Intervention de Olivier Serva

Séance en hémicycle du lundi 8 avril 2024 à 16h00
Propriété des personnes publiques en polynésie française — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Serva :

Disons-le d'emblée : c'est un projet de loi technique dont nous débattons, mais il est très important pour la Polynésie française. Les deux principaux enjeux de ce texte, bien que simples dans leur énoncé, sont complexes à atteindre : simplification juridique et respect des spécificités locales. M. le rapporteur a rappelé que depuis 1977, la Polynésie française est propriétaire de son propre domaine, auquel l'État a transféré l'entièreté de son domaine public maritime, à l'exception des dépendances affectées à l'exercice de sa souveraineté. Si cette collectivité d'outre-mer est donc particulièrement autonome en matière domaniale, l'État conserve la propriété d'un vaste domaine public, qui comprend des palais de justice, des ports et des écoles, mais également d'un domaine privé.

Cette présentation juridique peut paraître simple, mais sur le terrain, il n'en est rien : l'enchevêtrement des compétences dans les cinq archipels qui composent la Polynésie ne brille pas par sa clarté… Ce phénomène n'est d'ailleurs pas propre au territoire polynésien – la complexité du droit domanial en outre-mer est un largement documentée. Voilà plusieurs années que les élus ultramarins lancent des alertes sur cette situation, fruit du morcellement du droit de la domanialité et d'un éparpillement des normes applicables.

Ce n'est pourtant pas la première fois que notre assemblée se réunit pour tenter de simplifier et d'ordonner le volet ultramarin du code général de la propriété des personnes publiques. Le présent projet de loi de ratification s'inscrit dans la lignée de la loi organique de 2019, qui visait déjà à clarifier les compétences entre l'État et les collectivités en matière domaniale. La nouvelle ordonnance doit permettre de clarifier encore la répartition des compétences domaniales en Polynésie française. La principale évolution qu'elle comporte réside dans la consécration explicite de la compétence de l'État et de son pouvoir normatif sur son propre domaine public et sur son domaine privé. L'ordonnance permet ainsi de sortir définitivement du flou juridique qui persistait en la matière. A priori, ce texte va donc dans le bon sens. Je ne doute pas qu'il sera adopté en séance, comme il l'a été en commission.

Le groupe LIOT émet cependant deux réserves.

La première tient à l'absence de consultation effective des élus locaux polynésiens sur ce texte. J'insiste sur ce point, car je doute que quiconque, ici, puisse croire un seul instant qu'une telle consultation est un point de procédure négligeable. Je note d'ailleurs que lors de l'examen en commission, l'ensemble des groupes d'opposition et certains députés de la minorité présidentielle ont relevé ce manquement. L'article 74-1 de la Constitution prévoit explicitement que « les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis des assemblées délibérantes intéressées […] » – en l'occurrence, de l'assemblée de la Polynésie française. Si celle-ci a certes été saisie, elle n'a pas pu rendre son avis en raison du contexte électoral de 2023.

Notre seconde réserve porte sur la propriété des biens maritimes, question très sensible en Polynésie. L'article 2 de l'ordonnance rend applicable un article du CG3P qui prévoit que les biens culturels maritimes situés dans le domaine public maritime sont acquis par l'État. Or en pratique, depuis les transferts opérés en 1996, la quasi-totalité du domaine public maritime appartient à la collectivité de Polynésie. Notre groupe s'interroge donc sur l'opportunité de cette disposition et sur les catégories de biens qui seraient concernées. Les élus locaux s'inquiètent de cette mesure ; ils y voient un risque d'intrusion de l'État dans l'exploitation des ressources naturelles présentes dans les sous-sols marins. J'ai noté que des députés de circonscriptions polynésiennes ont déposé des amendements de suppression sur ce point précis ; notre groupe les votera.

Au-delà de ces deux réserves, le groupe LIOT votera ce projet de loi.

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