Les chiffres ont été rappelés à de multiples reprises : alors qu'environ 321 000 femmes ont été victimes de violences en 2021, 5 873 demandes d'ordonnances de protection ont été acceptées la même année. Le constat est sans appel : notre société est encore loin de protéger efficacement les femmes de violences qui sont essentiellement masculines.
La proposition de loi que nous nous apprêtons à voter vise à apporter une réponse certes partielle mais bienvenue à ce problème majeur. En créant une ordonnance provisoire de protection immédiate et en allongeant la durée potentielle de l'ordonnance de protection à un an, elle renforce la protection des femmes en amont et en aval du dispositif.
Son examen a permis d'intégrer des avancées, telle que la possibilité pour le procureur de délivrer un téléphone grave danger à la personne bénéficiant de l'ordonnance provisoire. L'efficacité de ce dispositif est démontrée – il sauve des vies – mais il n'est pas suffisamment déployé. Depuis plusieurs années, nous avons un contentieux avec le garde des sceaux à ce sujet, alors qu'un rapport d'Oxfam dénonce le nombre dérisoire de ces téléphones par rapport aux besoins effectifs. Mine Günbay, directrice de la fédération nationale Solidarité femmes, nous alerte sur le fait que certains téléphones ne sont même pas distribués et restent dans les placards.
En outre, le texte issu de la CMP étend des mesures que le juge peut prononcer : il ajoute par exemple la dissimulation de l'adresse ou la suspension du droit de visite du conjoint violent. Il octroie au juge la possibilité de prononcer une mesure attribuant la garde de l'animal de compagnie à la personne victime de violences – cela compte aussi.
Comme nous l'avons martelé au long de la navette parlementaire, ce texte comporte cependant des lacunes, que les dernières avancées n'ont pas permis de combler. Alors que les Écologistes et d'autres parlementaires avaient proposé par voie d'amendement que la personne victime de violences puisse directement solliciter une ordonnance provisoire de protection et que le Sénat avait adopté cette mesure, la CMP n'a pas jugé bon de la maintenir, ce que nous regrettons. Il est à craindre que, du fait de cette restriction, ce dispositif soit finalement peu employé : les procureurs ne disposent pas de suffisamment de temps pour se pencher sur les dossiers – on se souvient que 2 % seulement des ordonnances de protection sont délivrées à leur initiative.
Un autre point négatif réside dans la nécessité de remplir deux critères cumulatifs pour bénéficier de l'ordonnance de protection : courir un danger vraisemblable et être victime de faits de violence vraisemblables. Le maintien de ce double critère laisse entendre qu'il existerait des violences sans danger pour les personnes, un seuil de violences tolérables dans le couple qu'il appartiendrait au juge de fixer. Les Écologistes le rappellent avec force : la violence n'a pas sa place dans le couple ; toute personne victime de violences, de quelque ordre que ce soit, est en danger. Cette proposition de loi ne le reconnaît pas.
Enfin, plusieurs aspects ne sont pas abordés par le texte, alors qu'ils ont été mis en évidence, notamment par les travaux scientifiques de la sociologue Solenne Jouanneau ; ils devraient nous inciter à nous interroger et à poursuivre le travail. Ainsi, 80 % des femmes qui sollicitent une ordonnance de protection sont en situation de précarité économique. L'accompagnement financier proposé est-il à la hauteur de leurs besoins ? Ensuite, les femmes étrangères ou d'origine étrangère qui sont en couple avec un Français né en France sont celles qui ont le moins de chance d'obtenir une ordonnance de protection ; pourquoi ? Enfin, alors que ce n'est pas obligatoire, pourquoi les juges exigent-ils le plus souvent un dépôt de plainte et un certificat médical pour délivrer l'ordonnance de protection ? Toutes ces données sont chiffrées et décrivent la réalité ; pourtant la proposition de loi n'y répond pas.
Au-delà du seul cadre légal, sans prétendre ici apporter une réponse opérationnelle immédiate, puisque ce n'est pas l'objet de mon intervention, il nous faut donc, en nous appuyant sur les travaux scientifiques, questionner nos pratiques pour permettre à la justice de répondre au mieux à la situation, de condamner les auteurs de violences et d'accorder une réparation aux victimes. Cécile Untermaier a rappelé l'importance de la justice restaurative.
Les Écologistes voteront évidemment cette proposition de loi, qui permet des avancées, tout en regrettant qu'elle n'aille pas au bout de sa logique. Nous appelons à légiférer bientôt pour muscler davantage le dispositif et combler les lacunes qui, chaque jour, font de nouvelles victimes.