontinuité à fret SNCF, principal opérateur en France de fret sur le rail, vous obérez la capacité du fret français à se développer. Alors qu'un train peut transporter en moyenne l'équivalent de 50 camions, c'est intéressant, l'Europe a fait clairement le choix de la route. Une directive européenne, récemment adoptée par le Parlement européen, prévoit ainsi d'autoriser la circulation des « méga-camions », pouvant mesurer jusqu'à 25 mètres de long et peser jusqu'à 60 tonnes. De tels camions réduiront certes de 20 % les émissions de CO2 par tonne de marchandises transportées, mais ils resteront au moins 9 fois plus polluants que le fret ferroviaire. Par ailleurs, cette décision pourrait engendrer une multiplication des camions sur les routes européennes, ce qui augmenterait finalement les émissions de CO2. Un cabinet indépendant chiffre cette hausse à 6,6 millions de tonnes de CO2 par an. Ces camions supplémentaires pourront de surcroît continuer à fonctionner au diesel jusqu'en 2035 en France. On risque donc, dans toute l'Europe, d'assister à un report modal inversé, du rail vers la route. Dans ces conditions, comment espérez-vous atteindre la décarbonation du secteur des transports ?
La Commission européenne a pris la main sur le Green Deal et défini des règles qui nous engagent pour les 25 prochaines années. Le Rhône, ce fleuve qui longe mon département de la Loire, est concerné par ce qu'on appelle les polluants éternels – les substances polyfluoroalkylées, ou PFAS –, soient quelque 12 000 substances de niveaux de dangerosité variable, et dont les pollutions auraient un coût de l'ordre de 84 milliards d'euros par an en Europe. Les Pays-Bas se sont engagés sur ce dossier. La Commission européenne a reçu en février dernier une proposition pour interdire ces polluants éternels. Quelle suite allez-vous lui donner ? Avez-vous un calendrier et des méthodes de travail ? Enfin, et parce que c'est le nerf de la guerre, avez-vous réfléchi à un outil financier afin d'aider les entités infra-étatiques à faire face au coût des pollutions subies ?
Mme Obono pose la question qui ponctue immanquablement tout débat politique et qu'on ne peut éviter : qui va payer ? C'est une question toujours difficile. En ce qui concerne le climat, il faut reconnaître que le secteur public manque de ressources et que nous avons besoin de fonds provenant du secteur privé. Nous avons aussi besoin que des pays non membres de l'Union européenne agissent davantage pour le climat. Ceux qui peuvent contribuer devraient le faire, en particulier ceux qui polluent. La responsabilité doit donc être partagée. Une manière d'avancer consisterait à s'assurer d'avoir les prérequis pour que des fonds privés soutiennent les investissements verts. Quant au pacte de stabilité, il résulte d'un compromis politique qu'il ne m'appartient pas de remettre en cause.
Madame Havet, pour ma part, j'estime que les fonds verts européens sont une très bonne idée ; c'est, à mon sens, un moyen de refaçonner nos économies.
Vous avez évoqué la guerre en Ukraine : il y va non seulement de la liberté des Ukrainiens, mais de l'avenir de l'Europe tout entière. Notre effort en faveur de l'Ukraine doit-il mobiliser des fonds européens ? Bien entendu. J'ajoute que, pour préserver sa sécurité, l'Europe doit rester soudée.
Monsieur Maquet, comme vous, je suis contre la décroissance, qui nuit tout particulièrement aux classes populaires et moyennes. Il faut privilégier une croissance économique durable. Vous insistez, avec raison, sur la simplification : les entreprises critiquent l'Union européenne pour la complexité de ses normes, et dans une certaine mesure ces reproches sont fondés. Cela étant, j'observe que, dans bien des cas, on raisonne à tort à l'échelle nationale : bon nombre de défis doivent être relevés aux échelles nationale et européenne.
Monsieur Barros, personne ne veut un retour du rail vers la route, mais il faut explorer toutes les solutions possibles. Je ne connais pas bien le cas spécifique de la SNCF. Toutefois, j'insiste sur le fait que, dans le domaine des transports, nous nous efforçons de privilégier les solutions durables, ce qui suppose de lever un certain nombre d'obstacles.
Monsieur Rochette, c'est la prochaine Commission européenne qui répondra à votre question relative aux polluants éternels. Face à ce fléau, on a beaucoup fait au cours des dernières années. Je suis certain que nous continuerons de lutter contre les polluants éternels : il y va de la santé de nos concitoyens et le débat se pose peu ou prou dans les mêmes termes dans tous les pays de l'Union européenne, y compris aux Pays-Bas. Aucun État n'est épargné.
Avant tout, je tiens à remercier nos collègues sénateurs de nous accueillir aujourd'hui au sein de la Haute Assemblée.
Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) est un des piliers du Green Deal, voté l'an dernier par le Parlement européen. Indispensable pour penser notre trajectoire de réduction carbone, cet outil vise à réduire, d'ici à 2030, les émissions de l'Union européenne de 55 % par rapport à 1990. À ce titre, comment voyez-vous l'alignement des États membres ? Ne pourrait-on pas être plus ambitieux encore, en relevant le taux de réduction à 60 %, voire à 65 % ?
En phase de test depuis octobre 2023, le MACF doit entrer en vigueur en 2026. À l'heure de la simplification, il place les industriels face à une véritable paperasserie… Surtout, comme vous le soulignez vous-même, il convient de développer des outils justes et équitables : comment éviter les effets de bord – contournements, iniquités ou encore distorsions de concurrence ? Mon collègue député Horizons, Henri Alfandari, s'est penché sur l'extension de ce mécanisme aux produits finis et semi-finis : la compétitivité des entreprises du secteur aval s'en trouvera mécaniquement dégradée. Que pensez-vous d'une telle extension, que certains souhaitent mettre en œuvre le plus rapidement possible ? Enfin, comment concevoir la trajectoire de montée en puissance ? Plus encore qu'une harmonisation tarifaire, ne pourrait-on pas aller dans le sens de la territorialisation afin de prendre en compte les spécificités des divers États membres ?
Aujourd'hui, six limites planétaires sur neuf sont dépassées ; les ravages du dérèglement climatique sont bien là et les problèmes ne vont pas aller en s'arrangeant.
L'écologie, l'environnement et le climat sont des sujets foncièrement européens ; sous la pression des mouvements pour le climat et des écologistes qui se sont mobilisés aux quatre coins de l'Europe, ils ont été inscrits au cœur de l'agenda européen. La législature qui s'achève aurait pu être celle de l'action contre la crise climatique : pourtant, main dans la main avec les gouvernants français, vous semblez désormais vouloir ralentir, voire reculer, qu'il s'agisse des nouvelles explorations fossiles, de la restauration de la nature, du glyphosate ou encore des pesticides.
Or l'Europe doit faire face aux enjeux du siècle avec force et ambition. Il y a quelques semaines, la présidente de la Commission européenne s'est engagée – enfin – en faveur de la loi sur la restauration de la nature : voilà des mois que le Parlement européen l'avait interpellée à ce sujet. Son soutien arrive bien tard. De tels atermoiements mettent en danger ce texte essentiel à la protection de la biodiversité, à l'heure où le consensus atteint est remis en cause par plusieurs pays. Je rappelle que, dans l'Union européenne, 81 % des habitats naturels sont en situation critique et que plus de 1 500 espèces sont menacées d'extinction. Comment comptez-vous avancer pour défendre cette loi essentielle ?
De même, pour la réduction des émissions, certains domaines restent à la traîne, notamment l'agroalimentaire – je vous renvoie sur ce point à un récent rapport de la Banque mondiale. Sous couvert de défendre notre souveraineté alimentaire, la Commission a abandonné la stratégie dite de la ferme à l'assiette : quel bilan tirez-vous des politiques européennes en la matière ? Quels combats la prochaine Commission devra-t-elle mener ? En particulier, qu'en est-il des importations d'engrais russes, dont nous restons dépendants et qui sont, au passage, 50 % à 60 % plus émetteurs de CO2 que les engrais produits en Europe ? Avec de tels exemples, on mesure les contradictions de l'exécutif européen dans les domaines géopolitique, environnemental ou encore climatique.
L'écologie est un combat, pour notre génération comme pour les générations suivantes, et nous devons mener ce combat à l'échelle européenne.
L'Union européenne est entrée dans une nouvelle ère d'approvisionnement en énergies décarbonées. L'agression russe contre l'Ukraine a mis en lumière la dépendance de l'Europe au gaz russe, fragilité instrumentalisée par le Kremlin, qui a entraîné une hausse démesurée des prix de l'électricité.
Auparavant, la politique de l'Union européenne en matière d'énergie et de climat avait connu des progrès notables, notamment sous l'effet de la crise covid. Le plan de relance européen a en partie comblé le déficit d'investissement public vert et l'effort a encore été accéléré par l'agression russe : les Européens se sont accordés en faveur d'une sortie rapide des énergies fossiles ; ils ont adopté un cadre réglementaire rehaussant les objectifs de déploiement des énergies renouvelables.
Toutefois, il n'y aura pas d'ambition commune sans un budget commun de la zone euro : Emmanuel Macron l'a rappelé dès 2018. En tant que ministre des finances des Pays-Bas, vous vous êtes opposé à ce budget commun. Or, aujourd'hui plus que jamais, nous avons besoin d'une politique budgétaire commune plus ambitieuse pour prévenir de nouvelles crises.
Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), a récemment évoqué la nécessité d'un nouvel emprunt européen pour financer la transition énergétique : sur ce sujet, quelle est votre position en tant que commissaire chargé de l'énergie et du climat ? Comment les institutions européennes pourront-elles soutenir très concrètement la mise en œuvre du Green Deal européen ?
– L'Europe a toujours su faire face aux crises qui ont percuté le continent, qu'il s'agisse de la crise des subprimes, de la pandémie de covid ou de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Chaque fois, elle a su repenser certaines de ses règles et déployer les budgets nécessaires, parfois quoi qu'il en coûte. Je vous interroge à mon tour : où est le « quoi qu'il en coûte » face au plus grand défi que l'humanité ait jamais relevé, à savoir le défi climatique ?
Vous avez pris l'engagement de réduire au minimum les émissions de gaz à effet de serre de 90 % d'ici à 2040 par rapport à 1990, ce qui suppose des changements structurels – sortie des énergies fossiles, développement des énergies renouvelables, rénovation des logements, etc. Au total, il faudrait 620 à 1 000 milliards d'euros supplémentaires chaque année d'ici à 2030 pour accompagner les ménages dans cette transition et s'adapter à des impacts déjà palpables – perte de production agricole, inondations ou encore sécheresses.
Ces problèmes risquent encore de s'accentuer, car les politiques d'atténuation actuelles ne sont pas à la hauteur : en Gironde ou en Île-de-France, pour ne parler que de l'Hexagone, de nouveaux forages pétroliers sont autorisés par le gouvernement. L'Europe, notamment la France, continue d'importer du gaz naturel liquéfié (GNL), notamment en provenance de Russie. Nous ne sommes pas sur une trajectoire de 90 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Comme vous l'indiquez, il faut réorienter les moyens privés en ce sens ; mais il faut également mobiliser les moyens publics pour que l'Europe soit à la hauteur. J'attends des précisions de votre part.
Le transport maritime représente aujourd'hui 3 % des émissions carbone mondiales et 85 % des marchandises européennes s'échangent par la mer.
Le secteur s'est engagé à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. À ce titre, le gouvernement français a signé, le 28 mars dernier, un pacte vélique destiné à soutenir la conception et la production de systèmes performants pour la propulsion de navires par le vent. Cette initiative répond aux engagements de la France pour décarboner le secteur maritime.
Avec le Green Deal, l'Union européenne se mobilise pour accompagner la transition bas-carbone ; une taxonomie verte est mise en œuvre pour identifier et encourager des investissements verts, ainsi que des activités économiques soutenables.
Bien que prometteuse, la filière vélique souffre d'un manque de soutien à l'échelle européenne. Pour les entreprises concernées, l'accès aux financements européens s'en trouve restreint.
Le règlement délégué (UE) 2021/2139 fixe un certain nombre de critères permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l'atténuation du changement climatique ou à l'adaptation à ce dernier. Alors que la filière vélique propose des solutions concrètes par le recours à cette énergie renouvelable qu'est le vent, les navires à propulsion vélique ne sont pas éligibles à la taxonomie verte : en effet, leurs émissions de CO2 à l'échappement ne sont pas nulles. Quelles initiatives la Commission pourrait-elle prendre pour accompagner le développement de cette filière et poursuivre, ce faisant, la décarbonation du secteur maritime ? C'est un enjeu important, notamment dans ma circonscription.
À la suite de Mme de Cidrac, j'insiste sur l'interdiction des ventes de véhicules à moteur thermique neufs dès 2035. Il s'agit, en effet, d'un grave sujet de préoccupation pour les Français.
Bientôt, les Européens n'auront d'autre choix que la voiture électrique ou à hydrogène, du moins pour les véhicules neufs. Or, à en croire un rapport publié il y a quelques semaines par la Cour des comptes européenne, la mise en œuvre de cette mesure est déjà compromise.
L'Union européenne manque d'une véritable feuille de route relative aux carburants alternatifs. Surtout, elle souffre de sa grande faiblesse sur le marché de la voiture électrique : elle n'abrite que 10 % de la production mondiale de batteries, contre 76 % pour la Chine. Cette problématique était bien connue lorsque l'interdiction évoquée a été décidée : l'Union européenne réalise une enquête afin de déterminer si les constructeurs de voitures électriques chinois à qui des subventions sont accordées respectent bien les réglementations européennes en matière de concurrence.
Quelques subventions européennes ont été récemment votées – 902 millions d'euros pour construire une usine de batteries en Allemagne, ou encore 600 millions d'euros pour aider l'usine Verkor à s'implanter dans le Dunkerquois. À cet égard, on invoque le climat ; mais l'Europe devrait également défendre le progrès économique et social en son sein. C'est même une de ses missions premières.
