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Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mercredi 2 novembre 2022 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre :

Je voudrais de nouveau saluer le travail de M. le rapporteur. Je le répète, nous serons favorables aux 170 amendements qu'il a déposés et nous aurons l'occasion de revenir ici ou en séance sur les interrogations qu'il a soulevées ici ou là.

Je tiens ensuite à remercier chacune et chacun d'avoir reconnu que ce texte prévoit une augmentation sans précédent des crédits du ministère de l'intérieur, qui plus est dans le cadre d'une programmation. C'est la première fois, me semble-t-il, qu'il y a une telle unanimité. Il importe, bien sûr, de savoir à quoi vont servir ces crédits et je veux dire à M. Bernalicis que je suis tout à fait prêt à en détailler l'affectation. Certes, l'avenir est toujours fait d'incertitude, mais on peut néanmoins entrer davantage dans les détails. Cela ne me pose aucun problème.

L'observation de M. Ciotti relative à l'inflation n'est pas fondée. En effet, et il le sait bien, les dotations du budget du ministère de l'intérieur relèvent essentiellement du T2, c'est-à-dire de charges de personnel, qui ne sont donc pas soumises à l'inflation. Seuls les prix du matériel peuvent être affectés par l'inflation. Je l'ai déjà expliqué récemment à vos collègues du RN, qui faisaient à peu près la même réflexion, cherchant par là-même à dévaloriser ce texte. En outre, certaines dépenses du hors T2 ont été engagées avant la forte hausse des prix que nous connaissons à présent. C'est le cas par exemple des crédits destinés au RRF de plus de 2 milliards d'euros.

Imaginons que l'inflation soit très élevée pendant toute l'année 2023 : sur 1,25 milliard d'euros de crédits supplémentaires, elle ne représenterait que 210 millions d'euros. On ne peut donc pas dire que ce texte ne prévoit pas une augmentation réelle des crédits. En outre, cela reviendrait à partir du principe qu'il n'y aurait pas de PLFR (projet de loi de finances rectificative) en fin d'année. Il y a toujours des fins de gestion qui permettent de faire face à des conditions ou contraintes extérieures. Bref, il ne faut pas bouder son plaisir : il s'agit bel et bien d'une augmentation sans précédent.

J'en profite pour dire aux élus du RN qu'ils commettent une erreur lorsqu'ils évoquent une absence de revalorisation salariale. Ce texte prévoit au contraire la plus importante revalorisation des salaires de tous les fonctionnaires de police et de gendarmerie de l'histoire du ministère de l'intérieur. Au total et en cinq ans, c'est un treizième mois que nous leur versons. C'est la consécration budgétaire de l'accord signé avec tous les syndicats de police et avec l'ensemble des organisations représentatives de la gendarmerie nationale – une première au ministère de l'intérieur dans le cadre d'une convention sociale –, tous les agents bénéficieront d'une augmentation de 100 euros par mois, en premier lieu les gardiens de la paix et les gendarmes des brigades territoriales, dès cette année. Nous n'avons donc pas attendu la Lopmi.

De même, nous allons tripler la prime des policiers de nuit, prime qui n'existait pas et que j'ai créée. Je suis également le premier ministre de l'intérieur qui accorde des primes spécifiques au CRS de montagne et aux gendarmes de PGHM (peloton de gendarmerie de haute montagne). Nous doublons aussi la prime OPJ. Nous pourrions ainsi passer en revue toutes les avancées sociales.

Quand vous dites que la revalorisation salariale n'est pas au rendez-vous, je me demande quand elle le sera selon vous, puisque, en l'occurrence, celle-ci est sans précédent. Je suis favorable aux augmentations de salaires en général et je le prouve au sein du ministère de l'intérieur. Cela d'autant qu'à ces revalorisations s'ajoutera celle du point d'indice, qui concerne tous les fonctionnaires.

S'agissant de la police municipale, vos interventions visaient principalement à la rendre obligatoire dans toutes les communes de France de plus de 10 000 habitants ou à donner des moyens supplémentaires aux maires en la matière.

Pour ce qui est du premier point, ni vous ni moi ne pouvons forcer les collectivités locales à mettre en place une police municipale, en raison de l'article 72 de notre Constitution – à moins bien sûr de vouloir changer cette Constitution… C'est le principe de libre administration. Ainsi, certaines villes, comme Paris, ont choisi d'avoir une police municipale, mais non armée, alors que d'autres, comme Tourcoing, ont préféré armer ces agents municipaux. C'est aux villes de décider. Prétendre que l'on peut rendre la police municipale obligatoire par la loi, c'est raconter des « garnousettes », comme on dit chez moi.

