La question des troubles du voisinage est aussi vieille que les sociétés humaines. Les efforts entrepris pour concilier les intérêts contradictoires ont toujours existé. C'est à juste titre que les tribunaux judiciaires ont dégagé, dès le milieu du XIX
C'est pourtant le piège dans lequel nous tombons avec cette proposition de loi, dont les défenseurs s'abritent derrière le paravent d'une image d'Épinal de la ruralité. Ce texte est présenté comme une adaptation de la responsabilité civile aux enjeux actuels, comme si les troubles de voisinage en milieu rural étaient un problème majeur, alors que les chiffres de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) révèlent que le nombre de décisions judiciaires en la matière reste stable. C'est en réalité un prétexte assez grossier pour faire obstacle au droit à un environnement sain.
Nous sommes en désaccord avec ce texte, pour deux raisons. D'abord, il élargit inutilement le champ d'application de la cause légale d'irresponsabilité, introduite dans notre droit en 1976 pour tenir en échec les recours lorsque l'activité en cause est licite et antérieure à l'installation des voisins. Ce privilège d'antériorité semble frappé au coin du bon sens : celui qui s'installe à proximité d'une installation nuisible ou polluante ne pourrait finalement s'en prendre qu'à lui-même. « Si l'on choisit la campagne, on doit l'accepter telle qu'elle est », pour reprendre les mots du garde des sceaux. Mais, à y regarder de plus près, cette clause exonératoire de responsabilité présente le défaut majeur de sacrifier l'exigence de justice sur l'autel de la défense de l'ordre établi. Elle crée une forme de propriété éminente au profit du plus ancien, qui se comporte alors comme un seigneur bénéficiant du privilège de détériorer la qualité de vie de ses voisins sans compensation, juste parce qu'il était là avant.