La séance est ouverte à neuf heures quarante.
Présidence de Mme Lisa Belluco, présidente.
La mission d'information auditionne des représentants de l'association Intercommunalités de France.
Nous poursuivons nos auditions en accueillant M. Régis Banquet, président de la communauté d'agglomération de Carcassonne, dite « Carcassonne agglomération », qui représente aujourd'hui l'association Intercommunalités de France et qui est en visioconférence, au même titre que le député M. Julien Rancoule. Nous recevons également, ici même, Mme Carole Ropars, qui occupe dans cette association les fonctions de responsable de pôle et de conseillère urbanisme, mobilités et gestion des risques pour Intercommunalités de France, ainsi que Mme Montaine Blonsard, qui est responsable des relations avec le Parlement au sein de cette association.
Je rappelle qu'Intercommunalités de France promeut la coopération intercommunale et le dialogue territorial depuis sa fondation en 1989, à une époque où l'intercommunalité n'avait pas encore connu son essor actuel – on peut dire qu'elle est désormais généralisée. Votre association représente aujourd'hui près de 1 000 intercommunalités, regroupant des communes qui couvrent plus de 80 % de la population française.
Je précise, à l'attention de M. Banquet, que notre mission est composée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques. Elle a été créée à l'initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. J'ajoute que votre audition est filmée et accessible sur le site internet de l'Assemblée nationale.
L'objectif de notre mission est d'étudier, au plus près du terrain, l'organisation de la protection et de la sécurité civiles, ainsi que les défis à relever. Pour éviter de faire fausse route ou d'avoir des idées préconçues, nous avons tenu à débuter nos travaux en rencontrant les élus et leurs associations. Les élus sont « sur le terrain » et sont donc, par définition, au plus près des opérations de prévention et d'intervention menées par les forces de sécurité civile. Ils sont des acteurs de premier plan lorsque des crises surviennent et que ces forces interviennent. Ils peuvent ainsi s'appuyer sur leur propre expérience de ces situations et nous faire part de leur analyse sur l'état et le fonctionnement actuel de notre système de sécurité civile. Nous avons d'ailleurs rencontré jeudi dernier les représentants de l'Association des maires de France (AMF).
Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour partager avec nous l'expertise et l'expérience des conseillers communautaires sur ces enjeux, ainsi que la manière dont les élus coordonnent leurs efforts en matière de sécurité et de protection civiles à l'échelle de l'intercommunalité.
Nous voulons faire progresser encore notre modèle de protection et de sécurité civiles et l'adapter aux nouveaux enjeux. N'hésitez donc pas à nous faire part de votre analyse critique sur l'organisation actuelle de notre système, ainsi qu'à nous livrer des suggestions qui pourront utilement contribuer à nos travaux. Avant de vous donner la parole, notre rapporteur, Didier Lemaire, va vous poser une première série de questions pour lancer notre discussion.
Nous nous rencontrons aujourd'hui pour évoquer le sujet de la sécurité civile. Monsieur Banquet, vous avez été destinataire d'un questionnaire. Participez-vous à la réflexion publique sur le fonctionnement du modèle français ? Souhaitez-vous apporter des éléments nouveaux sur les différentes lois existantes ? Dans le cadre de l'intercommunalité, comment vous positionnez-vous par rapport au rôle du maire et du préfet ? Nous souhaiterions connaître votre ressenti sur le sujet de la sécurité et de la protection civiles.
Je souhaite saluer en préambule M. Julien Rancoule, député de ma circonscription.
Intercommunalités de France n'a pas vocation à remettre en cause le rôle du maire, ni celui du préfet. En matière de protection civile, l'ensemble des lois qui ont été votées vont dans le bon sens. Cependant, nous estimons que la situation devrait progresser. À l'heure actuelle, la gestion du risque doit être décorrélée de son anticipation.
Les deux sujets doivent être abordés de manière différenciée, afin d'améliorer l'efficacité de la réponse lorsque l'événement survient. Tout le monde a sa place dans la chaîne de réponses que nous devons mettre en place dans les territoires, qu'il s'agisse du secours que nous pouvons porter à nos concitoyens ou des services que nous pouvons leur fournir, ainsi qu'aux communes qui sont touchées.
Afin de vous éclairer, je souhaite vous résumer la position d'Intercommunalités de France. Dans l'urgence, c'est-à-dire la survenue de l'événement, le rôle du maire est prépondérant. Il doit prendre les premières décisions et être le « référent », naturellement en relation étroite avec le préfet si l'événement dépasse le cadre de sa commune. Le couple maire-préfet est donc essentiel lors de la réponse immédiate à la crise.
Ensuite, une fois que la première urgence est passée, l'intercommunalité doit jouer un rôle dans l'accompagnement des communes et de nos concitoyens, qui ont besoin que les services qui leur sont dédiés soient remis en place le plus rapidement possible. Je pense notamment aux services d'eau et d'assainissement en cas d'inondations ou de rupture de canalisations.
Les accompagnements peuvent également être plus profonds. En 2018, lors des inondations que nous avons subies dans notre région, nous nous sommes rapidement rendu compte que les assurances n'allaient pas rembourser la totalité des dégâts qui avaient été causés aux habitations. En compagnie du préfet de l'époque, nous avons décidé de mettre en place un projet d'intérêt général (PIG) pour financer la différence entre le montant des travaux et le remboursement des assurances, afin que nos concitoyens soient remboursés pour l'ensemble des dégâts qu'ils avaient subis.
En résumé, le maire est le référent sur sa commune lors de la première urgence ; il prend les premières décisions, avec le représentant de l'État. Dans un deuxième temps, l'intercommunalité intervient pour soulager, accompagner et se mettre au service de la commune et de ses élus, mais aussi des habitants des communes, afin de remettre en place le plus rapidement possible les services qui leur sont dus.
