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Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mercredi 2 novembre 2022 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer :

Merci de m'inviter une nouvelle fois aux travaux de votre commission, alors que vous commencez l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

Ce texte est très important, d'abord parce que nous vous demandons 15 milliards d'euros de crédits supplémentaires sur les cinq prochaines années. Il faut mesurer ce que cela signifie après les 10 milliards d'euros du quinquennat précédent. En outre, et cela n'avait jamais été fait au ministère de l'intérieur, cette augmentation des crédits est prévue dans le cadre d'une programmation. Il y a eu des lois d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, les fameuses Lopsi. Il a pu y avoir aussi des lois de programmations pour les forces de sécurité intérieure, lorsque le ministère de l'intérieur avait un périmètre plus petit, dans les années 1980 notamment. Mais il n'y a jamais eu de loi de programmation pour l'ensemble du ministère, qui couvre la sécurité civile, la sécurité au sens très large, l'immigration et l'intégration, les agents de préfecture et le fonctionnement de tous les services publics qui sont désormais sous mon autorité, à la demande du Président de la République et de la Première ministre.

Ce texte nous permettra ainsi de détailler la feuille de route que nous souhaitons mettre en œuvre pendant cinq ans et de programmer budgétairement des transformations très importantes, numériques et cyber notamment, comme les militaires peuvent le faire avec les lois de programmation militaire. C'est d'ailleurs le modèle que nous suivons.

Je commencerai par saluer le travail que nous avons pu faire au Sénat. Vous l'avez souligné, Monsieur le président, une large majorité des sénateurs, allant du groupe des LR à celui des socialistes en passant, bien sûr par le groupe de la majorité présidentielle, a adopté ce texte. Bien sûr, tout n'a pas été accepté par l'ensemble des sénateurs, mais tous ont vu l'effort financier ainsi consenti et la volonté clairement exprimée de répondre aux cinq crises qui vont s'imposer à la France, quelles que soient les majorités, quels que soient les dirigeants politiques.

Je salue aussi les agents du ministère de l'intérieur, les policiers, les gendarmes, les agents de sécurité civile et ceux de préfecture. Ces agents, quels que soient leur grade ou leur fonction, payent parfois de leur vie leur engagement pour la France et pour la fonction publique. Je vais ainsi présider aux obsèques du gendarme qui a été tué dans l'Eure, dans la nuit du 24 au 25 octobre, alors qu'il participait à une opération. Je vous prie par conséquent de bien vouloir m'excuser de ne pas pouvoir participer, demain, aux travaux de votre commission.

Pour faire face aux cinq crises qui vont toucher notre pays, le ministère de l'intérieur doit donc définir des objectifs politiques – c'est l'objet du rapport annexé – et prévoir des moyens budgétaires.

Quelles sont ces crises ? Il y a d'abord celle que nous pourrions considérer comme d'ordre public, illustrée par exemple par les manifestations des gilets jaunes. C'est fini les manifestations « à la papa », avec des services d'ordre de syndicats organisés et dans une seule ville. Nous avons affaire désormais à des rassemblements spontanés, massifs et peu prévisibles. Or, l'ordre public, c'est un métier, qui n'est pas celui de n'importe quel policier, de n'importe quel gendarme. Il nécessite une formation spécifique. Nous créons donc onze unités de forces mobiles supplémentaires, alors que quinze d'entre elles avaient été supprimées au cours des vingt dernières années. Quatre de ces unités seront des escadrons de CRS et sept des escadrons de gendarmerie mobile, qui pourront être déployés lors des crises ultramarines, comme à Mayotte ou en Guyane, ou à l'occasion de certains événements tels que le dernier référendum en Nouvelle-Calédonie. Ces opérations outre-mer sont en effet l'apanage des gendarmes.

La deuxième crise est cyber. Elle mobilise à elle seule – avec le numérique – plus de la moitié des 15 milliards d'euros supplémentaires que nous vous demandons. Ces crédits serviront à faciliter le travail des policiers, des gendarmes et des agents de préfecture – l'équivalent en quelque sorte du prélèvement à la source pour les agents des Finances publiques. Cela permettra de simplifier des procédures qui, aujourd'hui, démobilisent nos agents. Ils me disent se sentir trop pris par la paperasse ou confrontés à des difficultés dans les discussions avec les citoyens ou la justice.

