Intervention de Davy Rimane

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDavy Rimane, rapporteur :

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a choisi d'inscrire une deuxième proposition de loi constitutionnelle à son ordre du jour car il nous faut être ambitieux et essayer de suivre le rythme imposé par le Président de la République en matière de révisions constitutionnelles cette année. Je vous invite donc à créer une commission permanente aux collectivités territoriales et aux outre-mer, à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Pourquoi une commission permanente en lieu et place des deux délégations aux outre-mer et aux collectivités territoriales ? La réponse est simple : les délégations parlementaires sont des organes souples créés par des décisions internes, qui n'ont pas de pouvoir législatif. Cela signifie qu'une délégation ne peut pas examiner un texte de loi, que ce soit sur le fond ou pour avis, et qu'elle ne peut pas voter d'amendements. Le rôle des délégations se limite à l'information du Parlement et au contrôle du Gouvernement sur les sujets qui relèvent de leur domaine de compétence. Elles exercent cette mission par la tenue d'auditions, la publication de rapports d'information et la constitution de groupes de travail.

Elles utilisent les moyens à leur disposition pour participer à la réflexion autour de l'élaboration des textes de loi : elles publient des rapports d'information et peuvent faire des recommandations. Ces dernières peuvent être à l'origine d'amendements déposés ou cosignés par un ou plusieurs membres de la délégation, mais ils ne sont pas présentés au nom de la délégation.

La distinction entre commission permanente et délégation, garantie par la jurisprudence constitutionnelle, découle des dispositions de la Constitution, qui confie aux commissions permanentes la mission de préparer le travail législatif en séance publique. Leur rôle a été nettement revalorisé par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a prévu que la discussion en séance publique a lieu, sauf exceptions, sur le texte adopté par la commission. Cette révision a porté le nombre de commissions de six à huit, le constituant ayant fait le constat qu'une plus grande spécialisation des débats et des parlementaires était nécessaire.

La création d'une commission permanente supplémentaire permet une spécialisation et une expertise dans un domaine donné, lesquelles sont absentes de notre assemblée s'agissant des collectivités territoriales et des outre-mer. Pourtant, on nous annonce une nouvelle grande réforme territoriale, un nouvel acte de décentralisation, et on mesure sur le terrain les attentes de nos élus locaux.

Sur le volet ultramarin, nous faisons face aujourd'hui à l'échec cuisant du fameux réflexe outre-mer au sein du Parlement. Les débats ultramarins, suscités bien souvent par des amendements déposés par des Ultramarins, n'intéressent en général qu'eux – vous autres, ils vous glissent dessus. Surtout, les textes que nous adoptons ne prennent quasiment jamais en compte les réalités ultramarines ou renvoient à des ordonnances ou à des décrets par pure fainéantise intellectuelle, si bien que le Parlement n'en débat même pas.

Il est temps de prendre en compte ces réalités territoriales. Les crises des banlieues à répétition, le mouvement insurrectionnel en Nouvelle-Calédonie, le surplace de la Corse doivent nous pousser à prendre des décisions adaptées, à être à l'écoute du terrain. Je l'atteste en tant que président de la délégation aux outre-mer, les délégations peinent à exister et à avoir un réel impact sur les travaux menés par notre assemblée. Comme Jean-Éric Gicquel l'écrit avec clarté dans un récent ouvrage de droit parlementaire, si certaines délégations ont prospéré, la plupart ont végété avant de disparaître officiellement. C'est dû notamment au fait qu'elles peinent à trouver leur place à côté des commissions permanentes.

L'intérêt et l'assiduité des parlementaires souffrent du caractère consultatif des travaux effectués et de leur double appartenance, à une commission permanente et à une délégation. Les moyens humains et financiers sont réduits à l'Assemblée nationale et seuls deux fonctionnaires sont affectés à chaque délégation. Je sais que certains d'entre vous seraient tentés par l'option intermédiaire, celle de transformer les délégations aux collectivités territoriales et aux outre-mer en une commission non permanente, sur le modèle de la commission aux affaires européennes. Disons-le tout de suite, c'est une fausse bonne idée. Une telle commission n'aurait toujours pas de pouvoir législatif. Le format de la commission des affaires européennes répond à une problématique très spécifique liée au principe de subsidiarité et à la nécessaire participation des parlements nationaux aux travaux européens. Par nature, cette commission ne peut pas se saisir au fond d'un texte, y compris tendant à la ratification d'un traité européen ou à la transposition d'une directive. Elle a bien un pouvoir : celui d'adopter des propositions de résolution, mais sans véritable effet concret.

Pour toutes ces raisons, l'article unique de la présente proposition de loi constitutionnelle consacre, à l'article 43 de la Constitution, l'existence d'une commission permanente aux collectivités territoriales et aux outre-mer au sein de chaque assemblée parlementaire. En conséquence, ce même article 43 est aussi modifié pour porter le nombre maximal de commissions permanentes dans chaque assemblée de huit à neuf. L'Assemblée nationale ayant déjà atteint le nombre maximal de commissions permanentes autorisé par la Constitution, cela lui évitera d'avoir à fusionner deux commissions existantes pour créer la nouvelle commission permanente.

La nouvelle commission aux collectivités territoriales et aux outre-mer reprendrait la compétence de fond liée à l'organisation territoriale française aujourd'hui attribuée à la commission des lois, mais serait aussi saisie au fond de tous les textes qui intéressent à titre principal les collectivités territoriales ou les outre-mer. Elle pourrait se saisir pour avis ou se voir déléguer des articles lorsque les textes examinés par les autres commissions permanentes intéressent les collectivités territoriales ou les outre-mer. Cette saisine permettrait au Parlement de s'acculturer enfin au droit des outre-mer, alors que nos lois passent systématiquement sous silence 3 millions de Français qui vivent à des milliers de kilomètres. En tant que commission permanente, elle bénéficierait de moyens humains et matériels à la hauteur des enjeux actuels de décentralisation, de différenciation et d'adaptation du droit.

Les chances pour une proposition de loi constitutionnelle d'aboutir sont en général assez minces. Cela ne doit pas nous faire passer à côté d'un débat qui devra être mené tôt ou tard. Il n'est plus possible de continuer comme nous le faisons, sous peine de voir se succéder les crises.

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