Permettez-moi de résumer votre propos, pour m'assurer que j'ai bien compris. Dans le cadre d'une gestion de crise, il y a à la fois « l'avant », par exemple les alertes météorologiques, puis la gestion de l'urgence par le maire à travers son pouvoir de police lorsque l'événement survient et, ensuite, l'accompagnement des communes et le soutien à la population. Dans cette dernière phase, l'intercommunalité est particulièrement essentielle. Est-ce bien cela ?
Pas tout à fait. Dans l'avant-crise, il faut également intégrer les éléments relevant de l'anticipation, de la pédagogie, de la mémoire des crises passées, de la formation et de l'accompagnement des élus. L'intercommunalité y a aussi un rôle à jouer, puisqu'elle a notamment la charge de la collecte de la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), pour la réalisation de travaux.
Cependant, le rôle de l'intercommunalité et celui des maires sont complémentaires : l'intercommunalité doit venir au service des maires, par exemple pour leur offrir de meilleures formations en matière de risque quel qu'il soit – comme le risque inondation ou le risque incendie – et avoir la capacité de proposer de meilleures réponses pour protéger les populations. S'agissant du risque incendie, une petite commune ne dispose pas forcément des moyens suffisants pour tracer les pistes à travers les massifs forestiers et faciliter le passage des pompiers. Dans ce cas, l'intercommunalité doit donc suppléer la commune pour effectuer les travaux nécessaires.
En résumé, l'intercommunalité est au service des élus, de la population et de l'État.
Je vous remercie. Vous avez fourni des éléments éclairants sur le rôle de l'intercommunalité, l'avant-crise et la prévention.
Ensuite, les différents plans de réponse aux crises vous paraissent-ils adaptés et suffisants ? Vos adhérents les connaissent-ils ? Faudrait-il en créer de nouveaux ? La formation des élus est essentielle, dans la mesure où, selon moi, la gestion de crise ne s'improvise pas. Pensez-vous qu'il faille aller plus loin ?
Il est assurément nécessaire d'aller plus loin. En effet, l'expérience est ici essentielle : seule la confrontation à une crise instruit. Lorsque l'on est un maire et qu'un événement majeur survient, on se sent parfois un peu seul ou isolé dans la prise de décision : tant que l'on n'a pas vécu une crise majeure, on n'est pas capable de répondre de manière pertinente à l'événement. En effet, dans ces circonstances, l'impréparation peut conduire à l'affolement et à la prise de décisions non optimales, sous l'effet du stress. C'est la raison pour laquelle je suis persuadé que la répétition d'exercices de simulation peut fournir une première expérience aux élus. Ensuite, lorsque la véritable crise interviendra, les élus auront réellement les moyens d'y répondre. Une circulaire d'instructions ne remplacera jamais le vécu sur le terrain.
En 2018, nous avons, dans notre département, été réveillés en pleine nuit par un orage terrible, qui a provoqué des inondations et a occasionné des morts toutes les heures. Face à une crise d'une telle ampleur, un maire ou un élu peuvent rapidement « perdre les pédales ». Pour éviter de s'affoler, ils doivent disposer d'une expérience préalable. Les pompiers commencent à travailler sur ces situations grâce à l'intelligence artificielle et des casques de simulations. De la même manière, il est possible de simuler une crise et de former l'élu pour lui fournir une expérience qui lui sera profitable le jour J. Après avoir affronté ces inondations en 2018, je suis convaincu que nous apporterions de meilleures réponses si un nouvel événement devait survenir. Nous savons aujourd'hui ce qu'il faut faire et ne pas faire. Mais cette expérience est difficile à retranscrire dans une loi ou une circulaire ; il faut la vivre.
Les textes doivent offrir un cadre. Je ne sais pas quelle sera la rédaction de la loi que vous souhaitez mettre en place. Mais au-delà de loi, il est essentiel qu'une appropriation et qu'une acculturation des élus et des populations interviennent vis-à-vis de ces risques.
Je vous remercie pour la clarté et la franchise de vos propos, qui nous placent au cœur des objectifs de notre mission d'information sur les capacités d'anticipation et d'adaptation. Je fais partie de ceux qui pensent que, dans une gestion de crise, la prévention demeure le meilleur atout. Vos propos le confirment. Vous avez raison de souligner la nécessité de se préparer avant qu'une crise n'intervienne. Face au constat que vous avez dressé, avez-vous mis en place des actions spécifiques pour préparer vos adhérents ou vos collègues ? Avez-vous le temps et les relais nécessaires ? La gestion de crise est en effet un exercice très particulier.
En tant que président d'Intercommunalités de France et de la communauté d'agglomération de Carcassonne, j'estime que l'essentiel consiste à organiser les services et la réponse de la collectivité.
À ce titre, je tiens à vous faire part de mon expérience. Lors des inondations de 2018, nous avons été réveillés en pleine nuit et nous avons essayé de parer au plus pressé. Vers six heures du matin, j'ai convoqué mes cadres à l'agglomération pour mettre en place une cellule de crise destinée à balayer tous les sujets, afin que l'intercommunalité puisse répondre aux besoins des maires et de nos concitoyens, qui n'allaient pas tarder à apparaître. Cette assistance concernait par exemple l'aide à domicile pour les personnes âgées ou le portage des repas à domicile. Cette cellule a été mise en place en une journée, puis nous avons décliné notre plan, qui a été forcément affecté par quelques erreurs et a nécessité des ajustements sur la durée. Globalement, cela s'est bien passé. À l'issue de cette crise, les maires de mon agglomération ont tous bien compris l'utilité de l'intercommunalité ; on peut même parler de révélation. Deux ans plus tard, lorsque nous avons dû faire face à la crise Covid, nous étions prêts. Nous savions comment organiser une gestion de crise et nous avons facilement pu remettre en place la cellule de crise.
Vous avez évoqué l'information et la formation des élus. Le vice-président de Carcassonne agglo est le maire de Trèbes, Éric Ménassi. Dans le cadre de sa vice-présidence, il est chargé de la gestion de crise de la résilience. À ce titre, il continuera de former et d'informer les élus et les communes, pour prévenir les événements de demain. Dans le sud, nous ne nous posons plus la question de savoir si nous connaîtrons d'autres épisodes d'inondations. Elles se reproduiront. Les seules questions concernent le « où » et le « quand ». Nous nous y préparons, afin que la réponse des maires et de la collectivité dans son ensemble soit la meilleure possible pour protéger nos populations.