Ces crédits serviront aussi, et surtout, à lutter contre la nouvelle menace cyber, qui représente déjà plus de la moitié des escroqueries. Demain, elle portera sur le secret des correspondances, l'activité des plus petites PME de vos circonscriptions et les hôpitaux publics. Nous le savons, l'attentat ne sera sans doute plus commis par un homme armé d'une kalachnikov dans une salle de spectacle – même si cela peut toujours arriver. Il sera le fait d'un drone chargé d'explosifs ou de hackers s'attaquant aux feux de signalisation de la capitale ou aux hôpitaux du Plan blanc. Ce ne sont pas à quelques dizaines ou quelques centaines de morts, mais potentiellement à des milliers auxquels nous devons nous préparer. Les attaques de drones armés, qui existent déjà dans le monde militaire, dans le cadre d'opérations extérieures, seront importées évidemment demain dans celui de la sécurité intérieure. Nous devons trouver les moyens de répondre à ces nouvelles menaces, à ce nouveau terrorisme et à cette guerre hybride qui s'est matérialisée avec le conflit en Ukraine.

Vient ensuite la crise de la sécurité civile due au réchauffement climatique. Les feux de forêt de cet été ont démontré à quel point celui-ci, même si, en l'occurrence, il n'en est pas a priori le responsable, favorise la multiplication et la diffusion des catastrophes. En conséquence, nous avons besoin de renforcer de manière considérable nos moyens de sécurité civile. Songez que la moitié des feux de cet été ont eu lieu au nord de la Loire et non plus simplement, si j'ose dire, dans des territoires comme la Corse, le Var, les Bouches-du-Rhône ou les Alpes-Maritimes, qui y sont malheureusement habitués ! Lorsque le Jura est concerné, lorsque des milliers d'hectares brûlent en Bretagne ou en Maine-et-Loire, nous devons adapter nos moyens aériens et nos dispositifs d'intervention. Cela coûte évidemment beaucoup d'argent et les moyens destinés à la sécurité civile, prévus dans la Lopmi avant même les annonces du Président de la République, le 28 octobre, seront complétés lors du débat budgétaire. Ces feux de forêt succèdent aux intempéries les pires de l'histoire récente de notre pays, qui ont émaillé le précédent quinquennat. Il avait ainsi commencé avec l'ouragan Irma, à Saint-Martin, pour se terminer avec les désastres de la Vésubie et de la vallée de la Roya. Le réchauffement climatique est donc de la plus haute importance pour le ministère de l'intérieur qui, avec ses moyens technologiques, techniques et humains, doit prendre en charge ses conséquences.

La quatrième crise est celle de la délinquance et de ses nouvelles formes, chaque crise pouvant d'ailleurs se nourrir des autres. Ainsi, les points de deal seront demain en grande partie numériques, tandis que l'argent sale se convertit aux cryptomonnaies. Nous devrons à l'avenir pouvoir saisir des actifs numériques, ce que nous ne pouvons pas faire aujourd'hui. C'est d'ailleurs l'objet d'un des articles de cette Lopmi. Les nouvelles technologies de téléphonie mobile et la crypto nous empêchent également de procéder aux écoutes classiques, alors que notre présence sur la voie publique va changer profondément. Comment les motards procéderont-ils à des contrôles autoroutiers, dans sept ou huit ans, si ce sont des voitures autonomes qui circulent ? Il nous faut réfléchir à toutes ces évolutions et les anticiper, grâce notamment à la formation initiale et continue de nos agents, auxquelles nous consacrons des moyens très importants.

Nous avons pour objectif le doublement de notre présence sur la voie publique. Nous y parviendrons en menant des réformes internes au ministère de l'intérieur, je pense par exemple à celle du cycle horaire, et en augmentant les effectifs. D'où les 8 500 policiers, gendarmes et agents de préfecture demandés dans ce texte ; d'où la récréation de 200 brigades de gendarmerie, après que 500 ont été supprimées en trente ans. Toutes les mesures sont détaillées dans le rapport annexé.

