Évelyne, 67 ans, abattue par son ex-conjoint à Saint-Jean-d'Assé, dans la Sarthe, alors qu'elle avait porté plainte pour harcèlement ; Hayatte, 38 ans, tuée à l'arme blanche à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, par son compagnon ; Yasmine, 25 ans, et ses deux enfants Lorenzo, 6 ans, et Nino, 3 ans, assassinés près de Cayenne par un ex-mari sortant de prison : ces morts font partie des quarante-huit féminicides recensés dans notre pays depuis le dépôt de cette proposition de loi en décembre. Quarante-huit femmes sont mortes assassinées sous les coups de leurs conjoints ou ex-conjoints ; leurs enfants ont été les victimes directes ou indirectes de ces crimes, dont ils ont parfois été les témoins.
Cette réalité glaçante, présente sur tous les territoires et fauchant des femmes de tous les âges et de tous les milieux, nous oblige tous. Il nous faut garantir un soutien et une protection à toutes les femmes victimes de conjoints ou d'ex-conjoints qui les considèrent comme leur propriété. Les femmes, comme les hommes, sont libres ; elles n'appartiennent à personne. Ce principe simple, nous devons inlassablement le répéter, le marteler.
Quand elles souhaitent quitter un conjoint, violent ou non, qui n'accepte pas leur choix, quand elles veulent s'arracher à une dépendance ou à un contrôle coercitif, quand elles subissent ou veulent sortir des violences et reprendre le contrôle de leur vie, conquérir leur liberté, il est de notre devoir, de notre responsabilité, de mieux les protéger.
C'est pourquoi, depuis son dépôt, le Gouvernement soutient pleinement cette proposition de loi. Elle est issue des travaux que vous avez menés, madame la rapporteure, chère Émilie Chandler, avec la présidente Dominique Vérien et qui ont fait l'objet d'un rapport parlementaire, « Plan Rouge VIF », dont les recommandations ont été intégrées dans le plan national Toutes et tous égaux.
Votre rapport, qui fera date dans la lutte contre les violences faites aux femmes, a suscité une mobilisation transpartisane inédite pour renforcer la protection des victimes et assurer la réactivité de la chaîne judiciaire.
Rappelons que la lutte contre les violences conjugales, grande cause nationale, a été placée au premier rang des priorités sous les deux quinquennats du Président de la République. Depuis le lancement du Grenelle des violences conjugales à l'automne 2019, nous avons œuvré collectivement pour encourager le recueil de la parole des victimes, renforcer la réponse pénale aux violences qu'elles subissent et améliorer leur protection. Je pense à la loi de 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille qui a créé le dispositif du bracelet antirapprochement (BAR) permettant de tenir les auteurs de violences à distance ou à la loi de 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, qui a instauré une dérogation autorisant la levée le secret médical pour les cas de violences.
Par ailleurs, nous avons doublé les moyens du 3919, numéro national désormais accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Rappelons que le site arretonslesviolences.gouv.fr permet aux victimes d'entrer en contact direct à tout moment avec des policiers et des gendarmes spécifiquement formés et que la création de pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales dans toutes les juridictions est effective depuis le 1er
Plus récemment, vous avez voté à l'unanimité la proposition de loi d'Isabelle Santiago visant à mieux protéger et à accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales : le parent agresseur ne pourra plus se prévaloir de ses droits parentaux pour maintenir son contrôle coercitif ou réitérer ses agissements. Notre arsenal juridique a également été complété par la loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille, promulguée la semaine dernière : un conjoint ayant tué son ou, plus souvent, sa partenaire ne pourra plus bénéficier des avantages tirés du contrat de mariage – une disposition qui était scandaleuse et absurde.
La lutte contre les violences intrafamiliales est un combat permanent qui se niche au cœur de nos familles, de nos intimités. Nous avons progressé : 52 302 personnes ont été condamnées pour des faits de violences conjugales en 2023, contre 22 202 en 2017 ; plus de 44 000 auteurs de violences ont été évincés de leur domicile en 2023, contre 11 300 en 2017 ; 5 693 téléphones grave danger (TGD) ont été déployés en 2023, contre 757 en 2020 ; plus de 1 000 bracelets antirapprochement ont été distribués, ce qui a permis de déclencher 10 500 interventions des forces de sécurité intérieure et de sauver sans doute autant de vies ; enfin, plus de 18 000 aides universelles d'urgence ont été versées depuis l'entrée en vigueur du dispositif, le 1er
Les juridictions ont par ailleurs su s'adapter : le délai moyen pour la délivrance des ordonnances de protection a été réduit à six jours ces derniers mois, contre quarante-deux jours en 2017 ; demain, si cette loi est définitivement adoptée, il ne sera plus que de quelques heures.