Vous avez évoqué les inondations survenues dans l'Aude en 2018. Pouvez-vous nous fournir de plus amples détails ?
En l'espace de quelques heures, il est tombé entre 300 et 400 millimètres d'eau au nord de l'agglomération de Carcassonne. Cette crue d'une violence inouïe a entraîné des destructions massives dans une douzaine de communes. Par exemple, l'ensemble des équipements publics (écoles, salle polyvalente, médiathèque) de la commune de Conques ont été détruits. Les communes de Trèbes, de Couffoulens ou de Villegailhenc ont également subi des dommages irréversibles. Des maisons, des ponts et des ouvrages d'art y ont été totalement détruits. Les dégâts se sont élevés à des centaines de millions d'euros. En outre, nous avons dû déplorer de nombreux blessés et seize décès.
Cet événement a surpris beaucoup de monde, puisque l'alerte météorologique n'était qu'au niveau orange et ne prédisait pas un événement aussi fort et aussi brutal. Celui-ci continue de nous marquer : les plaies ne sont pas encore refermées aujourd'hui.
Aujourd'hui, il est possible de mettre en place des plans intercommunaux de sauvegarde (PICS). Comment s'articule la gestion de ces PICS au sein de l'intercommunalité, dans la mesure où la compétence d'intervention revient au premier chef au maire de chaque commune ?
Ensuite, vous avez mis l'accent sur l'importance de l'expérience et du vécu. Comment transmettre ces expériences et conserver leur mémoire à plus long terme ? Disposez-vous d'outils pour transmettre ce que vous avez vécu ?
Je suis convaincu que les maires ont le devoir de disposer d'un plan communal de sauvegarde couvrant différents risques. Dans notre région, il peut s'agir d'inondations, de feux de forêt ou de risques liés aux produits dangereux. Chez nous, cette nécessité est largement acceptée : la plupart des communes possèdent ou sont en train de réaliser leurs plans de sauvegarde.
Au-delà, la réponse s'articule à deux niveaux. Le premier niveau est celui de l'urgence, face à laquelle le maire intervient grâce à son pouvoir de police. Le deuxième niveau concerne la « remise en ordre » du territoire. Dans ce cadre, je suis convaincu que le PICS de l'intercommunalité ne doit pas remplacer celui de la commune, mais venir en complément de ce dernier. Au sein de l'agglomération de Carcassonne, nous allons y travailler, afin de posséder un PICS avant la fin du mandat. Il s'agit de bien écrire, de cadrer et d'organiser la réponse de l'intercommunalité, en complément des plans communaux de sauvegarde.
Ensuite, comment transmettre l'expérience ? La transmission peut s'effectuer à travers la réalisation d'exercices. Dans le cadre du plan de prévention des inondations, le syndicat départemental gère les travaux de prévention. Ce syndicat organise des simulations d'événements sur plusieurs communes, afin de placer les maires en situation réelle. Cet exercice est réalisé en « grandeur nature » et permet de confronter les élus à la même situation de stress que celle qu'ils vivraient en cas de crise. Le maire s'habitue donc à surmonter ce stress, pour réagir de manière plus sereine lorsque l'événement arrive.
De la même manière que les pompiers effectuent des exercices, les élus devraient également en mener pour se former à la bonne réponse à apporter, dans un stress maximal et dans une situation de crise maximale.
Dans l'Aude, nous sommes confrontés à différents risques, qu'il s'agisse des feux de forêt ou des inondations. Ma question concerne le schéma intercommunal de défense extérieure contre l'incendie, outil complémentaire au PICS. Les communes disposent souvent d'un tel schéma, qui est particulièrement pertinent lorsque les massifs couvrent plusieurs communes. Malheureusement, il n'est sans doute pas suffisamment utilisé et développé. Quel est votre regard à ce propos ? Avez-vous une idée du nombre de schémas existants en France ?
Je ne connais pas les chiffres au niveau national. Ce schéma est nécessaire, dans la mesure où la réponse ne peut pas être communale lorsque les massifs forestiers dépassent le strict cadre de la commune, comme vous l'avez relevé. De notre côté, nous l'avons mis en place dans l'agglomération de Carcassonne.
La rédaction du schéma est relativement facile à effectuer, mais la réalisation des travaux associés est beaucoup plus compliquée, qu'il s'agisse de l'ouverture des pistes dans les massifs forestiers ou de la mise en place de réserves d'eau ou de retenues collinaires. Cependant, le problème de financement se présentera à un moment donné. Je tiens d'ailleurs à alerter les parlementaires à ce sujet : la mise en place de schémas intercommunaux de défense extérieure contre l'incendie va engendrer des coûts et l'intercommunalité ne pourra pas à elle seule financer la totalité des travaux nécessaires pour protéger les populations. Comment, collectivement, pouvons-nous trouver les moyens pour financer ce type de travaux ?
Chez nous, le massif d'Alaric est un massif à risque, qui a connu des incendies par le passé. Il y a deux ou trois années, un incendie y a détruit 1 000 hectares. Aujourd'hui, l'agglomération de Carcassonne a mis en place un schéma sur les quinze ou vingt communes de ce massif, afin de gérer le risque incendie : nous ouvrons des pistes et très prochainement, l'agglomération mettra en place une réserve d'eau de 600 mètres cubes pour les incendies, sur un domaine qu'elle possède. Sur le versant sud, nous réfléchissons avec l'État pour construire une retenue collinaire qui pourrait à servir à l'irrigation agricole et en cas d'incendie.
