Intervention de Hadrien Ghomi

Séance en hémicycle du lundi 8 avril 2024 à 16h00
Propriété des personnes publiques en polynésie française — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHadrien Ghomi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Nous sommes réunis pour examiner le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française.

En préambule, je tiens à remercier les services de la commission des lois, en particulier Adrien Gros pour le travail qu'il a réalisé à mes côtés.

Cette ordonnance rend l'État compétent pour définir les règles applicables à son domaine privé. Elle répare ainsi une omission du législateur, dans le champ de la loi organique comme de la loi ordinaire, et tire les conséquences des évolutions du statut de la Polynésie française intervenues en 2019 – vous y avez fait référence, monsieur le ministre.

Avant de présenter plus en détail le contenu de l'ordonnance, permettez-moi de rappeler brièvement le cadre juridique dans lequel elle s'inscrit. De manière générale, les biens qui appartiennent à l'État se répartissent entre son domaine public et son domaine privé.

Les biens du domaine public, tout d'abord, sont soumis à un régime exorbitant du droit commun, qui assure leur inaliénabilité et leur imprescriptibilité. Ils doivent être affectés soit à l'usage direct du public, soit à un service public, pourvu qu'ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à son exécution. Il s'agit principalement, en Polynésie française, d'équipements et d'installations de nature très diverse : aéroports, sites militaires, bâtiments d'enseignement supérieur ou encore tribunaux.

Quant aux biens du domaine privé, ils sont définis par opposition au domaine public : ce sont les biens dont l'État est propriétaire et qui ne relèvent pas du domaine public. Les biens du domaine privé sont principalement soumis aux règles du droit privé, même si le fait qu'ils appartiennent à une personne publique les rend incessibles à vil prix et insaisissables.

En Polynésie française, le domaine privé de l'État représente près de 12,5 kilomètres carrés. Il comprend essentiellement des immeubles de bureaux ou d'habitation, des terrains ou encore des bâtiments techniques. Ces biens sont détenus par les ministères civils ou par le ministère des armées, ainsi que par des opérateurs tels que Météo-France ou l'Ifremer, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer.

Dans l'Hexagone et dans l'essentiel des territoires d'outre-mer – sous réserve de leurs compétences –, c'est le code général de la propriété des personnes publiques, entré en vigueur en 2006, qui organise les règles de la domanialité publique comme privée.

Toutefois, l'extension des règles intéressant les biens du domaine privé n'a pas été possible en Polynésie française, car le statut organique de 2004 ne prévoyait pas que l'État puisse légiférer sur son domaine privé ni sur celui de ses établissements publics.

En effet, en tant que collectivité d'outre-mer relevant de l'article 74 de la Constitution, la Polynésie française est régie par le principe de spécialité. Le statut organique adopté en 2004 prévoit ainsi que la Polynésie française dispose d'une compétence de principe dans toutes les matières à l'exception des plus régaliennes, tandis que l'État et les communes n'exercent que des compétences d'attribution.

En outre, dans les matières qui relèvent de la compétence de l'État, les dispositions législatives et réglementaires doivent comporter une mention expresse pour être applicables, sauf dérogation. Or, jusqu'à sa modification par la loi organique du 5 juillet 2019, et bien que l'État soit propriétaire de son domaine privé, le statut de la Polynésie française ne prévoyait pas que l'État puisse légiférer sur son domaine privé ni sur celui de ses établissements publics. L'État détenait une compétence d'attribution strictement limitée aux règles intéressant son domaine public.

Cette situation était doublement singulière. D'une part, elle présentait un caractère inhabituel au regard des régimes en vigueur dans les autres collectivités d'outre-mer, dans lesquelles l'État disposait généralement d'une compétence en matière de domanialité privée ; d'autre part, elle empêchait en pratique l'harmonisation avec le droit applicable dans l'Hexagone et dans les autres territoires ultramarins en matière de domanialité privée. Alors que le CG3P était entré en vigueur en 2006, et qu'il avait été étendu aux territoires ultramarins dix ans plus tard, le domaine privé de l'État en Polynésie française restait régi par les règles de l'ancien code du domaine de l'État.

La loi organique du 5 juillet 2019 a réparé cet oubli du législateur et a ouvert la voie à une mise en cohérence juridique en étendant les compétences de l'État aux règles intéressant son domaine privé, qui sont désormais applicables de plein droit.