On ne saurait sacrifier l'indépendance et la puissance économique de l'Europe sur l'autel du « zéro CO2 ». L'Europe est déjà très dépendante de pays tiers pour certaines ressources. Il ne faudrait pas aggraver la situation. C'est le quotidien de vingt-sept pays et de 447 millions de personnes qui s'en trouvera touché ; et je ne parle pas du coût d'installation des bornes de recharge, lesquelles devront être uniformément réparties sur le territoire européen pour avoir une véritable efficacité.
Pour ces diverses raisons, le parti populaire européen (PPE) a annoncé qu'il ferait tout son possible pour retarder l'interdiction décidée. La date de 2035 n'est pas décemment envisageable.
Comment la Commission européenne a-t-elle pu se prononcer en ce sens ? Quelles mesures va-t-on prendre pour rendre cet objectif atteignable sans affaiblir l'Europe, sans aggraver sa dépendance face à ces géants que sont la Chine et les États-Unis ?
Madame Violland, il est difficile de prédire la manière dont le MACF va se développer ; mais j'insiste sur l'utilité de ce mécanisme, que ce soit au sein de l'Union européenne ou en dehors. Le meilleur MACF serait celui qui ne dégagerait aucun profit : cela signifierait que, suivant l'exemple de l'Union européenne, toutes les entreprises du monde auraient réduit leurs émissions de carbone. C'est notre espoir. Nous fixons des cibles ambitieuses à horizon 2030, 2040 ou encore 2050. Les États membres peuvent bien sûr aller au-delà, mais il faut à tout le moins respecter ces objectifs. C'est indispensable, non seulement pour nos entreprises, mais pour nos sociétés.
Madame Ollivier, vous avez totalement raison de le souligner : notre terre est notre meilleure amie. Elle fait partie intégrante de la solution à trouver en matière climatique. Il faut donc transformer notre agriculture : la Finlande et la Suède ont déjà progressé en ce sens. Dès lors que nous aurons élaboré un nouveau modèle économique, directement lié aux solutions fondées sur la nature et le climat, nous serons sur la bonne voie. Tel est le conseil que j'adresse à la prochaine Commission européenne.
Monsieur Laouedj, Madame Chatelain, vous m'interrogez tous deux sur les enjeux financiers. De manière générale, les crédits européens devraient évidemment être fléchés vers nos priorités-clefs, dont le climat et l'environnement font partie. C'est précisément pourquoi 30 % des fonds du plan de relance ont été réservés au climat. En outre, que ce soit en Europe ou dans le reste du monde, il faut assurer une meilleure mobilisation des investissements privés. Je suis favorable à une augmentation des crédits publics en la matière, mais il faut dépenser cet argent à bon escient et avec prudence, car c'est l'argent des Européens et des entreprises européennes.
Madame Métayer, vous déplorez que certaines entreprises, pourtant actives dans le secteur de l'innovation, n'aient pas suffisamment accès aux aides européennes. Nous avons encore beaucoup à faire dans ce domaine, car le verdissement de nos entreprises est un véritable enjeu. Le fonds d'innovation permet déjà de financer différents volets de la transition verte, notamment l'installation de panneaux solaires ; bien sûr, nous pouvons aller encore plus loin.
Enfin, Monsieur Berteloot, au sujet des transports automobiles, je me suis récemment entretenu avec de grands constructeurs automobiles, notamment français. Ils ne souhaitent pas repousser les échéances fixées, et désirent disposer d'une plus grande prévisibilité quant au déploiement des véhicules électriques. À ce titre, les infrastructures restent sous-développées dans l'Union européenne. En parallèle, il est indispensable d'investir dans le réseau. Cela étant, la tendance globale est positive : on investit dans les infrastructures et le prix des véhicules électriques devient plus abordable.
Je précise que les camions font l'objet de problématiques spécifiques, qu'il s'agisse de la longévité des véhicules, du rechargement des batteries ou des déplacements internationaux. On achète une voiture avec son porte-monnaie ; on achète un camion avec une calculatrice.
Merci, monsieur le commissaire, d'avoir répondu à nos questions, souvent complexes, à la veille des élections européennes.
C'était un grand honneur d'être aujourd'hui au Sénat français.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La séance est levée à 18 heures 35.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. David Amiel, M. Pierrick Berteloot, Mme Joëlle Mélin, Mme Lysiane Métayer, Mme Danièle Obono, M. Jean-Pierre Pont
Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Stéphane Buchou, M. Pierre-Henri Dumont, M. Alexandre Holroyd, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Klinkert, Mme Constance Le Grip, Mme Louise Morel, Mme Sandra Regol, Mme Sabrina Sebaihi, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, Mme Estelle Youssouffa
Assistaient également à la réunion. - M. Damien Adam, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Sandrine Le Feur, M. Emmanuel Maquet, M. Matthieu Marchio, Mme Anne-Cécile Violland, M. Jean-Marc Zulesi