Pour cette édition 2024 du printemps de l'évaluation, j'ai choisi d'exercer mes pouvoirs de rapporteur spécial sur les crédits destinés au fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). Lors de l'examen du PLF à l'automne dernier, je m'étais engagé devant vous à procéder à l'évaluation de ce fonds. En effet, une partie importante des amendements sur la mission AGTE portait sur le FIPD.
Par ailleurs, ce fonds a été négativement mis en lumière l'année passée avec l'affaire dite du fonds Marianne. Au-delà des responsabilités individuelles dans l'attribution indue de subventions dans le cadre de cet appel à projets, j'ai voulu savoir si nous avions affaire à des défaillances isolées ou bien à des dysfonctionnements récurrents quant à la gestion du FIPD. Avant de vous présenter l'état de mes investigations à l'heure actuelle – car il s'agit d'un contrôle que je souhaite continuer à approfondir en allant dans trois départements –, je souhaiterais d'abord vous présenter le fonctionnement du FIPD et ce qu'il représente dans le budget du ministère de l'intérieur.
Le FIPD est une création de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Initialement, il était géré par l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé). Après la disparition de cet établissement public, les crédits du FIPD ont été directement rattachés au ministère de l'intérieur en 2016 et ils figurent depuis dans le programme 216, Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur. Depuis la même année, le fonds s'est vu confier le financement d'actions de prévention de la radicalisation, dans le contexte de la série d'attentats contre notre pays en 2015. En 2023, plus de 83 millions d'euros de dépenses ont été engagés et les crédits oscillent entre 65 millions d'euros et 75 millions d'euros chaque année.
La gestion du FIPD est très déconcentrée, puisque 90 % des crédits sont consommés, au niveau départemental, par les préfets. Au niveau national, un comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) en fixe les orientations d'utilisation. Présidé par le Premier ministre, il réunit la majorité des ministres. À la suite de l'affaire du fonds Marianne et des conclusions tirées par l'Inspection générale de l'administration (IGA), aucun appel à projets national n'est actuellement piloté par le CIPDR. Les crédits qui sont aujourd'hui consommés au niveau central ne servent qu'à abonder des projets déjà sélectionnés au niveau local. En 2023, il s'agissait par exemple de la sécurisation des différents sites des Jeux olympiques, notamment en Seine-Saint-Denis, ou encore du plan « Marseille en grand ».
Concrètement, les dépenses du FIPD prennent la forme de subventions attribuées à des collectivités territoriales, mais aussi à des associations. Conformément aux orientations prises par le CIPDR, les subventions du FIPD entendent répondre à quatre objectifs, improprement appelés « programmes » par le ministère de l'intérieur.
Si l'on considère le montant des dépenses engagées, le plus important est le programme « D » de prévention de la délinquance, qui représentait 35 millions d'euros en 2023. Ces subventions permettent le financement d'actions en faveur des jeunes par la prévention de la récidive, la lutte contre le décrochage scolaire ou encore la promotion de la citoyenneté ; mais aussi des actions en faveur des victimes de violences intrafamiliales. Parmi les objectifs de ce programme, il faut également ajouter l'amélioration de la tranquillité publique par le biais de la médiation et du dialogue entre la police et la population ; et du financement de postes de coordonnateurs des plans locaux de prévention de la délinquance.
Ensuite, le programme « S » est dédié à la sécurisation, avec 33 millions d'euros de dépenses engagées en 2023. Il s'agit principalement du financement des équipements de vidéoprotection des communes, mais aussi d'aide pour l'achat de fournitures et de matériels pour les polices municipales, ou encore de subventions pour garantir la sécurité des lieux publics, notamment des établissements scolaires.
Le troisième programme, dit « R », concerne la prévention de la radicalisation, avec 10 millions d'euros en 2023. Il permet le financement des actions des référents locaux de contre-discours républicain, de soutien à l'insertion sociale ou encore à la parentalité. Enfin, le quatrième et dernier programme, avec moins de 6 millions d'euros, porte sur la sécurisation des sites exposés aux risques terroristes, par exemple des écoles confessionnelles, des églises, des synagogues.
Vous constaterez comme moi, mes chers collègues, que certaines actions financées par les crédits du FIPD n'ont qu'un lien ténu avec la lutte contre la délinquance et la radicalisation. Il est vrai que les objectifs assignés à ce fonds sont complexes à accomplir. Comment éviter que des infractions soient commises ? Comment empêcher une personne de se radicaliser et de commettre des attentats ? Force est de constater que l'absence de périmètre précis pour l'utilisation des crédits du FIPD ne peut que conduire à un foisonnement des actions subventionnées.