Nous essayons donc d'anticiper le plus possible ce risque, mais il s'agit d'une course contre la montre. Dans la réalisation des travaux, nous allons moins vite que le changement climatique et le risque incendie qui s'accroît d'année en année. Nous essayons de nous y atteler, mais une fois encore, la principale difficulté concerne le financement. Pour ouvrir certaines pistes, nous avons heureusement bénéficié d'un accompagnement de l'État. Nous travaillons également avec les associations de chasse, afin qu'elles nettoient les massifs forestiers et entretiennent les chemins.
Notre région connaît une crise viticole majeure et on nous demande de procéder à un arrachage massif des pieds de vigne. Or, si nous n'avons plus de vignes qui puissent œuvrer comme des coupe-feux, le feu peut partir de Carcassonne et courir jusqu'à la mer. Ce sujet concerne toutes les communes de ce périmètre et il devient urgent de le traiter.
Je vous remercie pour ce retour d'expérience. Je profite de cette occasion pour vous rappeler que vous pourrez compléter et enrichir vos réponses par écrit.
Monsieur le président, vous avez évoqué les PICS. Il existe par ailleurs une réserve communale de sécurité civile. Mais qu'en est-il de la réserve intercommunale ? Ensuite, il me semble important d'aborder la relation interservices à partir d'un exemple concret. Lors d'une crise naturelle majeure, que se passe-t-il en cas de rupture du réseau téléphonique, si vous devez joindre la cellule de gestion de crise de la préfecture ? Avez-vous connaissance de ces fameux téléphones satellites ? Seriez-vous dépourvus si vous étiez isolés, sans connexion, pour joindre les services extérieurs ?
Si une coupure des télécommunications devait intervenir, nous serions particulièrement démunis. Je ne pense pas qu'un grand nombre de communes ou d'intercommunalités soient équipées de ces téléphones satellites pour gérer la survenue d'une éventuelle crise.
Pendant les inondations, le réseau téléphonique fixe et mobile ne fonctionnait plus dans les communes touchées. Chacun se débrouillait donc comme il le pouvait pour communiquer et transmettre les messages. Un maire était, par exemple, obligé de parcourir plusieurs kilomètres en voiture pour se rendre sur une colline et enfin pouvoir appeler avec son téléphone mobile.
Vous avez aussi évoqué les relations interservices. Il s'agit surtout des relations entre les services des intercommunalités, ceux de l'État, les pompiers et le service départemental d'incendie et de secours (SDIS). Je vous ai déjà parlé de notre cellule de crise au niveau de l'agglomération, mais il existe naturellement le centre opérationnel départemental (COD) au sein de la préfecture. En cas de crise, le COD rassemble ainsi tous les services de l'État (armée, gendarmerie, pompiers), mais également les collectivités concernées. Chacun peut ainsi apporter son éclairage sur les décisions qui doivent être prises. Par exemple, en 2018, nous avons siégé dans cette cellule pendant la période de crise, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et durant au moins une dizaine de jours.
Ensuite, je ne suis pas persuadé que de nombreuses communes disposent de réserves intercommunales. Si elles connaissent des organisations très variées, ces réserves sont néanmoins utiles et complémentaires avec les forces de secours. Par exemple, elles nous ont beaucoup aidés lors des épisodes d'inondations ou de feux de forêt et ont agi de manière solidaire. Les réserves communales sont ainsi intervenues dans d'autres communes pour donner un coup de main. Il serait donc dommage de ne pas s'en servir.
Je souhaite vous faire part d'une réflexion. Je suis député du Gard et de Nîmes, qui a connu la première « grande inondation » en 1998. Ce territoire combine de nombreux risques : le risque nucléaire – les centrales de Marcoule et du Tricastin sont proches –, le feu, le vent, le froid, le soleil, la salinisation des sols. Chez nous, la gestion du plan inondation, qui a été lancée en 1988, est toujours en cours et se traduit notamment par la construction de bassins de rétention.
La gestion du risque est une affaire de professionnels, car il est multidimensionnel. Il est donc nécessaire de former ces professionnels. Par ailleurs, des initiatives sont intervenues dès 2006 dans le sud de la France, mais leur vocation est nationale. Je pense ici au pôle national de compétitivité sur le risque Safe, qui réunit les acteurs publics et privés. Ce pôle pourrait proposer des formations pour les élus et les spécialistes du risque, lesquels seraient par exemple positionnés à l'échelon intercommunal, en coordination avec les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire).
Ensuite, une université que je connais bien a choisi d'accorder une attention toute particulière à la gestion du risque, dans toutes ses dimensions. Elle pourrait également constituer un point d'appui pour mieux former l'ensemble des acteurs, qu'ils soient élus ou techniciens.
M. le rapporteur a évoqué le sujet crucial des télécommunications, que M. Banquet connaît bien, en sa qualité de président du syndicat d'énergies en charge du service public de l'énergie et de l'aménagement numérique du territoire dans l'Aude (Syaden).
Récemment, dans notre département, une personne d'une commune rurale des Corbières est décédée d'une crise cardiaque car les secours n'ont pas pu être prévenus à temps. Ce drame pose effectivement la question du téléphone satellitaire dans les zones blanches ou les zones dans lesquelles le réseau de téléphonie subit régulièrement des coupures.
Lors de la précédente mandature, une loi a été votée afin que les opérateurs déploient une couverture mobile sur l'intégralité ou presque du territoire national. Il serait intéressant de creuser cette question, afin que les opérateurs mettent à disposition des moyens d'urgence le temps que le déploiement s'achève. Il pourrait, par exemple, s'agir d'un téléphone satellitaire ou d'une ligne sécurisée dans les communes mal couvertes. Un certain nombre de zones sont concernées en France par cette problématique.
En l'espèce, d'après les renseignements que nous avons obtenus, il est apparu que le défaut émanait de Bouygues : la panne affectant les antennes de téléphonie n'a pas été réparée à temps. Pour ma part, je souhaite vous alerter sur la situation de SFR. Cette entreprise est aujourd'hui en grande difficulté financière et devra liquider des actifs. J'ignore à qui la société vendra son réseau mobile et fibre. Selon moi, ce sujet relève de la souveraineté nationale. Si SFR vend son réseau à un opérateur étranger, il sera difficile d'exiger de lui qu'il remplisse une mission de service public.