Même si ce dispositif fait l'objet de demandes toujours croissantes – elles ont doublé par rapport à 2015 –, il faut reconnaître que le nombre d'ordonnances de protection délivrées en 2022, 6 000, semble bien faible par rapport au nombre de femmes s'étant déclarées victimes de violences conjugales cette même année – 321 000, selon la dernière lettre annuelle de l'Observatoire national des violences faites aux femmes.
Nous devons donc collectivement poursuivre le combat grâce notamment à ce texte, porteur d'avancées concrètes en faveur des femmes, dont je salue l'ambition. Le dispositif tout à fait novateur et inédit qu'il met en place est fortement dérogatoire, dans la mesure où il conduit à conférer au juge civil des prérogatives de nature quasi pénales, en amont de toute déclaration de culpabilité et surtout en l'absence de contradictoire. Tant mieux, cela sauvera des vies – j'en ai la conviction !
Je tiens à saluer aussi l'important travail accompli par la commission mixte paritaire, sous l'égide des deux rapporteures, Mmes Émilie Chandler et Dominique Vérien : le juge civil disposera d'un cadre sécurisé d'intervention urgente.
L'article 1
L'article 1er crée en outre un nouveau dispositif, l'ordonnance provisoire de protection immédiate, par laquelle le juge aux affaires familiales devra prononcer des mesures de protection en vingt-quatre heures et sans contradictoire, dans l'attente de l'audience au fond sur l'ordonnance de protection qui interviendra dans un délai de six jours. Possibilité est ainsi donnée au juge, dans les cas les plus graves, d'ordonner en urgence les mesures propres à assurer une protection immédiate des victimes de violences conjugales.
Je salue l'introduction par le Sénat de l'article 1er bis, qui vise à dissimuler l'adresse de la personne bénéficiaire de l'ordonnance de protection en cas de demande de communication des listes électorales.
L'article 2 prévoit quant à lui que la violation d'une ordonnance de protection, comme d'une ordonnance de protection immédiate, sera sanctionnée pénalement d'une peine portée à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Les peines encourues sont ainsi accrues et unifiées, quelle que soit la nature de l'ordonnance rendue par le juge aux affaires familiales. Cette disposition est un message clair d'impunité zéro face aux agresseurs déjà identifiés, qui seraient tentés de passer outre les mesures édictées.
Enfin, l'article 2 bis, lui aussi ajouté par le Sénat, prévoit expressément que la future ordonnance provisoire de protection immédiate donnera lieu, comme c'est le cas pour l'ordonnance de protection, à l'attribution d'un téléphone grave danger. Comme je le rappelais, 5 700 TGD ont été déployés l'année dernière. Ils permettent, grâce à la géolocalisation, de faire intervenir immédiatement les forces de l'ordre, après que la victime a déclenché l'alerte. Cet outil de protection est unanimement plébiscité pour son efficacité. Son extension aux futures ordonnances provisoires de protection immédiate contribuera à renforcer la protection que nous voulons accorder à toutes les victimes de violences conjugales.
Alors qu'il faut en moyenne sept allers-retours aux victimes de violences avant de quitter définitivement le domicile conjugal, il est de notre devoir de renforcer par tous les moyens possibles le recueil de leur parole, le soutien à leur apporter et les sanctions à appliquer aux auteurs qui sont, faut-il encore le répéter, les seuls responsables de ce qu'elles ont subi. Si les femmes sont aujourd'hui davantage encouragées et aidées pour sortir de ces violences, force est de constater que les féminicides persistent et qu'il reste un très long chemin à parcourir pour garantir une réelle protection aux victimes.
Il ne s'agit pas de chercher d'autres coupables et responsables que les auteurs de ces violences. Je tiens ici à saluer l'investissement de nos forces de l'ordre et les énormes progrès réalisés dans les pratiques d'accueil, de recueil de la parole et de prise en charge des victimes. Je salue également les autres acteurs de la chaîne judiciaire, dont je connais l'engagement quotidien en matière de lutte contre les violences intrafamiliales. Je pense à des juridictions particulièrement proactives. Ainsi, la cour d'appel de Poitiers a été la première à mettre en place un pôle de lutte contre les violences intrafamiliales ; elle a rendu en janvier cinq arrêts significatifs, se distinguant par le recours au concept de contrôle coercitif pour contextualiser des cas de violences conjugales.
Le chemin que nous devons suivre est difficile. Ne nous y trompons pas, les féminicides, par la répétition du schéma qu'ils donnent à voir, ne sont pas des faits divers ; ce sont des faits de société, qui ont d'ailleurs trop longtemps bénéficié d'une forme de complaisance dans l'opinion en étant maquillés en crimes passionnels.