La négociation du traité BBNJ aura été une « longue route », pour reprendre le titre du livre dans lequel Bernard Moitessier raconte son tour du monde en solitaire et le temps long des circumnavigations – à cette différence près que le BBNJ n'est pas une aventure solitaire mais collective.
Cette aventure a débuté il y a vingt ans lorsque les États membres de l'ONU se sont interrogés sur la nécessité de compléter la convention de Montego Bay sur le droit de mer, afin de mieux prendre en compte les enjeux de protection des écosystèmes marins liés à la progression des activités humaines en haute mer.
Alors que la convention de Montego Bay s'attache à lutter contre les pollutions aux hydrocarbures, l'accord BBNJ prend en compte l'ensemble des défis et des menaces pesant sur cet espace situé hors de toute juridiction nationale, à 200 milles des côtes : pêche illégale, surpêche, exploration – et peut-être demain exploitation – des fonds marins, transport maritime...
Le BBNJ permettra de traiter tous ces enjeux dans une même enceinte, non pas pour se substituer aux instruments juridiques existants, régionaux – comme les organisations de pêche – ou sectoriels – telles l'Organisation maritime internationale (OMI) et l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) – mais pour coordonner leurs actions au bénéfice de la biodiversité.
Le BBNJ devrait ainsi mettre fin à l'extrême fragmentation du cadre juridique applicable à la haute mer et aux grands fonds. L'accord s'appuie sur quatre piliers : le partage juste et équitable des avantages tirés de l'utilisation des ressources génétiques marines, la création d'outils de gestion par zone – y compris les AMP –, l'obligation d'études d'impact pour les activités humaines et, en dernier lieu, le renforcement des capacités et le transfert de technologies marines au profit des pays en développement.
Premier pilier : l'accord organise le partage juste et équitable des avantages monétaires et non monétaires, c'est-à-dire principalement le transfert de savoirs et de compétences, qui découlent de l'utilisation des ressources génétiques marines. Si ce sujet est éminemment technique et sans doute moins médiatique que celui des AMP, il a cependant constitué le cœur des négociations.
En effet, certains organismes marins possèdent des caractéristiques uniques qui pourraient déboucher demain sur des innovations significatives et des avantages commerciaux réels pour de multiples filières. Toutefois, faute de moyens suffisants, la plupart des pays en développement ne participent pas à ces efforts de recherche et n'en tirent aucun bénéfice.
En second lieu, l'accord ouvre la possibilité de créer des outils de gestion par zone, y compris des AMP en haute mer. Celles-ci existaient uniquement dans le cadre d'accords régionaux n'engageant que les États parties. L'accord innove par la mise en place d'un nouvel outil de gestion de ces zones à la majorité qualifiée pour éviter les blocages, s'éloignant ainsi de la pratique en vigueur dans les institutions onusiennes. En contrepartie, les États disposeront d'un droit d'objection à la condition cependant qu'ils le justifient.
En haute mer comme dans les zones économiques exclusives (ZEE), je souhaite la création d'aires marines sous protection stricte ou intégrale, excluant par principe toute activité extractive. Selon la communauté scientifique internationale, seul ce niveau de protection est à même de protéger ou restaurer les écosystèmes marins. Il s'agit non de mettre la mer sous cloche mais de garantir un niveau de protection optimale des zones les plus fragiles.
En France, nous nous sommes fixé l'objectif de 10 % d'aires protégées de ce type. Elles favorisent une abondance nouvelle des ressources dont bénéficient en premier lieu les pêcheurs ainsi que le démontrent les premières expérimentations réalisées dans notre pays ou à l'étranger.
Il incombera aux États, lors des futures conférences des parties, de définir les processus de création de ces AMP en haute mer. Tout reste à construire à partir de l'outil dont nous disposons maintenant. Les COP devront aussi préciser comment contrôler le respect de ces aires éloignées de tout. Assurément, l'outil satellitaire y jouera un rôle prépondérant.
Troisièmement, l'accord introduit l'obligation pour les États parties de réaliser une étude d'impact chaque fois qu'une activité engagée sous leur juridiction ayant une incidence en haute mer ou menée directement en haute mer, est susceptible d'entraîner une modification importante et néfaste du milieu marin. Le grand intérêt de cette disposition tient au fait qu'elle prend en compte l'impact cumulé et écosystémique de telles activités.
Enfin, le traité BBNJ prévoit le transfert de technologies marines, notamment des États développés vers les États en développement, dans le but de faire progresser et de mieux partager les connaissances sur la conservation et l'utilisation durable des zones ne relevant pas de juridictions nationales.
Vous le voyez l'accord est ambitieux. Il est historique. Il est le fruit de nos efforts collectifs. Je veux, à ce propos, rendre un hommage appuyé aux personnels des ministères et de la Commission européenne, qui ont été, pendant des années, les chevilles ouvrières de la négociation et le porte-voix de nos ambitions. Je n'oublie pas l'important travail de conviction et de mobilisation réalisé par les ONG et la communauté scientifique en vue d'obtenir l'accord ayant le plus d'envergure possible. Que toutes et tous soient assurés de la gratitude de notre assemblée pour leur contribution à la réussite de cet accord.
Vingt années de diplomatie, vingt années de labeur ! En ce jour, « il faut imaginer Sisyphe heureux », heureux de participer à la quête du bien commun et de voir ses efforts récompensés mais toujours soucieux de poursuivre le travail engagé et plein d'espoir quant aux réalisations rendues possibles par cet accord historique.
L'enjeu immédiat est celui de la ratification du traité BBNJ par soixante des pays qui en sont signataires. Il pourra alors entrer en vigueur et nous commencerons à négocier le fonctionnement précis de ses mécanismes.
La Convention de Montego Bay est entrée en vigueur douze ans après sa signature : c'est un délai que nous ne pouvons plus nous permettre aujourd'hui. L'océan, régulateur du climat, puits de carbone, n'y survivrait pas. Acidification, réchauffement, désoxygénation, eutrophisation, montée des eaux, pollution plastique, disparition de la biodiversité, dégradation des écosystèmes : l'urgence est réelle et les défis sont immenses.
En engageant le processus de ratification du BBNJ, la France s'inscrit dans le mouvement engagé par les Palaos, le Chili, les Seychelles, le Bélize et Monaco, dont je salue l'engagement pour la protection de l'océan. Je remercie Son Excellence l'ambassadeur du Chili de sa présence en tribune.