Je vous remercie, monsieur Banquet, pour votre intervention. N'hésitez pas à nous transmettre une contribution écrite pour fournir des informations complémentaires.
La mission d'information auditionne ensuite des représentants de l'association Départements de France.
Nous accueillons aujourd'hui, en visioconférence, un représentant de l'association Départements de France (ADF), M. André Accary, président du département de Saône-et-Loire et président de la commission SDIS de l'ADF. Participent également MM. Jean-Baptiste Estachy, conseiller sécurité de l'ADF, et Brice Lacourieux, conseiller chargé des relations avec le Parlement pour cette association.
Je rappelle que l'ADF, fondée en 1946, réunit les présidents des 103 collectivités adhérentes, dont 95 départements et 8 collectivités territoriales à compétences départementales. En interaction avec l'ensemble des départements, elle souhaite porter la voix des départements, notamment concernant les problématiques rencontrées sur le terrain. Je précise, à l'attention de la délégation de l'ADF, que notre mission est composée de 25 députés de tous groupes politiques. Elle a été créée à l'initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. Votre audition est filmée et accessible sur le site internet de l'Assemblée nationale.
Notre objectif consiste à étudier, au plus près du terrain, l'organisation de la protection et de la sécurité civiles, ainsi que les défis à relever, avant de proposer d'éventuelles adaptations. Pour éviter de faire fausse route ou d'avoir des idées préconçues, nous avons tenu à débuter nos travaux en rencontrant les élus et leurs associations. Nous avons ainsi débuté nos travaux, la semaine dernière, par l'audition des représentants de l'Association des maires de France (AMF). Les élus sont « sur le terrain » et sont donc, par définition, au plus près des opérations de prévention et d'intervention menées par les forces de sécurité civile. Ils constituent des acteurs de premier plan lorsque des crises surviennent et que ces forces interviennent. C'est d'autant plus vrai à l'échelon départemental, en raison de la participation, notamment financière, des départements à l'activité des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS).
Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour partager avec nous l'expertise et l'expérience des élus départementaux sur ces enjeux. Nous voulons faire progresser encore notre modèle de protection et de sécurité civiles. N'hésitez donc pas à nous faire part de votre analyse critique sur l'organisation actuelle de notre système, ainsi qu'à nous livrer des suggestions qui pourront utilement contribuer à nos travaux.
Avant de vous donner la parole, je laisse intervenir notre rapporteur, Didier Lemaire.
Vous avez été, pour la préparation de cette audition, destinataires d'un questionnaire. Le temps imparti à cette audition limitant nos échanges, n'hésitez pas à nous transmettre par la suite des compléments d'information ou suggestions que vous jugerez utiles.
Dans l'immédiat, nous souhaiterions que vous nous fassiez part du point de vue de l'Assemblée départements de France concernant notre modèle de sécurité et de protection civiles. Notre mission d'information a pour objet de conduire le bilan de nos capacités d'anticipation et d'adaptation, compte tenu des événements récents – je pense notamment à la crise sanitaire.
Au nom de l'ADF et en compagnie de mon collègue Jean-Luc Gleyze, président du département de la Gironde, nous avons réalisé une mission flash, notamment à la suite des feux de forêt qui ont eu lieu en France l'an dernier. Une autre mission est également en cours, consacrée aux risques naturels majeurs.
Le constat est unanime sur le modèle français de protection et de sécurité civiles : il tient, mais il fait face à deux fronts majeurs qui le remettent en question. Il s'agit d'abord de la tension opérationnelle quotidienne, qui est notamment liée au poids des secours aux personnes et aux difficultés sans précédent du système sanitaire français. Ce système sanitaire se dégrade de manière importante au fil des mois, induisant des conséquences pour nos pompiers. Ensuite, la multiplication dans le temps et dans l'espace des crises et des événements calamiteux met en tension notre modèle.
D'autres évolutions sociétales doivent également être mentionnées. Ainsi, le nombre de sapeurs-pompiers français volontaires au niveau national se maintient, mais leur disponibilité s'amoindrit. Nous pouvons le constater partout, en milieu rural comme en milieu urbain.
Par ailleurs, l'impact de la législation européenne pèse dans les missions et rend la formation de plus en plus exigeante.
Les pompiers constituent la clef de voûte de notre système de sécurité et de protection civiles, notamment en matière de gestion de crise. Ma première série de questions porte sur notre modèle de sécurité civile au sens large. Il existe ainsi une très grande diversité d'associations agréées de sécurité civile, mais selon leur moyens humains et matériels et selon leur situation géographique, elles n'apportent pas les mêmes degrés de réponse face aux sollicitations dont elles font l'objet. Quelle est votre opinion sur ces associations agréées ? De quelle manière travaillez-vous avec elles ? La répartition des rôles en cas de crise est-elle clairement établie ? Quel est votre point de vue sur les réserves communales ou intercommunales de sécurité civile ? Faudrait-il revoir l'ensemble de ce fonctionnement ?
Les situations diffèrent en fonction des territoires. Le fonctionnement est plutôt très efficace dans certaines parties du territoire, dans le sud-est ou le sud-ouest notamment, qui sont fréquemment confrontées à certains phénomènes comme les feux de forêt. Dans celles-ci, l'organisation territoriale entre élus, pompiers et associations est assez efficace. Dans d'autres régions, comme en Bourgogne, ce dispositif n'existe pas. Cependant, des modifications voient le jour : de nouvelles organisations et de nouveaux modes de fonctionnement sont progressivement mis en place pour répondre aux défis.
Le paysage des associations agréées de sécurité civile est effectivement assez disparate. Comme le soulignait le président Accary, dans les territoires qui sont habituellement très sollicités en matière de gestion de crise, la coordination se déroule plutôt bien. Le président Gleyze pourrait vous en parler plus en détail : d'après les travaux de la mission flash, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Gironde et l'association Défense des foyers contre l'incendie (DFCI) ont l'habitude de travailler ensemble sur le sujet des feux de forêt.
