À dix jours des élections européennes, je remercie le groupe GDR de nous donner l'occasion de débattre de la place de la France et de l'Europe dans le monde. L'Europe est confrontée à deux périls : un péril interne, la tentation de l'autoritarisme ; et un péril externe, la montée de régimes totalitaires qui menacent son intégrité et remettent en cause ses fondements mêmes.
Dans cette confrontation hybride, qui touche nos démocraties en leur sein, mais aussi sur le plan géopolitique, nous devons avoir en tête la réalité des chiffres : au moment de la déclaration Schuman du 9 mai 1950, nous représentions un cinquième de l'humanité ; en 2050, nous ne serons plus que 5 % de la population mondiale.
Abordons le débat sur le Ceta dans un esprit de responsabilité, car l'Europe peut jouer un rôle dans le monde. Personne, ici, ne souhaite affaiblir l'Union en se fondant sur les besoins d'une filière, d'une localité ou d'une région particulières. Nous n'imaginons pas non plus une puissance européenne qui mépriserait la souveraineté populaire des nations. Dans ce cadre, au-delà du Ceta, les Socialistes appellent à réviser notre doctrine et nos façons de faire démocratiques et institutionnelles.
Inspirons-nous du modèle allemand : outre-Rhin, le Bundestag peut donner des mandats de négociation pour les traités commerciaux. Lorsqu'un ministre de l'agriculture négocie la PAC, il le fait avec un mandat clair. En France, une carence démocratique entoure les prises de décisions européennes et extra-européennes. Nous devons donc réinventer une façon démocratique de nous saisir des sujets par le bas, dans la transparence, en garantissant une capacité de réforme permanente de ces traités, afin de bien les comprendre, d'éviter les périls, voire de les compenser et de les réparer.
Ensuite, les décisions européennes ne peuvent pas être seulement le fruit d'un rapport de force. Elles doivent s'inscrire dans ce que Jean-Jacques Rousseau appelait le droit naturel, c'est-à-dire quelque chose qui nous précède et qui nous dépasse, qui relèverait d'une forme de Constitution européenne et qui nous rassemblerait par exemple autour des principes des accords de Paris et de l'urgence de nourrir 10 milliards d'habitants en 2050. Cela suppose que toutes les terres du monde soient valorisées et que nous passions d'une logique de compétition à une logique de coopération, car nous aurons besoin de tous les paysans du monde.
Cela concerne aussi les droits humains, qui ont connu une sorte de printemps – je pense à la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D) et à la directive dite CSRD sur le reporting extrafinancier, qui indiquent la voie d'une nouvelle économie européenne. Si nous n'y prenons pas garde, ces droits seront menacés demain.
Par le haut, cette fois, par une sorte de Constitution qui nous interdit de bâtir des traités climaticides ou attentatoires aux droits des peuples, des citoyens, des paysans d'ici et d'ailleurs, il y a là des règles commerciales qui nous dépassent et nous éclairent.
De façon plus pratique, nous devons traiter les alertes du rapport de la commission d'évaluation de l'impact du Ceta, dit rapport Schubert, commandé par le Premier ministre en 2017. Ces alertes, restées lettre morte, nous mettaient en garde contre l'absence de continuité des contrôles en matière sanitaire, climatique et de biodiversité, et nous signalaient les failles de l'accord commercial. Rien n'a été corrigé.
Après avoir demandé et obtenu la création d'une commission d'enquête sur les pesticides et leur maîtrise, le groupe Socialistes a effectué un travail précis sur les concurrences déloyales.
Au nom du groupe, pour alimenter notre débat, je propose que les questions posées par le rapport Schubert fassent l'objet d'un nouvel examen par la Commission européenne et par le Parlement européen, en vue d'un autre accord avec le Canada, mais aussi avec d'autres régions du monde. Afin de garantir l'effectivité du respect des principes de réciprocité et des standards européens dans le monde, nous avons formulé cinq propositions qui comportent – au-delà de celles relatives aux limites résiduelles zéro en matière de pesticides ou à la fin de l'exportation des produits phytopharmaceutiques interdits dans l'Union vers les pays tiers – un élément innovant : l'inversion de la charge de la preuve, afin que les mesures miroirs ne soient pas des miroirs aux alouettes. La certification, donnée par un organisme extérieur, nous donnerait la garantie que tous les produits importés respectent bien les standards européens. C'est la seule méthode qui nous semble valable.
Grâce au dialogue avec les peuples souverains et à l'établissement d'une Constitution européenne qui nous élèverait en consacrant l'universalisme de l'Union, nous pourrions bâtir une nouvelle économie dans le monde, fondée sur cette logique de juste échange, et, comme nous y engageait Mireille Delmas-Marty, contribuer à l'émergence d'un nouvel universalisme fondé non sur des souverainetés solitaires, fussent-elles européennes, mais sur une souveraineté solidaire.