J'entends vos arguments mais, de façon générale, s'il était vrai qu'il existe déjà des instances qui fonctionnent bien, la situation de nos territoires serait bien différente. Il faut prendre conscience que 3 millions de Français vivent à des milliers de kilomètres de l'Hexagone, et que leur voix n'est pas entendue dans l'élaboration de la loi. Renvoyer par un article en fin de texte à des décrets ou à une ordonnance, c'est un manque de respect. Il n'y a aucune considération pour les réalités, comme on l'a vu lors de l'examen des dispositions relatives à la création d'un objectif zéro artificialisation nette (ZAN) de la loi « climat et résilience » : il s'agit d'un problème majeur dans les outre-mer comme dans l'Hexagone, mais le texte s'applique sans distinction.
La notion de droit à la différenciation peut s'entendre largement. Nous demandons que les réalités de tous les territoires soient prises en considération, y compris dans l'Hexagone, car il existe des différences entre le Nord et le Sud de la métropole comme entre les territoires du Pacifique, de l'océan Indien et de l'Atlantique.
Je n'ai nullement l'intention, cher président, de déshabiller Pierre pour habiller Paul. On voit bien toutefois que le travail des délégations ne pèse rien face à celui des commissions. Ainsi, pour préparer l'examen des crédits consacrés aux outre-mer du projet de loi de finances, notre délégation a voulu auditionner certains membres du Gouvernement : nous n'avons tout simplement eu aucune réponse. Je peux compter sur les doigts le nombre des députés hexagonaux qui assistent à nos discussions. La fameuse idée d'acculturation ne fonctionne pas, le « réflexe outre-mer » n'est qu'un concept.
Lorsqu'on évoque les moyens nécessaires au développement des outre-mer, ce qu'on entend en boucle dans la bouche des députés hexagonaux, c'est que ces territoires coûtent cher à la République. Je le dis sans ambages : dans ce cas, des décisions s'imposent. Nous ne pouvons entendre inlassablement que ce qu'on nous donne est déjà bien, que nous devons cesser de jouer les enfants gâtés – des mots qui sont prononcés sur les bancs de l'hémicycle, pas forcément à l'extérieur. Ne hochez pas la tête : on entend vraiment ces phrases. Même pendant les débats, on nous fait comprendre que nous demandons trop.
« Unité » et « égalité » ne signifient pas « uniformité ». La loi doit s'adapter aux réalités variées qui composent la nation France, or nous n'en avons pas le réflexe. Créer une commission spécifique tendrait à prendre en considération les particularités dès l'élaboration de la loi.
Pourtant, une majorité s'est exprimée contre l'adoption du texte. Mme Couturier a évoqué les problèmes que pourrait entraîner la différenciation territoriale. Mais, humainement, nous sommes intrinsèquement différents les uns des autres ; chacun s'affirme en sa singularité, nul n'a besoin de toujours ressembler aux autres. Dans la même logique, il est normal que les territoires appellent à la différenciation, selon leurs réalités propres. La décentralisation et la déconcentration ne s'opposent donc pas à la différenciation, tout dépend de ce qu'on y met. La différenciation n'est pas mauvaise par essence : elle nous offre une chance de faire évoluer notre conception de l'élaboration de la loi.
L'examen du texte, quelle qu'en soit l'issue, ouvre le débat. Qu'on le veuille ou non, les lignes devront bouger, la loi devra mieux prendre en compte nos réalités. Le statu quo serait mortifère et provoquerait des crises majeures dans les semaines ou les mois à venir.
- Article unique (art. 43 de la Constitution) : Création d'une commission permanente aux collectivités territoriales et aux outre-mer