Dans mon département de la Marne, environ 240 000 euros de subventions ont été versés à des associations en 2022. Si plus de la moitié ont été attribués à une structure qui vient en aide aussi bien aux victimes qu'aux ex-détenus, nous y trouvons également des associations qui s'occupent de sports et de loisirs, de la représentation des familles, de l'égalité femmes - hommes, d'éducation civique, de l'accompagnement à la parentalité ou encore de la lutte contre l'exclusion sociale.
Je ne remets pas en cause la pertinence que peuvent avoir ces activités dans la prévention de la délinquance à moyen et long terme, mais cela illustre la confusion des objectifs poursuivis. De plus, comment mesurer l'effet de ces dépenses ? Il ressort de mes travaux que de nombreuses subventions sont reconduites quasi automatiquement. Les conventions qui régissent leurs versements sont très sommaires et ne comportent pas d'objectifs qualitatifs ou quantitatifs contraignants.
Plus largement, le FIPD ne fait l'objet d'aucun indicateur de performance dans les documents budgétaires annexés au projet de loi de finances, ce qui ne permet pas au législateur de mesurer sa pertinence. Cette carence est d'autant plus problématique que les crédits du FIPD ont augmenté de plus de 20 % depuis 2016 ; et que la délinquance et la radicalisation n'ont guère régressé dans le même laps de temps. D'après les statistiques du ministère de l'intérieur, la quasi-totalité des indicateurs de la délinquance enregistrée étaient même en hausse en 2022.
Enfin, il faut avoir conscience de la faible importance du FIPD dans l'ensemble des politiques publiques qui entendent concourir à la prévention de la délinquance. D'après le document de politique transversale qui nous est communiqué au moment de l'examen du projet de loi de finances, le FIPD ne représente qu'à peine plus de 2 % des crédits destinés à cette politique publique, qui s'élèvent au total à plus de 3,7 milliards d'euros.
J'en tire la conclusion que le FIPD est finalement un instrument de politique sociale qui n'a pas sa pertinence parmi les crédits du ministère de l'intérieur pour ce qui concerne les associations. En ce qui concerne les collectivités territoriales et principalement les communes, il conviendrait, là encore, de s'interroger sur l'efficacité des équipements financés, comme la vidéoprotection, dans la prévention de la délinquance. Sans remettre en cause ces installations, on peut se demander si le FIPD était le vecteur opportun. Je précise d'ailleurs que les subventions pour la vidéoprotection ne relèveront plus du CIPDR et des crédits du FIPD au sens strict à compter de 2024.
La loi de finances distingue désormais des crédits destinés à l'équipement de caméras (à hauteur de 25 millions d'euros) du reste du FIPD, dont l'enveloppe est dès lors de 62 millions d'euros. Ces crédits seront pilotés par la direction des entreprises et partenariats de sécurité des armes (DEPSA), conformément à la Lopmi. Je suis donc d'avis de supprimer le FIPD, de le remplacer par une augmentation des dotations aux collectivités territoriales, et de transférer les crédits dont bénéficient des associations aux programmes des ministères susceptibles d'être concernés.
À défaut d'une disparition du FIPD, je préconise au moins de clarifier sa fonction et de resserrer le contrôle de ces crédits. Ces évolutions sont d'autant plus nécessaires que la création de la DEPSA et la séparation des dépenses d'intervention pour la vidéoprotection vont mécaniquement recentrer le FIPD sur les associations. Quitte à exister, le CIPDR ne devrait pas demeurer un organe inactif. Sa dernière réunion remonte à 2019 pour la détermination de la stratégie nationale de prévention de la délinquance. De même, alors qu'il est censé produire un rapport annuel au Parlement, il ne l'a plus fait depuis 2018.
De son côté, le secrétariat général du CIPDR devrait être doté d'un réel statut et son rôle de pilotage des crédits mieux assuré, comme le recommande d'ailleurs la Cour des comptes. Son rôle est d'autant plus important que la consommation des crédits est déconcentrée. Lui seul est ainsi à même de définir des priorités et d'assurer une certaine cohérence des pratiques sur l'ensemble du territoire national. Les débats lors de l'examen du futur projet de loi de finances nous permettront, à n'en pas douter, de revenir sur ce sujet.