Notre horizon est celui de l'Europe ; il est mille fois celui de l'Europe, d'une Europe qui organise les marchés de l'énergie, qui se projette dans des coopérations avec l'Afrique, qui partage, qui invente, qui recherche et qui accélère la décarbonation, au-delà de son Green Deal actuel. Nous avons besoin d'un nouveau Schuman, non pour organiser le marché de l'acier et du charbon, mais pour inventer l'Europe des énergies vertes et de la sobriété du futur. Voilà l'Europe qu'il nous faut. Nous avons besoin d'une Europe souveraine, puissante et solidaire.
Décarboner, enfin, c'est engager la sobriété. Cet été, notre groupe a produit une centaine de propositions pratiques et concrètes – je ne les détaillerai pas ici – touchant à un art de vivre. L'art de vivre dans la sobriété, ce n'est ni la tristesse, ni le recroquevillement ; ce peut être la découverte d'autres domaines de l'existence. C'est également une aventure économique. Alors que dans les années 1970, nous consacrions 4 % du PIB à l'investissement dans les infrastructures, nous n'y consacrons plus que 2 %. Avec 1 % de plus, nous pourrions relever de nombreux défis, à commencer par la rénovation énergétique des bâtiments. Voilà maintenant cinq ans que notre groupe propose un plan financé, validé par la Caisse des dépôts et la Fédération française du bâtiment, qui permettrait d'atteindre 26 millions de logements passifs à l'horizon de 2050. Notre plan vise également l'agriculture, secteur où les engrais azotés représentent un tiers des consommations d'énergie. Grâce à l'innovation technologique et scientifique, l'agroécologie peut s'affranchir de cette dépendance aux engrais azotés, ainsi qu'à la consommation de gaz – notamment russe – qu'ils supposent. L'enjeu est aussi celui de la mobilité. Les présidents de région demandent ainsi des investissements dans les transports en commun, à hauteur de 3 milliards d'euros pour certains. Un milliard d'euros seraient également nécessaires à Voies navigables de France (VNF) pour que le domaine public fluvial devienne à énergie positive. Notre sobriété, c'est l'innovation : il s'agit de quitter la vieille croissance pour engager une nouvelle prospérité.
Nous devons changer de monde, nous devons décarboner, nous devons choisir la part des énergies renouvelables – dont nous connaissons les forces et les fragilités, notamment en ce qui concerne le stockage. Nous n'avons pas fini de développer les technologies sur lesquelles nous nous appuierons : les éoliennes, l'énergie houlomotrice, la géothermie constituent des ressources extraordinaires, mais difficiles à stocker. L'usage de l'hydrogène est une voie prometteuse, mais qui doit encore être confortée.
Quant au nucléaire, il exige du temps et des savoir-faire coûteux. En outre, comme nous le savons, il implique une dépendance en amont. Plus de 50 % de l'uranium passe par la Russie : gardons-nous de nous engager, pour le siècle qui vient, dans une nouvelle servitude. Enfin, en aval, la question du stockage irréversible des déchets nucléaires pose une question anthropologique.
Nous serons au rendez-vous de ces choix. Nous tenons à ce qu'ils soient effectués au terme d'un processus démocratique et scientifique. Cela exige, à notre sens, une inversion du calendrier prévu : il convient de mettre en œuvre la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et de débattre de la PPE avant de trancher la question du nucléaire. Nous prendrons nos responsabilités au cours de ce chemin démocratique, qui doit inclure un grand débat organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP). Poussés par des exigences d'efficacité, mais aussi d'efficience, guidés par la science et par la démocratie, nous serons au rendez-vous de cette grande aventure industrielle d'aménagement du territoire.