Vous connaissez mon engagement dans la lutte contre les violences intrafamiliales. Ce fléau touche particulièrement mon territoire, La Réunion, où 15 % des femmes sont victimes de violences intrafamiliales et où les forces de l'ordre mènent chaque jour vingt et une interventions pour des cas de VIF, comme on les appelle. On croirait une malédiction ; elle se transmet de génération en génération, infiltre tous les pores de notre société. Les VIF sont tantôt la cause, tantôt la conséquence des nombreux maux que nous combattons : les addictions, l'échec scolaire, la précarité, l'exclusion et – encore – la violence.
En la matière, je soutiens donc toutes les initiatives, toutes les propositions, les grands projets comme les petits pas, tant qu'ils permettent de prévenir les violences intrafamiliales et de mieux protéger les victimes. Ce texte visant à allonger la durée de l'ordonnance de protection et à créer une ordonnance provisoire de protection immédiate est un petit pas. Le groupe Gauche démocrate et républicaine le votera, mais permettez-moi de regretter cette occasion manquée de réformer en profondeur l'ordonnance de protection. Ensemble, nous aurions pu faire un grand pas.
Il y a plus d'un an, en votant à l'unanimité la proposition de loi de Cécile Untermaier, nous avons dit oui à un texte ambitieux qui visait à modifier la double condition – caractère vraisemblable des violences et existence d'un danger effectif – exigée pour la délivrance d'une ordonnance de protection. Ce texte attend toujours quelque part entre le Palais-Bourbon et la rue de Vaugirard… En supprimant le critère de danger effectif ou en le remplaçant par un critère de danger potentiel, la proposition de loi de notre collègue socialiste aurait permis d'étendre les conditions de délivrance de l'ordonnance de protection, donc le nombre de victimes protégées.
En effet, le véritable problème de ce dispositif réside dans le faible taux de saisine. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2021, seules 5 901 demandes d'ordonnance de protection ont été formulées, pour 208 000 victimes de violences conjugales. Sur près de 6 000 demandes formulées, 67 % ont été accordées. Assouplir les conditions de délivrance de l'ordonnance de protection n'est donc pas une lubie mais une nécessité. C'est ce que nous demandent les associations et les victimes.
Puisqu'il ne modifie pas les conditions de délivrance de l'ordonnance de protection, je crains que votre texte ne change rien au faible taux de saisine. Peut-être est-ce volontaire ? Ne prenez pas personnellement ma remarque, madame la ministre déléguée ; je devrais plutôt dire : « Peut-être est-ce contraint ? » Peut-être notre système judiciaire n'est-il pas prêt à accueillir un afflux de demandes, ni suffisamment doté pour protéger toutes celles et tous ceux qui doivent l'être ? L'allongement de la durée de l'ordonnance de protection, portée de six à douze mois, fait écho à l'allongement des délais de jugement. Ainsi, en 2021, la durée moyenne d'une procédure correctionnelle était de neuf mois. Il était donc nécessaire d'allonger la durée de l'ordonnance de protection pour que la victime soit protégée, au moins jusqu'au jugement pénal.
Il en va de même en ce qui concerne la nouvelle ordonnance de protection provisoire immédiate, délivrée par le juge aux affaires familiales : votre décision de ne pas ouvrir la saisine aux victimes et de la réserver au seul procureur de la République montre que vous craignez de ne pas pouvoir faire face à l'afflux de requêtes et de voir le délai de vingt-quatre heures non respecté.
Le texte dit la volonté de lutter contre les VIF – je connais votre engagement en la matière, madame la ministre, et je ne doute pas de votre sincérité –, mais aussi la pénurie de notre système judiciaire.