Cette proposition de loi est une réponse partielle à un constat dramatique : en 2022, alors qu'on dénombrait plus de 240 000 victimes de violences conjugales – un nombre en hausse de 15 % par rapport à 2021 –, moins de 6 000 ordonnances de protection ont été demandées et seules 3 586 ont été délivrées. Ce fossé entre le danger de mort auquel ces victimes sont exposées et l'impuissance de la police et de la justice à les protéger, malgré des efforts indéniables, nous oblige à réagir.
Le renforcement de l'ordonnance de protection classique ne peut qu'emporter le soutien du groupe Socialistes et apparentés, d'autant que nous en sommes à l'origine, comme l'ont aimablement rappelé MM. Balanant et Pradal. L'allongement de la durée maximale de l'ordonnance de protection de six à douze mois, qui, sous certaines conditions, ne s'accompagne pas de l'obligation de renouveler la procédure après six mois, est une vraie mesure de simplification tant pour les victimes que pour les magistrats, une mesure comme nous aimerions en voir plus souvent dans nos textes de loi. Quant à la possibilité de délivrer l'ordonnance de protection même en l'absence de cohabitation du couple et de masquer l'adresse de la victime sur les listes électorales lorsque la dissimulation de l'adresse a été autorisée par le juge aux affaires familiales, ces mesures répondent à un souci d'efficacité.
En revanche, je reste convaincue – et je ne suis pas la seule –, que la nécessité de réunir les critères cumulatifs de l'existence d'un danger et de violences vraisemblables reste problématique pour le magistrat. Le critère des violences vraisemblables, nous semble-t-il, suffit à fonder une demande d'ordonnance de protection auprès du juge aux affaires familiales. Il me paraît inopportun de demander au magistrat de déterminer quel niveau de violence entraîne un danger. Le principe qui s'applique en matière de violences commises contre les enfants vaut aussi s'agissant des femmes : nous devons entendre la parole des victimes. C'est ce qu'elles attendent de nous.
Il faut aussi faciliter l'argumentation des juges. Or tous ceux que j'ai rencontrés confirment l'analyse du Comité national de l'ordonnance de protection (Cnop), selon laquelle la notion de danger vraisemblable complexifie la décision du juge qui se refuse – à raison – à établir une hiérarchie des violences, en distinguant celles qui seraient sources de danger de celles qui ne le seraient pas. Rappelons que la délivrance d'une ordonnance constitue une mesure de protection et non une décision de culpabilité.
Sur ce point, il me semble, madame la ministre, que nous aurions pu avancer plus résolument si vous aviez été aux commandes. Nous devrons procéder tôt ou tard à cette modification des critères.
Enfin, l'ordonnance provisoire de protection immédiate, délivrée sous vingt-quatre heures, est une innovation essentielle en cas de danger imminent. Nous remercions Émilie Chandler de mettre ce nouvel outil à la disposition des magistrats et au service des femmes victimes de violences.
La lutte contre les violences intrafamiliales est directement liée à la capacité des magistrats de se saisir rapidement des outils dont ils disposent, ce qui implique des moyens et des effectifs. Le texte crée un nouvel outil et les effectifs sont en train d'être réunis ; nous devons progresser dans cette voie. En raison de toutes ces avancées, nous voterons la proposition de loi, ce qui ne surprendra personne, car telle est notre position depuis la première lecture.
Pour conclure, j'émettrai deux remarques. Premièrement, l'efficience de l'ordonnance de protection exige la réactivité de tous les acteurs judiciaires et de police. On retrouve encore trop de conjoints violents dans le lieu de vie de la victime ou à la sortie de son lieu de travail. Nous devons garantir la réaction rapide des services de police ou de gendarmerie saisis, sous l'autorité du juge ou du procureur.
Deuxièmement, la justice restaurative, dans les cas de violences intrafamiliales, conforte l'efficacité de la peine. Ce dispositif, complémentaire de la justice pénale, n'a rien de laxiste. Il obtient d'excellents résultats, notamment au Québec, qui a instauré une réelle politique en la matière et l'a dotée de crédits d'État. Il faut avancer dans cette voie ; je tiens d'ailleurs à féliciter Caroline Yadan, qui a organisé hier avec beaucoup de succès un colloque à ce sujet. C'est ainsi que nous gagnerons cette bataille et que nous protégerons les femmes. La justice restaurative est un excellent moyen de responsabiliser l'auteur de violences en le mettant en face de sa victime.