Des points de vigilance ont néanmoins été soulignés. Par exemple, la DFCI n'apparaît pas dans le plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) de la Gironde. À l'heure actuelle, les différents acteurs se connaissent bien, ce qui permet de passer outre ces difficultés. Mais en cas de changement de responsable, la coordination pourrait s'en trouver affectée, notamment en matière de planification.
En outre, dans de nombreux territoires, le tissu associatif n'est pas aussi dense, ni rodé. Par ailleurs, la répartition des missions n'est pas toujours très bien établie, ce qui entraîne parfois une « concurrence » entre le SDIS et les associations agréées, entre les volontaires et les bénévoles, qui peuvent être parfois moins rigoureux car les exigences de formation qui les concernent sont moindres. Les SDIS doivent donc s'efforcer de conserver leurs volontaires bien formés. Simultanément, il faut veiller à ne pas donner uniquement aux associations des missions « supplétives », afin de maintenir entière la motivation des bénévoles.
Il nous paraît difficile de tout régenter depuis Paris, compte tenu du caractère protéiforme de ce paysage.
Vous pointez du doigt la disparité des situations et des relations entre les SDIS et les associations agréées de sécurité civile, en fonction des territoires et des secteurs. Vous soulignez également que la répartition des missions ne semble pas toujours claire. Si j'ai bien compris vos propos, il semble nécessaire de pouvoir s'adapter à la diversité des situations sur le terrain.
Ce constat est effectivement consensuel. Comment pouvons-nous y remédier ? Le travail de planification et d'exercice constitue une piste de réflexion pertinente, de même que l'approfondissement de la réflexion sur la sauvegarde des populations. En effet, en matière de gestion de crise, nous nous apercevons que le SDIS ne peut pas et ne doit pas tout faire. Un certain nombre de tâches relèvent du soutien logistique ou de la sauvegarde des populations et elles peuvent être confiées à des associations ou à des réserves communales. L'essentiel consiste ici à bien planifier et à s'entraîner.
Je souhaite revenir sur les missions de chacun. Vous avez souligné que les sapeurs-pompiers ne peuvent pas tout faire. Dans notre système de sécurité civile et de gestion de crise, le maire tient un rôle prépondérant, en raison de son pouvoir de police. Il gère l'avant-crise dans le cadre de la prévention ; pendant la crise, il mène une action propre, en complément de celles assurées par les SDIS ; et dans un troisième temps, il s'occupe du « retour à la normale », avec notamment l'accompagnement de la population. C'est dans ce cadre que le rôle des SDIS et des autres structures peuvent parfois se chevaucher, si j'ai bien compris le sens de vos propos.
S'agissant justement des SDIS, je souhaiterais vous interroger sur les lois les plus récentes. Selon vous, ont-elles entraîné des conséquences sur notre modèle de protection civile ? Je pense notamment à la loi du 25 novembre 2021, dite « loi Matras ». Cette loi, ainsi que les autres concernant le sujet de la mission d'information, vous paraissent-elles suffisantes ? Pensez-vous qu'il faille développer certains aspects ?
La loi du 25 novembre 2021 a apporté des améliorations significatives, notamment en matière de coordination avec les services de santé. Dans les départements qui maintiennent un dialogue de qualité entre les acteurs de la santé et le SDIS, de bons résultats peuvent être obtenus. Dans ces cas-là, les pompiers retrouvent leurs véritables missions, bien au-delà du simple transport sanitaire, lequel mobilise du matériel et des hommes.
La loi a permis par ailleurs de réelles avancées sur le sujet du volontariat, mais elles demeurent insuffisantes. Un allégement bien encadré des charges fiscales des employeurs avait ainsi été envisagé pour favoriser la mobilisation des pompiers volontaires. Mais il n'a pas été retenu, ce qui est regrettable.
Pouvez-vous évoquer le rôle des départements en matière de sécurité et de protection civiles ? Vous paraît-il clairement établi, avant, pendant et après la crise ? La coopération entre les différentes collectivités – communes, intercommunalités, départements – est-elle suffisante ? Faudrait-il prendre de nouvelles mesures pour éclaircir le rôle du département en la matière ?
Le changement climatique entraîne une évolution des départements, qui réorientent des dépenses en direction de la formation et de l'achat de matériel. Un effort significatif a été produit par les départements en ce sens. En Saône-et-Loire, nous connaissions auparavant peu de feux de forêt. Par conséquent, il y avait peu de pompiers formés et de matériel adapté. Mais le département a modifié ses politiques en ce sens. À ce jour, près de 1 000 pompiers ont été formés sur les feux de forêt et des matériels spécifiques ont été achetés. Cette politique volontariste nous permet d'ailleurs d'envoyer en renfort des colonnes vers les départements du sud de la France, en cas de besoin.
À l'échelle locale, il existe une très bonne coopération entre les communes et les départements, comme l'ont prouvé les exemples récents de crises majeures en Gironde ou dans le Jura. Des hommes et du matériel ont ainsi été mis à disposition pour venir en appui des SDIS, sur le terrain. De multiples collaborations se mettent en place entre ces collectivités : je pense par exemple à la mise à disposition de cantines scolaires et de leurs cuisiniers.
Un axe d'amélioration demeure : en matière de planification, le rôle du département n'est pour le moment pas si prégnant. Dans les départements, en dehors du SDIS, les forces vives de l'État dans les départements pour apporter un soutien alimentaire et logistique sont surtout le fait des associations agréées. Je pense en particulier à des associations de radio amateur qui travaillent ainsi avec la préfecture pour retrouver des avions perdus, dans le cadre des plans de sauvetage aéroterrestre (SATER) notamment. La place du département en amont et en aval de la crise consiste surtout en un rôle de pilotage, qui est actuellement insuffisamment exercé. C'est la raison pour laquelle la Gironde expérimente en ce moment un plan départemental de sauvegarde.