Quatre ans plus tard, l'ordonnance dont la ratification est proposée à notre assemblée tire les conséquences des possibilités ouvertes par la loi organique de 2019.

L'ordonnance, qui comporte six articles, présente un double apport.

Premièrement, elle prévoit l'application de plein droit des dispositions du CG3P, non seulement au domaine public de l'État et de ses établissements publics en Polynésie française, mais également à leur domaine privé. Elle étend ainsi à la Polynésie française les nouvelles règles de la domanialité privée issues du CG3P et met fin, par conséquent, à l'application du code du domaine de l'État.

Deuxièmement, elle procède à plusieurs adaptations techniques afin d'assurer le respect des compétences que la loi organique réserve à la Polynésie française et des spécificités de ce territoire.

Je tiens à insister sur ce point : l'ordonnance s'inscrit dans le respect absolu des compétences de la Polynésie française telles qu'elles sont prévues par le statut. Elle n'empiète aucunement sur les compétences de la collectivité. La majeure partie de l'ordonnance s'attache, au contraire, à identifier précisément – on pourrait même dire, chirurgicalement – les dispositions qui ne pourront pas s'appliquer en Polynésie, ainsi que celles qui devront être adaptées.

Lors des auditions que j'ai conduites et lors de l'examen du texte en commission la semaine passée, la question des biens culturels maritimes a été soulevée. Je souhaite remercier les représentants de l'assemblée de la Polynésie française, ainsi que nos collègues Mereana Reid Arbelot et Tematai Le Gayic, pour leur participation à ces travaux. Leurs deux amendements que nous examinerons tout à l'heure me donneront de nouveau l'occasion, je l'espère, de rassurer les élus polynésiens. Je souhaite dès maintenant insister sur plusieurs points.

Premièrement, s'agissant de l'acquisition des biens publics culturels, l'ordonnance opère une codification à droit constant, dans le parfait respect des compétences de la Polynésie française prévues par le statut organique de 2004. Elle n'étend en aucun cas les compétences de l'État en la matière. Il faut rappeler que la notion de gisement mentionnée dans le code du patrimoine doit être comprise comme un gisement archéologique au sens de ce code, c'est-à-dire comme un navire entier et sa cargaison, par exemple, et non comme un gisement au sens du code minier : les gisements de ressources naturelles ne sont donc pas concernés. Il faut également rappeler que cette disposition s'appliquerait aux biens situés dans le seul domaine public de l'État, qui est résiduel en Polynésie française. J'ai rappelé en commission les éléments qui m'ont été transmis par les services des ministères concernés : le domaine maritime public de l'État en Polynésie comprend les zones de Moruroa et Fangataufa ainsi que la base navale de Fare Ute à Papeete.

Deuxièmement, la mesure de coordination prévue par l'ordonnance est utile, car en l'absence d'une telle précision, nous serions confrontés à une incertitude juridique préjudiciable, et même dommageable. Je demanderai donc le retrait des amendements précités.

Avant de conclure, je dirai quelques mots de la méthode suivie par le Gouvernement, à savoir le recours à une ordonnance au titre de l'article 74-1 de la Constitution. Cet article permet au Gouvernement d'étendre et d'adapter par ordonnances les dispositions de nature législative en vigueur dans l'Hexagone. Mais, à la différence des ordonnances prises en vertu de l'article 38, celles qui sont prises en vertu de l'article 74-1 doivent impérativement être ratifiées par le Parlement dans les dix-huit mois suivant leur publication, sous peine de devenir caduques. Cela préserve le rôle du Parlement, puisqu'il est nécessairement saisi du projet de loi de ratification. Il faut donc se féliciter de la méthode choisie, qui associe la souplesse nécessaire à des mesures techniques et à une application rapide, avec un contrôle parlementaire effectif au moment de la ratification.

En conclusion, le projet de loi de ratification que nous nous apprêtons à examiner clarifie les règles applicables au domaine privé de l'État en Polynésie française et contribue ainsi à l'accessibilité et à l'intelligibilité du droit dans cette collectivité. La commission des lois l'a adopté sans le modifier – vous l'avez rappelé, monsieur le ministre –, et je vous propose de faire de même aujourd'hui.

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