Concernant l'extension des pouvoirs de la police municipale et du maire, nous avons déjà eu ce débat – Mme Le Pen pourrait vous le raconter – à l'occasion de l'examen de la loi pour une sécurité globale, que vous avez d'ailleurs votée. Aux termes de ce texte, on pouvait, dans le cadre d'une expérimentation, donner des pouvoirs supplémentaires aux polices municipales. Ayant été maire moi-même, je reconnais que cela peut être, parfois, très pratique. Simplement, le Conseil constitutionnel a déclaré que si les polices municipales étaient dotées de pouvoirs judiciaires, alors elles devaient dépendre du procureur de la République. C'est d'ailleurs exactement ce qui se passe avec la police nationale. Lorsque j'embauche des policiers nationaux – et contrairement à ce que tout le monde répète sans cesse –, ce n'est pas moi qui les emploie pour des enquêtes ou pour des contrôles d'identité.

Il faut donc choisir son combat si l'on souhaite donner plus de moyens aux polices municipales : soit on modifie la Constitution, puisque la loi ordinaire ne peut pas le faire, soit on part du principe que les polices municipales sont à la disposition des procureurs de la République. Mais je ne suis pas sûr que les maires de France aient très envie de voir leur police municipale dépendre de quelqu'un d'autre que d'eux-mêmes.

L'Association des maires de France (AMF) est d'ailleurs très ambiguë quant à ce qu'elle souhaite pour les polices municipales. Entre la police municipale de Nice et celle de Troyes, entre celle de Perpignan et celles de Bordeaux ou de Strasbourg, il y a en effet un monde ! Et c'est normal, puisque l'article 72 de la Constitution permet la diversification. Il ne semble donc pas y avoir de position unanime sur ce sujet très important.

Je pense que nous sommes allés au maximum de ce que nous pouvions faire en matière de pouvoirs des polices municipales.

Monsieur Ciotti, si j'ai bien compris vos propos, vous trouvez ce texte important et bienvenu, mais incomplet. Vous regrettez notamment l'absence de mesures de justice, de peines-planchers, etc. Je vous rappelle que je ne suis pas le garde des sceaux. Vous savez très bien, pour avoir travaillé sur des Lopsi, qu'il n'y a jamais eu de texte police-justice quand vous étiez en responsabilité. Pourquoi ne pas innover ? Certes, mais l'innovation ce n'est pas que pour les autres, monsieur le député. En tout état de cause, votre curiosité et votre faim de justice seront bientôt comblées, puisque le garde des sceaux va présenter prochainement un texte de politique pénale.

Quant au texte sur l'immigration, il arrive… Cependant, il faut savoir ce qu'on veut. Quand le Gouvernement présente des textes longs, vous regrettez qu'ils le soient et de ne pas avoir le temps d'en discuter. Et quand il soumet des textes thématiques, vous déplorez qu'ils ne soient pas assez longs. C'est peut-être l'apanage de l'opposition, finalement, de n'être jamais d'accord. Nous parlerons d'immigration ensemble et avec Olivier Dussopt, le ministre du travail, et vous parlerez justice sous peu, avec M. le garde des sceaux.

Monsieur Bernalicis, je ferai dans un instant une réponse globale sur la réforme de la police nationale, qui n'est pas celle de la police judiciaire. Je voudrais juste vous corriger sur un point : pendant la campagne présidentielle, vous aviez dit, non pas « moins de BAC, plus de sécurité de proximité », mais « suppression de la BAC ». N'amoindrissez pas le discours de M. Mélenchon, qui était lui-même extrêmement modéré…

Monsieur Vicot, s'agissant de la plainte en ligne, ce ne peut être que la victime qui la demande, jamais le service de police ou de gendarmerie qui l'impose. Je pensais que c'était clair dans le texte, mais puisqu'il y a un doute, je me rangerai à l'avis du rapporteur pour bien préciser que ce n'est qu'une possibilité. Elle peut être très pratique, elle peut même permettre de libérer de la parole, mais elle n'est pas la règle. Soyez rassuré sur ce point.

Monsieur Pradal, il y aura 45 000 forces de l'ordre déployées tous les jours pour les JO. J'ai donné comme instruction au préfet de ne pas tenir compte des zones de police et de gendarmerie pendant cette période, pour mutualiser les moyens, car il s'agit d'un événement sans équivalent. La Lopmi prévoit de tenir ces 45 000 forces de l'ordre, grâce notamment à la recréation des onze unités de forces mobiles. Ce sont même dix-sept unités qui pourront être utilisées, puisque nous allons libérer les unités de forces mobiles qui, à Paris, effectuent des gardes statiques devant Beauvau, devant l'ambassade d'Israël, devant celle des États-Unis ou devant l'Élysée. Elles seront remplacées par des unités de policiers, ce qui sera plus logique.

Je rappelle que des gendarmes et des policiers vont être recrutés en grand nombre au cours des deux premières années budgétaires. J'insiste sur ce point, en particulier auprès du Rassemblement national : 90 % des postes crées le seront aux cours des deux prochaines années. C'est la première fois que le ministère de l'intérieur va recruter plus de 3 000 personnes chaque année, pour les forces de l'ordre, ce qui n'est pas, d'ailleurs, sans représenter un défi de formation et d'organisation. C'est ainsi que nous pourrons aligner 45 000 forces de l'ordre, chaque jour, pendant le JO. S'agissant de la sécurité privée, il faudrait plus de 25 000 personnes.