En matière de sauvegarde des populations, la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile a mis en place les plans communaux de sauvegarde, impliquant directement les maires. La loi Matras du 25 novembre 2021 passe à l'échelon intercommunal. Mais puisqu'un grand nombre d'intercommunalités manquent de moyens, il semble que le département a une place prépondérante à tenir dans ce domaine. D'un point de vue juridique, il importe de poursuivre notre action sur ce sujet, sur lequel nous avons travaillé avec l'Institut des risques majeurs de Grenoble, qui partage notre analyse. En aval de la crise, le « retour à la normale » accorde une place majeure au département – notamment pour les réseaux routiers et numériques –, mais celle-ci n'est peut-être pas assez formalisée à ce jour. Le département des Alpes-Maritimes pourrait ainsi vous faire un retour d'expérience après la survenue de la tempête Alex.
Il faut également souligner le rôle du département en matière de prévention, c'est-à-dire d'aménagement du territoire. Je pense notamment à la création de parcours de sécurité, mais aussi aux actions en matière d'information. La coordination peut ainsi se réaliser à l'échelle départementale. Par exemple, dans certains départements, un important travail de prévention est conduit avec les forestiers dans le cadre du changement climatique, coordonné par le département.
Je reviens d'un déplacement dans les Alpes-Maritimes. Lors de la tempête Alex, le rôle du département a été majeur pour coordonner les différentes collectivités et rétablir l'ensemble des réseaux, qu'il s'agisse des réseaux de communication terrestre, mais aussi des réseaux internet et téléphoniques. En outre, les départements fournissent des moyens humains et matériels.
Au vu des exemples que vous nous avez fournis, il semble nécessaire de réfléchir dans un cadre élargi en matière de protection civile, compte tenu de la pertinence de l'échelon départemental. Néanmoins, les départements ne sont pas toujours égaux face à ces risques pour la population, compte tenu notamment des différences de moyens disponibles.
Notre mission d'information s'efforce de s'approcher au plus près du terrain. À ce titre, il m'importe d'évoquer les réserves communales de sécurité civile, qui ne sont pas forcément très homogènes selon les territoires. Quel est votre regard sur ce dispositif ? Quels en sont les avantages et inconvénients ?
J'avoue ne pas avoir une vision très claire des réserves communales de sécurité civile. Elles représentent un axe de progrès plus qu'une ressource sur laquelle nous pouvons d'ores et déjà compter de manière majoritaire sur le territoire. Plusieurs départements nous ont parlé de l'intérêt d'inclure dans ces réserves des anciens pompiers volontaires, qui souhaitent encore rendre service tout en ayant un degré d'investissement plus modéré. Ce dispositif a par exemple été mis en place dans l'Allier après les tempêtes de grêle de juin 2022. Le réemploi de personnes compétentes trouve un cadre approprié avec les réserves de sécurité civile.
Ces réserves d'anciens pompiers volontaires ou professionnels peuvent être effectivement très utiles. Dans le périmètre du département, de telles réserves se constituent, notamment en Bourgogne-Franche-Comté.
Je ne suis pas sûre de bien avoir saisi le sens de votre réponse. Vous indiquez que ces réserves sont établies à l'échelle départementale et constituées d'anciens pompiers. Est-ce bien cela ?
Ces créations de réserves s'effectuent dans le périmètre du département et comportent des anciens pompiers, qui réalisent des missions différentes, notamment de transport de matériel ou d'approvisionnement pour les pompiers en action. Cette réserve vient donc en appui des autres personnels mobilisés.
Nous évoquions tout à l'heure la question des actuelles inégalités entre les territoires. Permettez-moi de préciser que ces différences peuvent notamment s'expliquer par l'inégalité des moyens de l'État disponibles selon les territoires : qu'il s'agisse des moyens aériens – qui appartiennent essentiellement à l'État – ou des services de protection, des améliorations pourraient leur être apportées afin de parvenir à un traitement plus égal sur l'ensemble du territoire.
Comment qualifieriez-vous le lien entre le département et la préfecture en cas de crise ? Son rôle amont, notamment en matière de prévention, est-il suffisamment clair ?
Pendant la crise, la coordination est bonne et s'effectue en temps réel entre le préfet, le président de département et, le cas échéant, le président du SDIS. Ce travail est effectué en équipe, sous l'autorité du préfet. Dans mon département, soumis comme d'autres au changement climatique et donc aux feux de forêt, le travail de prévention se réalise également en parfaite coordination avec le préfet. Nous sommes d'ailleurs en train de mener un réel travail de fond à ce sujet. Il ne s'agit pas d'un exemple isolé : dans de nombreux départements, la même coopération est également à l'œuvre.
Le rôle du département est d'autant mieux accepté par tous que le service interministériel de défense et de protection civile de la préfecture (SIDPC) a réalisé au préalable le travail de préparation. Dans ce domaine, des disparités sont constatées selon les départements : dans les préfectures des départements les plus exposés aux risques, les SIDPC sont au plus près du terrain et organisent de nombreux exercices. Je pense notamment au département de la Haute-Savoie, où tous les acteurs participent au centre opérationnel départemental. Face à une crise, chacun parvient à se réunir et à travailler ensemble, mais la gestion de la crise est plus fluide lorsque le travail de prévention a été préalablement mené.
Oui, au titre des plans de prévention des risques que la préfecture identifie sur le territoire départemental.
Nous aimerions connaître votre regard sur les pratiques à l'œuvre chez nos voisins européens. Avez-vous un avis à nous fournir à ce sujet ? Je pense notamment à nos amis italiens, espagnols ou portugais, qui ont été durement touchés récemment par de graves crises.
Je n'ai pas retour d'expérience particulier à vous transmettre concernant le fonctionnement de la sécurité civile dans les pays voisins du nôtre. En revanche, je peux évoquer l'envoi de renforts de la part de pays voisins qui ont notamment eu lieu l'année dernière, lors des incendies en Gironde, occasionnant par là-même quelques problématiques. À cette occasion, nos pompiers français n'ont pas été prévenus au préalable des moyens humains et matériels qui devaient être envoyés depuis l'étranger : ils ne les ont découverts que lorsque ceux-ci sont arrivés sur place. La coordination a fait défaut en amont, différant la mise en place d'une véritable stratégie.