Cinquième crise enfin, celle de l'investigation, qui fait le lien avec le travail effectué par le ministre de la justice. L'appellation même des officiers de police judiciaire (OPJ), les assistants d'enquête, qui sont à la police ce que sont les greffiers à la justice, rappellent ce lien et nous renvoient aux difficultés que nous rencontrons toutes et tous. En effet, le renforcement de notre présence sur le terrain, engagé sous le précédent quinquennat, a entraîné une hausse d'environ 20 % des interpellations de trafiquants et de délinquants. Dès lors, il faut faire des enquêtes, il faut les produire et les présenter à la justice. Or la réponse pénale, qui nous paraît parfois décevante, est souvent le résultat d'un travail incomplet des services du ministère de l'intérieur, par manque d'OPJ dans chacun de vos territoires.

C'est avec un esprit ouvert que je viens devant vous, car je crois ce texte très républicain. J'ai examiné les amendements déposés par l'ensemble des groupes, dont 70 par votre rapporteur. Ils amélioreront le texte et je leur donne un avis favorable, même si je ne pourrai pas être en commission pour en discuter, pour la raison que j'ai évoquée tout à l'heure – notez au passage que j'ai manqué le Conseil des ministres pour être devant vous ce matin.

Ainsi, le Gouvernement est favorable à la nouvelle rédaction de l'article 4, qui permet de créer des contraintes à l'appel d'air supposé sur les rançongiciels. Nous aurons sans doute l'occasion d'avoir ce débat très intéressant dans l'hémicycle, puisque les rançongiciels sont une des principales menaces cyber, à l'image des extorsions des années 1980-1990.

De même, je suis favorable, par principe et par conviction, aux amendements de Mme Untermaier sur le collège de déontologie, qui peut d'ailleurs, j'en ai parlé avec le rapporteur, être étendu à l'ensemble du ministre de l'intérieur et non pas être limité aux seules forces de sécurité intérieure. La DLPAJ (direction des libertés publiques et des affaires judiciaires) ou ce qui relève de l'immigration peuvent être concernés par ce collège de déontologie.

Un amendement déposé par M. Ciotti sur la création de 3 000 places supplémentaires en CRA (centre de rétention administrative), c'est-à-dire un doublement des 1 500 places prévues, recevra également un avis favorable du Gouvernement. Il faudra cependant discuter de la trajectoire budgétaire car M. Ciotti prévoit des crédits en investissement, mais pas en fonctionnement.

Un amendement M. Naegelen, qui prévoit un délai raisonnable d'échange quant à l'implantation des 200 brigades de gendarmerie, sera accepté. Il est en effet légitime de disposer de quelques mois pour travailler sur ces implantations, en concertation avec les élus,

L'officier de liaison LGBT+ proposé par Mme Regol est dans le droit fil des amendements présentés par le groupe Écologiste au Sénat, que j'ai acceptés.

Je donnerai également un avis favorable à l'amendement de M. Boucard sur la peine complémentaire pour les infractions de violence contre les forces de l'ordre et les élus.

Je suis tout à fait favorable aux amendements CL295 et CL638 présentés par M. Bernalicis et plusieurs députés écologistes sur la visioplainte pour faciliter les démarches des victimes.

Je donnerai également un avis favorable aux amendements de M. Balanant portant sur les circonstances aggravantes pour l'outrage sexiste ou l'identité de genre.

Le Gouvernement acceptera aussi les amendements de M. Boucard et de Mme Pouzyreff sur les extensions des AFD (amende forfaitaire délictuelle) et sur les rodéos urbains, en lien avec un amendement du Sénat.

M. Ciotti veut nous imposer des traitements de dossiers à l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) en soixante jours. C'est l'objet de la loi « immigration » à venir, j'y serai donc favorable par principe. Nous aurons l'occasion d'en reparler avec la loi « immigration ».

Enfin, je suis favorable à l'amendement CL393 de Mme K/Bidi sur l'évaluation à terme de la plainte en ligne.

Sur les 700 amendements déposés par l'ensemble des groupes, plus d'une centaine ont donc déjà reçu un avis favorable du Gouvernement. Pour ce qui est du débat parlementaire, ceux qui me connaissent savent que je suis plus mon instinct que les feuilles de banc, rédigées par mes collaborateurs.

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