« Chacun de nous est responsable de tout devant tous. » Fiodor Dostoïevski, en 1860, nous rappelait déjà que nous avions tous l'obligation de répondre du dommage causé à autrui et d'en assumer les conséquences, ce que notre droit définit précisément comme le principe de responsabilité civile.
Adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels était essentiel : c'est l'objectif de la proposition de loi de ma collègue Nicole Le Peih – dont je salue ici le talent et le travail de qualité –, qui a fait l'objet d'un travail en commission mixte paritaire.
S'il faut adapter ce droit, c'est parce qu'il ne repose pour l'essentiel que sur cinq articles du code civil, qui datent de 1804 et sont demeurés pratiquement inchangés. Les bouleversements humains, sociaux, économiques, scientifiques et technologiques qui ont eu lieu depuis ont fait évoluer son interprétation, ce qui a suscité une importante construction jurisprudentielle, élaborée depuis plus de deux siècles par la Cour de cassation. Par conséquent, la seule lecture des articles 1240 et suivants du code civil ne suffit plus à appréhender la réalité du droit français de la responsabilité civile ; elle peut même être source d'incertitude juridique pour l'ensemble des justiciables.
Ainsi, le droit existant prévoit une exception à la faculté d'être indemnisé en cas de préjudice lié à un trouble anormal du voisinage, lorsque ce préjudice résulte de l'activité « normale » d'une exploitation agricole ou commerciale, et que l'exploitation préexistait à l'installation du voisin qui s'en plaint. Toutefois, si cette exception est prévue dans notre droit à l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, la notion même de « trouble anormal du voisinage » reste jurisprudentielle. Il s'agit d'une création, dite prétorienne, des juges, en vertu du principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Eu égard aux enjeux qu'elle soulève, cette notion doit donc être inscrite dans notre droit.
Par ailleurs, la proposition de loi a aussi pour objectif de concilier les préoccupations des mondes rural et urbain. Elle tend en effet à limiter les conflits de voisinage entre les nouveaux habitants d'un territoire et les acteurs – notamment économiques, culturels et touristiques – déjà établis sur celui-ci. L'article unique du texte inscrit donc dans le code civil la notion de trouble anormal du voisinage mais aussi l'exception au principe de responsabilité lorsque ce trouble résulte d'activités préexistantes à l'installation se poursuivant dans les mêmes conditions.
Le texte a été enrichi lors de son passage au Sénat : outre des modifications visant à clarifier l'acte juridique prouvant l'antériorité, les sénateurs ont inséré dans le code rural et de la pêche maritime une exonération particulière pour les activités agricoles. Suite à la CMP, où les échanges ont été de qualité, cette exonération est maintenue dans le texte qui nous est soumis. La responsabilité sans faute d'un exploitant agricole pourra être écartée dès lors que ses activités se seront « poursuivies dans les mêmes conditions » ou « sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité ». Il appartiendra alors au juge de déterminer ce qui relève ou non d'une modification substantielle. Nous avons ainsi abouti à une exonération à la fois protectrice des exploitations agricoles et respectueuse du droit de leurs voisins au recours.
En définitive, cette proposition de loi – qui n'exclut nullement, mon cher collègue Leseul, le recours à des mesures de médiation –, fruit d'un travail effectué en bonne intelligence avec la Chambre haute, permet une nécessaire évolution de notre droit positif, afin que chacun puisse vivre paisiblement à côté de son voisin. Le groupe Renaissance votera donc le texte avec conviction et enthousiasme.