Intervention de Patrick Hetzel

Réunion du mardi 25 octobre 2022 à 17h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel, rapporteur spécial :

Ce budget pour 2023 semble traduire les premières conséquences que le ministère entend tirer des recommandations formulées par le comité des États généraux de la justice. C'est une bonne chose. Toutefois, derrière des effets d'annonce, la réalité est, hélas, bien plus complexe et ambiguë qu'il n'y paraît.

Pour ce qui est de la justice judiciaire, il convient, en premier lieu, de rappeler que les difficultés structurelles des juridictions sont considérables. À titre d'exemple, le taux de vacance des postes de greffiers s'établit à 7,2 %, soit 2,7 points de plus qu'en 2019, avant la crise du covid-19. De plus, les cibles fixées en matière de délais de traitement des affaires civiles repartent de nouveau à la hausse.

La Première ministre a annoncé dans son discours de politique générale la création de 1 500 postes de magistrats sur cinq ans. Si 200 ETP, ou équivalents temps plein, de magistrats sont prévus par le projet de loi de finances pour 2023, sans doute les 1 300 postes supplémentaires seront-ils pour plus tard. Le ministère reste néanmoins dans l'ambiguïté : ces emplois relèvent-il de la création de postes au sein des juridictions ou de l'ouverture de places supplémentaires à l'École nationale de la magistrature ? En d'autres termes, ces renforts seront-ils opérationnels en 2023 ou à compter de 2025 seulement ?

Vous avez en outre annoncé une revalorisation à hauteur de 1 000 euros, à partir d'octobre 2023, de la rémunération des magistrats, qui prendra la forme d'une hausse des primes forfaitaires et modulables versées à ces derniers. En réalité, nous voyons bien que cette revalorisation concernera en priorité les magistrats les plus expérimentés, puisque ces primes sont indexées sur le traitement indiciaire. Surtout, cette prime ne résoudra pas la question centrale de l'attractivité de la profession.

Pour ce qui est de l'administration pénitentiaire, en dépit de la livraison de nouvelles places de prison, la population carcérale continue de progresser bien plus vite. Le taux d'occupation des places en maison d'arrêt pourrait ainsi atteindre plus de 130 % en 2023. Dans ces conditions, comment espérer une véritable amélioration des conditions de détention ?

Le projet de loi de finances prévoit par ailleurs la création de 809 emplois. Or, ces postes concernent majoritairement des personnels de surveillance, pour lesquels, comme nous l'avons vu pour les derniers budgets, le schéma d'emplois est, hélas, systématiquement sous-exécuté : l'action ne suit pas les annonces.

Des moyens supplémentaires seront, en outre, alloués au bracelet anti-rapprochement. Néanmoins, comme l'a d'ailleurs indiqué aussi notre collègue Aurélien Pradié, ces outils ont connu de nombreux dysfonctionnements, ce qui a conduit le ministère à changer de prestataire en 2022. Cet exemple montre qu'en dépit de moyens supplémentaires, le pilotage fait toujours défaut.

Par ailleurs, l'article 44 du projet de loi de finances prévoit de prolonger de deux ans l'expérimentation rendant obligatoire une tentative de médiation préalable à la saisine du juge pour certaines affaires familiales. Sur le principe, j'y suis favorable, mais ce serait la troisième fois que nous prolongerions cette expérimentation alors que, selon les informations dont nous disposons, la Cnaf, la Caisse nationale des allocations familiales, n'a toujours pas donné son accord pour participer à son financement. On nous demande donc de nous prononcer sur un article sans savoir quelle en sera la véritable portée.

Enfin, permettez-moi de citer des acteurs du terrain judiciaire. Récemment, dans ma circonscription, à l'occasion de l'audience de rentrée, la présidente et la procureure du tribunal de Saverne ont dressé un état des lieux. La présidente a ainsi déclaré : « Nous sommes en situation de plein-emploi théorique. L'équilibre demeure fragile et, du côté des greffes, la situation est plus que délicate. Nous sommes en sous-effectif chronique, avec des postes non pourvus, nous obligeant à prioriser certains services et à ne traiter que les urgences pour d'autres. » La procureure a ajouté : « Le mérite de tous est grand, car la justice est le seul service public à devoir absorber chaque année, dans les faits et à moyens constants, une quantité énorme de réformes, et ce dans tous les domaines. » Comme vous le voyez, les choses sont un peu différentes sur le terrain de ce qu'elles sont dans vos discours.

Tous ces exemples montrent que, sans pilotage satisfaisant de ces moyens supplémentaires, la justice ne pourra sortir durablement de la crise qu'elle traverse encore aujourd'hui. Beaucoup reste donc à faire et, jusqu'à présent, les résultats ne sont malheureusement pas satisfaisants.

Monsieur le ministre, la justice de terrain, celle du quotidien, celle qui vit la réalité des tribunaux, est très éloignée de ce que vous venez de nous présenter. Quand accepterez-vous d'en venir enfin au principe de réalité ?

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