Je vous remercie d'avoir présenté ces propositions touchant au cadre des conventions en général, qu'on le juge bon ou perfectible, respecté ou non. On peut en effet deviner, depuis quelques semaines, dans une partie de la population – et je n'affirme pas que c'était là le sens de la décision du Conseil d'État ni celui du recours que RSF a déposé devant lui – le sentiment qu'on s'en prend à CNews en particulier. J'ai pu en faire l'expérience sur des marchés où l'on m'a dit : « Moi je n'aime pas du tout CNews, mais ce que vous êtes en train de leur faire, c'est très dangereux, c'est très grave. » Ce « vous » désignait les hommes politiques, à Paris, la majorité, le Gouvernement, les députés, l'élite en quelque sorte. Et ce que nous serions en train de faire, c'est d'essayer d'imposer des contraintes à ceux qui ne pensent pas comme nous.
C'est pourtant le contraire de ce que voulons ; il est donc très important d'élargir notre propos, au-delà du cas d'une seule chaîne ou d'un seul groupe, pour poser la question du cadre général.
Au sujet du pluralisme, les personnalités qui apparaissent à l'antenne sont classées selon leur positionnement politique – divers droite, divers gauche, divers centre – ou bien en fonction du parti qui est le leur, et se voient appliquer la règle dite des « trois tiers » : un tiers pour l'exécutif, un tiers pour la majorité, un tiers pour l'opposition – ce découpage pouvant évoluer selon les personnalités et les débats. Des règles spécifiques s'appliquent bien sûr lors des élections : ce sera le cas pour les élections européennes à partir du 15 avril. Tout cela est bien connu.
On a vu apparaître, après la décision du Conseil d'État, une crainte du grand catalogage. Il est vrai qu'il existe un besoin de clarification – qui n'est pas propre à CNews, on peut penser également à BFM TV – sur la qualité d'un intervenant apparaissant sur un plateau : payé ou non, expert, journaliste, invité, chroniqueur, éditorialiste, etc. Mais on sent également qu'il est délicat de chercher à classer les personnes. Il s'agirait plutôt de donner des notes ou des couleurs d'ambiance sur les différents débats, en prenant en compte leur inscription dans la durée. Comment prendre suffisamment de recul pour s'assurer que toutes les opinions aient été bien représentées ? Le débat sur la fin de vie est le cas d'école d'un débat dans lequel les différentes opinions, toutes très importantes et respectables, ne recoupent pas les divisions entre partis politiques.
Je me réjouis de ce que les Français soient si soucieux de la liberté d'expression, essentielle à la démocratie : la manière dont nous allons orienter ce débat sera donc déterminante pour l'avenir. Comment donc, selon vous, rendre compte de la diversité des opinions dans un débat sans tomber dans un catalogage dont même les journalistes ne veulent pas, d'autant que, entre le début et la fin de la journée, chacun peut évoluer sur une question ? Un catalogage mènerait de plus à une succession de recours devant l'Arcom : nous casserions nous-même le système.
Je vous remercie des propositions que vous faites pour améliorer les conventions – et cela concerne toutes les chaînes susceptibles de demander prochainement le renouvellement de leur agrément. Ce qui, pour un député comme moi, est très délicat – ça l'est moins pour vous dans la mesure où il s'agit de vos confrères et de vos consœurs, moins encore pour l'Arcom qui est l'autorité de régulation –, c'est de s'engager dans le débat du bon et du mauvais journalisme. Comment faudrait-il estimer la quantité et la qualité des reportages pour déterminer si une chaîne est une bonne chaîne d'information ? Ou bien la quantité et la qualité des hard news ? Ces questions essentielles me semblent devoir être débattues d'abord au sein de la profession, puis intégrées dans les obligations de l'Arcom ; mais elles se situent à la limite de ma compétence de député, car je ne voudrais pas laisser croire à une tentation de censurer ou de classer les journalismes, voire, pire encore, les journalistes.
Par sa décision, le Conseil d'État donne une nouvelle clé de lecture de la loi de 1986. Il a confirmé que, au titre de la convention actuelle, CNews n'est pas une chaîne d'opinion mais bien une chaîne d'information, même si cela pourrait changer avec la future convention. Quelles méthodes pourriez-vous donc proposer pour le calcul des opinions, dans le cadre, par exemple, d'un débat comme celui de la fin de vie ? Comment vos propositions pourraient-elles être reprises par la profession dans son ensemble, pour qu'il ne revienne pas aux députés de distinguer le bon du mauvais journalisme ? Pourrait-il y avoir une charte de déontologie commune à l'ensemble des médias ? Si l'Arcom ne serait sans doute pas en mesure d'imposer une telle charte par le moyen des conventions, pourrait-on espérer que la profession s'accorde sur une base, à partir de laquelle chaque chaîne pourra élaborer sa propre charte ?
La ligne rouge, pour moi, même si elle n'est pas facile à tenir, est celle de la liberté éditoriale, telle qu'elle est protégée par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.
Cette table ronde est aussi l'occasion de saluer le travail de l'ensemble de nos journalistes, notamment ceux qui sont à l'étranger : je pense en particulier à ces images assez choquantes d'une équipe de BFM TV subissant en Russie, un même jour, une série de contrôles – et selon des pratiques bien rigoureuses au regard des normes de nos États assurément plus démocratiques. La liberté de la presse est loin d'être protégée partout comme elle l'est en France ; nous devons donc beaucoup à ces gens qui mettent leur vie en danger pour nous informer.