Je souhaite aborder le sujet des hélicoptères bombardiers d'eau. Jusqu'à présent, ces derniers étaient financés par les SDIS, quand ils pouvaient se le permettre. Cette année, le Gouvernement a mis en place une dizaine d'hélicoptères bombardiers d'eau en location pour lutter contre les feux de forêt. Ces hélicoptères semblent avoir fait preuve d'une réelle efficacité. Selon vous, une réflexion sur le financement de ces hélicoptères doit-elle être menée ? Ce financement devrait-il être assuré au niveau étatique ?
Ce sujet a été évoqué lors de la mission flash que nous avons conduite en collaboration avec mon collègue Jean-Luc Gleyze. Selon nous, cette mission régalienne doit relever de l'État. Si tel n'est pas le cas, les disparités entre les territoires seraient trop prononcées.
Ainsi, si le département des Alpes-Maritimes consacre 2 millions d'euros chaque année à la location d'hélicoptères, un grand nombre de départements ne sont pas en mesure de dépenser de telles sommes d'argent. C'est le cas du Jura par exemple. Les présidents de SDIS et les présidents de départements sont d'ailleurs unanimes à ce sujet. Les moyens supplémentaires alloués par l'État cette année à travers la location de moyens aériens, essentiellement les hélicoptères, se sont avérés très utiles. Ils ont permis de prépositionner sur d'autres territoires des moyens aériens supplémentaires et ainsi, de redoubler d'efficacité. Le traitement du feu naissant par les moyens aériens permet en effet d'éviter qu'il ne prenne de l'ampleur. J'espère que ces mesures pourront se poursuivre.
Dans mon département de l'Aude, confronté à un risque de feux de forêt élevé, le SDIS est de petite taille et n'a pas les moyens de financer ce type de dispositif. Il a pu bénéficier d'un hélicoptère cet été et le retour d'expérience semble effectivement très positif.
Ce dispositif est très efficace. Dans les massifs montagneux, les moyens terrestres mettent trop de temps pour accéder aux incendies. Dans ce cadre, le prépositionnement d'hélicoptères peut s'avérer décisif, dans la mesure où leur efficacité est cruciale. Le département du Jura n'avait pas les moyens de louer des hélicoptères lors des incendies de l'été 2022. Heureusement, il a pu malgré tout bénéficier de ces moyens aériens, qui ont permis d'éviter que le feu ne se propage dans les villages et dans les bourgs centres.
Le financement actuel de notre modèle de SDIS repose essentiellement sur l'État et les départements. Ce modèle vous semble-t-il pertinent ? Si tel n'est pas le cas, existe-t-il une réflexion à l'échelle des départements de France dans ce domaine ?
Je rappelle que le financement des SDIS est assuré à 90 % par les départements, les intercommunalités et les communes ; les 10 % restants étant réglés par l'État. Les départements mènent effectivement une réflexion sur ce sujet : une modification de la clef de répartition de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) est ainsi à l'ordre du jour. Parmi les autres propositions de financement, nous travaillons sur le concept de « valeur du sauvé ».
Nous vous ferons parvenir les résolutions que l'ADF a prises en bureau au printemps au titre des pistes de réflexion, qui ont été retenues par l'État. Elles consistent notamment à revoir le plafonnement de la contribution du bloc communal, qui est aujourd'hui limité par l'inflation, en essayant de nous concentrer sur des critères démographiques. Il s'agirait par exemple de mettre en place un déplafonnement pour les gros centres urbains, qui sollicitent davantage les SDIS. Cette idée a été retenue par le Gouvernement, mais pas de manière ciblée sur les contraintes opérationnelles et démographiques.
Nous menons par ailleurs un travail sur la répartition de la TSCA, qui est actuellement fondée sur les immatriculations, mais avec 2003 comme année de référence. Elle ne correspond donc plus aux besoins actuels. Le ministère de l'intérieur a réalisé un travail que nous trouvons intéressant sur une nouvelle répartition de cette taxe, prenant en compte les critères démographiques et de la pression opérationnelle. À partir de travaux sur la valeur du sauvé, nous souhaiterions accroître la ressource issue de la TSCA qui est consacrée au financement des SDIS.
Enfin, la taxe de séjour constitue une autre piste, qui permettrait de tenir compte de la pression opérationnelle endurée par les départements touristiques.
Je souhaite apporter une précision. Comme je vous l'ai indiqué, le financement des SDIS repose à 90 % sur les collectivités. Au sein de ces dernières, la répartition s'effectue pour le moment de la manière suivante : 59 % pour les départements et 41 % pour le bloc communal. À l'heure actuelle, un grand nombre de départements ont été obligés d'augmenter leur contribution, compte tenu des risques grandissants. Dans mon département de Saône-et-Loire, j'ai ainsi accru de 29 % la contribution du conseil départemental.
J'ajoute que le pilotage stratégique du financement de la sécurité civile mériterait d'être chapeauté par un comité des financeurs pérennes.
Avant qu'un travail d'amélioration du financement de la sécurité civile ne puisse se mettre en œuvre, il est en effet indispensable de coordonner les cofinanceurs, de manière à agir dans de bonnes conditions.
Je vous remercie de nous avoir fait part de votre point de vue et de vos pistes de réflexion. N'hésitez pas à nous transmettre une contribution écrite pour approfondir un certain nombre des questions que nous n'avons pas pu aborder aujourd'hui.
La séance s'achève à onze heures quarante.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles
Présents. - Mme Lisa Belluco, M. Philippe Berta, Mme Gisèle Lelouis, M. Didier Lemaire, M. Julien Rancoule
Excusés. - M. Bertrand Bouyx, M. Florian Chauche, M. Yannick Chenevard, M. Jean-Marie Fiévet, M. Éric Pauget