Intervention de François Piquemal

Séance en hémicycle du lundi 8 avril 2024 à 16h00
Soutenir l'engagement bénévole et simplifier la vie associative — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Piquemal :

Elle s'appelait Brigitte. C'était un jour de l'hiver 2010. Je finissais mes études et je vivais en colocation avec deux amis. Le nouveau propriétaire de l'immeuble était venu nous rendre visite pour nous expliquer qu'il souhaitait que l'on parte avant la fin de notre contrat de location, qui expirait un an et demi plus tard. Il voulait faire des travaux rapidement – la ville ne s'apprêtait même pas à accueillir les Jeux olympiques !

Nous étions jeunes, nous vivions de peu, nous partageant entre nos études et nos petits boulots ; nous ne connaissions pas nos droits. L'un de nous a eu l'idée de consulter une association spécialiste du logement. C'est ainsi qu'une fin d'après-midi, je me suis retrouvé dans la salle d'une maison associative. Autour de moi, des hommes, des femmes – surtout – et des enfants. Tous, je l'ai su après, étaient menacés d'une expulsion de leur logement ou vivaient déjà dans la rue.

Michel venait les chercher par ordre d'arrivée, comme dans la salle d'attente d'un médecin. Quand mon tour est venu, j'ai été reçu dans un petit bureau rempli de casiers plein de dossiers par Brigitte. Juste avant moi, une femme était en pleurs. Brigitte lui tenait la main et essayait de trouver les mots pour la rassurer. Il y avait, dans ce lien, une chaleur qui se dégageait dans toute la pièce.

Brigitte lui expliquait chaque étape de la défense qu'il fallait entreprendre pour éviter l'expulsion, chacune des démarches qu'elles allaient faire ensemble. La femme est repartie ; elle était moins malheureuse que dans la salle d'attente. Elle avait essuyé ses larmes dans le bureau de Brigitte ; elle avait les épaules plus hautes : elle avait retrouvé de la dignité.

Brigitte s'est ensuite occupée de notre dossier. Je passe sur les détails : nous avons proposé au propriétaire de quitter notre logement à la fin de l'année universitaire, fin juin, moyennant quoi nous ne paierions plus de loyer. Je ne croyais pas à cette solution : six mois de loyer, c'était énorme ! Mais lorsque nous lui avons fait la proposition, le propriétaire a gardé le silence : il a réfléchi, compté, puis il a dit d'accord.

Cet hiver-là, j'ai appris deux choses : il y en a pour qui le temps est fait pour compter, comme ce multipropriétaire, et d'autres, comme Brigitte, pour qui le temps est fait pour donner.

Notre problème réglé, j'ai rejoint Brigitte et les autres bénévoles dans ce petit bureau de l'association Droit au logement, où, pendant des années, nous avons reçu des gens. À ses côtés, j'ai appris la patience, le droit, l'empathie. Brigitte était à la retraite, après avoir été ingénieure en physicochimie. Elle en profitait pour reprendre des études aux beaux-arts ; elle aimait la photographie, et était également bénévole aux Rencontres du cinéma italien à Toulouse – elle était elle-même fille de migrants italiens.

Brigitte est morte d'un cancer, en décembre 2016. Elle était mon amie.

Je vous parle de Brigitte, mais j'aurais pu vous parler également de Nacéra, bénévole au Secours populaire, d'Olivier, bénévole dans un club de foot, de Marie, bénévole dans une maison pour chômeurs, ou d'Ahmed, bénévole dans une association de protection de la nature. Tous ces gens donnent de leur temps gratuitement, sans attendre autre chose que les liens qu'ils vont tisser et le sourire qu'ils vont donner. Ils sont 16 millions, en France, à libérer ainsi le temps du travail et de l'argent.

Sans elles, sans eux, nos enfants ne feraient plus de sport, nos aînés seraient davantage isolés, les plus vulnérables d'entre nous seraient si peu secourus. Ils créent des espaces d'humanité qui rendent la vie meilleure et plus juste. Souvent, ils pallient les carences du Gouvernement. Car s'il est bienvenu de mettre à l'ordre du jour l'engagement des bénévoles – c'est pourquoi nous voterons pour le texte –, encore faut-il que les avancées soient significatives.

Nul n'oublie la suppression des emplois aidés engagée par M. Macron, qui se poursuit et dont l'impact s'élève à plus de 1 milliard d'euros par an pour les associations. Il y a quelques mois, on nous avait annoncé la tenue de grandes assises pour simplifier la vie associative. Mais le Gouvernement n'a organisé qu'une simple consultation en ligne, dont il a le secret, qui n'a débouché sur aucune proposition concrète.

Pas de débat non plus sur le financement des associations ou les lourdeurs administratives, si pesantes que les bénévoles s'arrachent les cheveux en remplissant des dossiers d'appels à projets pour obtenir de minces subventions. Au contraire, le Gouvernement n'hésite pas à mettre en œuvre des politiques nuisibles aux associations, notamment en repoussant l'âge de la retraite à 64 ans, ce qui va faire baisser le nombre de bénévoles, ou en supprimant l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), mesure dont on sait désormais qu'elle a provoqué une chute des dons aux associations de 50 % !

Autre inquiétude : on ouvre la porte au clientélisme – déjà bien trop présent dans certaines villes, comme Toulouse – en donnant la possibilité aux communes d'accorder une exonération de la taxe d'habitation à certaines associations et pas à d'autres.

Nous aurions préféré un débat ouvert sur un financement pérenne des emplois et des projets, avec de vrais engagements dans la durée, un véritable plan de formation pour les salariés et les bénévoles, avec des aides réelles pour valoriser les acquis. Voilà une belle occasion manquée : ces millions de bénévoles qui se dévouent au quotidien méritaient certainement mieux que ce texte !

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