Madame Regol, si vous lisez bien le rapport annexé, vous verrez que les exosquelettes concernent surtout la sécurité civile. Les pompiers, volontaires ou professionnels, expliquent que ces exosquelettes les aident à porter des équipements d'extinction d'incendie toujours plus lourds et leur permettent de réduire ainsi les risques de maladies professionnelles. Je vous rassure, ces équipements ne sont pas destinés à faire de la police nationale une police « technologisée ». Vos propos plus politiques n'appellent pas de réponse particulière et feront l'objet d'échanges dans l'hémicycle. Il en est de même pour Mme Faucillon.

Enfin, pour ce qui est de la réforme de la police nationale, mesdames et messieurs les députés, elle n'est pas législative, elle est entièrement réglementaire. Pensez-vous un seul instant que nous pourrions toucher à la séparation des pouvoirs, à la relation avec l'autorité judiciaire et au pouvoir des magistrats, sans changer un article de loi ou la Constitution ? Bien sûr que non. Le fait que nous puissions faire la réforme de la police nationale avec du réglementaire uniquement est la démonstration même que nous ne touchons à aucun article du code pénal ou de procédure pénale.

La démarche suivie prouve l'honnêteté du Gouvernement, qui expose clairement ce qu'il compte faire dans les cinq prochaines années. Elle illustre également la volonté d'écouter toutes les questions, toutes les demandes, toutes les préoccupations, car il s'agit d'une de ces réformes que l'on ne fait qu'une fois par siècle. La dernière, d'une telle envergure, date de Clemenceau et, depuis, le monde a un peu changé. La technologie s'est développée, internet a été inventé et la criminalité n'est plus du tout la même. Cette réforme a été lancée il y a trente-six ans par Pierre Joxe et il est normal qu'elle suscite des interrogations. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous souhaitons recourir à la concertation.

Trois missions travaillent aujourd'hui en même temps sur cette réforme : celle de vos collègues Mme Guévenoux et M. Bernalicis, qui devrait rendre son rapport au mois de janvier 2023 ; celle de Mme Bellurot, pour le groupe Les Républicains, et de M. Durain, pour le groupe socialiste, au Sénat ; et une de l'Inspection générale de l'administration (IGA), commandée par moi-même. J'ai en outre demandé son avis à l'Inspection générale de la justice (IGJ). Si cette réforme a fait couler beaucoup d'encre, elle a aussi fait l'objet d'expérimentations, dont nous attendrons les retours. Ainsi, nous ne commencerons rien avant d'avoir pris connaissance des rapports de ces trois missions.

En outre, je m'engage à rendre public et à communiquer aux Chambres les rapports des inspections. Je m'engage également à attendre les élections syndicales et le vote des fonctionnaires pour discuter de cette réforme, à partir du mois de décembre, avec les représentants syndicaux fraîchement élus et légitimés. Nous modifierons le texte ensuite s'il le faut.

J'ai en outre accepté un amendement du Sénat prévoyant la spécificité de la police judiciaire, afin que l'on comprenne bien qu'il ne s'agit évidemment pas de la supprimer. D'ailleurs, nous voudrions le faire que nous ne pourrions pas, puisque nous ne changeons pas la loi et qu'il est impossible de supprimer la PJ sans recourir à la loi. J'ai même proposé au Sénat, qui l'a refusé, que l'on encadre la réforme de la police nationale, pour rassurer tout le monde sur les différents points évoqués.

Le magistrat, juge d'instruction ou procureur, pourra-t-il choisir librement le service de police ou de gendarmerie ? La réponse est oui, puisque l'article 12 du code de procédure pénale ne changera pas. Y aura-t-il une police judiciaire départementalisée ? La réponse est non et je le répète depuis le mois de juillet. Nous garderons tous les offices, nous garderons toutes les antennes. Je ne toucherai pas à l'actuelle cartographie.

Par ailleurs, pour répondre à certaines craintes, nous avons décidé que toutes les questions relevant de la délinquance financière et de la probité ne seraient pas traitées au niveau départemental, mais aux niveaux régional, zonal où national, selon les cas. Et si vous souhaitait que cela figure dans le rapport annexé, j'y serai favorable. Je le dis à Mme Brocard, je serai favorable à ses amendements prévoyant d'encadrer la réforme de la police nationale, puisque je l'avais moi-même proposé au Sénat.

On ne peut se contenter de regarder les taux d'élucidation baisser et la criminalité organisée se transformer technologiquement. Je le dis à M. Ciotti et au RN, nous proposons une réforme qui prend en compte le fait que délinquance étrangère, délinquance internationale, délinquance territoriale, renseignement, tout est aujourd'hui lié. Et cette réforme de la police nationale, beaucoup l'attentent et la souhaitent.

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