N'oublions pas que le budget du ministère de l'intérieur ne se réduit pas à ces 15 milliards d'euros supplémentaires puisque ces derniers s'ajoutent au stock de crédits existant. Dès lors, la question de leur emploi se pose. La Cour des comptes, les parlementaires, les policiers, les gendarmes savent tous que le ministère de l'intérieur a accordé la priorité aux dépenses de personnel du titre II. C'est la première fois que nous ne consacrons que 15 % des 15 milliards supplémentaires aux dépenses du titre II, le reste étant dédié au hors titre II. Ne raisonnons donc pas comme si le ministère de l'intérieur ne disposait que d'un budget de 15 milliards. Votre amendement me gêne en ce que vous faites mine d'ignorer que nous pouvons réorienter nos priorités lors de l'allocation des crédits ordinaires que l'on m'a déjà octroyés. Par exemple, cela fait deux ans, depuis que je suis ministre de l'intérieur, que l'on dépense 320 millions d'euros chaque année pour rénover des brigades de gendarmerie et des commissariats. Nous en avons déjà rénové 700. Les crédits supplémentaires s'ajoutent à ces 320 ou 340 millions que nous dédions chaque année à cette tâche. Ne pensez pas que seuls les crédits de la Lopmi seront affectés aux dépenses hors titre II.
D'autre part, nous ne savons pas encore où les nouvelles brigades de gendarmerie seront affectées. Je prévois de créer des brigades de dix gendarmes chacune, soit 2 000 postes de gendarmes mais le député de Guyane m'a déjà demandé deux brigades fluviales pour le Maroni et l'Oyapock. Leur formation ne sera pas la même que celle d'une brigade dans les Alpes-Maritimes où les besoins sont différents. On ne construit pas une brigade de douze ou de quatorze gendarmes comme une brigade de cinquante !
Rien ne nous interdit, par ailleurs, de mutualiser les moyens, par exemple avec ceux de la police municipale comme me l'ont proposé plusieurs maires de communes rurales. C'est une très bonne initiative qui nous éviterait de dépenser 5 millions d'euros pour construire une brigade. Nous devons être imaginatifs et ne pas hésiter à occuper des bâtiments publics appartenant à des collectivités locales et qui cherchent preneurs, en échange de la prise en charge des frais de rénovation. Une brigade ne doit pas coûter 5 millions.
Nous devons également nous demander si le ministère de l'intérieur gère correctement son parc immobilier sachant qu'il vieillit et que des objectifs thermiques et écologiques doivent être atteints. Je ne le pense pas. Les types de bâtiments sont si différents les uns des autres, qu'il s'agisse de la brigade de Saint-Martin-Vésubie, des bâtiments de Satory, de l'hôtel de Beauvau, du site Lumière, des préfectures, des commissariats de police que le ministère, et plus généralement l'État, est bien incapable de les gérer. Nous devons créer une foncière pour s'en occuper. Les crédits qui y seraient affectés et les ressources qu'elle pourrait tirer des loyers seraient dédiés à la rénovation thermique des bâtiments, ce qui reviendrait beaucoup moins cher que de créer une brigade de gendarmerie.
Surtout, monsieur Ciotti, plus de la moitié des gendarmeries n'appartiennent pas à l'État mais aux collectivités locales, voire aux bailleurs sociaux. Certains maires peuvent construire des brigades de gendarmerie parce que les gendarmes vivent au sein de la brigade. Ils s'entendent avec leur bailleur départemental ou métropolitain pour qu'il leur construise la brigade et les logements. Ce n'est pas le même coût qu'une construction classique de brigade de gendarmerie ! Nombreuses sont les collectivités locales à avoir contracté des emprunts, parfois toxiques, pour financer la construction de brigades. Certaines perçoivent un loyer pour compenser l'investissement qu'elles ont consenti. Toutes ne sont pas déficitaires, loin de là, mais la Lopmi prévoit des mesures pour aider celles qui le seraient à renégocier les emprunts.
Admettons que nous parvenions à rénover tous les commissariats et les gendarmeries de notre pays, comme nous le faisons à Nice où vos concitoyens, monsieur Ciotti, pourront témoigner des sommes très importantes que l'État a versées pour construire un nouveau commissariat, ou à Marseille : nous devrons nous demander de quelle police et de quelle gendarmerie nous aurons besoin dans quinze ou vingt ans. Si nous débloquons 7 milliards pour engager la transformation numérique du ministère, permettre le dépôt de plainte en ligne et en visio, c'est parce que nous imaginons une police et une gendarmerie bien différentes de celles d'aujourd'hui. Dès lors, auront-elles besoin des mêmes types de bâtiments ? Dans quinze ans, le métier des motards de la police ne sera plus le même ! Sur des routes intelligentes et à bord de véhicules autonomes, ils n'arrêteront plus les go fast comme aujourd'hui !
Les crédits qui sont alloués au ministère de l'intérieur permettront, bien sûr, de rénover les commissariats et les gendarmeries et de créer 200 nouvelles brigades, à moindre prix que celui que vous proposez, mais ils s'inscrivent dans une réflexion prospective. Demain, nous aurons moins besoin d'un nouveau modèle de police et de gendarmerie, dans lequel les effectifs seront plus présents à l'extérieur, sur le terrain, que dans leurs locaux et il ne sera plus nécessaire de disposer d'autant de mètres carrés qu'à présent.